IV - Chapitre 32 : La bascule

Hello again my darlings <3 

Avant toute chose, je tiens à immensément vous remercier pour vos réactions au chapitre précédent ! Je vous ai fait un cadeau, vous me l'avez rendu au centuple ! Je savais que ça allait être un chapitre qui allait vous plaire, mais de là à avoir plus de 700 commentaires en deux jours ... ça fait un moment qu'un chapitre n'avait pas provoqué autant l'unanimité ! Vraiment vous êtes incroyables, merci de faire vivre cette histoire ! 

SO je reviens d'une chose très adulte (aller chercher mes codes pour faire ma déclaration d'impôt, ça vend du rêve cette affaire) pour vous livrer le chapitre ! Et j'ai travaillé hier : on a reçu deux commandes en même temps, tant de livre, tellement de livre, je ne savais plus où donner de la tête : ça débordait de partout ! Mon coup de coeur pour l'instant : Ne jamais couler, de Marie de Brauer, une BD un peu autobiographique d'une femme en surpoids qui lutte pour s'assumer, elle et son corps. Touchant et drôle, vraiment une lecture qui m'a faite du bien à titre personnel ! 

(Et comme toujours, j'ai volé le L'Histoire ...) 

Et vous, comment allez-vous? Partiels et bac en ligne de mire non? 

SO CHAPITRE ! Je ne vous en dis pas plus et vous laisse savourer ... Bonne lecture <3 

PS : IL DE RETOUR. Il ne m'avait pas manqué, me laissant un large répit dans la P4 mais a décidé de se rappeler à mon bon souvenir ... L'italique est revenu. Et j'avais oublié à quel point JE LE DETESTAIS. 

***

You can lose sight of it all
And the darkness inside you
Can make you feel so small

But I see your true colors
Shining through
I see your true colors
And that's why I love you ... 

- True colors
Cindi Lauper

***

Chapitre 32 : La bascule.

-Doit-t-on s'attendre à revoir la bande de sauvage revenir ? cingla Charis.

Il me fut difficile de retenir le soupir. A défaut, il vint gonfler mes joues et je tournai le dos à Charis pour le lui cacher ... pour me retrouver avec le regard peu amène de Caspar planté sur moi.

-Si vous nous dérangeons, n'hésitez pas à le dire, s'offusqua-t-il. Ce n'est pas comme si nous vous offrions un toit ...

-Oh arrête de te penser encore le maître de cette maison, renifla Charis avec mépris. Le titre de propriété est au nom de ton petit-fils à présent. S'il veut héberger une bande de sauvage et une gamine ingrate, libre à lui ... Simplement, prévenez.

Pour ne pas lui jeter un regard noir ou pire, vider le pot de peinture que je tenais entre les mains sur son portrait, je me détournai et mis de l'ordre dans les pinceaux et les sacs de plâtres. Nous avions décidé nous attaquer à la pièce de vie pour lui donner un peu d'âme, Julian le premier qui avait passé l'après-midi à peindre une magnifique fresque sur le mur qui faisait face à la véranda, de belles arcades qui rappelaient celles de Poudlard qui donnaient sur une campagne qui ressemblait à s'y méprendre à celle de Terre-en-Landes. Je reconnaissais presque le village aux pierres miel niché sur la colline. L'effet était si réussi que nous avions la sensation d'évoluer entre deux jardins. J'aurais été reconnaissante ... s'il n'avait pas amené Noah dans ses bagages dont le projet antistatique avait consisté à m'arroser scrupuleusement de peinture chaque fois qu'il en avait l'occasion. Sa seule véritable contribution avait été d'ajouter un colibri et un faucon dans le ciel peint par Julian. Ils étaient ensuite partis, me laissant le soin de ranger – et surtout, couverte de peinture de la tête aux pieds.

-Ne vous méprenez pas ma chère, je n'ai rien contre vous, promit Charis devant mon silence buté. J'aime les femmes qui savent se retrousser les manches. Seulement était-on obligé de nous infliger cette musique ... ?

-Julian avait besoin des Beatles pour avoir de l'inspiration, prétendis-je, un brin radoucie. Vous avez eu de la chance que ce ne soit pas Noah qui tenait le pinceau, lui il est plutôt AC/DC quand il doit faire des travaux d'ampleur.

Mais ni Charis, ni Caspar n'avait la moindre idée de ce que pouvait être AC/DC et ne cherchèrent même pas à combler ce manque béant à leur culture. Je profitai de leur silence pour entasser nos outils de travaux dans un coin, loin du piano et de la guitare de Simon que je n'osais pas toucher, même si la peinture avait séché sur mes doigts. Je me contentai de la contempler avec une certaine mélancolie.

-Simon jouait, quand il restait ici avec vous ? interrogeai-je du bout des lèvres.

-Ça lui arrivait le soir, confirma Charis, un fin sourire aux lèvres. Je préfère nettement la grâce du piano, mais ça avait pour mérite d'endormir Caspar.

-La guitare était à mon père, révélai-je sans trop savoir pourquoi. J'ai crevé de jalousie quand il lui a donné ...

Je penchai la tête pour apercevoir les initiales gravées sur le manche. « E.E.B. ». Edward Bennett. Mais quand je posais les yeux sur les partitions de musiques tâchées de la main même d'Edgar Bones, je réalisai que le choix s'imposait. Simon avait les gènes du musicien. C'était son unique fibre artistique. Il grattait les cordes quand moi je faisais vibrer les miennes d'un chant. Comme toujours, nous étions ... incroyablement complémentaires.

-J'espère que vous n'avez pas trop défiguré cette demeure, prévint Caspar lorsque je pris la direction de la porte.

-Oh non, monsieur Croupton ... seulement celle de Simon.

Le sinistre ricanement de Charis m'accompagna alors que je quittais la salle de musique. La pièce de vie sentait encore la poussière et la peinture, si bien que les baies vitrées qui donnaient sur la véranda étaient grandes ouvertes et que des bougies parfumées étaient allumées un peu partout. Leur nombre m'angoissait : malgré tout le travail que j'avais pu faire, j'avais la sensation étouffante d'être entourée d'incendies en puissance. Un incident avec Noah qui impliquait une cigarette et une baguette m'avait amplement prouvée que je n'étais pas guérie ... La nuit suivante, les flammes étaient venues hanter mes cauchemars et j'avais réveillé la maison d'un cri de terreur.

Je fixai une flamme vacillante quelques secondes, relâchai mon souffle avant de me diriger vers Miles et Simon, penchés sur un échiquier sur la table. C'était le jeu personnel de Miles, celui qu'il avait acheté avec son premier argent de poche à treize ans le jour de sa première sortie à Pré-au-Lard – et Simon rendait cela responsable de ses défaites.

-Fou en F4, annonça-t-il et la pièce se déplaça docilement pour prendre la tour blanche de Miles.

