IV - Chapitre 40 : Jusqu'à ce que l'ombre et la poussière nous emportent

Ladies, gentlemen and no-binary people, 

Nous y sommes. 

L'ultime chapitre de cette partie IV : A feu et à cendres. 

L'ultime chapitre d'O&P. 

Wha. Je vais pas mentir, j'ai mon nez de polonaise qui frémit pour réprimer les larmes. Même si depuis quelques jours j'éprouve l'envie de me libérer un peu de cette histoire, ça fait quelque chose. Alors que globalement depuis mars que j'ai écris ce chapitre, j'ai eu le temps de me résigner et de me préparer psychologiquement. Alors je n'imagine pas à vous ... 

Honnêtement, même si derrière il reste trois épilogues, j'ai eu la sensation de mettre le point final avec ce chapitre. C'est là où les larmes ont dévalées, c'est là où je me suis étranglée "j'ai fini", c'est vraiment lui qui a signé le début de la période de deuil. 

Bon je ne vais pas m'épancher, il reste encore plein de postes pour ça ! Allez, on va aller à l'essentiel parce que je veux vous laissez profiter pleinement de ce dernier chapitre, celui qui va boucler tous les arcs et signer la première fin de cette merveilleuse aventure. 

Juste deux choses : 

- Checkez les commentaires, moment musical ! Jusqu'au bout la dernière image d'O&P s'est dérobée à moi. Avant de la visualiser, je l'ai entendue à dire vrai. Ainsi j'ai pu l'imaginer grâce à un son très précis, une musique que vous connaissez très bien. Vous avez le droit de dire que je suis sadique : c'est pas comme si j'avais besoin d'un facteur supplémentaire pour vous arracher les larmes. 

- La citation ... C'est une chanson que j'aime beaucoup, que je chantais à tue-tête avec ma mère. Un soir elle est passée et je me suis mise à pleurer parce que la fin correspondait tellement à la nostalgie d'O&P ... N'hésitez pas à aller l'écouter pour vous imprégner des accents mélancoliques. C'est tout ce que je leur souhaite. Pour la vie. 

Presque une ultime ... bonne lecture à tous.tes <3 

*** 

Avoir un peu de spleen
Ecouter Janice Jopleen 
Te regarder dormir 
Me regarder guérir 

Faire du vélo à deux 
Se dire qu'on est heureux
Emmerder les envieux ... 

- La liste, 
Rose 

***

Chapitre 40 : Jusqu'à ce que l'ombre et la poussière nous emportent

C'était une magnifique journée d'été.

Le ciel devait trouver la chute de Voldemort à son goût, car il n'avait pas plu une goutte depuis le 2 mai. Là encore alors que juin touchait à son terme, le soleil brillait de tous ses rayons, perçait même les rares nuages qui venaient le traverser. Comme pour assurer de sa présence constante pour éclairer et chauffer nos vies. Nous promettre un monde éternellement en couleur.

Cela dit, il aurait pu pleuvoir des cordes que j'aurais trouvé l'ambiance qui régnait dans le jardin des Bones des plus festives. L'immense pelouse nichée entre deux champs et un pâturage était remplie de sorcières et de sorciers, sirotant des jus de citrouilles frais et cherchant l'ombre des tonnelles hissées. Partout, il régnait un doux parfum d'insouciance, suave et agréable, qu'accentuait la langueur de l'été.

Comment penser, devant ces rires, ces sourires, que tous ces gens s'étaient réunis pour faire leurs adieux ?

Mélange hétéroclite, songeai-je vaguement en me promenant entre les convives. Mon pasteur de père discutait avec Julian Shelton devant la table des petits-fours. Emily riait avec mon frère, une bière bien moldue à la main. Rose Bones fronçait le nez, circonspecte, devant les grands discours de Noah Douzebranches. Susan apportait un verre d'eau à une Jaga assise à l'ombre, flanquée d'un Miroslav Liszka vêtu de ses plus beaux atours. Arthur papillonnait d'un convive à l'autre, tel un véritable feu follet, pendant que ses parents, soucieux de découvrir le nouveau monde de leur fils, échangeaient avec George Bones. Même Judy et Kenneth, mes anciens camarades Batteurs de l'équipe de Poufsouffle étaient venus me faire leurs adieux. Fait encore plus extraordinaire, ma mère faisait face à une Flavia Diggory souriante et détendue. Plus loin, Miles parlait avec Ulysse Selwyn, comme du temps de Poudlard. Enfin non. Maintenant, Miles pouvait le regarder droit dans les yeux, sans le moindre complexe d'infériorité. Il avait dépassé ça.

-Alors comme ça, vous nous abandonnez ?

Je souris en reconnaissant la voix grave de Leonidas Grims. Fraichement rentré des Etats-Unis, il ne se départissait pas de sa chemise, mais ne paraissait pas souffrir de la chaleur. Un sourire triste fendait son visage à la mâchoire carrée. Derrière lui, je vis Lysandra effleurer la joue de Simon avec nostalgie.

-Parkin enrage depuis qu'il a appris votre signature chez les Vautours, reprit-t-il en me levant son verre, comme pour saluer l'exploit. Presque plus que contre Josefa Ramirez qui s'est cassé une jambe en match de poule de la Coupe du Monde.

-Oh c'est vrai, c'est cette année ..., me souvins-je, un peu sonnée. Au Mexique, c'est ça ?

-Pérou enfin, suivez un peu Victoria, me taquina gentiment Leonidas. Il faut savoir ces choses-là quand on fait carrière dans le Quidditch. D'autant que l'Angleterre a quelques chances, c'est la dernières coupe du monde d'Artemisia Meadowes ... Avant que j'oublie ...

Il tira quelque chose de sa poche et je faillis soupirer en songeant à une cigarette. Mais c'était une carte qu'il extirpa pour me la tendre avec un aimable sourire. Aux couleurs des Tornades, traversée par le grossier dessin d'un joueur qui traversait les couleurs ciel et marine. Un sourire attendri retroussa mes lèvres lorsque je découvris les messages d'encouragements de mes anciens coéquipiers. Swan qui avait gribouillé une multitude de cœur, Eden qui se fendait d'un simple « à bientôt en coupe d'Europe ! », mais celui qui me toucha particulièrement fut le dessin maladroit, très enfantin, souligné par les mots « De la part de Faith. Bonne chance, Barbapapa ». Arnold avait fini par retrouver son foyer et sa petite fille.

-Ils sont adorables ... merci ... (Je pressai la carte contre mon cœur, brusquement inquiète). Personne ne m'en veut ?

-Vous voulez rire ? Evidemment que personne ne vous en veut. Tout le monde comprend que c'est difficile de rester dans un club où un coéquipier vous a vendu dès les premières secondes de la guerre. (Il posa une main sur sa poitrine). Même moi je ne vous en veux pas. Je vis depuis trente ans entre les Etats-Unis et l'Angleterre, un pays ne me suffit pas. Qui suis-je pour critiquer les envies d'ailleurs ?

-Merci, président.

Leonidas m'adressa un vague sourire et retourna vers Lysandra et Simon. Elle ne le lâchait pas. C'était si surprenant venant d'une femme comme Lysandra Grims qui m'avait toujours paru un peu distante, peu encline aux gestes tendres. Là, sa main ne quittait pas la joue de Simon. C'était dur de voir partir la dernière famille qui lui restait ...

Un pincement au cœur, je me détournai pour m'enfoncer sur la pelouse, mon verre de jus de citrouille entre les mains. Arthur sautillait devant Emily, l'interrogeait sur les cours de potion avec une avidité qui semblait la laissait pantoise. Ses parents m'avaient expliqué que la veille de la rentrée, sentant le coup venir, les professeurs s'étaient dispersés dans le tout le pays pour enjoindre les enfants de moldus à rester chez eux. Arthur avait donc vécu une année étrangement similaire à la mienne : frustrante, calfeutrée, obligé de subir le collège alors qu'on lui avait promis un château en Ecosse et des vols sur balai. Chourave me l'avait assuré : il entrerait enfin à Poudlard cette année. Il avait perdu un an, mais qu'était-ce un an à l'échelle de la vie radieuse qui l'attendait ? « Un Gryffondor », m'articula Emily alors que l'enfant pépiait joyeusement devant elle, sa baguette magique fièrement acquise dépassant de sa poche. Là-dessus, je ne trouvais rien à dire. Arthur n'avait jamais eu froid aux yeux.

Judy profita que je sois seule pour passer un bras derrière ma nuque et plaquer un gros baiser sur ma joue, et Kenneth m'enveloppa dans une étreinte à me rompre les os. Ils venaient tous deux de passer professionnels chez les Canons de Chudley, et loin d'être déshonorés, ils percevaient la chose comme un défi personnel à relever. « Poufsouffle était bien dans les abysses quand Cédric a repris l'équipe », rappela Judy avec un grand sourire. « Et on aurait dû gagner, l'année où tu étais capitaine. On fera la même avec les Canons, tu verras et on se retrouvera en coupe d'Europe ! ».

