Chapitre 9


            DING

La sonnette de l'ascenseur me sort de ma transe mélancolique et m'invite à m'approcher de ses portes, s'ouvrant sur...

« Oh ! Miss Doubouteow ! »

... une indésirable, professionnelle de l'embuscade et de la crise cardiaque intempestive.

« Dieu, merci ! »

La main sur le cœur, je me remets de la frayeur que son apparition a provoquée, relâchant la tension d'une expiration bien chargée.

« Je craignais de vous avoir manquée. »

Comment pourrais-tu me louper, vieille pie ? Tu passes ta vie d'un côté ou de l'autre de ta porte.

« Ca aurait été dommage, en effet ! je lance d'un sourire rempli de sarcasmes, tandis que je sors de la cabine. »

Je ne daigne même pas lui adresser un regard. Mon attention est plus attirée par la présence de Loïs et l'agent de la compagnie immobilière, m'attendant sur le seuil de l'entrée.

« Si vous avez encore un peu de temps, reprend elle, sans se soucier de l'intérêt que je porte à notre conversation, j'aurai un petit quelque chose à vous donner.

- Eh bien, c'est qu'j'suis attendue ! je réplique, me contentant d'un regard par-dessus mon épaule en sa direction. »

D'un pouce et d'un signe de tête, je désigne alors les personnes patientant à l'extérieur du bâtiment, pour illustrer mes propos.

« Oh ! Bien sûr ! »

Je rêve ou elle me lâche délibérément la grappe ? Ce serait un jour à marquer d'une croix dans le calendrier. Encore faut il que j'en possède encore un...

« Ne vous inquiétez pas, Miss Doubouteow ! Je n'en ai que pour une petite minute. »

Mouais... C'était trop beau pour être vrai... Tandis que je l'entends retourner dans son Two Bedrooms trop grand pour elle, je lève les yeux au ciel, sur fond de soupir blasé. Je me dirige ensuite vers la sortie, sous le regard prévenant de Loïs à ma gauche et les yeux impatients de Ratigan à ma droite. Fuyant ses iris révolver, je fouille ma poche de pantalon à la recherche du trousseau de clés. Ce n'est qu'une fois à sa portée que je le lui tends, en cherchant une once de réconfort dans les jades de mon alliée. La jeune femme me répond de son typique sourire compatissant, tel un encouragement silencieux.

« Tenez, je murmure à l'agent immobilier, d'une voix peu assurée, sans parvenir à croiser son regard de fouine. »

Je sens le jeu de clés se dérober de mes doigts, sans cet effet de papier de verre que j'escomptais ressentir au creux de ma paume. Drôle de sensation que de se faire retirer ce dernier sparadrap, sans douceur, ni grande douleur. Mais c'est officiel : je n'ai plus de toit, plus de chez moi.

« Merci, répond il cordialement, sans qu'aucune émotion ne trouble ses paroles. »

Sans un regard, je descends nonchalamment les quelques marches qui me séparent du trottoir, pour m'asseoir sur la dernière, d'un soupir lourd, le cœur tout aussi pesant. J'ai besoin de décompresser. Besoin de me figer dans l'instant et oublier qui je suis. Besoin d'un remontant m'aidant fuir cette entrée dans l'inconnu, ne serait-ce que quelques minutes. Je fouille alors dans les poches de ma veste en cuir, à la recherche de mon paquet de cigarettes et mon briquet. Tu es bête, Juliane. Tu sais très bien que fumer ne peut en aucun cas anesthésier tes pensées. Oui, je le sais. Mais s'illusionner de recracher la pression, l'appréhension sous forme de fumée, est le seul remède à ma portée.

Tandis que j'allume ma menthol, Loïs entame la conclusion verbale de leur entretien en bonne professionnelle, mêlant politesse et savoir-faire. Mes noisettes se perdent entre le macadam, les roues du camion garé tout juste en face de moi, les silhouettes des déménageurs d'un jour se profilant un peu plus loin sur ma gauche. J'entends leurs voix s'esclaffer, se mélanger à la conversation ayant lieu dans mon dos et à l'ambiance de toute rue américaine qui se respecte. Mais tout ce brouhaha me monte à la tête, tel un tourbillon assourdissant. Je ne connais qu'une seule chose capable de me sortir de cette spirale infernale. Fermant les yeux, je relâche lentement le goudron stagné dans mes poumons, et me laisse envahir par cette fictive sensation de me retrouver sous l'eau. Une eau calme et paisible que rien ne trouble. Une eau si tranquille que je m'interdis d'y respirer. Seuls de sourds et lointains échos des bruits que je fuyais me rattachent encore à la réalité. Mais tant que je parviens à maintenir cette bulle autour de moi, je me sens en sécurité dans mon petit monde égoïste. C'est ainsi que je m'isole mentalement pour me ressourcer, et ce, dès que le besoin s'en fait ressentir. Et je suis soulagée que cette méthode fonctionne encore.

