Chap 66 : pdv Jill (présent)

     -J'ai vraiment l'impression que tu ne me comprends pas.

-Ne dis pas n'importe quoi.

-Tu ne comprends rien, car tu ne m'écoutes jam ...

-Si, je t'écoute !

-Tu me coupes toujours la parole. La preuve, tu viens de le faire.

-Toi non plus, tu ne m'écoutes pas. Tu n'en fais qu'à ta tête. Je ne te reconnais plus depuis quelques mois.

-Normal, je suis en train de changer. Je ne suis plus une gamine. J'ai 16 ans.

-Je veux juste le meilleur pour toi, tu le sais ça ?

-Tu le répètes sans cesse. Mais moi, je m'en moque du meilleur. Je déteste ce que nous sommes devenues.

-Nous sommes devenues quoi ?

-Deux étrangères.

-Tu exagères.

-Tu penses vraiment que j'exagère ?

-Oui, tu dramatises toujours tout Hailie.

-C'est ce que tu penses de moi ?

-Arrête de faire des caprices si tu veux que je te considère comme une adulte.

Hailie me dévisagea avec colère.

Me détestait-elle ? Avais-je été trop loin ?

-Si tu ne veux pas m'écouter et bien lis ça ! Peut-être qu'enfin tu arriveras à me comprendre !

Hailie jeta un cahier sur mon bureau et me fixa avec défis.

-C'est quoi ?

-Mon journal intime.

-Ton journal ? Vraiment ?

-Oui.

-Tu écris un journal intime ?

Encore quelque chose que j'ignorais d'elle.

-Au moins, si tu me lis, tu ne pourras pas me couper la parole.



Je revivais sans cesse cet échange qui m'avait totalement retournée. Comment l'oublier ? Je ne comprenais plus ma propre fille et j'avais eu du mal à l'admettre.

Je baissai les yeux sur mon ordinateur, tristement. Son journal intime était posé sur mon bureau. Je ne pouvais détacher mes yeux de sa couverture.

Il ne me restait plus qu'une lettre à taper. 

J'avais enfin fini.

« The En... »


Je repensai aux disputes que j'avais eues avec Hailie. Mais surtout à cette dernière qui avait été décisive. Elle avait été terrible, mais utile. Ces moments difficiles m'avaient lessivée, mais ils m'avaient aussi ouvert les yeux.

Je détestais me disputer avec Hailie, mais, j'avais réalisé que cela avait été nécessaire.

J'avais tout faux depuis longtemps.

J'avais réalisé que je ne connaissais pas bien ma fille depuis qu'elle avait grandi d'un seul coup. Elle était devenue un mystère que je n'arrivais plus à sonder. J'étais dépassée, mais c'était à moi de m'adapter, non ? Je ne pouvais plus l'empêcher de grandir.

J'avais pleuré toutes les larmes de mon corps en entendant ses reproches et ses déceptions. Puis, j'avais compris que j'étais en grande partie responsable de son mal-être.

Quelle mère pitoyable étais-je devenue ? Au début, elle ne voulait rien me dire. J'avais lu son journal intime à sa demande puis je l'avais obligée à me révéler ce qu'elle avait sur le cœur et tout s'était effondré d'un seul coup. Son regard si triste m'avait anéantie. Ses paroles m'avaient glacée sur place.

Avais-je été si nulle que ça ? Pourquoi ne la félicitais-je jamais ? Qu'est-ce qui clochait chez moi bon sang ? Ce n'était pas si compliqué de dire « Je t'aime » à son enfant et pourtant ...

Je l'avais écoutée patiemment, j'avais essayé d'intégrer tout ce que je n'avais pas compris puis, je m'étais réfugiée dans mon bureau pour comprendre mes erreurs et surtout pour essayer de trouver la force de changer. Je devais changer. Pas le choix.

Je voulais agir avant qu'il ne soit trop tard.

Je m'étais alors mise à écrire un roman sur Hailie, sur nous, sur moi. Écrire m'aiderait à me remettre en question, à m'analyser plus objectivement.

Soudain, Hailie entra dans mon bureau. Elle me sourit comme elle ne l'avait plus fait depuis longtemps. Son si beau sourire.

Je levai les yeux de mon Mac pour lui rendre son sourire et contemplai ses longues boucles brunes encadrant son visage.

-Maman ? As-tu enfin fini ton dernier bestseller ? demanda-t-elle.

Toujours plongée dans mes pensées, je m'extirpai doucement de mon monde imaginaire pour revenir à la réalité.

-Je pense avoir fini, confiai-je tout en gardant mes doigts posés sur le clavier.

-J'ai hâte de le lire. Est-ce qu'il finit bien cette fois-ci ? demanda la jeune fille tout en s'installant face à moi, dans un large fauteuil en cuir brun.