-On pourra tellement crâner en disant que notre ancienne Capitaine vole avec Viktor Krum, lança Kenneth en s'écartant.

-J'ai signé en équipe de réserve, rappelai-je avec un fin sourire. Si ça se trouve je ne retrouverais jamais mon niveau de professionnel ... ou je rentrerais en Angleterre avant ...

-Et tu viendras avec nous aux Canons de Chudley ! imagina Judy avec des étoiles dans les yeux. On refera l'équipe de Poufsouffle – sans Smith – et on sera invincibles ce sera extraordinaire ! Et si tu peux convaincre Krum de se laisser tenter ...

-Par les Canons de Chudley, ce serait vachement baissé de gamme quand même ...

Judy plissa les yeux en direction de Miles, debout à l'ombre un peu plus loin. Dans ses grands yeux brillait une étincelle que j'avais souvent aperçu à l'époque où elle promettait des coups de batte à quiconque la contrariait. Miles parut percevoir le danger car il recula d'un pas devant le rire sardonique d'Ulysse Selwyn.

-Ouh, la vérité fait mal, commenta-t-il avant de porter son verre d'hydromel à ses lèvres.

-Capitaine, il y a des serpents dans ton jardin, persiffla Kenneth.

-Ne vous en faites pas, intervint Octavia en surgissant pour enrouler son bras autour de celui d'Ulysse. Je m'occupe de ce serpent-là, j'ai signé pour la vie.

Ulysse leva les yeux au ciel, mais un petit sourire retroussa tout de même ses lèvres lorsqu'il rencontra le regard pétillant de sa toute nouvelle épouse. Le terme seyait mal à une jeune fille de vingt ans à peine, et pourtant Octavia le portait à la perfection, usant de tous les stratagèmes pour mettre son alliance en valeur. Là encore, elle repoussa négligemment une mèche d'acajou qui lui barrait le front et un éclat de soleil vint faire étinceler son anneau d'or.

-C'est pour quand la lune de miel ? interrogea Miles avec un sourire.

-On part fin juillet en Italie. Venise, Florence, Rome ... (Octavia se tourna vers moi, la mine vaguement penaude). D'accord, je comprends l'attrait. Ça va faire ... un bien fou de changer d'air.

Je lui adressai un sourire reconnaissant. Même si Octavia avait rapidement accepté mon départ en comprenant largement que ce n'était pas elle qui me ferait changer d'avis, je savais qu'il lui restait en travers de la gorge. Comme la non-publication du livre – je la voyais lorgner souvent Flavia Diggory, l'œil allumé par l'amertume et la mélancolie. Qu'elle finisse, au bout de la réflexion, à ne serait-ce qu'effleurer une compréhension de mes motivations était déjà une victoire. Néanmoins, elle redressa fièrement les épaules pour me gratifier d'un regard de haut.

-De toute manière, je ne vais pas t'attendre pour envisager un livre sur l'Histoire de la Sorcellerie. Bathilda Tourdesac n'est plus, Bennett, il faut occuper le vide avant qu'il ne se referme.

-Tu feras ça à merveille.

-J'aime entendre ce genre de nouvelle, intervint Flavia avec un immense sourire. J'ai repris la direction de la maison d'édition d'Irène, à bon entendeur ...

Les joues d'Octavia rosirent légèrement à la proposition. Suivant Flavia avec qui elle discutait, ma mère entra dans mon cercle d'ami, rayonnante. Elle passa un bras autour de ma taille et je fis de même, heureuse de la voir se fondre avec une telle facilité dans ce qui avait été mon environnement sorcier, si coupé radicalement de ma famille durant de longues années. Cette fête, c'était littéralement mes deux univers qui se superposaient, se fondaient l'un dans l'autre : mes amies de Poudlard dans mon village d'enfance, ma famille frayant avec des sorciers le plus naturellement du monde ... La guerre avait abattu les dernières frontières.

Amusée, je constatai que Miles avait rougi à l'apparition de ma mère et contemplait à présent intensément le pâturage d'à côté et les vaches qui le parcouraient. Nous étions sortis ensemble à un moment où mes mondes étaient séparés par un mur infranchissable et l'idée qu'il se retrouve face à mes parents m'avait terrifiée. Visiblement, cette peur s'était transmise à lui et ne l'avait jamais vraiment quitté. Il faillit s'étrangler dans sa gorgée de jus de citrouille lorsque ma mère s'adressa à lui pour lui demander ce qu'il faisait dans la vie.

-Euh ... je travaillais sur la gestion des créatures magiques, au Ministère, bafouilla-t-il, pris de court. Mais euh, j'ai démissionné et ...

-Je suis sûre que Kingsley te rendra ton poste, fis-je, le cœur serré.

Certes, ce n'était pas tant pour moi que pour échapper à l'ambiance délétère de son service qu'il avait démissionné, mais je ne pouvais m'empêcher de me sentir coupable. Cette décision avait fait valser sa vie. Ses économies s'amoindrissaient, et il était forcé de rester avec nous dans la maison d'Oxford jusqu'à trouver une solution. Cela urgeait : Miles avait vertement refusé la proposition de Simon d'occuper la maison pendant notre absence. De toute manière, je doutais de l'intelligence de la chose. Tout là-bas lui rappellerait que nous étions à l'autre bout de l'Europe ... et Eugenia aux cieux. Preuve de son embarras, le regard de Miles se riva sur son verre dont il fit lentement tourner le contenu.

-En fait ... je pense que je vais aller aider les parents d'Eugenia, dans leur refuge. Je leur ai parlé un peu, quand je suis allé mettre des fleurs sur sa tombe ... ils ont besoin de quelqu'un, ils réfléchissaient à embaucher.

-Tu vas aller ramasser des bouses de Grapcorn et nourrir les Niffleurs plutôt que de retourner au Ministère ? comprit Ulysse, estomaqué.

-Bah je comprends, moi, lâcha Kenneth en hochant la tête. Franchement vu ce qu'est devenu le Ministère ...

-L'important, c'est que tu sois heureux dans ce que tu fais, acheva ma mère avec un doux sourire.

Miles cilla, un peu surpris par cette marque d'affection venue de nulle part, et je crispai ma main dans son dos. Ce que j'entendais derrière c'était l'ultime bénédiction d'une mère pour sa fille. Mes parents étaient longtemps restés sans réaction lorsque je leur avais annoncé mon départ pour la Bulgarie, précédé de quelques semaines de vacances en France, dans la maison que possédait les Bones sur les bords de l'Atlantique. J'avais craint un rejet complet, des pleurs, des peurs, mais ils avaient fini par échanger un long regard entendu qui prouvait que personne ne pouvait mieux vous connaître que ceux qui vous donnaient la vie. Ils m'avaient élevé pour que je sois maîtresse de mes propres choix, que je saisisse de telles opportunités pour m'envoler. Peu importe la douleur que la séparation pouvait causer, mon bonheur était leur priorité. Et si c'était en Bulgarie que je pouvais le retrouver, alors je ne devais pas hésiter une seule seconde.

-Victoria ?

Je me retournai pour voir arriver Melania Selwyn vers moi, la petite Alice entre ses bras. Toujours élégante dans une robe de sorcière verte et légère, elle me souriait timidement. J'avais douté de sa venue, d'autant qu'Alexandre était arrivé seul la vieille, lui-même incertain compte tenu qu'elle était toujours en pleine bataille judiciaire. Ce fut là-dessus qu'elle choisit de revenir en premier en annonçant :

-Bon, je suis passée entre les lignes, ils ont décidé que ça n'avait pas de sens de me mettre sous tutelle. Contrairement à ma mère ... je suppose qu'elle le mérite, elle.

-Un peu quand même, oui, confirmai-je avec un pauvre sourire.

Melania me le rendit, plus sereine maintenant que l'épée de Damoclès avait disparu de sa vie. Elle tourna le visage vers sa fille, qui suçait ses doigts et bavait abondement sur son bavoir brodé d'étoiles.

-Tu vas avec Marraine, Alice ?

Et sans réellement nous laisser le temps d'acquiescer à toutes les deux, elle me flanqua ma filleule dans les bras. Prise de court, je callai la petite fille contre ma hanche, replaçai maladroitement le chapeau qui la protégeait des rayons implacables du soleil avant de dévisager sa mère, éberluée. Le geste me paraissait loin d'être anodin, le regard voilé de Melania le prouvait. C'était un pardon et des excuses mêlées. Une promesse de confiance et d'avenir meilleur. Au loin, Alexandre observait la scène avec un sourire attendri, rassuré. Certainement à l'origine de l'apaisement de Melania, il avait, comme toujours, réparer la machine qui crachotait avec un grand professionnalisme.