Après leurs quelques mots échangés, Ratigan descend l'escalier et profite de me contourner par la gauche pour me saluer poliment, sans se rendre compte des ravages qu'il produit sur mon cocon virtuel. Je me contente d'acquiescer d'un signe de tête, dans l'impossibilité de répondre quoique ce soit, mes lèvres trop occupées à tirer sur le filtre. Il s'éloigne vers le carrefour, avant de disparaître au coin de la rue. Les yeux à nouveau au sol, j'expulse grossièrement ma bouffée chargée de nicotine, tandis que Loïs se glisse dans mon champ de vision, prenant place à ma gauche sur la marche.

« Je trouve que vous vous en sortez plutôt bien pour l'instant, se veut elle réconfortante en brisant le silence. »

Un rire cynique s'arrache furtivement de mes lèvres.

« Oh ! Vraiment ? Ca s'voit qu'vous n'étiez pas avec moi ces cinq dernières minutes, je réplique tout en apportant la cigarette à mes lèvres. »

Loïs me jette alors un regard interloqué, puis se ravise en un discret sourire.

« A vrai dire, je n'réalise toujours pas, j'avoue en détournant le regard. Je n'arrive pas à... à m'dire que... j'suis dorénavant livrée à moi-même. Je crois que... tant qu'vous s'rez là, encore à mes côtés, j'n'arriv'rais pas à y croire.

- Je vois.

- Ouais, je lâche amèrement tout en expulsant la fumée par les narines, pitoyable, n'est-ce pas ?

- Non, pas du tout ! »

Sa réponse attire mon attention, mon regard pantois et ma mâchoire tombante.

« Je veux dire... pour le moment, vous n'avez fait qu'un déménagement. Alors il est normal que, tant que vous n'y êtes pas confrontée...

- Ah ! Vous êtes là, Miss Doubouteow ! »

Oh non... Pitié : dites-moi que je rêve ! Quoique... J'aurais dû l'entendre arriver, traîne-savate comme elle est... Portant à nouveau le filtre à mes lèvres, je peine à me tourner vers l'agresseur du troisième âge. Loïs, elle, se contente de se lever et de m'indiquer qu'elle va rejoindre les bénévoles, souhaitant ne pas déranger la conversation qui s'annonce. Super ! Merci du soutien...

« Oh ! s'exclame alors la voisine avec surprise. »

Elle prend le temps de déposer à terre le paquet qu'elle tenait jusque là dans ses mains frêles, puis se rues sur l'assistante sociale, à la vitesse d'une voiture sans permis.

« Je ne crois pas que nous avons été présentées : je suis Mrs. Curtis ! »

La vieille femme lui impose une poignée de main façon parkinson, du bout de ses dix doigts gelés. Haha ! Ca vous apprendra à vouloir me laisser seule dans la mouise, Loïs ! Ca s'appelle le retour de manivelle ! ... Ou le Karma, au choix.

« Annabeth Curtis !

- Loïs Saunders, répond elle décontenancée, se laissant secouer comme un prunier, je suis... »

Oh non ! Non, non, non, Loïs ! NON ! Je vous en supplie, ne dites rien de votre métier, votre statut, ou quoique ce soit ! Surtout pas à cette commère professionnelle ! Vous ne feriez que lui donner du grain à moudre !

Dans un élan de détresse, la jeune femme se tourne légèrement vers moi, ses jades quémandant du soutien. J'en profite pour la sommer implicitement de ne rien révéler, à l'aide de grimaces aux mâchoires serrées, de mouvements de tête négatifs peu discrets et de gestes maladroits. Ma coéquipière acquiesce en clignant des yeux. Je relâche un soupir rempli de nicotine, soulagée. J'espère seulement que le message soit bien passé.