Mais visiblement, ce n'était pas le bon coup à jouer parce que Miles secoua longuement la tête, consterné.

-Dis Bones, ça fait combien de temps que tu n'as pas joué aux échecs ?

-Un moment, confessa Simon. La dernière fois ... c'était avec Cédric.

-Et bien ça se voit, soupira Miles, presque condescendant. Cavalier en F3.

La pièce s'avança et fracassa le roi de Simon qui se brisa sur le coup. Je frémis quand les débris s'éparpillèrent sur le plateau en damier. Le visage de Simon se décomposa et il resta plusieurs secondes à étudier les pions, incrédule.

-Et échec et mat, acheva laconiquement Miles. Ça devient lassant, je t'aurais pensé adversaire plus vaillant que ça.

-Je manque de vice. Même Cédric me le disait.

-Le bon et brave Cédric Diggory, déplorer un manque de vice ? ricana Miles, abasourdi. Et ben.

Un désagréable frisson me parcourut la colonne vertébrale alors que les mots de fantômes affleuraient dans mon esprit. Oui, Cédric avait du vice. J'en étais persuadée. Mais c'était un aspect de lui qu'il nous avait caché. Un aspect de lui qui l'aurait perverti une fois que la guerre aurait eu planté ses griffes dans son cœur. C'était ce qu'il avait voulu me faire comprendre, dans les geôles. Il était mort pur, avant que les événements ne révèlent le pire de lui. A la lueur des souvenirs, les flammes prirent alors un éclat qui m'était insoutenable et je finis par me lever d'un bond avant qu'elles ne me consument.

-Je vais me coucher, annonçai-je en posant une main sur l'épaule de Simon.

-Je te suis.

-Trouillard, accusa Miles avec un fin sourire.

-Parfaitement, chantonna Simon en me suivant dans l'escalier. Bonne nuit, Bletchley !

J'eus un vague sourire à la pique pleine de légèreté de Simon, un peu rassurée que cette nouvelle défaite ne le frustre pas. J'attendis qu'on se soit engouffré dans la chambre pour prendre le premier vêtement venu et lui jeter au visage. Déconcerté, il se laissa tomber sur le lit avec une exclamation de stupeur.

-Et je suis en désaccord, tu as du vice, rectifiai-je avec de m'observer par le miroir de la penderie. Seigneur, il ne m'a pas loupé ... Oh la la, regarde-moi ça ...

J'étirai une mèche de cheveux emprisonnée dans de la peinture verte séchée, cette teinte même qui me couvrait la joue et qui avait sali mon jean. Mon tee-shirt était lui picoré de points mauves et bleus, comme ma gorge et la partie gauche de mes cheveux. Après mon examen, mon regard finit par croiser celui de Simon, planté sur le miroir. Il me scrutait avec une drôle d'expression, les traits imperceptiblement crispés. Je dressai un sourcil face à la glace.

-Qu'est-ce qu'il y a ?

-Rien ... (Absolument pas convaincue, je prolongeai mon regard et il finit par admettre entre ses dents : ) Juste ... il marche un peu sur les plates-bandes.

-Pardon ?

-Rien ...

-Pardon ?!

Des plaques roses s'étalèrent sur les joues de Simon lorsque je fis volte-face, le regard étincelant et il préféra se laisser tomber sur le dos, les bras en croix, plutôt que de m'affronter plus longtemps. Un rire incrédule s'échappa de ma gorge et je bondis sur le lit avec mes doigts et mes vêtements pleins de peinture séchées. Je m'allongeai à côté de Simon, un sourire mutin aux lèvres.

-On vit littéralement avec mon ex, et toi tu trouves le moyen d'être jaloux d'un gay qui chante littéralement sa passion pour Julian Shelton ?

-Jaloux, répéta Simon avec dédain en roulant des yeux. Je fais juste remarquer qu'il fut un temps, c'est moi qui me serais chargé de t'attaquer à la peinture.

-Tu aurais essayé Bones, mais quand on aurait fait les comptes c'est toi qui te serais retrouvé le plus couvert. Je t'aurais transformé en Arlequin.

-Et résultat je suis intact parce que tu as préféré jouer avec Noah, ironisa Simon avec un sourire tordu. Tu n'as pas un goût d'inachevé ?

Je me dressai sur un coude, oscillant entre l'amusement et la perplexité. Le sourire qui jouait sur mon visage était devenu incertain.

-Attends, c'est sérieux ? Tu es déçu parce que c'est Noah qui m'a décoré et pas toi ?

-Ne me fais pas dire ce que j'ai pas dit, rétorqua Simon, les yeux rivés au plafond. Je comprends, au fond. Des semaines entières sans moi comme punching-ball quand tu étais enfermée dans leur appart' à Oxford, tu as dû te rabattre sur quelqu'un d'autre ...

-Mais t'es vraiment jaloux !

Les protestations de Simon furent écrasées par mon rire qui résonna joyeusement dans la pièce, tant que je pouvais entendre chaque éclat rebondir contre les murs et qu'il finit par se sentir obliger de couvrir ma bouche de sa main pour l'étouffer. Cette fois, c'était de l'écarlate qui venait colorer ses pommettes.

-Ce n'est vraiment pas ce que j'ai dit.

-Mais c'est ce que tu ressens, répliquai-je en écartant sa main. Tu es jaloux de Noah parce que maintenant c'est avec lui que je me chamaille !

-Tu es pénible.

-Si ça te manque que je te casse la cheville et que je t'appelle « crevette » toutes les cinq secondes, dis-le on fait machine arrière !

-Tu m'appelles toujours « crevette », maugréa Simon.

A la fois désabusée et incrédule, je tirai sur son col pour l'attirer à moi et il laissa de mauvaise grâce mes lèvres se joindre aux siennes. D'abord immobiles et statiques, elles finirent par se mouvoir lorsque sa main se perdit sur ma nuque et que son pouce balaya ma mâchoire. Un sourire m'empêcha de poursuivre et je m'écartai d'un souffle. Ma paume alla se loger tendrement contre sa joue.

-Mais maintenant, tu es ma crevette. On a gagné ça, contre un peu moins de chamaillerie et d'os brisés. Tu es sûr de ne pas être gagnant dans l'affaire ?

-Je n'ai jamais dit le contraire ..., chuchota-t-il, dépité.

-Mais tu veux l'ellébore, l'argent de l'ellébore, et le sourire de l'apothicaire ?

Simon leva les yeux au ciel devant mon ton ouvertement moqueur. Pourtant, sa main ne se détacha pas de ma peau, parcourir doucement la ligne de ma mâchoire, le long de ma gorge jusqu'à affleurer la chaine qui avait repris sa place naturelle autour de mon cou. Ses yeux se rivèrent sur les maillons qui coulaient entre ses doigts, un par un, presque fascinés.

-Ton sourire, ça suffira.

