Homonyme

Je fais tinter mon couteau sur mon verre.

- S'il vous plait! Puis-je avoir votre attention?
La salle entière devant moi se tait.
- Je sais, c'est pas vraiment courant que ça soit le marié qui prenne la parole...
Mais bon, c'est mon mariage donc finalement, je fais ce que je veux, non?
D'abord, j'aimerais tous vous remercier d'être ici pour célébrer notre amour.
Et pourtant je sais et je vois que certains d'entre vous sont quand même mal à l'aise même si vous n'auriez pas envisagé de manquer notre petite fête.

Maintenant, je ne fais pas ça pour rien. J'aurai bien voulu chanter mais il vaut mieux pour nos oreilles à tous que ça n'arrive pas. J'aurai bien voulu jouer quelque chose mais encore aurait-il fallu que j'apprenne un instrument ... Et puis, j'ai décidé de faire un petit discours juste hier soir alors vive la préparation... Je suis pas très bon en tant qu'écrivain alors d'avance, pardonnez-moi.
Mon truc à moi, c'est la montagne. C'est un joli petit virus que m'ont filé mes chers parents...
Ben, oui, vous m'en avez vraiment filé une de maladie et le pire, c'est que de celle-là, on en guérit pas! Merci papa, merci maman.
Vous savez tous à quel point je suis mordu... Forcément, vous savez tous que je suis guide.
J'ai toujours aimé ça la montagne. Jamais le foot comme à peu près tous les petits garçons de la terre. Et puis d'abord, pourquoi j'aurai fait du foot. C'est un sport de tapette, non?

Quelques rires fusent dans la salle. Certains ont l'air un peu vexés... Ceux-là aiment le foot, c'est sûr. Je leur en veux pas, personne n'est parfait.

