Parfois, je repensais à ma vie bordée de malheurs, d'attentes incertaines. Mon existence me rendait malade, me donnait le vertige. J'étais passée du bonheur au malheur.

Je redessinais dans mon esprit le chemin de l'oubli emprunté par mon père. Je pleurais en pensant à son esprit malade. Mon père errait çà et là dans des ténèbres que seul lui percevait et j'avais mal pour lui, mal de l'imaginer dans ce brouillard permanent, toujours plus flou, toujours plus épais.

J'avais mal de constater le désarroi de ma maman impuissante, mal de savoir que ni elle ni moi n'existions encore dans la mémoire de papa. Ma place de fille unique s'était estompée peu à peu pour disparaître à jamais.

J'avais mal aussi de penser à Hailie et de me dire que sa disparition n'avait aucun sens pour lui. Il n'avait jamais été attristé par sa disparition, il n'avait pas été malheureux, il n'avait même pas compris le sens de nos explications. Il ne savait plus qui était Hailie.

Il avait juste vu une inconnue en pleurs lui tenir les mains, tentant de le réveiller d'un seul coup, comme par magie. Mais il ne s'était rien passé. C'était irréversible.

Fatiguée, je devais affronter tout ça. Je me sentais perdue, laissée là au bord de la route. Sans espoir, avec juste l'envie de fuir cette vie décevante, juste une puissante envie de fuir, mais pour aller où ?

Puis, soudain, je repensai à Gall, mon mari tant aimé qui était toujours là à mes côtés malgré les épreuves. Je n'étais pas seule en fait. Je n'avais jamais été seule. Je dessinai ses traits dans mon esprit et je me sentis automatiquement apaisée.

Lui n'était pas parti.

Il était toujours là.

Nous étions deux pour faire face à tout ça.

Je devais juste accepter comment ma vie avait tourné, sans en vouloir une autre à la place.

Je devais tout accepter sans jalouser le bonheur des autres, sans envier les autres mères, sans rien regretter.

Je devais accepter que, dorénavant, il y avait ce vide dans ma vie, laissé par ceux qui ne se remplacent pas.

Ma fille.

Mon papa.