Avant que je ne puisse m'étonner de la réponse, il combla les quelques centimètres qui nous séparaient et m'embrassa d'une façon qui n'avait plus rien de chaste. Ses doigts s'étaient enfoncés dans mes cheveux, pressaient mon visage contre le sien, ne me laissaient aucune autre échappatoire que celle de répondre à son baiser. Et je n'avais aucune, mais alors aucune envie de le contrarier sur ce point ... Mon sang s'était échauffé lorsque sa ma bouche s'était entrouverte pour accueillir la sienne et goûter sa langue sur la mienne. L'élan que cela provoqua chez moi le poussa à rouler sur le dos et je me retrouvai vite le corps pressé contre le sien, témoin de son désir qui répondait à celui qui semblait rugir dans mon ventre.

Simon risqua une main sous mon tee-shirt, douce, presque hésitante, une douce et légère caresse sur ma hanche, du bout des doigts ... Il était lourdement conscient que le geste avait pu occasionner de la raideur ses dernières semaines. Inconsciemment, mon malaise avec mon corps s'était traduit par une crispation dans notre intimité. C'était une peur ancrée en moi que l'enferment avait réveillé, celui d'un corps tout en angle qui n'appelait à aucune volupté. Même sous les doigts de Simon, j'avais douté.

Mais là ... comment douter de quoi que ce soit quand il me jetait un tel regard ? songeai-je en avisant ses yeux. La prunelle était obscurcie par la semi-pénombre et cette pupille qui prenait une place démesurée, aveugle. J'avais peur, quand les iris de Simon fonçaient, mais là elles brillaient, pétillaient, soulignaient un sourire à peine esquissé sur mes lèvres fines. Ce regard ... Je le savais. Entre ses mains, j'étais spéciale. J'étais unique. Ce sentiment absolument grisant qui avait fait valser toutes mes inhabités avec lui. Plus calme, ses doigts allèrent cueillir une boucle qui oscillaient entre nos deux visages et la replacèrent tendrement derrière mon oreille.

-Ça va ... ? murmura-t-il.

Son souffle s'abattit sur mes lèvres, se diffusa sur ma peau et mon échine s'hérissa de nouveau. Je n'avais qu'une envie, c'était de réduire cette distance, que ce souffle soit inutile et que ce ne soit que par lui que je respire, pourtant quelque chose m'en empêcha et me laissa bloquée, figée à quelques épouvantables centimètres de lui. Alors que tout mon corps ne vibrait que pour se fondre dans le sien. Ce n'était pas de la peur. Ça y ressemblait, mon ventre se contracta brutalement et pour peu je me serais mise à trembler comme une feuille. Mais c'était quelque chose de plus profond, plus primaire, plus solennel et plus délectable que la peur.

-Tu ... tu voudrais qu'on essaie ... d'aller un peu ... ?

J'étais incapable de finir ma phrase, et, pire que tout, me retrouvais à m'empourprer, fort, intensément, si bien que j'eus l'absolue que ma peau fondait sur mes joues. Avec un visage pareil, je m'attendais à voir Simon rire, me taquiner, une lueur espiègle animer son regard vert et éclipser le reste. Ou alors que ma question réveille ses anciennes peurs et que sa peau se teinte de la même couleur que la mienne. La réaction fut cependant beaucoup plus sobre : il battit des cils. Pris au dépourvu, il se redressa sur mes coudes, me forçant à m'assoir sur ses genoux, les jambes repliées de chaque côté de lui. J'étais contre lui, et pourtant je me sentais seule, à lutter contre les frissons d'impatience et de froid qui s'éprenaient de moi alors qu'il m'observait intensément. Ses joues étaient dépourvues de la moindre rougeur – et ses prunelles de la moindre trace d'amusement.

-Tu veux toi ? Vraiment ?

-C'est plus à toi qu'il faut demander ..., protestai-je, penaude. Je ne veux pas ... te brusquer ou quoi ...

-Mais enfin ...

Le sourire de Simon me prit presque de court, comme le bras qu'il passa sur ma taille pour m'attirer à lui et frotter le nez contre le mien. C'était une caresse simple mais gourmande et toute la tempête d'appréhension qui s'était levé en moi fut réduite à simple brise.

-Vicky ..., soupira Simon, un sourire désabusé aux lèvres. Tu sais, ça fait un moment que j'y pense. A passer à l'étape suivante, découvrir d'autres choses avec toi ... Déjà quand on était chez Julian ...

-C'est vrai ? m'assurai-je, le cœur battant.

-Je te jure. Tout va bien pour moi, Vicky, vraiment ... je veux partager tout ça avec toi. Découvrir tout ça avec toi. (Un petit rire lui échappa et sa prise se resserra timidement sur moi). Je pense que ne te rends toujours pas compte d'à quel point tu rends tout possible, Victoria Anna Jadwiga Bennett. Je te l'ai déjà dit ... Je suis capable de tout accepter, tout tenter, tout vivre ... du moment que c'est avec toi.

Oui, j'avais souvenir de cette phrase, et comme toujours elle fit rayonner quelque chose en moi, cette lumière intérieure que seul Simon pouvait déclencher, qui ne brillait que par lui et pour lui. Il écarta avec douceur une mèche qui barrait mon front pour mieux planter son regard dans le mien. Le sien ne doutait pas. Il était animé d'une épatante conviction.

-J'en ai vraiment envie ... mais je voulais te laisser le temps. Alors tu n'as que toi à penser, d'accord ? Que toi, tes sensations, tes envies ... que toi ...

Il ponctua sa remarque d'un petit baiser sur mes lèvres, une promesse toute douce, rassurante. Cela ressemblait à tant de ceux dont j'avais usé pour l'apaiser, chaque fois que ses pudeurs avaient repris le dessus, chaque fois qu'il s'était retrouvé entravé par la peur, déconcerté par la nouveauté. Cette fois, c'était moi. Moi qui devais être rassurée, moi qui recherchais la sécurité, moi qui devais faire sauter un verrou intérieur et vaincre mes peurs. Le baiser aida. Ainsi que la douce étreinte dans laquelle nous étions plongées, ni étouffante ni pressante. Je savourai le souffle régulier de Simon qui effleurait ma peau, la chaleur qui se diffusait depuis mon ventre, restai longuement à l'écoute de mon pouls qui battait – non, cognait – contre mes tempes. Il m'étourdissait. J'étais totalement étourdie. Douloureusement consciente de l'envie qui me tenaillait toujours et brûlait dans mon ventre. C'était bien la seule flamme que j'étais capable de supporter dans ma vie ... parce que c'était Simon qui la provoquait. J'étais capable de tout accepter ... tant que ça venait de lui.

Tout, Simon. Tant que c'est toi.