J'avais eu peur de tenir Teddy Lupin dans mes bras, mais une fois dans mes bras, je fus incapable de lâcher Alice. Rayonnante, elle souriait à chaque personne que je visitais, attrapait mes boucles de ses petits poings sans me blesser, et chaque jour, elle ressemblait un peu plus à son père. La prochaine fois que je la reverrai, pour son baptême prévu à l'automne, elle lui ressemblerait encore davantage. Ses yeux auraient définitivement cette couleur gris-bleue qu'Edward Bennett nous avait légué, songeai-je vaguement, à la fois fière et triste à cette idée. C'était peut-être le plus difficile. Je ne verrais pas Alice grandir, changer, s'épanouir. Chaque fois que je reviendrai, le temps nous filerait entre les doigts.

-Et beh, aurais-je loupé quelque chose ... ?

La voix me cueillit comme un coup de poing au creux de l'estomac. Abasourdie, je me détournai de la fête et découvris que trois personnes avaient de nouveau investies le jardin. Angelina, toujours souriante, un paquet entre les mains, Lee qui avait attaché ses dreads-lock en un chignon informe au-dessus de sa tête ... Mais surtout entre eux, la personne qui venait de parler. La personne que j'avais invité sans jamais y croire, encore moins que Melania, parce que je le pensais occuper à se morfondre dans le noir, à lutter par survivre parce qu'il n'était plus que la moitié d'un homme. Et pourtant, pour la moitié d'un homme, il se tenait debout, droit, un léger sourire aux lèvres. Faible, simulacre de ce qu'il avait été, mais là.

-George ...

-Il s'est donc passé tant de temps depuis la dernière fois que j'ai visité le monde extérieur pour que Bones et toi soyez passé à l'acte pour avoir un enfant beaucoup plus beau que vous deux réunis ? railla George Weasley avec le fantôme de son ancienne espièglerie.

-Espèce de crétin, lâchai-je dans un souffle. Viens là !

La pauvre Alice se retrouva coincée entre le torse de George et moi, dans une étreinte qu'il accepta de bonne grâce. Plus que cela, il ploya contre moi, comme si cette simple marque d'affection avait eu raison du courage qu'il avait dû rassembler pour sortir du Terrier et affronter un monde dans lequel son frère jumeau n'était plus. C'était ses premiers pas seuls depuis plus d'un mois et je n'avais pas les mots pour exprimer à quel point j'étais touchée par le geste.

-Je suis tellement heureuse que tu sois venu, tentai-je tout de même, la gorge nouée. Vraiment, ça m'aurait fait mal au ventre de partir sans te revoir ...

-Je n'allais pas te laisser partir sans t'avoir arraché la promesse de place gratuite pour les Vautours à vie.

-Deux, ajouta Angelina en levant les doigts en conséquence. C'est quand même incroyable, Krum t'a vu jouer en jogging dans un match amical au milieu des Tournoi des Trois Sorciers et quatre ans plus tard ...

-Je sais, c'est fou ... j'ai encore du mal à réaliser ...

-J'inonderai les ondes de tes exploits ! assura Lee, enthousiaste. L'émission Salut les sorciers m'a contacté, ils veulent m'embaucher !

-C'est ta mère là-bas ? Nom d'un dragon, ce que tu lui ressembles !

Je souriais tant que j'avais la sensation que la peau de mon visage allait finir par craqueler, et il fallut qu'Alice se mette à chouiner dans mes bras pour que je m'écarte de mes amis pour les amener sous les tonnelles. Voir mon frère aîné serrer la main de George Weasley fut un grand moment que je savourai, incrédule. Personne n'eut le moindre regard pour les cicatrices qui marquaient son absence d'oreille : tout le monde, de Miles à Miro, lui adressèrent un large sourire. Face aux pleurs de plus en plus prononcés d'Alice, je la rendis à Alexandre qui avait déjà préparé son biberon. Je le contemplai placer sa fille sur ses genoux et la nourrir, calmement, avec un léger sourire imprimé sur son visage. C'était incroyable la métamorphose qui s'était opéré chez mon frère, simplement parce que ce petit être était arrivé dans sa vie. J'avais déjà vu les ébauches lorsque Melania avait appris sa grossesse ... Mais la graine s'était épanouie en une plante surprenante, mais magnifique.

-Tu te vois faire ça dans quelques années ?

Un coude vint se placer sur mon épaule et je levai les yeux au ciel, pas dupe une seconde sur l'identité de la personne. Je tournai la tête pour voir Noah sourire de façon insolente, ses lunettes teintés en jaune plantées sur son nez. D'un geste machinal, je les lui piquai sans lui arracher la moindre protestation.

-Et toi ? lançai-je plutôt. Avec ta fille comme moi qui provoquerait ton divorce avec Julian ?

-Pour être divorcé, il faudrait déjà être marié. Tu crois qu'il vend sa fille, ton frère ?

-Non, répondit Alexandre à ma place. Mais parfois j'ai besoin d'un baby-sitter. Si tu as su le faire avec ma sœur, je pense que tu ne devrais pas voir le moindre problème avec ma fille ...

-Oh merci, mais j'ai donné avec les Bennett, prétendit Noah en fronçant du nez. Alors toi, après tous les sacrifices que j'ai fait pour toi, tu me quittes ?

Je secouai la tête, désabusée, avant de passer la main sur ma chaine. Les breloques teintèrent les unes sur les autres, mais je réussis à isoler le petit colibri doré dessiné par Julian, ciselé par Noah. Mon identité qu'ils avaient capté en une image.

-Je suis un colibri, Noah, tu te rappelles ? Je suis faite pour voler.

-Avec des ailes aussi petites, tu n'es pas censée aller si loin.

-Les ailes sont à la taille de Tory, enchérit Alexandre avec un petit sourire.

Noah s'esclaffa face à la pique et je réprimai mon envie de frapper mon frère, compte tenu qu'il tenait sa fille entre ses bras. Mes doigts glissèrent du colibri à ma médaille de baptême. Il en faudrait une à Alice pour cet automne. Je ne voulais pas St-George, ange de la guerre avec sa grande lance faite pour terrasser les dragons ... J'avais songé à une colombe. Oui, Alice avait besoin d'un monde de paix. C'était cela l'héritage que je voulais lui laisser.

-Où est Julian ? demandai-je finalement pour qu'un tampon soit mis entre Noah et Alexandre, dont la collaboration promettait d'être diabolique.

Le sourire de Noah s'estompa immédiatement et d'un geste de la tête assez raide, il désigna la grande maison des Bones dont l'ombre commençait à nous avaler. Mon cœur tomba dans ma poitrine lorsque je réalisai ce qu'elle était pour Julian Shelton. Rien de moins qu'un tombeau.

-Je vois ..., soufflai-je sans détacher mon regard de la maison.

-Je devrais aller le rejoindre, articula péniblement Noah. Morgane ce qu'il doit avoir dans la tête ... Cette maison est maudite pour lui.

Il n'y avait pas que pour lui, pensai-je en coulant un regard vers Simon. Il avait réussi à se détacher de Lysandra pour rejoindre son père, dernier survivant de la fratrie Bones. Lui non plus n'avait pas protesté contre l'envie de Simon de quitter le pays. Rose semblait avoir plus de réserve, mais avait retenu la leçon et s'était contenté d'acquiescer. Ils avaient conscience de l'épreuve qu'ils avaient imposé à leur fils en l'obligeant à grandir dans cette maison. C'était sans doute là qu'était né chez Simon un désir inavoué de fuir, partir loin pour se reconstruire, dans un lieu détaché de tout fantôme.

Noah m'adressa un petit sourire avant de remontrer ses lunettes sur mon nez.

-Garde les lunettes, Miss Colibri. Comme ça tu te souviendras de moi en Transylvanie.

-En Bulgarie.

-C'est pareil.

Sans me laisser le temps de renchérir, il s'en fut et traversa la pelouse, passa de la lumière glorieuse de l'été à l'ombre de la maison. Ce fut en le suivant du regard que j'aperçus une autre personne faire ce choix. Faussant compagnie à Angelina qui riait avec Miles et Emily, George Weasley contournait la maison, les mains dans les poches. Un peu inquiète de le voir s'isoler sans qu'Angelina, ou Lee, qui discutait avec mon grand-père, ne le remarque, je décidai d'abandonner mes convives et de le suivre. Après quelques secondes à errer dans les alentours de la maison, je finis par le découvrir sur la terrasse qui bordait le perron, assis sur les marches face au petit jardin qui menait à la route. Il me servit un pauvre sourire lorsqu'il me remarqua, un peu perplexe.

