Chap 3 : pdv Gall (passé)

   C'était l'année de notre mariage.

Cela faisait maintenant quelques mois que je lui avais passé la bague au doigt, mais je n'avais pas encore su lui offrir un voyage de noces digne de ce nom. Ma déception grandissait chaque jour davantage. J'avais l'impression que je n'étais pas capable de lui donner tout ce qu'elle souhaitait, que je n'étais pas celui qui pouvait réaliser ses rêves les plus fous.

Jill était une femme intelligente, pleine d'ambition, une passionnée qui réussissait tout ce qu'elle touchait.

Je la trouvais douée alors que moi, j'étais fauché et je galérais pour survivre.

Elle, elle rêvait de se mettre à la peinture, de faire un jour un marathon, d'apprendre le japonais, le coréen ou le mandarin. Elle rêvait aussi de faire le tour du monde, de s'envoler pour l'Europe ou pour l'Asie. Mais moi, j'avais à peine de quoi nous payer un trajet en cable car pour rejoindre notre travail. Plutôt minable comme début de mariage.

Et pourtant, elle m'avait dit oui sans hésiter.

Je me demandais souvent pourquoi elle avait accepté de devenir mon épouse. Je n'avais pas grand-chose à lui offrir. Galères après galères, je m'étais démené pour trouver un emploi mal payé et louer un petit appartement mal foutu sur une rue fréquentée de San Francisco. C'était la misère. Mais au moins, je me battais pour garder la tête haute. Je ne voulais rien lâcher.

Cerné par les sans-abris et par les immondices abandonnées sur le trottoir, mon logement n'avait pas fière allure. Loin de la fameuse Lombard Street et de sa horde de touristes, loin du Golden Gate flamboyant qui aimait tant jouer à cache-cache avec les nuages. Peut-être un peu plus proche d'Alcatraz, mais uniquement par ce que je m'y sentais en prison.

Pour résumer, beaucoup auraient payé pour ne pas vivre entre ces quatre murs humides et délabrés.

Et pourtant, Jill était là, fidèle à mes côtés, ne se plaignant jamais de rien.

Ses yeux couleur olive reflétaient sa patience et sa tendresse . Elle avait ce regard qui vous fait avancer, qui vous guide sur la bonne route et qui vous donne confiance.

J'aimais son regard. J'avais envie qu'il brille pour toujours, qu'il brille pour moi surtout.

Je l'avais connue avec de longs cheveux bruns ondulés qui recouvraient ses épaules. Mais même si sa chevelure m'avait envouté, je n'avais retenu que le vert de ses deux grands yeux sincères. Ils reflétaient une profondeur et une bienveillance que je n'avais discernées nulle part ailleurs. Et cette bienveillance m'était dorénavant destinée.

Deux années plus tard, je lui avais annoncé que j'étais enfin capable de lui payer un véritable voyage de noces. Ce n'était ni l'Europe ni l'Asie, mais elle avait été folle de joie.

Nous avions pris l'avion pour Miami et avions loué une voiture pour sillonner la Floride et remonter jusqu'à Atlanta en Géorgie. Jill rêvait de visiter le musée dédié à l'écrivaine Margaret Mitchell, l'auteur de « Gone with the wind ». C'était déjà un souhait à rayer sur sa liste de « to do ».

Les longues heures de route passées au bord du véhicule de location resteront à jamais gravées dans nos mémoires. Juste elle et moi. Rien que tous les deux, loin des tracas de la vie quotidienne.

Nous avions chanté comme deux casseroles sur des morceaux de No Doubt et parlé pendant des heures.

-Tu nous verrais un jour devenir parents ? avais-je lancé tout à coup.

Je savais qu'elle n'aimait pas trop aborder ce sujet, mais c'était le moment idéal pour en parler. Je ne comprenais pas pourquoi elle évitait cette discussion. Avait-elle peur de sauter le pas ? Pour la rassurer, je n'arrêtais pas de lui dire que je rêvais d'en avoir.

-Je ne sais pas trop. C'est une étape tellement importante. Tout sera différent, avoua Jill tout en fixant le paysage.

-Je pense qu'on pourrait y arriver, à deux ! Pas vrai ?

-On ne sera plus deux, mais trois et c'est justement ça qui sera compliqué à gérer.

-On y arrivera, non ?

-Sûrement, mais cela me fait peur.

-Tu en as envie, n'est-ce pas ?

Elle ne répondit rien puis me jeta un regard que je ne parvins pas à déchiffrer alors que je la connaissais par cœur.

Jill passa spontanément une main affectueuse dans ma chevelure brune en bataille. Elle aimait toucher mes cheveux. Je ne prenais jamais la peine de me peigner correctement le matin et cela la faisait toujours rire. Mon petit côté négligé lui plaisait énormément, disait-elle en riant. Bien sûr, il ne fallait jamais zapper la douche sinon elle me dévisageait avec de grands yeux mécontents. Pour l'hygiène, Jill était exigeante et stricte.

-J'ai toujours rêvé d'avoir une famille nombreuse, dis-je brusquement.

-Je sais, tu me l'as déjà dit. Un enfant, ce serait déjà pas si mal, tu ne penses pas ? Le jour où on en aura un, on verra pour la suite.

-Je te verrais bien avec des triplés.

Elle se mit à rire nerveusement, jetant ses longs cheveux soyeux en arrière.

À cet instant précis, je savourai notre connivence si précieuse. Nous pouvions tout nous dire, sans craindre de ne pas nous comprendre ou de partir dans une direction opposée. Nous pouvions avancer sans avoir peur de nous perdre car, à deux, on ne se perd jamais totalement.

J'étais loin d'imaginer ce que l'avenir nous réserverait. J'étais loin de savoir qu'un jour notre enfant, celui dont nous parlions innocemment dans cette voiture de location, ne reviendrait jamais à la maison.

Cela avait été notre plus bel été, nos premières vraies vacances en tant que couple marié. Un moment parfait et inoubliable.

Quelques années plus tard, nous nous étions décidés à avoir un enfant, sans jamais imaginer que celui-ci serait le seul. Moi qui rêvais d'une famille nombreuse depuis toujours.

Dans la vie, on prend trop souvent des décisions sans avoir toutes les cartes en main.

Hailie deviendrait notre plus beau cadeau, mais également notre pire cauchemar.








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NDA : Les Cable Cars sont les tramways à traction par câble de la ville américaine de San Francisco.

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