Je répondis à la chaleur qui courraient mes veines en me penchant sur Simon pour m'emparer de ses lèvres, prête à me laisser emporter par nous, prête à effleurer de nouvelles limites, à les repousser parce qu'ensemble, nous étions capables de tout. Pourtant quand je m'écartai, simplement pour reprendre mon souffle, la vision de mes doigts pleins de peinture enserrant le visage de Simon calma mes ardeurs. Un rire nerveux me secoua et j'emprisonnai une mèche de cheveux peinte en mauve entre mes doigts.

-Je ... vais prendre une douche d'abord, d'accord ? Je veux pas ... je veux pas faire ça couverte de peinture.

-Alors vas-y, je t'attends, promit-t-il avec un fin sourire.

Soulagée de l'absence totale de déception dans les yeux de Simon, je l'embrassai brièvement, mais intensément avant de l'enjamber pour retrouver le sol, les oreilles bourdonnantes. Il s'en fallut de peu pour que je ne trébuche pas jusque ma serviette tant tout mon être semblait flotter, détaché de mon corps, à mille lieux de ma chair. Ne plus avoir le regard de Simon en point d'ancrage fit totalement dériver mes pensées qui se bousculèrent dans mon crâne tel un essaim d'abeille. La serviette plaquée contre ma poitrine, je pivotai vers Simon les yeux écarquillés, l'esprit traversé par une pensée confuse.

-Et ... attends, il faut les potions ... Je t'aime, hein, de tout mon cœur mais les petits Bones, ça va attendre. Ou il existe un sortilège, non ? Peut-être que tu pourrais me le lancer ?

-Non, lança immédiatement Simon, si vite que je compris que c'était également ce qui occupait ses pensées. Enfin oui, il existe un sortilège, mais je m'en occupe, je vais l'appliquer sur moi.

-Sur toi ? répétai-je, perplexe. Non mais je peux, j'ai déjà pris les potions, je ne vois pas pourquoi je ne supporterai pas le sortilège ...

La mine de Simon, grave et sérieuse, réduisit ma voix à un souffle inaudible. Il passa une main sur son visage avant de s'avancer sur le lit et de faire basculer ses jambes pour me faire face. Sa main trouva la mienne et la serra douceur, un regard déterminé planté dans le mien.

-Ce n'est jamais gratuit, ni la potion, ni le sortilège. Pour les deux, il s'agit de bouleverser le système hormonal, d'accord ? Les potions ne peuvent être bues que par les filles parce qu'elles agissent sur le cycle, mais l'enchantement s'adapte aux deux systèmes. Ton corps a déjà subi assez de bouleversement comme ça ...

-Tu t'es renseigné ..., remarquai-je, refusant de m'attarder sur l'autre partie de la phrase.

-Je te l'ai dit, ça fait ... un moment que j'y pense, rappela Simon avec un sourire presque effarouché. Je m'occupe de ça, ne t'en fais pas. Va te doucher. Vraiment.

Il porta la main qu'il tenait à ses lèvres, comme si ce simple baiser pouvait effacer mes dernières réticences. Je m'imprégnai de son contact pour me donner l'aplomb nécessaire pour acquiescer et récupérer ma main. Simon m'adressa un dernier sourire avant que je ne quitte la chambre pour la fraicheur silencieuse du couloir. Il me sembla que les battements de mon cœur résonnaient démesurément dans ma poitrine lorsque j'ôtai mes vêtements tachés dans la salle de bain. Un à un, ils tombèrent, et dans la douche je fus seule avec ce cœur qui tambourinait, encore et encore, à m'en fracasser les côtes. C'était si intense que la pression commençait à se faire douloureuse. Je crispai la main sur ma poitrine. Loin de la chaleur et du contact de Simon, la décision que je venais de prendre m'apparaissait immense, insurmontable.

-D'accord, murmurai-je, noyée sous le jet de la douche. D'accord, on se calme à l'intérieur ... On se calme, on a déjà fait ... ce n'est rien. Tout va bien.

Tout allait bien, mais je ne pus m'empêcher de m'examiner sous toutes les coutures. Je n'étais pas moins rasée que les autres fois ... Je n'étais pas moins maigre que lors de ma première fois, avec Miles. Le front plaqué contre les carrés de céramiques, je me remémorai tous mes moments d'intimité avec Simon, tous ces instants de voluptés depuis le piano éclairé par la lune à la chambre confinée chez Julian, calfeutrée dans la musique. Si simples. Si grisants. Tellement grisant. Tellement que le simple souvenir obligea mes orteils à se rétracter sur le sol humide. Alors pourquoi cette pointe acide d'appréhension refusait de quitter mes entrailles ? Je lavai vigoureusement mes cheveux dans l'espoir que cela l'effacerait, qu'elle s'écoulerait avec la peinture qui déteignait le sol. La mousse et l'eau colorée formaient une aquarelle chaotique à mes pieds. J'avais la sensation de contempler mon propre esprit, confus et délavé par la pression. Je clignai des yeux, avant de copieusement les arroser d'eau pour les faire disparaître, et l'arc-en-ciel aux milles nuances dévalées s'écouler jusqu'à ce que la douche ait retrouvé sa blancheur éclatante. Un sourire à la fois simple et serein retroussa mes lèvres.

-I see your true colors shining through ..., chantai-je joyeusement. I see your true colors, and that's why I love you ... So don't be afraid to let them show, your true color ... true color are beautiful like a rainbow ...

Plus que l'eau, ce furent les notes et ma voix qui se déliait, enhardie par l'eau qui battait la vitre et la couvrait, qui eurent raison de la boule de nervosité qui persistait au creux de mon estomac. Je fredonnai toujours tranquillement True colors lorsque j'émergeai dans la salle de bain toute embuée et m'emmitouflai dans une serviette chaude, encore lorsque je passai la baguette dans mes cheveux pour les sécher d'un sort et que de l'eau renaissent les boucles sombres, toujours lorsque je traversai le couloir désert et glacial. Comme si me taire c'était rompre l'instant, comme si mon existence était suspendue à ce chant, je ne le laissai pas filer, pas même lorsque je refermai la porte de ma chambre, la main crispée sur la serviette qui m'entourait toujours.

-If this world makes you crazy ... murmurai-je toujours d'une voix à peine audible, le coeur battant à tout rompre. And you've taken all you can bear, you call me up because you know I'll be there ... 

Cesser, c'était éteindre la flamme. Or, c'était la dernière chose que je désirai. Non, ce soir je voulais m'embraser. A ma manière. Pour moi et par nous.

Lorsque je refermai la porte derrière moi, Simon venait tout juste de poser sa baguette sur un grimoire ouvert sur le lit. Il me lança un petit regard qui s'écarquilla lorsqu'il constata que je ne portai qu'une serviette et que la chair de poule devait hérisser l'ensemble de ma peau. Alors enfin, le chant s'éteignit, mais seulement pour que je me glisse à ses côtés en prenant soin de refermer le grimoire sur sa baguette. De nouveau, mon rythme cardiaque c'était fait erratique, mais la cause était tout autre. Ce regard ... Je voulais fondre sous ce regard. Je le voulais si fort que ma tête en tourna, matraquée par un sang de plus en plus bouillonnant dans mes veines.

