Chapitre 1


            A la fois agaçant et rassurant, le bruit des billets comptés un par un froisse légèrement le silence. Accoudée au comptoir d'accueil, je tente de modérer mes tics d'impatience, tandis que la réceptionniste vérifie le montant que je viens de lui remettre. Il s'agit là de ma dernière étape de mon programme, et pas des moindres : le paiement de mes loyers.

En sortant des bureaux de l'AdShot Company, mon plan de l'après-midi était tout ce qu'il y a de plus clair. Etape n°1 : rentrer dans mon studio en quatrième vitesse, jeter au sale mon tailleur d'entretien et me ruer sous la douche, histoire de rincer et exorciser toute cette honte marbrée de culpabilité et de dégoût. Douche : Check ! Exorcisme : euh... pas tant que ça. Si j'avais eu le choix, je serais restée sous la douche jusqu'au dîner. Là, peut-être, j'aurais éventuellement ressenti les vagues effets d'un exorcisme. Mais cela, je ne pouvais en aucun cas me le permettre. Je me suis donc contentée de 2 minutes d'eau bien froide, puis 5 minutes d'eau chaude, puis de nouveau 2 minutes d'eau glacée... parce que le ballon d'eau était déjà vide. Je suis ensuite sortie de la salle de bain, emmitouflée dans mon drap de bain à la manière d'un esquimau cherchant à vaincre le froid polaire, marchant comme un pingouin sur sa banquise, chacun de mes pas ponctué par un "frrrrooooiiiiiddd" non retenu se dirigeant vers mon petit dressing, en vue d'une tenue plus confortable. Et quand je parle de tenue confortable, il s'agit là de mon style habituel : blue jeans large retenu par une ceinture militaire ayant appartenue à mon père, T-shirt ample vivement coloré, surchemise à carreaux type bûcheron canadien - dans les tons beige, crème et taupe en guise de choix du jour - et mes fidèles DrMartens bordeaux. Une fois habillée convenablement, je me suis mise en quête de mes différents courriers notifiant mes impayés et leurs petites sœurs surnommées lettres de rappel, afin de les avoir sur moi en tant que justificatifs, pour entamer un peu plus sereinement la tournée de mes créanciers. Ma vieille veste en cuir noire sur le dos, mon sac gris à motif camouflage en bandoulière sur l'épaule, ma casquette bleu ciel type Gavroche sur la tête en guise de touche finale et j'étais prête à partir en guerre... euh non... prête à sortir et affronter le monde des dettes...

... Et c'est parti pour l'étape n°2 : passer à la banque pour rembourser les factures et les intérêts en attente sur mes cartes de crédits. Eh bien je peux vous dire qu'ils étaient contents de me voir ! Et ils l'étaient davantage lorsque je leur ai posé le rouleau de billets sur le comptoir. Pour ma part, j'ai surtout été soulagée d'un poids de 2 504 dollars et 8 cents, blanchissant ainsi mes ardoises et me rendant aussi clean qu'un citoyen modèle. Et ça, ça fait du bien ! Même si je suis loin d'être fière de la manière dont j'ai obtenu cet argent. Bordel, Juliane... Mais qu'est-ce qu'il t'a pris de fai... ? Non ! Non ! Non ! N'y pense pas ! Ce n'est pas le moment ! L'heure n'est ni aux remords, ni aux regrets, mais à la survie en milieu urbain américain !

Une fois les modalités bancaires effectuées, il ne me restait plus qu'une dernière étape... et je suis en plein dedans. J'en ai pour un total de 5 695 dollars et 20 cents, le tout distribué en différentes coupures allant de 5 $ à 200 $, gracieusement sponsorisées par mes créditeurs précédents. Voilà pourquoi cette grosse vache rousse, vêtue d'une horrible robe à fleur dans les tons lilas, en met un temps.

« 5 670... 5 680... 5 685... 5 690... 5 695 dollars ! tient elle alors les comptes de sa voix nasillarde.

- Et... 20 cents, je conclus en poussant la pièce du bout de l'index vers son côté du comptoir, un sourire ouvertement hypocrite étirant mes lèvres. »

Sourire qu'elle me renvoie à juste titre en acceptant la monnaie, avant de s'affairer sur son ordinateur. Discrètement, je me hisse sur la pointe des pieds, étire mon cou telle une girafe, dans une vaine tentative de lire le contenu de son écran par-dessus son épaule, tandis qu'elle pianote rondement sur son clavier. Un petit clic de souris par-ci, un autre par-là et... une notification sonore plutôt préoccupante.