-Hé, Bennett.

-Hé, Weasley. Tu fais le tour du propriétaire ?

George essuya un rire singulièrement dépourvu de joie qui me brisa le cœur. Résignée, je le rejoignis sur les marches et nous contemplâmes silencieusement le petit jardin qui menait à la route. Au sein du cercle de pierre, les fleurs avaient refleuri en bouquet chaotique : des roses, des pivoines, des jonquilles, des marguerites ... Elles jaillissaient toujours au printemps pour mourir à l'automne, mais c'était là leur seule concession faite aux saisons. Des jonquilles et tulipes auraient dû revenir depuis longtemps à la poussière, mais celle-ci persistaient et offraient leurs magnifiques pétales d'or au soleil. Les effluves du muguet me firent monter les larmes. A jamais, cette odeur serait indissociable de l'image d'Eugenia allongée dans l'herbe, le brin aux clochettes blanches coincé dans sa tresse aux mèches de blé.

-Je suis désolé, lâcha George d'une voix sourde. Je voulais venir pour toi ... Après tout ce qui s'est passé, tu méritais que je fasse l'effort ... je savais que ce serait dur ... en vrai, je n'imaginais pas, je crois ... ça non ...

Une larme roula sur sa joue, solitaire et il parut mobiliser toutes ses forces pour retenir les autres. Il planta ses dents dans sa lèvre inférieure qui s'était mise à trembloter, si violemment que je craignis le voir saigner. Déchirée par le spectacle, je portai immédiatement la main sur son bras, la bouche ouverte en des réconforts qui seraient vains. J'avais souffert, mais cette douleur-là, perdre la moitié de soi-même, je ne pouvais même pas me l'imaginer. Fred parti, George était vidé de toute substance. Il n'avait eu une identité qu'au sein d'eux. Les jumeaux Weasley, indissociables, interchangeable, si profondément semblable qu'une unique baguette les avait choisi. Il y avait de quoi se laisser couler. Fondre, abandonner, se livrer à l'ombre, retourner à la poussière. L'idée me révulsa totalement et mes doigts s'enfoncèrent dans le bras de George.

-Hé, Weasley, bredouillai-je, la gorge serrée. Dis, tu te souviens de ce moment, il y a un million d'année, quand je vous ai sauvé de Rusard, Fred et toi ?

Un impensable sourire retroussa les lèvres de George et il essuya sa larme d'un revers de main.

-Tu veux dire après que tu nous as assommé avec une poêle, ce moment-là ? Après Rusard est arrivé, tu nous as fait passer un passage secret ... Un miroir ...

-Devant lequel il fallait chanter pour qu'il s'ouvre, poursuivis-je avec douceur. Ce jour-là, je vous ai sauvé la mise ... Vous disiez que vous m'en deviez une, tu te souviens ?

George acquiesça, les yeux humides rivés sur un point invisible à l'horizon. Faute d'avoir un ancrage visuel, je crispai davantage ma main sur son bras pour graver mon message dans sa chair.

-Alors voilà la faveur que tu me dois, déclamai-je solennellement. Tu vas tenir, d'accord George Weasley ? Tu vas tenir, parce que c'est ce que Fred aurait voulu. Comme il aurait voulu que votre boutique continue de vivre et déverse la sainte philosophie de la farce et attrape dans ce nouveau monde. Elle a été votre raison de vivre et son héritage, George, tu ne peux pas l'abandonner ... Tu vas tenir, parce qu'il y aurait toujours des crétins à faire descendre de leur piédestal et que ta vision du monde est la meilleure capable d'y parvenir. D'accord, George ? Tu vas faire ça pour moi ? Pour moi, et pour Fred ...

Mon discours eut raison de la retenue de George. Les larmes qui perlaient à ses yeux chutèrent, deux perles translucides d'abord, puis une véritable pluie qui inonda son visage. Incapable d'articuler le moindre mot, il se contenta de hocher la tête, plusieurs fois, de façon de plus en plus vigoureuse, de plus en plus convaincue. Mais plus il était convaincu, plus les larmes dévalaient sur ses joues et le spectacle fut trop pénible à contempler. Ravalant mes pleurs, j'enroulai mon bras autour du sien et pressai mon front contre son épaule tremblante.

-Merci, George ... merci ...

***

La maison de mon enfance avait été reconstruite à l'identique. Et pourtant, je sentais que ce n'était pas vraiment ma maison. Non, les murs de mon enfance, les rideaux, les tapisseries, avaient brûlé pour ne laisser qu'une odeur de peinture et de neuf qui m'était étrangère. Même ma chambre, pourtant semblable jusqu'aux draps qui couvraient mon lit, me semblait vidée de toute substance. Il fallait dire que tous mes effets personnels étaient entassés dans des valises et des sacs, que les vêtements que je n'avais emportés avec moi en août dernier avaient brûlé avec le reste et que je n'étais pas restée assez pour insuffler une nouvelle identité. Ça tombait assez bien. C'était un nouveau signe que je n'avais plus ma place ici.

-Voilà, tous tes vêtements, pliés, lavés, annonça ma mère en les flanquant dans ma valise avec un soin relatif. Hé bien, vous avez flambé avec Emily, hier ...

-Elle a insisté pour refaire ma garde-robe avant que je m'en aille. Ah tiens, il y a ce sac-là aussi !

Je lui tendis le sac de papier rempli de sous-vêtements et maillots de bain neufs devant lesquels ma mère soupira grandement. Je partais le lendemain pour la France, par bateau, et j'avais la sensation que je ne serais jamais prête à temps. Ma vie avait beau s'être réduite à un sac de voyage durant l'année écoulée, là ce n'était pas du temporaire. C'était un voyage pour un avenir que je préparais et malgré les deux grosses valises magiquement agrandies, j'avais la sensation de manquer de quelque chose. Et lorsque mon père apparut dans l'encadrement de ma porte, avec une guitare dans une main et mon balai dans l'autre, la sensation devint une certitude. Je plaquai une main contre ma bouche, catastrophée.

-Je me suis dit que ça pourrait t'être utile, plaisanta mon père en me tendant mon Nimbus. Ainsi, Simon emporte l'antique guitare ?

Il détailla l'instrument pendant que je rangeais soigneusement mon balai dans une des valises, route de confusion. Simon, visiblement plus organisé que moi, avait déjà amené toutes ses affaires dans mon salon. C'était d'ici que nous partirons le lendemain, conduit par un Miro qui avait insisté lourdement sur son expérience de chauffeur de taxi et qui brûlait d'amener sa petite-fille au port de Douvres.

-Tu es fier, pas vrai ? lança ma mère avec un grand sourire.

-Et comment, affirma mon père avant de soigneusement poser la guitare sur mes draps. Elle résonnera divinement bien dans les montagnes bulgares.

Je dévisageai mes parents, toujours stupéfaite de la facilité avec laquelle ils avaient accepté ma décision. Depuis deux semaines, ils empaquetaient avec moi, m'aidaient à remplir les papiers administratifs, et m'avaient même acheté un dictionnaire de Bulgare pour que je puisse commencer mon apprentissage pendant les vacances. Même Alexandre y était allé de son grain de sel en trouvant un disque de musique slaves. C'était bien la satisfaction de Jaga. Sa petite-fille partait, certes, mais pour un pays slave – méridional, mais slave. C'était presque comme un retour aux racines. Je bouclais la boucle qu'elle avait ouverte.

-Vous êtes sûrs que ça ne vous dérange pas ? lâchai-je brusquement d'une petite voix. Que je m'en aille ?

-C'est un peu trop tard pour nous demander ça, ma chérie, railla ma mère.

-Et pour tout te dire, non, assura mon père en cueillant ma joue au creux de sa paume. C'est le sens de la vie, que tu finisses par voler de tes propres ailes. On t'a donné toutes les armes, toutes les forces pour que tu puisses le faire un jour ...

-Mais si loin ... Juste après que vous êtes revenus ...

-Les Etats-Unis, c'était dur, avoua ma mère. Mais parce que c'était un exil contraint et forcé, déchirant. On n'avait rien : pas de nouvelle, pas de moyen de communiquer, de te voir ... On ne savait même pas si on pourrait revenir un jour. Ce n'était pas un océan qui nous séparait. On ne faisait tout simplement pas parti du même monde.

-Alors que là, c'est un choix plein de promesse que tu as fait, poursuivit mon père avec tendresse. Un choix de vie et pour lequel nous ne pouvons qu'être fiers.

-Et ne te pense pas débarrassée de nous, on compte bien venir en France avec George et Rose avant que vous ne vous envoliez définitivement à Sofia, conclut ma mère avec hauteur. Et on viendra vous voir, une fois que vous serez installés. Ton père sera ravi de frayer avec les orthodoxes.