-Alors ? soufflai-je, un léger sourire aux lèvres.

Simon n'attendit pas de faire monter la nervosité, l'attente et ou l'envie. Le regard étincelant, il enlaça ma taille et nous basculâmes tous deux sur le lit avec un éclat de rire propre à réveiller la maison entière et à exalter ce qui ne l'était pas encore.

***

-Vicky ...

-Hum ...

Le rire de Simon roula sur ma peau et il fallut son baiser au creux de mon cou pour que je daigne m'ébrouer. A travers mes cils, je pouvais voir la luminosité matinale filtrer, colorant la pièce d'une aura verte due aux rideaux de mousselines accrochés aux fenêtres. J'avais beau être éveillée depuis une bonne heure déjà, mes paupières semblaient plus lourdes que jamais.

-Encore cinq minutes ...

-Et bien, si j'avais su que ça te mettrait dans un tel état ...

A l'aveugle, je trouvai mon oreiller et l'assénai mollement sur son visage pour lui faire payer le ton moqueur. Je l'entendis retomber lourdement dans les draps avec un éclat de rire qui finit par m'arracher un sourire et à percer les innombrables voiles qui m'entouraient. Un gémissement au bord des lèvres, j'étirai les bras par-dessus ma tête. Les doigts de Simon trouvèrent ma peau et la parcoururent à un rythme régulier, calculé. Des notes. La musique, toujours, pour tromper la nervosité. Comme moi hier sous la douche.

-Donc ça a été ... ?

Cette fois, la voix était nettement moins assurée et pourtant ce fut moi qui m'empourprai, si fort que je me sentis obligée d'enfoncer mon visage dans mes draps, les paupières hermétiquement closes. Dans le noir, les sons qui venaient de jaillir de mes lèvres me semblaient moins embarrassant ...

-Hum, hum ...

-Vicky ...., soupira Simon, désabusé.

Pour toute réponse, je le blottis contre lui à l'aveugle, un sourire incrédule et embarrassé aux lèvres. Mes cheveux me chatouillèrent la joue, son souffle balaya ma peau et au creux de mon ventre battait toujours une pulsation qui perdait en intensité à mesure que les secondes s'égrainaient. C'était comme un mini-cœur, un petit cœur brûlant qui injectait dans mes veines non du sang, mais de la bienfaisance à l'état pur. Une sensation incroyable. Je n'en revenais toujours pas que c'était dans mon corps qu'elle avait éclaté. C'était ça. Une explosion, puis un petit cœur palpitant.

Ce cœur, j'avais été loin de l'atteindre la vieille, lorsque pour la première fois nos corps s'unirent de cette manière si singulière. Pourtant, tout avait commencé de la plus exaltante des manières et pas une seule fois je n'avais douté, pas une seule fois une pensée parasite était venue me statufier dans les bras de Simon. Il m'avait écouté, écouté chacun de mes soupirs et j'avais suivi son rythme aveuglément. La douleur qu'on pouvait toujours redouter n'était pas venue, pas même la gêne dont j'avais le souvenir ... mais le plaisir n'avait inondé que Simon lorsque, l'étreinte dénouée, il s'était écroulé. J'étais restée de longue seconde allongée dans les draps, bercée par sa respiration erratique, presque inquiète de mes sensations où j'avais effleuré l'agréable sans réellement l'atteindre. Je m'étais endormie, luttant contre la déception qui m'étreignait.

Mais je n'étais pas avec n'importe qui. J'étais avec un garçon qui me connaissais par cœur, chacune de mes expressions, tout de mon langage corporel. Même celui-ci, il s'était efforcé de l'apprendre alors qu'il était si peu intuitif pour moi ... Un garçon également dont le principe de justice coulait dans ses veines et pour qui c'était visiblement inconcevable que l'expérience soit si inégale. Alors au réveil m'attendaient des caresses. Des baisers. De plus en plus langoureux, de plus en plus osés, atteignant des zones et des intensités jamais atteintes ... Tous le plaisir qu'il m'avait manqué la veille, il me l'avait rendu au centuple le matin venu, avec ses mains et ses lèvres pour seules armes. Cette fois je n'étais pas occupée à lui rendre la pareille. Comme Simon me l'avait murmuré au creux de l'oreille, c'était moi, mes sensations, mes désirs. Moi et seulement moi. Seulement là, le dernier verrou avait sauté et j'avais pu pareillement m'écrouler, toute bourdonnante et rougissante de ce qui avait pu m'envahir.

-Je pense que j'ai déjà répondu à la question, évaluai-je finalement avant de tirer la couverture jusqu'à mon front pour masquer mon visage écarlate. Enfin pas moi. Une créature qui vit au fond de moi et qui a une voix très étrange.

-Je ne vais pas mentir ... c'est vrai que cette voix-là, je ne la connaissais pas, convint Simon avec un sourire incertain.

Le rire qui s'échappa de ma gorge tenait plus du gloussement. Comme quoi, même moi j'avais encore des zones d'ombres que Simon s'échinait à éclaircir ... Des zones encore inconnues de lui comme de moi, mais que nous découvrions ensemble. Prudemment, j'abaissai la couverture jusque mon nez pour avoir un visuel sur son profil découpé par la faible lumière. Depuis quelques minutes, la pluie s'était mise à battre la fenêtre et à couvrir le bruit de nos respirations laborieuses.

-Et toi ?

-Honnêtement ? articula Simon, le regard rivé au plafond.

J'acquiesçai en silence, brusquement un peu nerveuse, d'autant qu'une couleur rose était apparue sur les pommettes de Simon. Ses mains croisées sur sa poitrine s'étaient mis à tressauter nerveusement.

-Je n'ai pas trouvé ça ... fondamentalement différent du reste. C'est le même éclair de plaisir. (La couleur sur sa peau s'accentua). Non, la seule chose qui m'a vraiment changée, qui m'a vraiment plu ... C'est de pouvoir te tenir dans mes bras, de t'avoir contre moi. Ça ... c'était bien.

-C'est vrai que c'était bien, convins-je dans un filet de voix. On retentera.

