2004 - Armando (11 ans)
C'est étrange de se dire qu'on fait partie des grands. On est en CM2, on est les plus grands de la primaire. Et l'an prochain, on sera les plus petits du collège. Je ne sais pas ce qui sera le plus bizarre. Dans tous les cas, je n'arrive pas à me dire que je suis grand. Je me vois toujours tout petit. Je me sens toujours un enfant. Je vais devenir un adolescent, vraiment ? Je les vois à la sortie de l'école, les grands frères qui viennent chercher leurs petits frères : ils ont toujours semblé si grands. Moi je vais faire partie d'eux, des collégiens : vraiment ?
En même temps, je suis pressé. Je suis content de pouvoir repartir à zéro. J'ai l'impression que le collège ce sera comme une nouvelle chance. J'ai l'impression d'avoir raté ici ; je ne sais pas quoi exactement, mais d'avoir raté. Pas l'école, parce que j'ai des bonnes notes (pas aussi bonnes que celles d'Élise c'est certain, mais je n'ai pas besoin d'être le meilleur moi, contrairement à certaines), mais raté le reste. Raté ma personnalité.
Pourtant, j'ai deux meilleurs amis, j'ai une petite-copine et j'ai même gagné un prix au concours de dessin. Mais je ne sais pas, il y a quelque chose qui ne convient pas. La vie semble toute fade. Et je me sens toujours enfant. Je n'ai l'impression qu'au collège je serai un imposteur. Je n'ai pas envie d'être le gars le plus populaire du bahut, le gros dur qui vole le goûter des petits, ou le champion de foot que tous admirent. Mais, je sais pas, quelqu'un de plus cool que moi. Je suis juste banal. J'ai envie d'être un gars bien dans ses baskets, qui se sent à l'aise, qui ose aller vers les autres, qui sait s'affirmer, qui a confiance en lui (pas trop, mais juste le bon dosage).
Léa, ma petite-copine, j'ai l'impression que je ne l'ai pas vraiment choisie. Je l'aime bien, vraiment. Elle est très gentille, et je suis bien avec elle. Elle m'aime bien pour de vrai. Quand elle m'a avoué ses sentiments elle était si mignonne et touchante : elle tremblait de partout. Je n'ai pas osé lui dire non. Pas seulement pour ne pas la blesser, mais aussi parce que pour de vrai je voulais bien. Je l'aime bien, Léa. Mais je ne suis pas amoureux d'elle pour de vrai. Pas comme je suis amoureux d'Anna. Léa, elle est douce et elle est jolie comme un cœur mais elle n'a juste rien qui fait rêver. Je dois être un lâche. Je ne peux pas la détruire, Léa. Mais il faut bien avouer que ça m'arrange un peu, qu'on n'aille pas dans le même collège tous les deux. On se quittera avec le joli souvenir de ce premier amour, tendre mais sans feux d'artifices.
Je vais pouvoir repartir à zéro au collège. Être un gars assez sûr de lui pour pouvoir aborder la fille qui lui plaît. Un gars assez sûr de lui pour envoyer sa cousine balader en lui disant qu'il n'a pas envie de jouer avec elle et qu'il voit clair dans son jeu. Un gars assez sûr de lui pour se faire plein d'amis au lieu de rester toujours avec les deux mêmes. Un gars assez sûr de lui pour avoir envie d'aller à des fêtes plutôt qu'en avoir peur et trouver des excuses pour les éviter. Un gars assez sûr de lui pour croire qu'une fille comme Anna pourrait s'intéresser à lui.
Mais il y a une petite voix en moi qui me dit que je n'y arriverais pas. Il y a une petite voix en moi qui me dit que si j'étais un gars cool, je serais un imposteur parmi les gars cools ; que ce n'est pas fait pour moi. Il y a une voix qui me dit que je suis bon qu'à être petit Armando timide qui n'a pas confiance en lui. Il y a une voix qui me dit que je ne suis pas assez bien. Et je ne sais pas pourquoi. Je voudrais juste être normal. Un gars normal avec plein d'amis, qui serait capable de profiter de son adolescence en s'amusant pour de vrai. Un adolescent normal quoi.
Je me sens toujours enfant. Je n'ai pas envie de jeter mes boîtes de goûter avec des héros de dessins animés. Je demande à ma maman son avis sur ma tenue avant de sortir le matin. Je suis incapable de me réveiller si elle ne me rappelle pas à l'ordre trois fois. Je ne serais jamais capable de me retrouver dans un grand bâtiment où je devrai changer de salle à chaque heure. Je ne serai pas non plus capable de retenir tous les nouveaux noms de toute les nouvelles têtes parmi lesquelles se trouvent celles de mes futurs amis. Et puis il y aura ce moment horrible où on devra "se présenter", c'est à dire parler de soi comme si on était intéressant.
En attendant, je suis toujours en CM2, j'ai toujours le droit de me sentir enfant, et je continue d'être le Armando que tous connaissent. Ce Armando que Léa et mes amis aiment bien, mais que moi je ne supporte pas. Ce Armando désespérant de banalité et de passivité. Ce Armando qui a vécu l'enfance qui s'est offerte à lui sur un plateau, mais qui est bien décidé à décider de son adolescence plutôt que de juste continuer sur cette lancée.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top