« Oh oh ! lâche spontanément mon interlocutrice. »

Je hausse un sourcil intrigué en sa direction.

« Un problème ?

- Il semble que votre dossier soit bloqué.

- Bloqué ? »

Mon cœur saute un battement, me coupant le souffle au passage.

« Mais... Mais pour quelle raison ? je commence alors à paniquer.

- Un instant, je vous prie. Je procède à une vérification.

- Je sais bien qu'j'avais du retard dans les paiements, mais j'suis encore dans les délais ! »

Enfin, je crois... Je me lance illico dans des fouilles archéologiques au fin fond de mon sac, à la recherche des différents courriers de rappel provenant de l'agence, que j'avais normalement rangés par ordre chronologique. Ah les voilà ! Alors... Courrier initial pour le loyer de Juin datant du 3 Juillet, notification du 2 Août rassemblant rappel du loyer de Juin et quittance du loyer de Juillet, courrier d'avertissement du 16 Août, et dernière lettre en date du 3 Septembre compilant mes deux loyers impayés et le troisième se rajoutant à la liste avec pour ordre de payer...

« Hum, soupire la réceptionniste, perplexe. C'est bien ce qu'il me semblait. »

Elle joue encore de quelques clics de souris et l'imprimante se met en marche.

« De quoi s'agit-il ? je tente de garder mon calme. Dites-moi !

- Vous êtes hors délai depuis... »

Elle fait mine de changer d'onglet pour maintenir le suspens et mon cœur en otage par la même occasion. Mais j'ai bien entendu !?!?! Elle a dit hors délai !?!?! Ce n'est pas possible !

« ... hier ! se retourne-t-elle vers moi, avec un sourire aussi mesquin que celui d'un certain serpent proposant à une certaine Eve de croquer dans une certaine pomme.

- Attendez, il... Il doit y avoir une erreur ! je bégaye entre deux rires nerveux. Je... J'ai... J'ai le dernier courrier en main et il est bien stipulé que le dernier délai est au 19 ! »

Je vérifie mes dires sur la lettre en question, qui attire également le regard de la rousse.

« Tenez, regardez ! je m'exclame en lui montrant la feuille de papier dactylographiée à l'entête de l'agence immobilière.

- Vous permettez ? »

D'abord louchant sur le corps de texte en fronçant les sourcils, elle s'empare du courrier d'un geste vif sans quitter des yeux la ligne concernant la date limite. Puis de son index droit, elle se met à gratter l'unité problématique comme un ticket de jeu, avant de le porter à sa bouche. Je ne peux empêcher une grimace de dégoût s'approprier mon visage à une telle scène. La réceptionniste confirme ses soupçons intérieurs d'un vif signe de tête.

« Chocolat noir ! précise-t-elle avec conviction en me tendant le courrier. »

Je rêve ou elle veut me persuader qu'une infime miette de chocolat fondu s'est jurée ma perte ? Je lui arrache la lettre de rappel des mains et la triste réalité me saute sauvagement aux yeux. Son tour de magie a révélé au grand jour ce sadique 3, qui s'était jusque là sournoisement déguisé en 9 à l'aide d'une parure chocolatée. Je jure sur ce qu'il me reste de dignité que je ne regarderai plus jamais une tablette de la même manière. Ah mais oui ! Suis-je bête ! J'ai déjà vendu l'intégralité de ma dignité en même temps que mon âme, il y a une paire d'heures à peine. Je n'en reviens pas... Du chocolat... Du chocolat, putain !

« Vous plaisantez !?!?!

- Pas du tout ! affirme-t-elle d'un ton tout aussi sérieux. »

Ce n'est pas un rêve... Non : c'est un cauchemar, des plus réalistes et des plus absurdes à la fois. Par pitié, réveille-toi Juliane ! Les yeux fermés, je me surprends à me pincer l'avant-bras gauche sous le comptoir, tandis que la cinquantenaire rondouillette pousse un lourd soupir pour la énième fois.

« Quoiqu'il en soit, il est bien indiqué que la date butoir était au 13 septembre. »

Mais j'y pense... Nous sommes le 13 ! Je ne suis donc pas hors délai !

« Ça tombe bien, puisqu'aujourd'hui, nous sommes le 13 ! je réplique d'un ton enjoué en lui indiquant le calendrier se trouvant dans son dos.