Le sourire de Simon se fit plus serein, d'autant que j'appuyais la proposition en venant de nouveau me blottir contre lui, la tête sur son épaule. Oui, nous retenterions. L'expérience de ce matin m'avait apaisé au-delà des mots. Ce n'était pas mon corps qui était cassée. Mon intimité avec Simon n'avait pas déraillé avec les derniers bouleversements. Non, c'était seulement une question de temps. D'apprendre. De comprendre. J'avais eu la patience nécessaire pour attendre plus d'un an pour cet instant ; m'armer pour découvrir plus me sembla facile comme respirer. Je fermai les yeux, savourant la main de Simon toujours occupée dans mes cheveux, son cœur qui cognait contre ma joue, son souffle qui se répandait sur ma peau. Ses doigts glissèrent jusque ma chaine et effleura les maillons serrés jusqu'aux pendentifs. Il s'écoula encore plusieurs minutes d'absolu silence soulignée par la sérénité du matin pour que Simon finisse par lâcher :

-Je suis vraiment content qu'il les ai ramassé ... ça aurait été bizarre.

-Bizarre ? répétai-je, interloquée.

Le sourire de Simon se teinta d'embarras et il joua nerveusement avec les trois breloques qui pendaient sur mon sternum.

-C'est très idiot ... mais je me suis déjà fait la réflexion que jamais ne te verrais vraiment toute nue. Pas pour de vrai. Tu pouvais enlever chacun de tes vêtements, tout entièrement te dévoiler mais ... jamais sans ce pendentif. C'est comme s'il était incrusté dans ta personne.

Ma main se porta naturellement contre celle de Simon qui caressait toujours successivement le David, la médaille et le colibri. J'effleurai sa peau et les métaux tièdes contre moi de façon indistincte. Il avait raison, en un sens. Ce n'était peut-être qu'une illusion, mais depuis qu'ils avaient retrouvé leur place contre mon cœur j'avais la sensation d'avoir retrouvé l'équilibre.

-Et bien pour quelqu'un que tu jalouses, Noah est arrivé au meilleur moment.

-Très drôle, râla Simon en levant les yeux au ciel. Quelle diva celui-là, il aurait pu me les donner il y a des semaines de ça et il a préféré se garder l'honneur, le rôle de sauveur ... Enfin bref, abrégea-t-il lorsqu'il avisa mon sourire moqueur. On ne va quand même pas tarder à descendre, avant qu'ils ne rangent le petit-déjeuner ...

-Comment ça tu ne m'apportes pas le petit-dej au lit, Simon Sirius Bones ? fis-je mine de m'offusquer. Le chocolat avec le miel, tout ça tout ça !

-Alors qu'on soit clair, quand j'ai dit « occupe-toi de toi », l'injonction s'arrêtait à maintenant. Il est temps de redevenir Sainte-Victoria, guide des âmes perdues.

-Je pensais que tu détestais Sainte-Victoria.

Simon s'esclaffa face à ma moue boudeuse et se pencha sur moi pour presser ses lèvres contre les miennes. Je me laissai entrainer par le baiser, réprimant difficilement le sourire qui tentait de forcer le passage et qui ne s'épanouit que lorsque Simon s'écarta, l'œil brillant d'un éclat espiègle.

-Ce qui s'est passé ce matin ou le chocolat ? me chuchota-t-il avec un sourire en coin.

-Seigneur, ne me mets jamais devant un choix pareil.

Simon s'esclaffa de bon cœur et la ligne de ses épaules sous mes doigts parut définitivement se détendre. Lorsqu'il se détacha pour basculer hors du lit, un petit sourire ourlait toujours ses lèvres et je crus même deviner une pointe de fierté au fond de ses prunelles vertes.

-Au moins je sais à quel niveau c'était !

-Tu t'es hissé au niveau du chocolat dans ma vie, déclarai-je d'un ton faux ton blasé. Félicitations, minus. Un accomplissement. Hé ! (Simon venait d'enfiler un sweat-shirt bleu marine à capuche). Ça c'est mon pull, Bones !

-Et vu qu'il est même trop grand pour moi, je gagerais que c'est le pull d'Alex, évalua-t-il en levant une main couverte d'une manche qui mangeaient les phalanges de ses doigts fins.

-Déclaré mien depuis des années. C'est à moi, tu me le laisses !

-Si tu veux ton chocolat, descends.

-Simon !

Mais la porte n'en claqua pas moins derrière lui et je poussai un grognement de dépit lorsque j'entendis un sifflement emplir joyeusement le couloir. Et en plus il veut me mettre Robin des bois dans la tête. Pourtant l'agacement passa vite et un sourire euphorique ourla mes lèvres une seconde avant que mes pieds ne battent le matelas avec frénésie. Je n'avais pas la moindre envie de sortir du lit, de rompre l'instant, mais il fallait dire qu'il avait moins de charme depuis que Simon avait déserté la pièce ... Le corps toujours engourdi, mais résignée, je basculai mes jambes sur le sol et mes orteils effleurèrent la serviette qui était tombée la veille. Chaque détail sembla appeler à lui un souvenir et je parcourus la chambre tout en m'habillant, rêveuse, retraçant presque le chemin parcouru le soir dernier mais en sens inverse. Même la douche qui avait lavé la panique en moi m'arracha un sourire presque attendri. Je dus tordre mes lèvres plusieurs fois en descendant l'escalier pour l'effacer et me composer une mine présentable en arrivant dans la pièce de vie. La pluie faisait un fracas assourdissant contre la verrière de la véranda, si bien que j'entendais à peine la conversation d'Eugenia et Miles attablés devant une omelette déjà à moitié engloutie qu'ils se partageaient à même la poêle. Un sourire sardonique s'étira sur les lèvres de la jeune fille.

-Et voilà la deuxième ! Désolée, on ne vous a pas attendu pour manger, vous aviez l'air ... occupés.

Eugenia gloussa compulsivement, fière de son allusion pendant que mes joues se coloraient de rouge. Impassible, Miles lui jeta une œillade de travers.

-C'est bon, tu l'as faite, on peut passer à autre chose ?

-Juste la prochaine fois, pensez à un sortilège d'insonorisation ...

-Vous y avez pensé, vous ? attaquai-je.

J'espérai que mes sourcils dressés feraient diversion de la teinte écarlate que devait avoir pris mes joues, mais plus que cela ce fut la flèche lâchée qui atteint sa cible avec une précision chirurgicale. Miles s'étrangla dans son morceau d'omelette et Eugenia cessa nette de rire, un regard écarquillé planté sur moi.

-Que ... comment ... ?

-J'ai vu Miles sortir de ta chambre il y a quelques jours. Et vu la coiffure qu'il avait, ce n'était pas une visite de courtoisie.

Ce fut absolument jouissif de voir l'embarras changer de camp, leurs visages s'empourprer tandis que le sang refluait du mien et qu'un sourire satisfait retroussait mes lèvres. Je poussai même le vice à planter un poing sur ma hanche, attendant les explications avec une certaine délectation. La pomme d'Adam de Miles joua sur sa gorge avant qu'il n'articule :

-Ce n'est arrivé qu'une fois ...

-On est chevillé l'un à l'autre depuis le mois de janvier, ajouta Eugenia, mortifiée. Depuis qu'on prépare ton évasion. Ça devait forcément arriver.