-N'exagère rien, Marian.

Emue, j'eus toutes les peines à leur rendre leurs sourires. Le projet bulgare commençait réellement à prendre tous les aspects que je lui avais rêvé. Pas une rupture, pas une fuite. Mais un nouveau départ, un départ où je pourrais me libérer de mes fantômes tout en gardant mes attaches essentielles, vitales. Je ne renonçai pas à ma famille en partant à l'autre bout de l'Europe, au contraire. Même l'exil américain avait renforcé nos liens. Sans faire état de mon mutisme, ma mère embrassa ma joue puis se replongea dans mes valises en pestant contre mon manque d'organisation, selon elle digne d'Alexandre. La poitrine toujours compressée, je me laissai aller sur le lit et effleurai la guitare du bout des doigts. Ils trouvèrent seules les lettes incrustées dans le manche. « E.E.B », lus-je pour la centième fois de ma vie sans doute. Parfois, il fallait cent fois. Parce que pour la première fois, l'anomalie me frappa avec la violence d'un cognard.

-Papa ? appelai-je, les yeux rivés sur les trois petites lettres. Tu n'as pas trois prénoms, toi ?

-Si. Edward John David. Pourquoi ?

Je haussai les sourcils, prise à la gorge par la révélation. « E.E.B ». Des initiales discrètes, évidentes, gravées dans un bois usé jusque la corde que Simon ne lâchait pas depuis l'âge de neuf ans. La voix de Charis me chatouilla les oreilles et se superposa à la guitare des parchemins qui prenaient la poussière, constellés de notes et de clefs de sol. Estomaquée, je levai lentement le regard sur mon père, qui me contemplait avec un petit sourire aux lèvres. Ses yeux, si semblables aux miens, étincelaient de tout leur lustre.

-Comment ... ?

-J'avais besoin d'instruments pour le catéchisme, j'avais fait un appel aux dons dans le village dès mon arrivée à Terre-en-Landes, avant même votre naissance. Il a été le premier à y répondre ...

Incrédule, j'effleurai les cordes anciennes de la guitare jusqu'à en faire vibrer une. A présent, chaque note prenait tout son sens, un sens caché que chaque mélodie avait secrètement chanté à Simon toutes ses années. C'était prodigieux. C'était génial. Un pilotage automatique, j'arrachai mes doigts aux cordes et me levai d'un bond.

-Je reviens !

-J'espère bien, tu ne penses pas que je fais faire tous tes bagages à ta place ? Hé ho, jeune fille, tu as vingt ans !

Je ne pris même pas la peine de répondre et m'élançai dans l'escalier à toute allure. Prise d'une brillante idée, aussi brillante que celle que mon père avait eu douze ans plus tôt, j'obliquai vers le garage pour en sortir mon antique vélo. Une dernière tournée de Terre-en-Landes, songeai-je en l'enfourchant, un sourire aux lèvres. Une dernière fois, être l'enfant terrible du Gloucestershire.

Le temps s'était voilé depuis la fête organisée pour notre départ, et pourtant les nuages ternissaient à peine l'éclat des pierres miels caractéristiques de la région. Peut-être assombrissait-t-elle l'humeur de l'Ancien, installé seul à la terrasse du café dans lequel mon amie Tracy aux cheveux rouges était serveuse. Une nouvelle famille avait acheté la maison des McDougal, constatai-je, filant sur le bitume comme le vent qui balayait les branches. A l'ombre du parc, le même parc où j'avais pu me cacher longtemps pour faire les devoirs de petite sorcière et où j'avais pu embrasser Simon Bones pour la seconde fois, des enfants jouaient avec des rires de dément. Leurs vélos gisaient sur la pelouse aux côtés de leurs sacs à dos remplis de vivres. Avec un sourire amusé, je reconnus Arthur à leur tête, debout sur la balançoire, au milieu de tous ses amis qu'il contemplait pour la dernière fois avant d'enfin prendre le Poudlard Express en septembre. En m'apercevant à travers les branches, il sauta à terre et courut vers moi, m'obligeant à m'immobiliser avec un dérapage grinçant qui me valut le regard noir de la vielle dame sur le trottoir. Mais Arthur, lui, sourit de toutes ses dents baguées.

-Je pensais ne plus te revoir sur ton vélo ! Tu restes finalement ?

-Non, je pars, plus que jamais, rétorquai-je en m'accoudant à mon guidon.

Une moue déçue déforma les lèvres d'Arthur. Il passa une main dans ses courtes mèches brunes et porta vaguement son regard sur ses camarades dans le parc. J'étais celle qui lui avais annoncé qu'il était un sorcier ; quelque part, je savais qu'il avait espéré que je l'accompagne jusqu'au bout de ce premier voyage. Que je sois là pour lui tenir la main sur le quai de la voie 9¾. Je lui adressai un doux sourire.

-Tu sais, Susan prendra le train avec toi. Elle rempile pour une huitième année ... De toute manière, tu vas finir par être bien content d'avoir une connaissance chez les Vautours. Je te donne deux semaines avant que tu ne me réclames un autographe de Viktor Krum.

-Qui ça ? se troubla-t-il, les sourcils froncés.

-Tu demanderas à Isabel McDougal, elle est en quatrième année à Serdaigle. Et tu lui passeras le bonjour. C'est vous maintenant, les enfants de Terre-en-Landes à Poudlard ...

Le fait de simplement verbaliser la chose gonfla mon cœur de mélancolie, d'autant qu'Arthur hocha solennellement la tête, l'air de porter sur ses épaules l'immuable héritage que je lui léguais. C'était à son tour de jongler entre deux mondes, deux bandes d'amis, deux apprentissages et de se gorger de toutes les richesses que cette vie lui apportait tout en évitant les écueils. C'était aussi pour ça que je m'étais battue. Pour qu'il ait cette vie et qu'il puisse jouir de ce qui lui appartenait de droit en tant que sorcier.

-Ne pas laisser filtrer qu'on est des sorciers, mais ne pas hésiter à chanter des chansons de Queen ou de Disney sur les tables et ramener des friandises à chaque vacances, récita Arthur avec un sourire malicieux. Au moins je sais maintenant d'où tu nous sortais ces dragées qui avaient des drôles de goût ... ça rendait ma mère folle, elle détestait.

-Ça, c'est certainement parce qu'elle est tombée sur le goût « crotte de nez ». (Arthur éclata d'un rire sonore qui m'arracha un nouveau sourire). Tu m'enverras une lettre pour me raconter la répartition ?

-Promis. Et tu me diras comment ça se passe le Quid ... Quaddi ... Argh, je l'avais presque !

Je m'esclaffai face à sa moue boudeuse et frustrée de garçon qui voulait vite, trop vite, apprivoiser son nouvel environnement. Il aurait tout le temps d'apprendre à prononcer « Quidditch ». Là encore, je ne lui donnais pas deux semaines. Bibine allait s'étrangler lorsqu'elle allait mettre un balai entre les mains de ce feu-follet. Arthur n'aimait rien plus que les positions périlleuse et je le voyais déjà tenter le cochon-pendu sur le manche. Seigneur, McGonagall n'était pas prête ...

Nos chemins finirent par se séparer lorsqu'une jeune fille appela Arthur et qu'il s'en retourna au parc avec un dernier signe de main en ma direction. Je les considérai l'arroser copieusement d'eau dans une bataille qui promettait de dégénérer avant de reprendre ma course en avant. A la fois nostalgique et euphorique, je posai mon regard sur chaque pierre, chaque passant, laissait le vent s'engouffrer dans mes cheveux en une sensation qui me rappelait délicieusement les courses de mon enfance. J'aimais ce village, j'aimais ce qu'il représentait. J'avais aimé grandir ici, au milieu des pierres de miel et du ruisseau qui s'écoulait sous le pont que je traversais. Il faisait partie de moi comme je faisais partie de lui, de son décor, de sa légende. La fille du révérend Bennett qui avait passé sa scolarité en Ecosse, celle dont le meilleur ami était mort d'un accident de la route et qui finissait par s'envoler avec un autre enfant des lieux, l'héritier de la grande maison en bas de la colline.

Mais ce que la majorité des habitants avaient ignoré toutes ses années, c'était que j'étais une sorcière. Une vraie, avec une baguette et un balai.

Oui, une vraie. Je m'étais battue pour le prouver et le revendiquer aux yeux du monde entier.