- C'est exact ! m'accorde-t-elle le point après s'être tournée pour vérifier ce que je pointais. Mais votre courrier stipule un règlement de vos impayés AVANT le 13. »

Hein ?!?!? Aurais-je été idiote au point de ne pas avoir lu correctement le courrier et m'être uniquement arrêtée sur la date et rien que la date ?

« Vous êtes donc hors délai à compter du 13 septembre. »

Ma navrante stupidité me fige pendant quelques secondes qui me semblent interminables. Je me sens happée par le gouffre camouflé dans cette dalle de carrelage noire se trouvant sous mes pieds. Si je suis hors délai, si elle refuse de régulariser mes loyers et leurs intérêts, que va-t-il se passer ? Que va-t-il advenir de moi, ma situation, mon studio...?

« Ah ! s'exclame-t-elle en réponse à l'arrêt de l'imprimante. »

Elle rassemble les trois feuilles qui en sont sorties, en parcourt brièvement le contenu, acquiesçant d'un signe de tête de temps à autre, avant de les faire glisser sur le comptoir dans mon sens de lecture.

« Voici le courrier qui est parti en recommandé ce matin. »

BOOM ! Tel est le bruit sourd de ma propre détonation intérieure. Mon compte-à-rebours, dicté quelques heures plus tôt par cette satanée trotteuse, est arrivé à échéance à la seconde où les mots "avis d'expulsion" se sont imprimés dans mes rétines de façon indélébile. Je sens mon estomac faire une tentative de suicide à travers ma gorge. Réveille-toi Juliane ! Fais quelque chose !

« Il devrait vous parvenir demain dans la matinée. »

Je ne parviens pas à sortir de cette torpeur. Je me sens incapable du moindre geste, comme inconsciemment convaincue qu'en ne touchant pas cette vile lettre d'avertissement, qu'en l'ignorant et en la laissant à sa place, elle disparaîtrait d'elle-même en bonne illusion que je souhaiterais qu'elle soit.

« Là par contre, vous avez jusqu'au 19 pour quitter les lieux, insiste-t-il ironiquement. Et sans chocolat, cette fois ! »

Elle glousse discrètement, très certainement fière de cette petite pique d'humour mal placé, mais tellement évidente et irrésistible. Curieusement, ma susceptibilité froissée me permet de reprendre partiellement le contrôle de mon corps comme de mes pensées.

« Je... J'vais être expulsée, je lâche d'une voix nouée qui voudrait refuser cette réalité. »

La réceptionniste s'affaire à nouveau sur son ordinateur, pianote sur son clavier avec toujours autant d'agilité et édite de nouveaux documents.

« N'y a-t-il pas moyen d'annuler la procédure ? »

Ma question attire son attention et son regard en coin m'interroge d'un air agacé.

« J'veux dire... Vous avez l'argent, là ! Loyers, intérêts, le compte y est ! Vous l'avez vérifié il y a quelques minutes !

- En effet ! Mais malheureusement, je craints que cette démarche soit irréversible. »

Non... Pitié... Je... Je ne veux pas... Je ne veux pas de ce cauchemar. Je ne veux pas... me retrouver... Non !

« Cependant, je peux procéder à la régularisation de vos impayés en manuel. »

Elle se retourne vers l'imprimante, en saisit le formulaire en double exemplaire et signe les deux volets.

« C'est le moins que je puisse faire vous concernant. »

Merci Milka ! J'apprécie ta générosité et ta compassion. On voit bien que ce n'est pas toi qui va te faire expulser de ton appart d'ici une semaine.

« Alors, c'est tout ? J'vais perdre mon studio ? Comme ça, pouf !

- C'est généralement ce que signifie un avis d'expulsion, répond-elle avec arrogance.

- Mais qu'est-ce que j'vais faire ? je m'emporte à cours de sang-froid, les larmes nouant ma gorge. Où... où est-ce que j'vais vivre ?

- Ailleurs ! lance-t-elle sans état d'âme apparent après avoir vivement tamponné le document pour l'officialiser. »

Tout en me tendant le reçu, elle se penche sur le côté pour vérifier l'état de la file d'attente se cachant dans mon dos.

« Suivant ! »



J'ai à peine eu le temps de saisir la feuille, que je me faisais déjà jeter dehors, en guise d'avant-goût de ce qui m'attend dans une semaine. Et me voilà, en train de déambuler sur le trottoir, telle une âme errante, souillée par l'accumulation de ses erreurs et cherchant malgré tout à nier l'inévitable. Je ne sais si je réalise vraiment l'ampleur de cette nouvelle assassine. Je sais juste que je ne veux pas être demain. Je ne veux même pas être ce soir. Je ne veux pas rentrer chez...