« Je suis venue aider dJuliane dans son déménagement, poursuit-elle alors en revenant vers la vieille perruche. »

A bien y penser, elle aurait très bien pu surprendre la conversation que ma Coach et l'agent immobilier tenaient à l'entrée du bâtiment, il y a de ça quelques minutes. Si c'est le cas, je suis déjà grillée et faire mentir Loïs ne servait à rien. Espérons que son sonotone soit tombé en panne à ce moment là.

« Ravie de faire votre connaissance, Mrs Curtis ! conclut elle avec fermeté la poignée de main.

- Oh ! Echantée, Mrs Saunders ! renchérit la vieille chouette, tentant de camoufler la grimace de douleur dans son hypocrite sourire, tout en retirant ses mains. Ou peut-être est-ce Miss ?

- Oui, pour le moment.

- Oho ! se réjouit alors la commère d'un sourire avide de rumeurs. Cela signifie-t-il que vous êtes sur le point de devenir une Mrs. ?

- Eh bien... »

Allons bon... Et dire que je me réjouissais que Loïs soit tombée dans ses filets. Mais, constatant que la machine Curtis ait démarré au quart de tour à la vue de cette nouvelle tête, là, j'aurais plutôt tendance à me sentir coupable d'avoir souhaiter lui mettre une mamie ragots dans les pattes. Elle ne va plus la lâcher d'une semelle, tant qu'elle ne connaîtra pas son lieu de naissance, le métier de ses arrière-grands-parents, sa comptine préférée durant son enfance, son avis sur l'élection de Trump, le nom de son chien et son poisson rouge... toute information inutile qu'elle pourra répertorier dans son journal. Non, je ne peux la laisser dans un tel pétrin. La cigarette en bouche, je prends appui sur mes genoux pour me relever, puis viens à ses côtés pour la soutenir, expirant la fumée par le nez.

« ... Peut-être que oui, peut-être que non. Pour le moment, contentez-vous de m'appeler Miss Saunders. »

Je me faisais du souci pour elle ? C'était sans compter sa répartie naturelle, digne de la plus grande rivale de Lulu. Et vous ne pouvez pas savoir, à quel point je me délecte de la voir remettre cette vieille grue à sa place. Cette lueur déconcertée dans ses yeux vitreux, ce sourire figé d'embarras, ne sont que purs délices. J'en jubilerais presque ouvertement.

« Oh ! Très bien. Et donc, vous êtes une amie de Miss Doubouteow ?

- Euh... plutôt une connaissance ! nous surprenons-nous à répondre en chœur, d'un regard amusé échangé.

- Je vois. Je suis rassurée de constater que cette adorable jeune femme, qu'est Miss Doubouteow, se trouve entre de bonnes mains. »

Dubuteau ! C'est Dubuteau, putain ! DU-BU-TEAU ! Soupir... J'aurais dû sérieusement songer à compter dans un petit carnet le nombre de fois qu'elle a déformé mon patronyme en ces deux années. Il se pourrait même qu'un carnet de deux cents pages n'aurait pas suffi.

« Si vous pouviez l'aider à arrêter ces cochonneries de cigarettes, murmure-t-elle à l'oreille de ma coéquipière, se croyant discrète, ça ne serait pas du luxe. »

Je me permets de me manifester d'un raclement de gorge peu retenu, fusillant l'oiseau de mauvais augure du regard. Ses iris me fuient, pris en flagrant délit, tandis que je tire sur mon filtre, une belle expression arrogante sur mon visage.

« Voyons, se ressaisit alors cette vieille perruche rabougrie, c'est pour votre bien, Miss Doubouteow ! »

Provocatrice, j'expulse ma susceptibilité nicotinée en sa direction.

« Vous savez que ce n'est pas bon pour votre sant...

- Vous n'aviez pas quelque chose à me donner, Mrs Curtis ? je la coupe dans son élan moralisateur sans état d'âme.

- Oh ! C'est vrai ! J'ai failli oublier ! radote-t-elle alors qu'elle remonte lentement les marches. Où avais-je la tête ? »

Je profite de ce court répit pour me pencher vers ma Coach.

« Allez à la voiture, je lui conseille sur un ton de confidence. Je vous rejoins... »

Je me laisse interrompre par les onomatopées plaintives de la vioque, qui tente de s'abaisser pour ramasser son colis, à s'en courber l'échine en angle droit.

« ... dès qu'possible.