Essoufflée par la course et l'émotion qui compressait ma poitrine et mes poumons, je finis par déraper à l'entrée de l'église gardée par deux ifs centenaires. Plutôt que d'y entrer, j'abandonnai mon vélo et obliquai vers le cimetière qui le jouxtait. J'avais joué au foot dans ce cimetière, me souvins-je, presque honteuse maintenant que je savais ce qu'il refermait. M'immobilisant devant la statue de la Vierge qui, je le savais à présent, était gravée aux traits de Seraphina Bones, je levai ma baguette et tapotai sur son cœur. A ses pieds, la terre s'ouvrit alors pour dévoiler un escalier de pierre, lisses et usées par les pas et le temps. Une vague d'air frai vint trancher avec l'ambiance presque orageuse qui régnait en surface.

-Un mausolée, lâchai-je, toujours incrédule. Ils ont carrément un mausolée ...

Avant d'être paralysée par l'endroit, je me laissai avaler par les marches et les entrailles de Terre-en-Landes, jusqu'à un lieu jusque là inexploré par mes soins. Et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir parcouru de long en large les pavés et campagnes environnantes ... Simon m'avait déjà décrit l'endroit, lorsqu'ils y avaient enterré Amelia Bones. Une caverne coincée dans les racines de Terre-en-Landes. Pourtant, l'endroit me surprit. Un puit de lumière venait éclairer un immense espace effectivement creusé dans la roche de façon abrupte, peu fine. Mais pour une pièce de pierre, l'endroit était vivant, floral. Des racines parcouraient les parois, s'entrelaçaient avec un lierre parcouru de fleur blanche pour finir par s'enfoncer dans un bassin d'eau pure et calme, nourri par une cascade qui chantait depuis la surface. Partout sur la roche taillée étaient incrustés d'immenses plaques de marbres aux teintes différentes qui donnaient à l'espace un aspect presque multicolore. Le temps n'avait en rien effacé les noms qui les parcouraient. « Seraphina Bones ». « Edmund Bones ». « Antonia Bones ». « Nicholas Bones ». Je les suivis des yeux, jusqu'à tomber sur le seul être humain vivant en ces lieux.

Installé à même le sol de pierre, Simon contemplait les cinq tombes devant lui. Amelia Bones et son marbre rosé, sous laquelle on avait gravé un marteau. C'était une main de justice qui décorait le tombeau d'Edgar Edmund Bones à ses côtés, et cinq étoiles en forme de « W » celle de Cassiopée. Juste en dessous, légèrement décalée, le marbre rouge de Matthew luisait sur la constellation du lion. La tombe de Spencer était blanche, pure et attirait toute la lumière.

-C'est donc là qu'il faudra que je vienne cracher quand tu oseras m'abandonner.

Simon ne sursauta pas, ne s'énerva pas. Les yeux toujours dardés sur la tombe de sa famille, il se contenta de sourire et de désigner un espace vide aux côtés de Spencer.

-Ici, pour être exact. Le plus tard possible, espérons-le.

-Je vois, murmurai-je en m'asseyant à ses côtés. Ce sera donc ici notre dernière demeure ...

Ma voix se répercuta sur les murs de pierre en un doux écho qui se mêla au chant de la cascade. C'était un bel écrin pour mourir, songeai-je vaguement en observant les fleurs blanches du lierre et les épaisses racines qui, je finis par le deviner, étaient celles des ifs qui gardaient l'entrée de l'église.

-Que veux-tu, fit Simon en haussant les épaules. On est né à Terre-en-Landes, Vicky. On peut aller en Bulgarie tant qu'on veut, vivre à Oxford ou même au Pérou, c'est ici qu'on finira. On appelle ça le destin.

Le mot résonna à l'infini dans le mausolée et m'obligea à ouvertement dévisager Simon. Il n'avait d'yeux que pour les tombes de sa famille et pourtant il finit par les vriller sur moi, interloqué par mon silence prolongé.

-Quoi ?

-J'avoue, ça c'est quelque chose en toi que je n'ai jamais compris, admis-je du bout des lèvres. Le fait que tu évoques le destin, comme un véritable argument, quelque chose de réel ... Comme mon père évoque Dieu ... Tu l'avais déjà dit ... pour Harry et Voldemort ...

-Et j'avais raison, tu vois ?

La pointe de moquerie dans sa voix lui valut un coup de coude et son glapissement de protestation aurait pu réveiller jusqu'aux morts les plus anciens.

-Je suis sérieuse, insistai-je, exaspérée par son sourire espiègle. Tu es peut-être la personne la plus ... pragmatique, sceptique que je connaisse. Tu ne crois pas en grand-chose. Il a fallu que tu me trouves pour croire en l'amour !

Cette fois, ce fut son rire qui se répercuta contre les murs et les tombes pour achever de donner une réelle vie à ce lieu dédiés aux morts. Il lui fallut du temps pour apaiser son hilarité, mais les éclats de rire finirent par se muer en un sourire étrange, mélancolique, presque timide. Il se trouva une passion soudaine pour la contemplation des racines qui parcouraient les parois.

-Je t'ai déjà dit ce que je sentais dans l'amortentia ?

La question me prit totalement de court, avant de me faire rougir comme une pivoine. C'était le filtre d'amour le plus puissant au monde, me souvins-je, puisant dans les étiquettes que j'avais pu lire chez les jumeaux plus que dans mes cours de potions. Une potion qui dégageait les effluves de ce qu'on aimait le plus. Et si j'avais une certitude sur Simon, c'était qu'il m'aimait, peut-être plus que tout au monde.

-Je n'ai pas de parfum particulier, tentai-je de plaisanter pour garder contenance.

-Non, c'est vrai, concéda-t-il, avec toujours cet étrange sourire. C'est plus subtil que ça ... En fait, je sens des fleurs, un peu de toute sortes, un peu disparate. Un peu de muguet, un peu de lavande ... J'ai réalisé l'année dernière qu'en fait c'était l'odeur d'un bosquet devant chez moi.

-Oh ! Celui avec les pierres ?

-Voilà, lui.

C'était mentir que prétendre qu'une part de moi ne fut pas déçue par l'explication. Plus que déçue, je fus perplexe que cette potion censée recréer l'amour le ramène à la demeure des Bones où le pire de sa vie s'était joué.

-Et tu sais ce que j'ai découvert sur ce bosquet ? continua Simon en jouant avec une feuille de lierre. C'est mon père qui m'a raconté, quand tu as disparu ... C'est toi qui l'as créé, Vicky.

-Ah bon ? lâchai-je, estomaquée.

J'eus beau fouiller mes souvenirs de fond en comble, je n'avais aucun souvenir d'un tel acte. Pour ce que j'en savais, j'avais toujours été accueillie par ce bosquet chaque fois que je me rendais chez les Bones, sous forme de cercle de pierre en hiver et de bouquet disparate en été. Pourtant, Simon ne se départit pas de son sourire.

-Je te jure, mon père t'a vu faire. On avait trois ans, c'était juste après ... juste après l'enterrement de mes parents.

-Oh Seigneur ...

De nouveau, mon esprit surchauffa pour trouver dans les limbes de ma mémoire pour retrouver une trace, un écho, un flash de ce moment. Mais qui avait réellement garder des souvenirs de ses jeunes années ... ? Simon ne les avait retrouvés que face à un Détraqueur. Sans ça, les derniers mots de ses parents se seraient fondus dans les ombres de son âme. Il jouait toujours nerveusement avec la feuille de lierre et cette fois, le sourire avait fini par faner sur ses lèvres.

-On avait trois ans, Vicky. D'après Lysandra, déjà à l'époque, on se tirait les cheveux pour des histoires de jouets. Ça n'a jamais arrêté après ça, les cris, les coups ... Et pourtant ... pourtant ce jour-là, ton premier réflexe, ça a été d'user de ta magie pour me faire sourire. Et le pire, c'est que ça a marché. Et on avait trois ans.

-Trois ans ..., répétai-je, époustouflée.

Ma main glissa seule jusque celle de Simon. Seulement là, ses doigts lâchèrent le lierre pour venir effleurer mon bracelet et la breloque petit soleil dans un geste si familier qu'il m'arracha un sourire.

-Et c'est ça que je sens dans mon amortentia, depuis le premier jour en sixième année dans les cachots de Rogue, conclut-t-il avec une certaine solennité. Alors si ça ce n'est pas le destin, Vicky, alors je ne sais pas ce que c'est.

Je gardai le silence, un peu vaincue par la puissance de l'anecdote. De toute manière, elle ne faisait que répondre à une sensation présente en moi, latente dans mes veines, depuis que j'avais compris que j'étais amoureuse de lui. J'étais destinée à être avec lui. Sur cette route, je n'avais pas d'autre chemin possible que celui qui me conduisait à Simon Sirius Bones. C'était là depuis l'enfance ... et ça ne faisait que grandir. C'était l'unique flamme, craquement d'allumette devenue brasier, que j'étais capable d'accepter.

-Parce que j'étais là au début et que je le serais à la fin pour t'enterrer d'un « on se reverra en enfer, minus », soufflai-je, comme une promesse.

