chapitre second

« Rarement le sommeil visite le chagrin; quand il daigne le faire, c'est un consolateur tout puissant. »

Shakespeare, La tempête

La logique des adultes faisait bien trop souvent pleurer les enfants.

Camélia était malade. Muette, infirme, inutile. La meilleure chose à faire pour son avenir était certainement de l'envoyer au couvent. Elle n'était qu'un poids mort pour cette famille, contrairement à son frère aîné Raymond qui entrait à l'académie dès la rentrée.

Camélia pleurait ce soir-là plus que les autres soirs. Ses parents lui avaient annoncé la nouvelle. Elle avait beaucoup de chagrin à évacuer. D'abord parce qu'elle devrait partir de chez elle avant ses quinze ans, ensuite parce qu'on lui avait dit que jamais un garçon ne voudrait l'emmener à l'autel.

Elle qui rêvait d'une grande romance comme dans ses livres, elle ne vivrait jamais rien d'autre que sa communion et son échange de vœux avec Dieu lui-même. 

Épouse de Dieu, c'est comme ça qu'on lui avait vendu la chose. Son merveilleux futur. Mais Dieu n'était pas vraiment son genre, niveau garçons. Son genre en vérité, c'était plutôt l'archange Raphaël. Était-ce un blasphème que d'affirmer cela ?

Le jeudi suivant elle l'attendait déjà à la fenêtre, avec entre les mains une lettre accrochée à une ficelle en laine verte. Sur l'enveloppe était écrit en cursives soignées : Pour Raphaël. 

Lorsque l'intéressé arriva, il comprit directement que quelque chose clochait. Les garçons ont beau être en général assez aveugles, cette fois les sillons de larmes qui dévalaient les joues de sa tendre amie l'avaient en quelque sorte aiguillé. Elle descendit le pli du bout de sa cordelette. Il le décrocha en remarquant son nom écrit dessus et déchira l'enveloppe à la hâte. 

L'écriture était un peu maladroite, mais on sentait que c'était plus dû à l'émotion qu'au très jeune âge de la fillette.

« Très cher Raphaël, on m'enverra bientôt au couvent. Merci d'être venu me voir pendant tout ce temps, je me suis bien amusée en ta compagnie. »

Le garçon ne comprenait pas vraiment le sens de tout ça, ce qu'était un "couvent" et pourquoi elle pleurait exactement.

— Alors on ne se verra plus ? demanda-t-il, inquiet de la réponse. 

C'était tout ce qu'il avait besoin de savoir.

Elle hocha la tête tristement. Le visage du garçon se referma. Ses poings aussi. Puis il tourna les talons pour repartir là d'où il était venu. Camélia le regarda s'éloigner avec une profonde tristesse ancrée dans son cœur.

Le seul ami qu'elle avait jamais eu venait de la quitter sans même lui dire au revoir, et malgré elle son chagrin décupla, comme le volume de larmes qu'elle déversait sur le tapis persan de sa chambre..

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