- Entendu ! acquièsce-t-elle d'un signe de tête, avant de s'exécuter. »

D'un œil jeté par-dessus mon épaule, je la regarde s'avancer vers les bénévoles qu'elle informe très certainement du départ imminent. Les déménageurs d'un jour se répartissent alors entre le camion de déménagement et la fourgonnette aux couleurs de leur association, garée à deux emplacements de là. Loïs s'en retourne à sa Mercury, en contournant le camion pour plus de discrétion. Je n'allais tout de même pas laisser ma Coach se faire prendre en otage plus longtemps. Nous avons parfois des différents, mais même les démones dans son genre ne méritent pas un tel supplice. La voisine se relève alors avec toujours autant de discrétion et de délicatesse, ne manquant pas de ponctuer sa colonne craquante d'un cri de douleur.

« Tssss... Quelle plaie ! je laisse échapper avant d'apporter ma menthol à mes lèvres. »

Elle revient vers moi, descendant les quelques marches avec prudence, ce mystérieux paquet de soixante centimètres sur soixante centimètres - sur probablement soixante centimètres – dans les bras. Mais quel est donc ce cadeau empoisonné dont elle compte se débarrasser, putain ? Comme si je n'avais pas eu assez de mal à faire le tri dans mes affaires... J'expire grossièrement la dernière dose de goudron que j'ai emmagasinée.

« Tenez ! me donne-t-elle le carton, sans se soucier si mes bras étaient prêts à le réceptionner. »

Son manque de délicatesse m'en coupe la chique et le souffle, au point que j'en perds ma cigarette, sur laquelle restaient au moins trois bouffées de fraicheur.

« Et merde, je râle en suivant du regard le mégot roulant sur le trottoir »

Et bien sûr, avec ma chance légendaire, devinez ce qui se trouve sur sa trajectoire ? Un caniveau ! J'inspire profondément pour maintenir mon sang froid, avant de revêtir un sourire hypocrite destinée à l'emmerdeuse de service.

« Ce n'est pas grand-chose, vous savez, brise-t-elle alors le malaise instauré par le silence. Mais je tenais à vous faire ce présent... »

Je profite de son discours, digne d'une présidente d'association de quartier, pour tenter de soulever les rabats du carton d'une main malhabile et enfin lever le mystère sur son contenu.

« ... comme un symbole de ces deux années de voisinage. Un petit souvéunir ! »

Oh putain non... Comme si massacrer mon nom à longueur de temps ne lui suffit plus, il faut qu'elle s'attaque au peu de vocabulaire français qu'elle connaît vaguement. Vous le sentez ce facepalm mental que je m'inflige ? Elle a de la chance que je ne sois pas disposée à le faire ouvertement devant elle. Et pourtant j'en meurs d'envie. Mais au lieu de ça, je me contente de rentrer dans son jeu de l'hypocrisie.

« Voyons, il n'fallait pas, Mrs Curtis, je grimace discrètement ma politesse, tandis que je rencontre des difficultés à ouvrir ce fichu paquet.

- J'espère qu'il vous sera utile. »

COUCOU

« AAAHHHHH ! ! ! ! je hurle malgré moi, surprise par cette agression, manquant d'échapper le colis que je rattrape maladroitement. »

Dites-moi que je rêve !?! Elle n'a tout de même pas osé !?! Un genou au sol, je pose le paquet à terre pour me libérer les bras, puis soulève avec appréhension le rabat. Et bien si : elle a osé... Le charmant agresseur n'est autre qu'un antique coucou suisse, aux gravures et décorations d'une qualité indéniablement remarquable. Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de cette merde ? Je ne vais tout de même pas le stocker par pure politesse dans mon storage ! Je n'en aurai aucune utilité !

« Il vous plaît ? demande-t-elle avec l'enthousiasme d'une enfant, demandant l'avis de ses parents sur un dessin avec des monsieurs patates, censés représenter des princesses Disney.

- Ah ! Euh... Je... Vraiment, j'hésite tout en me relevant, je... je n'sais pas quoi dire...

- You're Wellcome, Miss Doubouteow. Tout le plaisir est pour moi ! Vous savez... »

Je ne parviens pas à décrocher mes yeux de ce cadeau empoisonné. Me prend-elle pour une poubelle ? Je sais que je suis dorénavant à la rue, mais tout de même ! Qu'est-ce que ça aurait été, si elle avait été au courant de ma situation ?