Simon laissa échapper un petit rire avant de replacer tendrement une mèche derrière mon oreille. Ses doigts s'attardèrent sur mes cheveux, ses boucles qu'il avait rêvé de pouvoir effleurer avant même de désirer m'embrasser. Moi c'était son regard. Oui, j'avais désiré pouvoir me plonger dans ces prunelles vertes et étincelantes sans rougir ou me justifier, sans détourner les yeux en bafouillant. Je l'avais fouillé mille fois à la recherche de toutes ces petites choses qui m'échappaient encore. Il m'avait captivé bien avant que le reste de la sa personne le fasse.

-Tu vois, même toi tu le savais. (Sa main se crispa un peu sur les mèches qu'il avait emprisonné) Quand tu n'étais pas là Vicky, j'ai contemplé ce bosquet tous les jours. Même si je n'habitais plus ici ... je venais tous les jours, simplement pour le voir. On était en hiver, il ne fleurissait pas, mais je sentais sa magie. Ta magie. Et tant que ta magie était active, tu n'étais pas morte. Je me suis tellement accroché à ça ...

-Mais je suis là, maintenant, rappelai-je avec douceur. Si Voldemort ou Nestor n'a jamais pu m'arracher à toi, alors personne ne le pourra. Prépare-toi, minus ... Tu vas m'avoir sur le dos toute notre vie ...

C'était la plus délicieuse des promesse et Simon ferma les yeux pour la savourer. Nos têtes s'inclinèrent naturellement l'une vers l'autres, nos nez se frôlèrent dans une tendre caresse qui s'étira à l'infini. Je n'éprouvai pas besoin de chercher plus. Je sentais son amour vibrer en diapason du mien.

-Minus toi-même, chuchota-t-il par acquis de conscience.

La réplique, si familière, gravée sur nos lèvres pour toujours, m'arracha un petit rire qui résonna entre nous. Un éclair jaillit dans mon esprit pour me rappeler que j'étais venue pour une raison, une raison bien précise. Apprendre à Simon que la guitare sur laquelle il jouait depuis des années n'avait pas appartenu à mon père mais au sien. Mais à quoi bon gâcher l'instant en invoquant des fantômes ? J'avais toute la vie pour le lui apprendre. Oui, toute la vie, Simon Sirius Bones. Jusqu'à ce que tu m'abandonnes et que je vienne cracher sur ta tombe. Ici-même.

***

Nos valises avaient été emportées. Le bateau attendait à l'embarcadère, paré pour sa traversée de la Manche qui nous emporterait jusque Calais. De là, nous transplanerions jusque Biarritz sur la côte Atlantique, et la maison de vacances des Bones. Un mois pour se ressourcer, de transition avec notre nouvelle vie qui nous attendait en septembre, à Vratsa, au pied des Balkans bulgares.

C'était si concret, si proche. Un avenir à portée de main. Le bateau était là, devant mes yeux et pourtant j'avais encore du mal à réaliser. Je restai figée sur l'embarcadère, la brise marine emmêlant mes boucles fraichement coupées à n'en plus finir. Le manque de soleil et le vent m'avait forcée à passer le trench rouge que Noah m'avait offert pour Noël.

-Tu crois que tu pourrais faire comme Moïse et écarter la Manche comme lui la mer Rouge ? lançai-je à Simon, mutine.

-Et tracer un chemin jusque notre Terre Promise ? devina-t-il avec un sourire. C'est toujours faisable en ce qui me concerne, mais ça mettra un sacré coup au secret magique ...

-Je n'en reviens pas que tu vas passer tes derniers instants chez les bouffeurs de grenouille ..., grommela Alexandre, qui contemplait le bateau l'air circonspect. Ils viennent de gagner la Coupe du Monde de foot, en plus, déjà qu'ils sont arrogants de base ...

-Mais ils se sont fait démolir au Quidditch, l'Angleterre a été plus loin, ils ont fini troisième, ça rétablit l'équilibre, badinai-je tranquillement. Tout ça grâce à Artemisia Meadowes, quelle femme.

L'épopée anglaise avait été un véritable vent de fraîcheur dans une Communauté Magique en pleine ébullition. C'était le seul événement qui avait réussi à mettre tout le monde d'accord et le visage de la Capitaine et Attrapeuse de l'équipe nationale et championne du monde 1986 avait été placardé partout. 

-Tu pourrais le faire, toi ? interrogea Alexandre. Une Coupe du Monde, tout ça ?

Non. Non, en m'exilant au Bulgarie, je renonçais totalement à ce privilège puisque la Fédération Britannique avait des lois très strictes concernant ses sélections : chaque joueur devait jouer en territoire Britannique. C'était ce qui conservait une Ligue si forte et si compétitive. Néanmoins, l'équipe nationale était si éloignée de mes préoccupations que je n'en avais cure. Je coinçai une mèche folle derrière mon oreille.

-Je vais commencer par passer professionnelle, on verra le reste plus tard.

-Et si tu passes professionnelle là-bas, tu vas rester ?

Les traces d'inquiétude au fond de la voix de mon frère me touchèrent et je finis par pivoter franchement vers lui, un petit sourire aux lèvres.

-Je ne sais pas vraiment, je n'ai pas de plan défini ... Mais quoiqu'il arrive, je serais là pour le baptême d'Alice. Et ton mariage. Et chaque fois que ça comptera et que tu auras besoin que je traverse l'Europe puis la Manche. Toujours. En balai s'il le faut.

-Je n'en doutais pas, assura Alexandre, avec néanmoins une lueur d'appréhension dans son regard. Prends soin de toi, Tory ...

Je hochai la tête, la gorge brusquement enserrée par l'émotion, avant de me pendre au cou de mon frère aîné. Comme toujours, Alexandre se fit un malin plaisir de m'arracher à la terre, puis de me faire valser de gauche à droite pour « m'habituer au mal de mer » – et la boule d'émotion explosa en mille éclats de rire. Il ne me reposa sur le sol que pour prendre Simon fermement par les épaules, le visage si grave et si solennel que ses yeux verts s'écarquillèrent.

-Mon crapaud, annonça-t-il d'un ton presque menaçant. Même deal que lorsque je vous ai laissé partir en Ecosse pour la première fois. Garde un œil sur ma petite sœur.

-Les deux, promit Simon avec un vague sourire.

-Mais tu le fais vraiment, hein, pas comme la première fois. Je ne veux pas d'histoire de bûcher au bout de deux mois cette fois.

-Mais quel blaireau, marmonna Susan alors que Simon s'empourprait face au sinistre rappel.

Mais la réprimande ne dura pas bien longtemps, car Alexandre enveloppa Simon dans une étreinte destinée à lui rappeler que lorsqu'il avait perdu ses frères, il était devenu le sien. Et en miroir, j'enlaçai celle que j'avais considéré comme ma sœur avant même que mon amour pour Simon n'éclose. Susan n'avait pas pris la peine de se maquiller, parce qu'elle savait qu'elle pleurerait. Elle avait vu juste : son visage était barbouillé de larme.

-Je ne sais même pas pourquoi je pleure, on vient vous voir dans deux semaines, bredouilla-t-elle en s'épongeant les joues de sa manche.

-Le début de grandes aventures, ça arrache toujours quelques larmes, philosopha George Bones avant de poser une main sur mon épaule. Bonne chance, Victoria. Prends soin de notre fils, mais surtout prends soin de toi.

-Oui, surtout, renchérit Rose en m'embrassant la joue. Oh la la, quand je repense à la gamine à qui j'ai appris qu'elle était une sorcière ...

D'un geste qui respirait la mélancolie, elle effleura la montre qu'elle m'avait offert pour mes dix-sept ans, justement au nom de ce lien qui nous unissait depuis l'annonce qui avait bouleversé ma vie. Ce jour-là, Rose m'avait pris sous son aile et m'avait intégré dans sa famille et son univers. Chaque épreuve, chaque fissure, n'avait fait que nous encastrer un peu plus.

-Dépêchez-vous, vous allez louper le départ, s'inquiéta ma mère.

-Attends Marian, laisse-nous dire au-revoir ! protesta vertement mon grand-père.

-Ne t'en fais pas, papy ...

Je me dépêchai de l'enlacer, fort, sachant que lui c'était la dernière fois que je voyais avant la Bulgarie. Son état ne lui permettait pas de voyager : chaque jour, les toux qui le déchiraient étaient plus violentes. Il m'avait même terrifié, en plein milieu de la voie rapide alors qu'il nous conduisait vers Douvres armé de son habituel béret qui lui rappelait ses années de chauffeur. Et que dire de Jaga, si frêle, arrimée au bras de mon père et qu'une simple bourrasque pouvait emporter ? Un sourire ourla ses lèvres décharnées et elle tapota ma joue de sa main parcheminée.

