Chapitre 1: Deux

- « Cléo ? Qu'est-ce que tu fous ? » la tête d'Alexandre surgit par le trou du sol, un grand sourire sur les lèvres.

BAM. Je sursaute, le sommet de ma tête se cognant sur le plafond de la ventilation.

- « Argh, Alexandre tu sais bien qu'il ne faut pas me surprendre lorsque je suis en excursion ! » je lui reproche.

Il garde néanmoins son sourire et me fait un clin d'œil.

- « C'était fait exprès !

- Bon, qu'est-ce que tu veux ? » je soupire.

- « Viens, j'ai quelque chose à te montrer. »

Sa tête disparait et je tire la langue puérilement. Sa voix résonne alors :

- « Je sais que tu tires la langue. »

Je perds mon sourire et regarde autour de moi. Ah, je comprends mieux. Toby. Je saisie l'animal mécanique par la queue et l'emporte avec moi dans le conduit menant plus bas.

Parvenue à la fin je saute à terre provoquant un bruit sourd et atterrit dans le fruste bureau de mon cher ami.

- « T'en as mis du temps !

- J'en aurais pris moins si tu n'avais pas mis ton animal ridicule pour me surveiller. » je rétorque. « C'est censé être quoi comme animal d'ailleurs ?

- Un lézard. » il répond, toujours assis sur son siège les yeux rivés sur ses trois écrans. « Et je te prierai de ne pas lui faire du mal.

- Bon, qu'est-ce que tu as pour moi ?

- Ça ! »

Du doigt il montre l'écran à sa droite. C'est un extrait d'une caméra de surveillance. En noir et blanc y figure deux hommes en uniforme de Gardien qui tiennent, l'un par les bras et l'autre par les pieds, un jeune adolescent qui se débat.

- « Eh bien quoi ?, on voit ça souvent non ?

- Pas de cet âge-là, c'est tôt ! Il ne doit pas avoir plus de douze ans. Ce n'est pas le seul, il y a de plus en plus de jeunes éveillés.

- Tant que ça ?

- Oui. Et attend, le meilleur est à venir. »

Tandis que le jeune garçon continue de se débattre, seulement vêtu de ce qui semblerait être un jogging on comprend qu'il sort à peine du lit, Alexandre zoom sur les hanches du gamin.

- « Deux ?

- Oui, deux ! »

C'est rare de s'éveiller avec deux gravures, je n'ai connu qu'une personne qui en ait eu deux et elle est morte sous la douleur.

- « Et il est toujours en vie ?

- Aucune idée, j'ai essayé de décrypter les autres vidéos de surveillances mais impossible d'y arriver sans me faire repérer. » il répond en appuyant son dos contre le dossier de son fauteuil.

- « Ne prend pas le risque, j'irai voir Martin un peu plus tard, il aura peut-être des réponses à nous donner.

- J'espère que le gamin s'en est tiré.

- De quand date la vidéo ?

- Cette nuit.

- Et tu viens de la voir ?

- J'avais cours d'agro-alimentaire ce matin, je n'ai pas pu venir avant ce midi et j'avais autre chose à te montrer. » il finit sa phrase d'un ton grave.

Alexandre soulève son haut laissant découvrir une gravure au niveau de sa hanche droite. Un Y coupé par une barre verticale, comme les tridents que nous pouvons voir dans les rares livres grecs de l'Avant, est gravé sur sa peau claire.

- « Tu... tu... quand ? » la surprise m'empêche de trouver les mots et de faire une phrase correcte.

- « Cette nuit, la douleur était... inimaginable. Mais lorsque j'ai compris ce qu'il m'arrivait j'ai mordu ma couverture pour ne pas faire de bruit, j'avais peur de ce que je pouvais trouver.

- Tu as une idée de ce que cela pourrait symboliser ?

- Non, aucune... Ce n'est référencé nulle part, et pourtant j'ai cherché dans toutes les annales.

- Je ne sais pas Alexandre, tu devrais voir quelqu'un.

- Non, surtout pas, et risquer de découvrir que l'informatique n'est pas pour moi ?, non merci !

- Comme tu veux, si tu trouves quelque chose dis-le moi ! »

Fan des ordinateurs, Alexandre idolâtre les programmes informatiques et contrairement à Alexandre le Grand dont il porte le nom, il rêve d'avoir une vie anonyme dont personne ne connaîtrait les secrets.