« ... je vais être honnête avec vous. »

Sa dernière phrase me dresse un sourcil et soulève mon regard, avec l'irrésistible envie de vérifier sa soi-disant franchise de mes propres yeux. Vraiment ? Toi, honnête ? Je ne serais pas aussi décontenancée par ton cadeau pourri, je t'en rirais au nez, tant cela me paraît absurde.

« A votre arrivée ici, je ne vous appréciez pas beaucoup. Vous aviez tout de la délinquante à mes yeux ! »

Comme c'est surprenant...

« Mais après quelques discussions de couloir, je me suis rendue compte à quel point vous étiez une charmante jeune femme... »

Bla, bla, bla...

« ... polie et aimable, sérieuse et travailleuse... »

La fin de ton speech, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? Si seulement je pouvais lâcher ce soupir d'agacement, que je contiens depuis quelques secondes par simple politesse.

« ... et discrète de surcroît ! »

Mais, j'y pense...

« Vraiment, vous allez me manquer, Miss Doubouteow. Et j'espère franchem...

- Dubuteau ! »

Elle s'arrête net, le regard stupéfait. Je crois qu'elle ne s'attendait pas à ce que je l'interrompe de la sorte. Ou peut-être n'a-t-elle tout simplement pas compris ce que je viens de dire. Ce qui ne m'étonnerait guère.

« Je vous demande pardon ? »

Puisque l'heure est à l'honnêteté, croyez-moi que je ne vais pas me gêner ! Et pour commencer, je vais me libérer de ce soupir qui me bloque les poumons.

« Mon nom, c'est Dubuteau ! Pas Doubouteow, comme vous autres américains avaient tendance à croire, mais bien Du-bu-teau ! je martèle alors de la main chaque syllabe, sur un ton irrité. »

La vieille buse se recule légèrement, la main sur le cœur, choquée par mon soudain changement d'attitude.

« Dubuteau ! j'enchaîne avec virulence, tout en tapant dans mes mains pour conclure ce premier cour de prononciation française. C'n'est pourtant pas si difficile à comprendre !

- Oh ! lâche-t-elle, offusquée.

- En deux ans, vous auriez pu tout d'même faire l'effort d'apprendre à prononcer mon nom correctement ! »

Etape 1 de la mission Explosion Cocotte Minute : check ! Et je peux vous le garantir : ça fait un bien fou ! C'en est presque jouissif.

« Et tant qu'l'honnêteté est d'mise, sachez, Mrs Curtis, que pour ma part, vous n'me manqu'rez, mais alors pas du tout !

- Oh ! couine-t-elle comme une pucelle effarouchée.

- S'il y a bien une personne qui d'vrait quitter l'immeuble plutôt qu'moi, c'est vous !

- Doux Jesus !

- Sous vos airs d'adorable mamie, faisant croire à quiconque le veut bien qu'vous êtes toujours là pour rend'e service, vous êtes une plaie, un poison, un putain de virus incurable !

- Mais, je... !

- Vous n'êtes bonnes qu'à radoter, comploter, répand'e des rumeurs encore plus grosses que votre égo !

- Ô dear Lord !

- J'suis persuadée que, depuis qu'vous vivez dans c'bâtiment, vous êtes à l'origine d'une quinzaine de divorces, je fais alors le compte sur mes doigts tout en arborant un sourire arrogant, de minimum vingt contrôles fiscaux, et de pas loin d'une dizaine d'emprisonnements !

- Je...

- Ah pour sûr, vous auriez été une collabo des plus prolifiques pendant la guerre 1939-1945, si vous aviez habité en Europe ! »

Elle ne trouve plus aucune parade ou exclamation à balbutier. Je lui ai volé ses mots comme sa voix. Et je n'en suis pas peu fière. Cela doit se voir à ce sourire hautain, sadique, s'étirant d'un bout à l'autre de mon visage. Je profite alors de ce silence amplement mérité pour ramasser la boîte du coucou.

« D'ailleurs, je lance d'une voix légèrement altéré par l'effort, tout en me redressant, les bras chargés, vot' salop'rie d'antiquité... »

Hum... J'hésite. Qu'est-ce qui serait le mieux ? Le lui rendre sans délicatesse dans ses bras tout rachitiques ou... ?

BAAAMM

Quel son mélodieux que celui du coucou se brisant en mille morceaux au contact du sol.