-Surtout qu'il ose faire du sport sous ton nez, ironisai-je avec un sourire moqueur.

Le visage d'Eugenia vira à l'écarlate et elle fixa le sol comme pour s'imaginer rentrer sous terre. Après quelques secondes de choc, Miles reprit de l'aplomb et pointa un doigt sur moi.

-Ecoute. Des choses arrivent entre nous en ce moment et vu le climat et la promiscuité de ces derniers temps, c'est bien normal. Alors on va peut-être tenter de se la jouer adulte et ne pas... je ne sais pas, s'appesantir sur les détails ?

-Voilà, couina Eugenia. C'est ça. Jouer adulte.

Miles comme moi lui jetèrent un regard peu amène, compte tenu du fait que c'était elle qui avait ouvert les hostilités, avant de nous toiser réciproquement. Je pensais que c'était un peu une règle universelle entre ex-petits-amis de ne surtout pas détailler ses aventures amoureuses, aussi acceptai-je gracieusement et filai vers la cuisine. Seulement là, à l'abri, je m'autorisai à pousser un gémissement mortifié auquel répondit laconiquement Simon :

-C'est bon, c'est fini ?

-Sortilège la prochaine fois. Beaucoup.

Simon esquissa un petit sourire, les joues rosies par l'embarras. Il acheva de préparer son café et les arômes amères infestèrent la pièce à m'en faire froncer le nez. Avant qu'elles ne contaminent sa personne, je m'approchai et me hissai sur la pointe des pieds pour picorer un baiser sur ses lèvres.

-Au fait, tu es toujours jaloux de Noah ? le taquinai-je dans un murmure. Ou c'est bon, on peut acter qu'on est passé dans une autre dimension ?

-Je m'apprêtai à être charitable et te faire ton chocolat ... pour la peine, débrouille-toi toute seule.

Simon fit taire mes protestations en m'embrassa brièvement avant de me quitter avec un sourire espiègle, sa tasse fumante dans sa main. A moitié fulminante, à moitié toujours extatique, je fis chauffer le lait de la pointe de la baguette de laurier et me mis en quête de la poudre de chocolat. J'étais en train d'ajouter une bonne dose de miel lorsqu'Eugenia entra dans la cuisine, le visage toujours d'une couleur rose soutenu. Bella la Fléreur la suivait à la trace et je compris pourquoi lorsque d'Eugenia fit apparaître dans une coupelle un mélange de viande et de céréale sur laquelle la créature se jeta littéralement.

-Désolée pour la remarque, s'excusa-t-elle entre ses dents. Ce n'était même pas méchant, au contraire ça m'a fait sourire lorsque j'ai traversé le couloir et que ... enfin bref.

Elle noya son embarras dans sa tasse de thé qu'elle tenait à la main et dont la buée floutait les traits de son visage. J'eus un sourire moitié penaud, moitié amusé.

-On va dire qu'on s'est entre-grillées ...

-Ce n'était vraiment qu'une fois, insista Eugenia, le regard perdu au loin. J'aime beaucoup Miles, c'est un garçon avec des qualités épatantes mais ... Ce n'est pas ce dont j'ai besoin.

Je la dévisageai, un peu perplexe de son ton catégorique et de son mortel sérieux. Elle s'accroupit pour caresser Bella dont la tête était toujours plongée dans la coupelle.

-J'ai besoin d'un aventurier, d'une personne capable de me suivre dans mon rythme. Quand cette guerre sera finie, je vais prendre mon chapeau, ma valise et parcourir le monde. Or, Miles il a dû puiser en lui pour se retrouver des airs d'aventurier et venir te sauver. Mais au fond, c'est un peu un casanier ...

-Alors si ce que tu cherches, pourquoi ... ?

Je ne savais réellement comment finir ma phrase et en y songeant, je venais de mettre le doigt sur la raison qui m'avait poussé à me taire pendant plusieurs jours. Oui, quelque part je n'avais pas vraiment compris la scène que j'avais brièvement entraperçue et ce qu'elle laissait supposer. Encore moins à la lumière de ce que je savais de Miles et d'Emily ... des frémissements, quelque chose de naissant ... alors pourquoi se retrouver dans la chambre d'Eugenia ... ? Je n'avais pas la moindre envie de juger les deux personnes qui m'avait sauvé la vie et pourtant, cela me tenaillait. Eugenia m'adressa un pauvre sourire.

-Je te l'ai dit, c'était inévitable. On est enfermés, étouffés, à fleur de peau. Emotifs, vulnérables. La solitude me pesait, il avait besoin de chaleur. Il n'y a pas forcément d'autres explications à avoir ... Je comprends que quand on est dans une belle relation comme la tienne, c'est quelque chose de difficile à appréhender. Mais il n'y a pas que l'amour qui engendre l'intimité. L'envie, le désir, la volonté de combler un manque ...

-Je sais que des gens n'ont pas besoin d'aimer pour coucher, la coupai-je, un peu agacée d'être prise pour une enfant sur ces questions. Que ça peut parfaitement se faire dans d'autres cadres ... Simplement ... je ne pensais pas que c'était le cas de Miles, c'est tout.

-Je ne pensais pas que c'était mon cas non plus, avoua Eugenia avec un haussement d'épaule. Normalement. Mais qu'est-ce qui est normal, en ce moment ? Tu penses que dans la normalité, Miles aurait tenté un acte aussi téméraire que te sauver ? Ce climat, ça brouille totalement nos limites, dans tous les sens du terme ...

Le sourire qui s'étira sur ses lèvres alluma une lueur malicieuse dans son regard.

-C'est pour ton amie Emily que ça te gêne ? Si ça peut te rassurer, Miles aussi. Quand il a su qu'elle venait, il m'a fait promettre trois fois de ne pas laisser échapper qu'on avait couché ensemble ...

-Donc je ne me fais pas des idées, il y a quelque chose, conclus-je, mortifiée.

Et Miles avait eu raison de prendre ses précautions. Emily était une femme fière et même orgueilleuse, qui avait toujours au fond d'elle la blessure d'avoir été un peu baladée par Roger au début de leur relation. Eugenia prit le temps de goûter une gorgée de thé avant de répondre :

-Rien de concret, je crois. De ce que j'ai compris ils commençaient tout juste à flirter lorsque Miles a dû disparaître ... en soit ce n'est pas comme s'il l'avait trahie. C'est juste ... une situation affreusement compliquée. Même moi, je me suis sentie ... pas mal chamboulée. Il fallait au moins ça ...

Sa voix se réduisit à un souffle à peine audible et elle se perdit dans la contemplation de Bella qui se léchait à présent les pates dans l'espoir qu'un morceau de viande se serait coincé entre ses coussinets.

-Pourtant tu as l'air ... toujours tellement détachée, fis-je remarquer avec douceur.