« Excusez-moi, Miss, t'aurais pas un peu d'monnaie à m'dépanner ? »

C'en est presque ironique de venir à penser cela. Vouloir fuir mon cocon, alors que je vais le perdre sous peu. Comme si l'ignorer permettrait de le conserver en l'état. Comme si le blâmer pour mon incapacité à gérer ma propre vie était la solution. Je ne suis même pas sûre que ça me soulage et cette réflexion en vient presque à dessiner un sourire amer. Mais à cela, je me contente de répondre d'une cigarette coincée entre mes lèvres et d'un briquet prêt à mettre fin à ses jours.

« ... Ou une clope ? Ca m'va aussi, vous savez ! »

C'est au moment où j'expire ma première bouffée, que je réalise m'être arrêtée dans ma promenade. Combien de secondes se sont écoulées depuis que je suis immobile au milieu de ce trottoir ? Combien de minutes que je vagabonde dans mes pensées plutôt que dans la rue ? Je n'en ai aucune idée.

« Miss... ? »

Après tout, est-ce vraiment important de le savoir lorsque le temps se trouve devant soi ? J'ai le temps du monde entier à fouler de mes pieds démotivés. Alors pourquoi ai-je tant de mal à faire un pas après l'autre ?

« Hello !?!?! Y a quelqu'un ? »

Inspirant une nouvelle fois la fumée de ma cancerette mentholée, mes yeux se perdent sur le bâtiment se trouvant à une vingtaine de mètres de ma position. Il en devient l'obsession de mon attention au point de me faire retirer ces écouteurs qui me coupaient du monde jusque là.

« Hey ! m'agresse une jeune voix masculine, au point de me faire sursauter et lâcher ma cigarette. »

J'ose à peine tourner la tête, de peur de croiser le regard de son propriétaire...

« Oh ! Désolé ! »

... qui s'avère être un adolescent, à qui on ne donnerait pas plus de la quinzaine, assis en tailleur sur les marches d'un petit immeuble résidentiel, une boîte à sucre en métal au vécu certain ouverte devant ses pieds. Il porte sans complexe des chaussures bleu marine typées Convers aux semelles usées, dont les lacets usés semblent avoir été faits à la va-vite. Un pantalon en toile modèle cargo aux tons caramel, genoux salis et cuisse droite lacérée inclus, témoigne également de sa vie en milieu extérieur. Je ne parle même pas du hoody noir au slogan anarchiste, poches trouées et ourlets déchirés, deux fois trop grand pour sa carrure chétive...

« Ma faute ! poursuit-il en se donnant une tape correctrice sur la tête. »

Son visage pâle comme la mort, cerclé de bouclettes d'un brun ténébreux s'évadant d'un bonnet vert, met curieusement en valeur ses yeux noirs sérieusement cernés, pourtant aussi pétillants que son sourire lors de ses excuses. J'ai du mal à croire qu'un garçon aussi jeune se retrouve dans cette situation. J'ai encore plus de mal à croire qu'il parvienne à garder le sourire. Et dire que d'ici quelques jours... Non, Juliane ! Non ! Ressaisis-toi !

« J'voulais pas ... »

Je reprends l'objectif qui m'a attiré le regard quelques secondes plus tôt, d'un pas déterminé à semer cette misère incarnée par ce minois.

« ... vous faire... »

Ne te retourne pas Juliane. Oublie ce que tu viens de voir.

« Okay ! Merci d'en avoir rien à branler ! »

Ne l'écoute pas. Oublie ce que tu viens d'entendre.

« Bonne journée à toi aussi ! ... Connasse... »

Et je m'arrête vingt mètres plus loin, devant les portes du bâtiment consacré aux services sociaux, dont les portes vitrées semblent briller comme une lueur d'espoir. Et pourtant, l'appréhension me gagne et me bloque au milieu de l'escalier qui mènerait vers mon ultime issue de secours. Mais... Vais-je seulement trouver la solution à mon tourment derrière ces portes ? Y aura-t-il une main qui se tendra vers moi pour me faire sortir la tête de l'eau ? Le doute m'assaille et me force à faire demi-tour. Non, Juliane ! Ne te laisse pas décourager ! Remonte ces marches ! Oui, mais si on me regarde de travers, une fois à l'intérieur ? Et si aucune aide ne peut m'être apportée ? Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, finalement. Autant rentrer à la maison. Juliane Louise Frédérique, tu vas cesser ton cinéma et tu vas me faire le plaisir de bouger ton cul et entrer à l'intérieur de cet immeuble !

