7 : Personne ne me remarque (3/3)
Putain ! Mais en plus de ça c'était même pas à moi qu'il parlait ? Je serre les dents, et je hurle :
« HO, JE SUIS LÀ MOI AUSSI ! »
Toujours pas de réponse. J'hallucine. Même dans une petite boulangerie où tout-le-monde est serré et où le moindre cri est censé casser tous les tympans, personne ne se retourne. Mais... Je ne suis pas muette non plus, je m'entends très clairement gueuler, moi ! Ne me dites pas que ce sont eux qui sont tous sourds ? Mais non, sinon comment ils feraient pour discuter entre eux ? Même le vieux monsieur qui m'a devancée il a entendu le boulanger, personne n'est sourd par ici ! Et moi, je suis désolée, mais je ne suis pas muette ! C'est quoi à la fin, leur problème ?!
Le vieil homme a commandé une baguette. Bordel. En plus, il a le droit au pain tout beau-tout chaud qui vient juste de sortir du four, et qui a sans doute été tripoté par les jolies mains de la boulangère. Si l'autre boulanger m'avait vue, cette baguette-là aurait été à moi. Et bien non, voilà que maintenant, même les hommes âgés veulent me concurrencer ? Plus que jamais, je déteste ce sexe de stupides.
« Euh, mais... Je ne trouve la pièce de un euro que j'avais réservé exprès ! »
« Et bien, ce n'est pas grave, monsieur, payez donc avec autre chose, je vous rendrai la monnaie si nécessaire ! »
« Mais non, je voulais payer avec ma pièce de un euro ! »
Oh putain, il va pas faire comme l'autre con et faire patienter toute la queue de clients qui vient encore d'arriver pendant des siècles ! Allez, hop, je m'approche de son porte-monnaie et je laisse tomber la pièce de un euro que j'ai ramassé dans la rue dedans. Si ça se trouve ,c'est la sienne.
« Ah, ça y est, je l'ai retrouvée ! »
Gna gna gna gna gna...
Moi ça y est, j'en ai vraiment assez, je m'en vais. Je sors de cette boulangerie à la con, je traverse à nouveau la rue, je marche à travers la foule en poussant tout-le-monde. Pourquoi se gêner puisque de toutes évidences, que ce soit eux qui me manquent de respect ou que ce soit moi, ils ne réagissent jamais, ces cons.
On a parfois tendance à se demander qui sont les véritables vivants, ici. Car oui, finalement, une fois qu'on s'en est détaché, la vie devient vraiment ennuyeuse. On ne peut plus revenir en arrière, on ne peut plus communiquer avec les gens. Alors du coup, ça sert à quoi de se réveiller ? Je ne peux même pas acheter de baguette de pain, si ça se trouve je ne peux même pas en goûter pour me rappeler le goût que ça a : comme mon ombre, mon reflet et surtout tous ces gens, mes cinq sens n'ont aucune pitié, et m'ont laissée tomber.
En rentrant au cimetière, je passe devant l'endroit que je redoutais le plus : la plage. Quelle horreur, quelle diablerie. Pourquoi je déteste autant la plage, pensez-vous ? Parce que c'est là que je suis morte. J'étais en train de me battre avec un garçon pour une fille, et il a fini par me noyer. Voilà aussi pourquoi je déteste autant les garçons. Mais les filles, elles, je ne peux pas les détester : c'est vrai, celle pour laquelle je suis partie n'y était pour rien, elle ne faisait pas exprès d'être jolie et séduisante, elle ne voulait pas causer ma perte à tout prix !
C'est ce mec, là, trop brutal et trop obsédé par son machin, là ! Comment ils appellent ça, déjà ? Ah oui, sa « virilité » ! Virilité de mes fesses, ouais ! Personne n'éprouve de respect pour les morts dans cet entourage, et les mecs encore moins que les autres, d'après ce dont je me suis rendue compte : si la vieille femme m'a poussée assez doucement, l'autre gars lui n'a pas hésité à bien fracasser, et en plus il était en trottinette. Je sais très bien qu'ils ne sont pas tous comme ça, je le sais bien, mais pourtant... ils m'énervent.
Et le pire, c'est qu'à chaque fois que je retourne dans mon cercueil, il y a toujours un esprit de garçon pour me chuchoter d'un air moqueur et horriblement sarcastique :
« Bonne nuit petit fantôme... »
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