Une jeune fille blonde qui devait avoir 15 ans, à l'apparence déjà très fantôme, se leva et marcha sans faire de bruit jusqu'au bureau. Les autres morts mirent du temps à la repérer. « Parle-moi de ta vie, et de la façon dont tu es morte. »

— J'allais entrer en seconde, c'était l'été, je regardais les jolies filles sur la plage. Il y en a une qui m'a vraiment plu, d'ailleurs je crois que je l'ai repérée dans la salle, qui avait l'air plus jeune que moi. J'ai voulu aller la voir, mais il y a un de ces... abrutis de garçons qui s'est bagarré avec moi, parce que lui aussi elle était amoureux de la fille. Je ne l'avais encore dit à personne, mais il m'avait dit qu'il n'aimait pas les lesbiennes avant de me noyer dans l'eau. Connard d'homophobe... finit-elle dans un soupir furibond

— Je suis d'accord. D'ailleurs, Viviane ? »

La jeune blonde se leva à nouveau, et répondit : « Je n'ai pas accepté de sortir avec lui par la suite, parce qu'en plus, moi aussi je suis homosexuelle.

— Quoi, dit Angelina soudain illuminée, c'est vrai ?

— Angelina, quand tu es morte, tu as voulu essayer de te réintégrer à la vie, mais tu n'as pas réussi, personne ne te remarquait dans la rue.

— Je suis sûre que c'était vous qui ne vouliez pas que j'y retourne.

— Tout-à-fait, car maintenant comme Viviane est ici aussi, tu n'as plus aucune raison de retourner à la vie. Elle ne sera non pas la femme de ta vie, mais la femme de ta mort. Ta triste histoire se nommera Personne ne me remarque, et sera racontée à la première personne. Tu peux aller te rasseoir en attendant ton jugement. »

Angelina alla se mettre à côté de Viviane, qui serait sans doute bientôt sa nouvelle compagne. La faucheuse appela ensuite : « Lucien. »

Le jeune-homme de 17 ans que Kanashimi avait vu traverser la route en premier se leva. Il était brun, aux yeux bleus. « Parle-moi de ta vie, et de la façon dont tu es mort.

— J'étais sur le point de devenir majeur. Depuis quelques temps déjà, je m'inventais une vie avec une femme, Victoria, blonde vénitienne aux yeux bleus-verts, et deux enfants, Maxime mon fils aîné et Camille ma fille cadette. Je parlais de cette famille que j'espérais fonder très souvent à mes parents, autant que je foutais le bordel à la maison, comme pour dire merde à mes derniers jours de dépendance, et j'écrivais aussi les histoires de ma famille rêvée dans une sorte de journal intime. Une nuit, j'ai rêvé que j'étais dans une forêt où il faisait toujours nuit, et en arrivant près d'une clairière, dont l'eau de la rivière donne la jeunesse éternelle, j'ai vu une magnifique elfe, blonde vénitienne aux yeux bleus-verts. C'était ma Victoria. Nous avons joué ensemble, nous nous sommes câlinés et embrassés, mais elle a fini par me dire qu'en fait elle n'était pas vraiment réelle, et que si je voulais rester à ses côtés, il fallait que je devienne irréel à mon tour. Du coup, elle m'a noyé. »

« En réalité, déclara la Mort d'un ton froid et presque cassant, tu t'es suicidé parce que tu en avais marre que cette vie que tut'inventais ne soit qu'imaginaire, et tu savais pertinemment que tu n'allais jamais pouvoir fonder une famille suivant des choix prédestinés. En plus comme tu rentrais de boîte de nuit, tu étais un peu saoul... Tu avais sorti le journal de ta famille et un stylo dans le but d'écrire un nouveau chapitre érotique où il n'y aurait que Victoria déguisée en elfe et toi, dans une clairière qui donne la jeunesse éternelle, près d'une forêt où il fait toujours nuit, mais tu as fini par t'étouffer avec ton stylo.

— Ah bon...

— Ton histoire s'appellera Le dernier rêve. Tu peux aller te rasseoir en attendant ton jugement. »

Kanashimi savait maintenant que la seule personne qu'il restait à interroger pour la Mort, c'était elle. Et, effectivement, la majestueuse faucheuse appela le dernier nom de sa liste : « Kanashimi. »

La dernière venue, une jeune asiatique aux cheveux noirs attachés en queue de cheval et aux yeux marrons, se leva, et marcha vers le bureau, l'air encore plus intimidée que les autres. « Parle-moi de ta vie, et de la façon dont tu es morte. »

— Je... en fait, j'étais au collège... je faisais de la dépression, je n'avais que des malheurs en ce moment : mes parents étaient en train de se séparer, mon petit-ami m'avait laissée tomber, mais le pire, je subissais du harcèlement dans mon collège ainsi que du cyber-harcèlement. Au bout d'un moment, j'en ai eu vraiment marre, j'ai craqué, alors j'ai appuyé mes deux index contre mes tempes, dans le but de faire exploser mon cerveau. Et je constate que ça a marché. »

Du fond de l'assemblée, Angelina lança : « Drôle de façon de se suicider, quand-même !

— Je sais, répondit Kanashimi en se retournant, mais c'était une façon de mourir à la fois des plus absurdes, à la fois des plus atroces.

— Je constate que plus que les autres, tu as été étonnée de te retrouver ici. Je n'avais pas dû te prévenir que tu allais devoir être jugée, tu t'es retrouvée un peu perdue... Comme tu es l'héroïne avec laquelle tous les autres personnages ont partagé leur histoire face à moi, je vais me permettre d'appeler ton histoire Le jugement. Ce sera la dernière du recueil.

— Tiens, d'ailleurs, c'est quoi cette histoire de recueil ?

— ...Tu peux aller te rasseoir en attendant ton jugement. »

La Mort reprit exactement le même ordre pour rediriger les 9 personnes vers des mondes meilleurs.