La vague moralisatrice de ma propre conscience ayant eu l'effet d'une douche froide me ramenant à la réalité, je regarde autour de moi et réalise les regards ahuris des passants ayant assisté à mon conflit intérieur. Ceci dit, à leurs yeux, cela ressemblait plutôt à une séance de cent pas indécis, tantôt en haut de l'escalier, tantôt en bas. Et dans ce genre de situation, où la honte me donne envie de me ratatiner sur moi-même, ma seule arme est un sourire crispé d'embarras.

« Tout va bien ! je tente de convaincre la foule, qui s'en retourne déjà à ses occupations. »

Excepté l'adolescent, dont le regard équivoque me met en joue depuis son escalier, tirant avec la classe d'un Bad Boy sur le filtre de... Hey ! Mais c'est ma... !?!?! Ses onyx froids et insistants ne me quittent pas d'une semelle, comme cherchant à s'approprier mes pensées. Okay Kiddo, laisse tomber pour la cigarette, j'te l'offre. Mais par pitié, arrête de me fixer comme ça ! Apparemment la connexion à mes pensées n'a pas été établie, à en juger l'acharnement avec lequel ses iris me ligotent à un poteau d'exécution imaginaire. Déconcertée par ces yeux noirs me semblant chargés de rancœur et de frustration, mon instinct de survie parvient à me libérer de ces liens fictifs et je m'empresse de grimper les marches pour pénétrer dans le bâtiment, avant qu'il ne tire quelconque vengeance.



Et encore une salle d'attente... J'ai l'impression d'y avoir passé les trois quarts de ma journée et je ne pense pas être loin du compte. J'espère seulement avoir plus de chance qu'avec les précédentes, car mis à part à la banque, elles ne m'ont pas vraiment porté chance aujourd'hui.

« Miss ? m'interpelle soudainement une jeune femme au carré auburn, vêtue d'un tailleur bleu azur et de louboutins. »

Je me lève promptement, à la limite du garde à vous et avance vers elle, non sans stress. Arrivée à son niveau, j'engage une poignée de main, beaucoup moins franche que celles dont je fais preuve lors de mes entretiens d'embauche.

« Je suis Loïs Saunders, assistante sociale, se présente-t-elle d'une voix douce remplie d'humanité et de compassion. Je vous en prie, entrez ! »

Elle referme délicatement la porte derrière nous.

« Asseyez-vous, je vous en prie. »

Je m'exécute timidement, prenant place sur la chaise de droite donnant face au bureau rudimentaire de la jeune femme. Les bras serrés le long du corps, les poings fermés posés sur mes cuisses rebondissant de nervosité, je suis du regard ses moindres faits et gestes, tandis qu'elle s'installe sur son siège.

« Ne vous inquiétez pas, je suis là pour vous écouter. »

J'esquisse un sourire en réponse naturelle, mais ce dernier traduit de façon on ne peut plus évidente mon anxiété.

« C'est la première fois que vous venez nous démarcher, Miss... ?

- Euh... Oui, je réponds d'une petite voix troublée en replaçant mes cheveux derrière l'oreille. »

Ce n'est que quelques secondes de silence plus tard que je réalise son invitation à me présenter.

« Pardon ! Juliane ! Juliane Dubuteau.

- Vous êtes française ?

- On n'peut rien cacher à votre perspicacité.

- A dire vrai, jusqu'à ce que vous vous présentiez, je n'en avais aucune idée, admet elle en souriant du bout de son fuchsia à lèvres. »

Il est vrai que je n'ai été capable d'ouvrir ma bouche que depuis quelques secondes, et ce n'est pas sur un bête yes que mon accent est des plus flagrants.

« Mais dites-moi, quelle est la raison de votre venue ? »

Je prends une profonde inspiration, les yeux fermés, expire lentement, le tout répété trois à quatre fois d'affilé. La jeune femme se permet de se racler discrètement la gorge, me rappelant à l'ordre.

« Alors voilà... Depuis la fin d'mes études, je suis sans activité et... sans revenus fixes depuis quelques mois déjà... Et... d'ici une semaine, je vais... me faire expulser d'mon appartement... »

Miss Saunders devient alors pensive, le regard vague zigzagant de part et d'autre de son set de bureau.

« Ah !Et... mon visa arrive à expiration dans deux ... Non, trois mois... Et quelques... »    



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