Et moi ce que je voudrais ?, je n'en ai aucune idée. J'ai beau avoir observé tous les métiers à ma connaissance il n'y en a aucun qui semble me convenir.

Je pose ma main sur l'épaule du blond à lunette et déclare :

- « Tiens-moi au courant s'il y a du nouveau et ne prend aucun risque.

- Ça marche, qu'est-ce que tu vas faire toi ?

- Je vais passer à la clinique, Marie m'a dit qu'ils avaient besoin d'aide. A la fin de mon service je chercherais Martin pour qu'il nous en dise un peu plus. A plus tard !

- Ciao ! » Il cri tandis que je saute pour attraper les bords du conduit et m'y hisse.

C'est le seul accès au bureau d'Alexandre, vous n'imaginez pas à quel point voler les ordinateurs fut difficile, mais imaginez ce que ce fut de les transporter jusqu'ici sans être remarqué avec en plus Alexandre qui gémissait dès que son « précieux » matériel frôlait un mur.

Après tout un dédale de conduits différents, j'arrive finalement dans les toilettes de mon dortoir. Je tends l'oreille pour savoir si la voie est libre et j'entends :

- « Tu connais la nouvelle ?

- Non ? » je reconnais les voix d'Antoinette et Lady.

- « Whitney s'est éveillée !

- C'est pas vrai ?

- Si, elle est toujours avec les Diseurs !

- Encore ?

- Oui, c'est arrivé cette nuit, pas de quoi s'inquiéter.

- Et toi, t'es pressée ?

- Oh oui ! Je suis persuadée que je serai en Haut ! Ma première gravure sera super grande tu verras, avec pleins de fleurs de lys ! Comme Whitney !

- Elle a des fleurs de lys ?

- Je n'en sais rien, personne n'a eu le temps de voir quoi que ce soit, mais j'en suis persuadée, elle est faite pour en Haut. »

La fleur de Lys est le symbole du Haut et les cornes du Bas. Chaque gravure représente quelque chose, cela peut être sa fonction, sa destinée, son âme-sœur mais surtout son prénom. Certains, comme l'âme-sœur ou le prénom n'apparaissent jamais mais la fonction apparaît généralement en premier.

Je glousse en silence face à leur bêtise mais je suis cependant surprise de ne pas avoir entendu Whitney cette nuit. Eh oui, à mon grand regret Whitney et moi sommes dans le même dortoir, mais ses grands airs face à ma nonchalance font qu'on ne s'adresse jamais la parole. Mise à part lorsqu'elle fait une remarque sur ma garde-robe alors qu'avec l'uniforme blanc nous avons la même, bon c'est vrai qu'elle et ses sbires prennent une taille inférieur pour montrer leurs formes le plus possible. Moi je vois les choses différemment, plus c'est ample plus c'est confortable, plus c'est confortable plus je peux me balader dans les conduits, et plus je peux me balader dans les conduits plus j'en apprends sur le Haut et le Bas.

Whitney, pour la chanteuse de l'Avant Whitney Houston, est dans le m'as-tu-vu, ce qu'elle souhaite le plus au monde c'est d'épouser un homme du Haut pour s'assurer une vie tranquille privée d'aventures.

Je ne peux m'empêcher de me demander ce dont elle a bien pu être gravée, force est d'avouer que j'éprouve une once de jalousie en vers elle. Oui, une infime once, j'aimerai découvrir une part de moi-même, m'éveiller. Cependant je suis heureuse, elle va sans doute découvrir sa fonction et partir de nos dortoirs pour avoir des appartements privés.

Mais j'ai tout de même peur, peur de ma destinée déjà tracée qui se réalisera quoi que je fasse.

Tandis que les filles sortent du dortoir en gloussant, j'enlève la grille d'aération et m'extirpe du conduit à partir duquel je les épiais sans gêne.

Parvenue au sol, je sors des toilettes et me dirige vers la clinique. Si une chose pourrait être intéressante c'est bien la clinique, sauver la vie des gens est un des plus grands privilèges. Si je m'éveillais avec le caducée des médecins gravé sur la peau je ne serais que ravie.