-En fait, le lecteur ne saura jamais ce qu'il s'est passé.

-Pourquoi ?

-Parfois, on ne sait pas comment cela finit.

L'adolescente me dévisagea tout en fronçant les sourcils.

-Quel est le thème de ton roman, maman ?

-Il parle de nous. Il parle de toi surtout.

-C'est vrai ?

-Il parle aussi de mes erreurs et de mes peurs les plus profondes. Tu te rappelles de nos disputes ?

Elle secoua la tête tristement.

-Il parle de nos secrets, de nos confidences, de notre quotidien, mais surtout de tout ce qui pourrait gâcher notre bonheur.

-Pourquoi écrire sur ça ? C'est déprimant. On avait dit qu'on essayerait d'oublier tout ça.

-J'avais besoin d'écrire pour aller mieux. Ma pire peur est de te perdre. Peut-être qu'écrire sur ça m'aidera à survivre à ce sentiment. À ne plus m'inquiéter autant.

-Survivre ?

-Survivre au fait qu'une maman ne peut pas tout contrôler. Je sais que je dois te laisser respirer davantage. Tu dois vivre ta vie.

Hailie me sourit, comme pour m'apaiser, mais elle savait que son sourire, même le plus sincère, ne m'apaiserait jamais totalement.

-Je pense que je ne vais pas éditer ce livre, confiai-je soudain.

-Pourquoi ?

-Je réalise que ce livre n'est pas pour les autres. Je l'ai écrit pour moi-même. Pour toi et pour papa. Pour grand-mère Birdie et pour grand-père Liam. Je l'ai écrit pour m'aider à accepter que, dans la vie, on avance sans savoir, on avance sans saisir la conséquence de nos actes. Il faut tout faire pour ne jamais avoir de regrets.

-Tu as raison. Tu n'as pas besoin de le montrer à ton éditeur. Ce sera notre livre, notre secret, d'accord ?

Soudain, elle se leva pour me laisser terminer mon roman.

-Hailie ? Promets-moi une seule chose. Promets-moi de ne jamais rentrer seule !

Elle me jeta un regard interrogateur.

-Oui, maman, c'est promis... mais tu sais bien que je rentre toujours avec Chelsea. Que peut-il m'arriver ?

-Je ne sais pas.

J'hésitai un instant avant de continuer à la retenir.

-Hailie ? Est-ce que tu fais toujours signe à monsieur Herbert ?

-Oui.

-Et si on allait lui rendre visite demain après l'école, toutes les deux ?

-Tu rigoles ? Je ne lui ai jamais adressé la parole de ma vie ?! Tu veux vraiment aller sonner à sa porte ? S'exclama-t-elle partagée entre de la joie et une certaine appréhension.

-Je pense que Mr Herbert a besoin d'aide. Qu'en penses-tu ?

-Ce serait génial. Personne ne s'intéresse jamais à lui... Il va halluciner quand il me verra à sa porte. Mais pourquoi tu me proposes ça maintenant ?

-Pourquoi pas ?

-Ce serait super ! S'écria-t-elle. Maman, merci de me demander mon avis. Tu ne le faisais jamais avant.

-J'essaye de m'améliorer.

Hailie me sourit avec reconnaissance.

-T'es-tu décidée à parler à cette fille timide qui ... ?

-Tu parles de Madison ?

-Oui, lui as-tu parlé comme tu projetais de le faire ?

-Pas encore. Je n'ai pas eu le temps.

-Tu devrais prendre le temps. Je t'assure que tu devrais. Tu le feras un de ces jours ?

Hailie acquiesça puis, radieuse, elle fila vers le couloir, des converses vert pomme aux pieds.

Je fixai la silhouette de ma fille de 16 ans disparaître vers le salon, réalisant subitement tout ce qu'il était possible de faire si je prenais la peine de sortir de ma petite routine. Je devais me remettre en question et repousser mes peurs les plus paralysantes. Regarder autour de moi. Être moins centrée sur moi-même. Pour enfin aller de l'avant.

Hailie avait l'air de nouveau heureuse et elle avait envie de discuter avec moi. Comme avant. Je réalisai enfin tout ce que je pouvais faire pour l'aider à aller mieux. C'était un choix si simple pourtant. Si évident. Soutenir ma fille et ne plus être trop exigeante avec elle.

Je pensai à Mr Herbert, notre triste voisin solitaire que tout le monde évitait. Il était possible d'estomper sa tristesse et son isolement.

Mon regard retomba sur mon pc portable. Je fixai le curseur qui clignotait infatigablement sur l'écran.

« The En ... »

Il ne me restait qu'une seule lettre à taper, la plus importante, celle qui clôturerait une histoire parmi tant d'autres.

Je fixai mon écran avec mélancolie puis je me mis à sourire toute seule.

J'étais enfin prête pour un nouveau départ. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top