- Mais revenons à nos moutons... Je fais ça parce que j'avais envie de dire à la personne la plus chère à mes yeux qui est assise à mes côtés que je l'aime plus que tout.
Et pour ça, je t'ai écrit un petit truc... Que je voudrais bien lire maintenant. Tu veux bien?
- Évidemment! Quelle question...
- Comme tu le sais, depuis tout petit, je suis un tombeur. Et avant même que tu ne dises quoique ce soit, merci, mes chevilles vont très bien.
Ma mère me l'a toujours dit. Je faisais craquer toutes les mamans quand on allait au parc ou en rando.
Après, à l'école, je faisais toujours craquer les mamans mais mes camarades de classe aussi. Filles ou garçons. J'étais l'amoureux ou le pote à avoir. Le mec cool de la classe quoi. Merci papa et maman pour ça, c'est grâce à vous.
Bon, je dois bien avouer qu'à cette époque-là, le seul truc qui m'attirait, c'était faire des bêtises avec mes copains. Les filles, je les trouvais nunuches.
A part une. Oui, Virginie, je parle de toi... Rougis pas, va...
Tu sais qu'avec Virginie, on est devenus inséparables. Bon, dans notre petite ville de Chamonix, on se suit un peu de la maternelle à la fin du lycée alors forcément, c'était pas trop dur.
Au collège, je faisais toujours le même effet. Le pote cool. Le petit copain en puissance.
Elles ne me couraient pas toutes après, heureusement. Je dois dire que j'ai bien profité de leur intérêt.
Mais franchement, elles n'étaient rien. Elles me saoulaient en me courant après, elles me saoulaient en me collant. Elles me saoulaient tout le temps en fait. J'ai été un vrai con avec elles.
Je savais qu'elles ne me plaisaient pas avant même de sortir avec elles. Virginie m'a bien gueulé dessus pour ça d'ailleurs.
Je leur brisais le coeur il paraît.
Mais je n'y pouvais rien. Elles n'étaient pas toi.
Au lycée, c'était pareil. Même topo toujours. Et toujours Virginie qui était là à me rabâcher d'arrêter de leur faire du mal et de me faire du mal.
Je savais depuis toujours que je voulais être guide et il me manquait encore des courses pour rentrer à l'ENSA (1) et me présenter à l'aspi (2). Il fallait donc que je les fasse. Avec un père guide, c'était quand même vachement plus simple.
Et c'est comme ça qu'on s'est rencontré.
Tu étais en vacances dans la vallée. Et avec tes parents, vous aviez pris mon père comme guide pour faire une course qui était sur ma liste. Je vous avais suivi.
Je me souviens de ce jour.
On n'était pas arrivé bien loin quand nous avions du faire demi-tour à cause des conditions météo qui avaient tourné.
Et j'étais dégoûté parce que je n'allais pas te voir plus longtemps.
C'était très certainement complètement con de penser ça après juste quelques heures passées ensemble où nous n'avions quasiment pas parlé.
Une fois en bas, le soleil était revenu et mon père vous avait proposé d'aller grimper aux Gaillands.
Je me souviens aussi qu'on avait pas beaucoup grimpé. On avait laissé nos vieux s'amuser.
On avait le même âge. Et tu me plaisais. Vraiment.
Ça ne m'était jamais, je dis bien, jamais, arrivé avant.
Je savais que j'avais passé tout ce temps à n'attendre que toi.
On s'est échangé nos numéros cet après-midi là. Et quand tu m'as appelé le soir pour aller boire un coup, j'ai sauté sur l'occasion.
Je ne voulais pas vraiment que ça fasse rancard alors j'ai demandé à Virginie de m'accompagner. Je savais qu'elle dirait oui, elle était toujours partante pour sortir.
Pendant la soirée, je voyais bien comme tu la regardais et j'étais dégouté. Je voulais que ça soit moi que tu regardes et pas elle...
La fin de tes vacances était arrivée. Tu allais retourner dans ta grisaille parisienne.
Il ne s'était rien passé entre nous. Pour la première fois de ma vie, je n'avais pas sauté sur tout ce qui bouge.
Virginie avait beau me répéter que tu n'avais d'yeux que pour moi, je ne la croyais pas.
Et puis, tu m'as rappelé.
T'as tellement insisté auprès de tes parents pour revenir à Cham pendant les vacances de Noël qu'ils ont craqué.
On est sortis ensemble le soir du 31.
Après ça, rien n'a été facile. D'abord, il y avait la distance. Tu sais à quel point je déteste Paris. Et pourtant je suis venu. Moins souvent que toi, c'est vrai. Et je te remercie pour ça. Pour ne pas m'avoir forcé à venir dans un endroit où je me sentais si peu à ma place.
Et puis, nous sommes différents. Heureusement d'ailleurs. J'ai un vrai caractère de merde et le tien n'est pas mal non plus. Mais tu sais bien que c'est pas de ça que je parle.
Deux mecs ensemble, même si on est au XXI ème siècle, ça le fait moyen. De toute manière, dès qu'on sort du moule pré-établi, ça jase.
Nos parents ont été géniaux et je crois qu'on peut leur dire merci.
Ça n'a pas été facile pour nous mais pour eux non plus. En tout cas, je sais à quel point les miens en ont bavé. Parce que même si on ne s'était jamais montré tous les deux, toute la vallée était au courant.
Au début, tout le monde me regardait de travers.
Je sais que pour toi, ce n'était pas mieux.
Et quand tu étais ici avec moi, c'était pire.
Combien de nos amis nous ont tourné le dos? Il y a en tellement que je ne saurais le dire.
Combien nous ont soutenu envers et contre tout? Ils sont là autour de nous, à notre table. Ils sont quatre. Quatre qui nous ont toujours aimé pour ce que nous sommes et pas pour un truc qui se passe dans notre intimité. Ils ont toujours pensé que l'amour n'avait pas de sexe. Que c'était uniquement une "affaire de flamme". Bon j'avoue celle-là, elle est pas de moi mais tu le sais, c'est notre chanson...
On a rien lâché, jamais.
Ça a mis le temps mais maintenant, je sais qu'on est accepté.
Je ne suis pas un moins bon guide. Et tu n'es pas un moins bon médecin. Et on a des tas d'amis, de vrais amis.
Bref, j'ai pas été bref du tout d'ailleurs, je t'ai rappelé notre histoire alors qu'on la connait déjà par cœur mais j'en avais besoin. Je disais donc, bref, on voulait tous les deux se marier. C'est chose faite.
On veut fonder une famille. Pour ceux qui ne le savent pas, on a fait une demande pour adopter un enfant. Surtout, gardez pour vous vos opinions à deux balles si vous n'êtes pas d'accord avec notre choix de vie.
Et ce que je voulais te dire aujourd'hui, c'est qu'hier, j'ai reçu un coup de téléphone me disant que c'était bon, ils nous ont trouvé un enfant. On va avoir un fils, Julien. On va avoir un fils.

Ses yeux que je trouve si expressifs depuis notre première rencontre sont plein de larmes. Moi, j'ai eu le temps de diriger la nouvelle depuis hier alors j'arrive à peu près à me contrôler.
Virginie pleure elle aussi. Elle sait comme tout ce parcours a été difficile. Et elle sait que c'est elle qui sera la marraine de notre enfant.
Nos mères se jettent dans les bras l'une de l'autre. On sait tous les deux que c'était la seule chose qui les gênait dans notre relation, le fait de ne jamais être grand-mères. Nos pères restent dignes mais je vois bien leurs yeux brillants.
Tout le monde nous applaudit mais en ce moment, je n'ai d'yeux que pour lui, Julien, mon homonyme, mon âme sœur, mon amour et je le serre dans mes bras tendrement.


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1 - ENSA : école nationale de ski et d'alpinisme
2 - Aspi = aspirant-guide, si vous voulez en savoir plus: http://www.ensa.sports.gouv.fr/images/cursus_Alpinisme2014_.pdf


Salut à tous,

Voilà mon deuxième tout petit récit qui m'a été inspiré par une chanson d'Aldebert appelée "Mon homonyme" que je trouve particulièrement magnifique.
C'est encore un sujet hyper délicat et je comprendrais que vous n'aimiez pas.
Comme pour la première, je ne voulais pas que la chute ne soit plus une surprise alors je n'ai pas mis la chanson en lien mais je me rattrape en vous le mettant ici: 

Bisous





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