Arrivée au coin du dernier couloir menant à la clinique j'aperçois Martin accompagné d'un de ses supérieurs, ce dernier est en pleine conversation animée avec Marie.

Martin fait partie des Gardiens, grand brun avec un grain de beauté près de la lèvre inférieur, il s'est éveillé il y a un an avec le lion gardien sur le pectoral gauche. Le fait qu'il soit proche du cœur désigne une vocation dans le métier, un réel engagement moral et physique.

J'ai caché tant bien que mal que j'avais un faible pour lui lorsque nous étions plus jeunes, malgré notre différence d'âge. Il a vingt hivers et j'en ai dix-sept.

Marie, docteur d'une quarantaine d'hivers, blonde au chignon très stricte semble furieuse envers le Gardien Supérieur. Nous pouvons reconnaître les grades des personnes en fonction de la couleur des manches de leur uniforme et des cols. Plus vous êtes gradé, plus ils seront foncés. Dans son uniforme noir, le Gardien a un col gris foncé, alors que Martin en a un gris clair, ce qui est tout de même élevé.

Marie a un uniforme rouge et son col est bordeaux, c'est juste avant le plus haut grade des cliniques, elle est chirurgien en chef, à une époque elle a été ma tutrice.

Je continue de me cacher derrière le mur et écoute une conversation en douce pour la seconde fois de la journée.

- « Je refuse catégoriquement de prendre ce risque.

- Pensez au bien commun.

- Aucune vie humaine ne mérite d'être sacrifiée.

- De toute manière vous êtes dans l'obligation, c'est un ordre du Générale Sanders, docteur.

- Alors qu'elle vienne me voir en personne, je ne tolérerais pas qu'un si jeune garçon, ou quiconque d'autre, soit mis à mort pour des expériences inhumaines ! »

Le Gardien Supérieur observe autour de lui, apeuré que quelqu'un ai entendu. Il ferme les rideaux cessant toutes mes chances de capter d'autres bouts de la conversation.

Cette histoire m'inquiète, il parlait de l'enfant de la vidéo ?

Si la Générale Sanders se déplace en personne se serait un exploit !

C'est la seule à avoir un col noir, le plus haut grade. Elle donne les ordres et coordonne et le Bas et le Haut. C'est également la seule personne à avoir un prénom suivit d'un autre. Cléarque Sanders.

Avec Alexandre nous avons cherché ce que pouvais signifier Cléarque et nous avons découvert que c'était un tyran de la Grèce Antique de l'Avant. Mais pour Sanders nous n'avons rien trouvé. Lui et Kat aiment bien me taquiner avec cela, disant que Cléa et Cléo sont très proches.

Tyran est devenu son surnom lorsque nous parlons d'elle, il faut dire qu'elle instaure un régime strict favorisant les gens du Haut. Mais cela n'a-t-il pas toujours été ainsi ?

Mes pensées sont brusquement interrompues par le Gardien Supérieur qui sort du bureau de Marie, furieux, claquant la porte si fermement qu'elle se rouvre me permettant d'entendre Martin adresser ses excuses à Marie.

- « Je vous prie de l'excuser, il a peur des répercussions que pourraient avoir votre refus.

- Et celles de mon approbation il y a pensé ? » elle déclare brusquement tout en sortant de son bureau.

Je m'avance vers Marie sachant que Martin ne sera pas en position de me révéler une quelconque information après ces événements. Lorsque j'arrive au niveau de ce dernier il m'offre un sourire tout en continuant son chemin.

J'ai beau me revendiquer dure-à-cuire, à chaque fois son sourire me transforme en adolescente pré-pubert qui pense au grand amour. Je me suis même surprise plusieurs fois à rêver de m'éveiller avec une gravure d'âme-sœur qui serait la réplique parfaite de la sienne nous entraînant dans un somptueux mariage.

Trêve de bavardage, j'arrive auprès de Marie qui après m'avoir salué me charge de m'occuper des patients des lits un à trois.

Je passe facilement les deux premiers, constatant une simple écharde et un torticolis peu inquiétant. C'est le troisième lit qui m'intrigue, un jeune brun au regard profond les bras croisés dévoilant des biceps développé, saigne du sommet du crâne.

Je m'avance vers son lit et découvre son nom sur sa fiche de patient. Gabriel.


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média: Cléo dans son conduit

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