« Oops ! je souris, diaboliquement satisfaite. Quel dommage ! Il m'a échappé ! »

Et je me délecte de cette apothéose imposant une expression des plus médusées sur son visage flétri.

« De tout' façon, j'n'en voulais pas, d'votre merde ! Un cadeau v'nant de l'hypocrisie faite femme ? Nan merci ! J'm'en passe volontiers ! »

Bien, Juliane ! Après cette improvisation de qualité, il est temps de tirer ta révérence en beauté.

« Sur ce, j'amorce mes salutations distinguées en descendant les marches, Mrs Curtis... »

Une fois sur le trottoir, je me retourne pour lui faire face et lui accorde la fameuse petite révérence.

« Je vous emmerde cordialement ! »

Et je m'en vais, la tête haute, me dirigeant avec assurance vers la Montego, sans me retourner, telle une star de la télé ignorant ses fans pour rejoindre sa limousine. La vieille pie bégaye une tentative de riposte, mais je n'en ai que faire. Je suis bien trop occupée à savourer cette victoire personnelle qui me gonfle le cœur. Ma main sur la poignée de la portière, je jette un regard par-dessus l'épaule.

« Adieu, Connasse ! je lui adresse un sourire hautain, ponctuant ces salutations d'un clin d'œil et d'une langue taquins. »

Et j'ouvre la porte, puis m'engouffre à l'intérieur du véhicule, sans demander mon reste. Je m'installe, m'étale de tout mon long dans le siège du mort, en un gémissement à la limite de la jouissance. Etape 2 de la mission : on ne peut plus parfaitement accomplie ! Et c'est un pur bonheur, que d'avoir pu ainsi vider mon sac. Je devrais faire ça plus souvent, tiens.

« Aaaaahh ! Putain, quel pied ! »

Une gorge se racle à ma gauche pour attirer mon attention. Je me tourne alors vers Loïs qui m'interroge du regard. Mes épaules haussées nonchalamment répondent pour moi. Je n'ai plus aucun compte à rendre. Et je n'ai pas à justifier mon attitude, pour peu qu'elle ait pu en être témoin. Ses jades se font malgré tout insistants.

« Ben quoi ? Elle le méritait !

- Vous y êtes allée un peu fort, tout de même, réplique-t-elle en un sourire amusé par l'audace dont j'ai fait preuve.

- Oui mais au moins, je quitte cet endroit avec le sourire !

- C'est vrai ! admet-elle, d'un regard complice en démarrant le moteur. »

Elle enclenche ensuite une vitesse et se prépare à la manœuvre pour sortir le véhicule de son emplacement. Elle en profite pour baisser sa vitre et interpeler Beard-Guy se trouvant au volant du camion, le signant de la suivre.

« Vous... ! Vous... Vous n'êtes qu'une petite salope ! j'entends alors la vieille pie s'époumoner, malgré l'environnement bruyant. »

Hohoho ! Ne me tendez pas cette perche sur un plateau d'argent, Mrs Curtis ! Je ne pourrais résister à l'envie de la saisir, afin de vous remettre à votre place, une bonne fois pour toute. A mon tour, j'abaisse la vitre passager et glisse ma tête au dehors, mes mains s'agrippant à la portière pour prendre appui.

« Je l'savais ! j'arbore un sourire radieux de mesquineries. J'étais sûre qu'vous connaissiez ce genre d'vocabulaire ! Vous devriez vous laisser aller plus souvent comme ça, vous savez ?

- Et moi, je savais depuis le début que vous n'étiez qu'une petite peste de délinquante !

- Oh ! Vous me décevez, là, Mrs Curtis. Vous qui aviez si bien commencé, pourtant ! je réplique tandis que la Mercury s'éloigne. Ce s'ra pour une prochaine fois !»

Je me réinstalle confortablement dans le siège, ce sourire béat aux lèvres emplie d'autosatisfaction. Après quelques secondes, je prends le temps de boucler ma ceinture, puis de fermer la fenêtre. Un coup d'œil dans le rétroviseur et je devine le reflet de mon ex-voisine gesticuler sa colère au milieu du trottoir, tel un pantin désarticulé. A ce spectacle, je sens ce sourire indécrochable étirer mes joues comme jamais.

« Oh putain oui ! Oh putain, qu'ça fait un bien fou ! je jubile en abusant des aigus.»




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