-C'est bien, Perelko. Va. Le meilleur est devant toi.

-Un retour au bercail ou presque, renchérit Miro en opinant du chef. Aux racines. A l'essence même de ce que vous êtes. C'est parfait, Perelko. Parfait ...

Parfait. Ça aurait pu l'être s'il ne parlait pas de cette voix si éraillée, loin de sa tonitruance coutumière. Je craignais de le pousser un peu plus vers la tombe en prenant ce bateau et en quittant son horizon pour toujours. C'était la famille qui avait été le moteur et la raison de vivre de Miroslav Liszka toutes ses années. Notre famille. Son perfectionnisme administratif m'avait sauvé face à Ombrage. Je ne pouvais pas ... Il parut lire toutes mes appréhensions sur mon visage – ou bien était-ce dans mon esprit ? Un sourire finit par se dessiner sur ses lèvres.

-Va, Perelko. Envole-toi. Sois heureuse et je partirai comblé.

-Viens, Vicky, m'appela Simon un peu plus loin. Ta mère a raison, c'est l'heure ...

La gorge nouée, je consultai la montre pour constater qu'il disait vrai. Alors j'étreignis une dernière fois mes grands-parents, inspirant leur odeur jusqu'à en noyer mes poumons et garder une trace dans ma chair. Puis il me fallut les laisser, tous les laisser sur l'embarcadère. Mes parents, les yeux larmoyants, mais souriant. George et Rose qui agitèrent la main jusqu'au dernier moment. Alexandre qui suivrait nécessairement l'avancée du bateau jusqu'au bord du quai et il faudrait Susan pour l'empêcher de sauter et nous suivre à la nage. Je les contemplai tous une dernière fois, pleine de mélancolie et de fierté, avant de saisir la main que Simon me tendait. Mon avenir, c'était avec lui que je le dessinais, suivant scrupuleusement le chemin que le destin nous avait tracé.

Il commença par monter la rampe qui menait à un bateau, saluer nos parents qui attendaient toujours sur le quai notre départ, au milieu d'autres proches qui agitaient la main. Je posai le pied sur le pont avec l'impression qu'on m'arrachait une partie de moi-même, mais c'était loin d'être désagréable. Non, je savais quelle partie je laissais derrière moi, sur le quai. J'espérais qu'elle glisserait et se noierait dans la Manche pour qu'enfin je puisse me libérer et reconstruire ma vie. Au pire je la sèmerais à mesure de mes pas, à chaque étape de mon voyage. Avec du temps et de la patience, j'en viendrais à bout et enfin je pourrais vivre.

Vivre. Je m'étais battue pour ça.

La corne de brume sonna, roula sur l'eau et gronda dans l'air, annonçant le départ. Mon cœur connut un soubresaut lorsque le bateau avança, lentement, glissa mètre par mètre pour s'écarter du quai. Accoudée à la rambarde, je jetai un dernier coup d'œil à mes parents, ma famille qui nous faisait de grands signes. Un éclat de rire franchit mes lèvres lorsque je vis Alexandre courir le long de l'embarcadère, suivi de Susan. Certaines choses étaient prévisibles, immuables. Un dernier signe, et ils furent trop loin, trop petits, insignifiants. La côte s'éloigna sous les panaches de fumées et les sirènes du bateau, ne laissant que la mer à perte de vue, embuée par mes larmes. Je soufflai longuement pour les réprimer, la joue pressée contre l'épaule de Simon à mes côtés. Mes doigts se refermèrent sur le pendentif sur mon sternum et l'enfermai dans mon poing. Ma force, mon combat et mon identité. C'était ce que j'emportai de plus important avec moi.

-Bon, on y est, murmura Simon, impressionné par notre propre décision. On va enfin voir ce qu'il y a de l'autre côté de la barricade.

-Tu as peur ?

-Avec toi, jamais. De toi ? Un peu.

-Pff !

Je lui plantai mon coude dans les côtes mais il devait à peine l'avoir chatouillé car il s'esclaffa avant de se pencher sur moi pour me voler un baiser. Devant nous, la mer s'étendait à perte de vie. Paraissait-il par beau temps, on pouvait rapidement apercevoir les côtes françaises, mais les nuages sombres se fondaient presque dans l'eau presque grise de la Manche. Dans ses conditions, difficile de percevoir l'avenir qui s'offrait à nous, mais dans les bras de Simon, je n'avais aucune crainte, aucune peur. A ses côtés, je pouvais tout affronter.

J'avais promis qu'avant de retourner à l'ombre et la poussière, je me battrais. Pour Cédric, l'Angleterre et Albus Dumbledore. Et Seigneur que je m'étais battue. Pour exister, pour protéger, pour avancer. Je m'étais battue jusqu'à l'épuisement, jusqu'à frôler le néant, je m'étais battue jusqu'à brûler et tomber en cendres. Je m'étais battue et j'avais gagné. Le temps de se battre venait de s'achever. A présent, s'ouvrait devant moi celui de vivre. Vivre pour ceux qui n'en avait pas eu l'occasion, vivre pour expurger tout le venin d'une existence, vivre pour honorer ce cadeau incroyable qui nous avait été fait à la naissance.

Oui, vivre enfin ... jusqu'à ce que l'ombre et la poussière nous emportent. 


FIN DE LA PARTIE IV


***

Allez. Je vous laisse le temps qu'il faut pour émerger des mouchoirs et voir de nouveau clair. Et je m'en laisse à moi aussi *éponge discrètement les larmes qui coulent* 

Non mais je me suis faite pleurer toute seule en préparant la musique. Mon copain me regarder d'un air consterné. On n'avait pas vraiment besoin de ça ... mais vraiment je l'ai toujours imaginé avec cette musique en arrière-fond. C'est la première image de la fin que j'ai eu. Victoria cheveux aux vents qui regardait au loin, avec cette musique. Je me suis faite pleurer la première fois qu'elle s'est imposée à moi. 

PFIOUH. Allez on souffle. Inspirez avec moi ... expirez ... C'est bon les larmes se tarissent un peu? Qu'est-ce que vous pensez de ce chapitre? C'est une fin à la hauteur ? 

Alors ne faites pas le bilan de l'histoire entière : j'ai vraiment hâte d'entendre vos ressentis, mais vous me connaissez un post sera dédié à ça. Et il y a encore pleeein de chose à lire : deux épilogues, et le Et après de plus de 50 pages. Vous n'êtes pas débarrassés de moi, on en a encore pour deux semaines ensemble ! 

En revanche vous avez le droit de profiter de ce chapitre pour faire un bilan de la partie IV ! Vos passages préférés, ce qui a attiré votre attention, les thèmes abordés, l'évolution des personnages ... J'écoute tout !  

(Et on en profite pour mettre à jour l'Index ! Alors quelles scènes de la partie IV le rejoignent? ==>) 

Pour moi, c'est juste la meilleure expérience d'écriture que j'ai jamais eu. Je l'ai écrite en moins d'un an, elle a jailli toute seule de mes doigts. Pas de blocage, beaucoup chapitre écrits en une journée, un plan clair et net depuis le début et qui s'est déroulé comme du papier à musique ... C'est abouti. C'est profond. J'ai pleuré, j'ai ri, je me suis éclatée. J'ai dit énormément de chose, j'ai creusé. C'est vraiment incroyable de finir sur une telle note. 

Pfiouf pfiouh pfiouh. Il va falloir s'en remettre de celle-là ... Avant que j'oublie : concernant le "Et après?" : pour être sûre de n'oublier personne, est-ce qu'il y a des personnages dont vous voudriez connaître le destin? (Ne me faites pas l'affront de me demander les personnages principaux, même secondaires : les familles, Emily, Susan tout ça s'est fait !). Mais je ne sais pas je vous connais, vous avez parfois des demandes originales alors je vous écoute ==> 

Vous voulez finir sur une belle note? Quelque chose qui va vous faire sourire, qui va un peu apaiser votre mélancolie? Parce l'hydre célèbre cette semaine une grande nouvelle ! Non, ce n'est pas une grande nouvelle, c'est une TRES grande nouvelle ! Notre chère et aimée Cazolie, écrivaine devant l'éternel de l'intemporel Lily et James, a donné naissance mercredi non à une, mais à deux adorables petites filles ! Vraiment si vous saviez comment on est heureuses, ces petites petite merveilles sont vraiment tombées sur la meilleure maman au monde, la plus belle personne que je connaisse ! Félicitations à Cazo ! 

Sur ce, on se retrouve jeudi pour l'épilogue numéro 1 ! Une idée de sa forme ? 

Et surtout ... BONNE CHANCE POUR LE BAC <3 Perri sera avec vous et vous envoie toutes ses forces ! 

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