-Je le suis. En fait mon esprit vogue tellement partout qu'il a du mal à s'attarder sur les choses, sur les gens. C'est pour ça que Ste-Mangouste était insupportable. Trop de chose, trop d'effervescence et pourtant on te demande un tel investissement pour chaque cas ... (Ses épaules s'affaissèrent de façon presque honteuse). Et pourtant, je cherche le grand amour, ce n'est pas paradoxal ? C'est vrai, je suis une éperdue romantique. Je l'ai trouvé un temps avec un garçon de mon année, on est resté toute la fin de Poudlard ensemble ... ça reste l'une des périodes les plus heureuses de ma vie. Et puis il y a eu cet infirmier de l'hôpital ... et je sais, enfin j'espère qu'un jour, il y aura quelqu'un d'autre ... de la même manière que tu as Simon.

Elle s'interrompit brusquement et me toisa, l'air un peu troublée.

-Julian et Noah, lâcha-t-elle finalement après quelques secondes. Ça fait ... longtemps qu'ils vivent comme un couple ?

-Ils ne vivent pas comme, rétorquai-je, un peu déconcertée. Ils sont un couple. Depuis dix-sept ans ...

-Dix-sept ans, répéta Eugenia, impressionnée. Eh bien. Je ne pensais pas ... que c'était possible. De pouvoir vivre comme ça.

Elle ne paraissait pas juger. Juste évaluer, songer, avec une profondeur dans son regard bleus et limpide qui laissait entrapercevoir pensées et calculs. A mes yeux, Eugenia était l'esprit même de Serdaigle. Octavia était entachée d'un côté Serpentard qui se couplait à sa détermination et son ambition personnelle, mais Eugenia ? Eugenia tout était fait pour l'esprit. La réflexion, la curiosité sans faille, cette façon de toujours garder l'ouverture nécessaire pour appréhender toute chose. Y compris les comportements inhabituels, comme l'homosexualité ouverte de Julian et Noah. Sa mine presque mélancolique me mit presque mal à l'aise. Y-avait-il autre chose derrière sa brusque question ? De plus profond, de plus intime que la simple curiosité intellectuelle ? Une soif réponse qu'elle n'avait jamais osé assouvir ? Mais avant que je songe réellement à l'interroger, elle reposa sa tasse de thé et se munit de sa baguette qu'elle avait posée à côté des fourneaux.

-Bon, je vais faire un tour dehors. Je reviens tout de suite !

-Mais il pleut ! protestai-je alors qu'elle se dirigeait vers la véranda. Qu'est-ce que tu vas faire ?

Eugenia fit volte-face et sa tresse blonde fouetta l'air avant de balayer son épaule. Un sourire insouciant fendait son visage et l'éclaircissait de la plus belle des manières.

-Chercher du muguet. On est le 1er mai.

***

Le bouquet de muguet entêtait sur la table, ses minuscules clochettes ployant encore sous les gouttes de pluie. Elle n'avait d'ailleurs pas cessé et tambourinait toujours la véranda dans un fracas assourdissant. Les cheveux d'Eugenia restèrent humides tous le long de la journée car visiblement, elle ne s'était pas embarrassée d'un parapluie ou d'un sort d'imperméabilité pour aller cueillir le muguet. Elle avait même glissé un brin dans sa tresse et le humai à intervalles réguliers. J'étais restée sur le canapé, à observer le déluge dehors. Le printemps venait totalement de basculer. La nuit était tombée et le dîner rangé lorsque Simon défia de nouveau Miles aux échecs et qu'au fracas des gouttes se joignit celui des pièces qui se brisaient.

-Si je sors d'ici sans avoir réussi à te battre, je considérerai que c'est un échec, grogna Simon lorsque le fou de Miles décapita son cavalier. Pion en E4.

-Tu n'as pas de grandes ambitions. Tour en F6.

-Même moi je suis plus ambitieuse que Simon, observai-je en tournant une page. Rien de nouveau sous le soleil ...

-Il en serait autrement si je m'étais occupée de lui ! intervint Charis de l'autre côté de la porte.

Simon se redressa pour jeter au mur qui le séparait de sa grand-mère un regard acide, un cri de protestation ou une menace au bord des lèvres. Simplement, elle n'eut pas le temps de s'épanouir : avant même qu'il ne puisse ouvrir la bouche, il fut coupé par de virulents coups portés à la porte d'entrée qui couvrait même le fracas de la pluie. Notre réaction fut immédiate : quatre baguettes apparurent dans nos mains et l'instant d'après nous étions tous debout, en alerte. La maison était certes sous Fidelitas et Simon en était le gardien du secret, mais après tout ce que nous avions vécu un simple bruit venait de l'extérieur pouvait nous mettre en émois. Simon et Eugenia filèrent dans l'entrée, devancés par leurs baguettes et à peine la porte ouverte j'entendis une voix féminine s'égosiller :

-Je suis Nymphadora Tonks, mariée à Remus Lupin loup-garou de son état et mère de Teddy, que tu as porté dans tes bras avec un air béat dans cette exacte maison alors que ses cheveux venaient de passer au brun !

-L'air béat, tu n'étais obligée, maugréa Simon.

La description fut néanmoins assez exacte pour qu'il la laisse entrer et Tonks émergea avant eux dans la pièce de vue, vêtue d'une cape trempée jusque la corde dont elle arracha la capuche. Des gouttes giclèrent jusque Bella qui s'enfuit en feulant devant l'assaut. La défection ne fit ni chaud, ni froid à la jeune femme. Elle rejeta ses cheveux devenus d'un rose chewing-gum derrière son épaule et son regard sombre balaya la pièce. Sa posture affolée me crispa d'emblée.

-On vous a prévenu ? s'enquit-t-elle immédiatement, de manière abrupte. Vous savez ce qui se passe ?

-Euh ... non, répondit simplement Miles.

-Non ?!

Elle nous dévisagea, incrédule. Elle était pourtant incapable de tenir en place et parcourut la pièce de long en large, les mains agités par des mouvements compulsifs.

-Vraiment ? Je pensais que les jumeaux ... quelqu'un ... Merlin, ils ont dû transplaner directement ... Oh la la, je pensais que vous saviez ...

-Tonks, l'arrêta Simon, blême. Qu'est-ce qui ce qui se passe ?

Tonks daigna enfin s'immobiliser et accorder un long regard à Simon. Son expression était le déchirement même et ses cheveux le prouvèrent en se rayant d'une couleur rouge qui n'était pas sans rappeler celle du sang.

-Vous-Savez-Qui ... il attaque Poudlard ...

Un silence assourdissant s'abattit sur la pièce. Cette fois, chaque goutte de pluie parurent être des bombes qui explosaient à nos oreilles tels les mots de Tonks, oiseaux de mauvais augures qui ne pouvaient qu'annoncer un désastre. Miles fut le premier à réagir en plaquant ses deux mains sur sa bouche. Une expression horrifiée déchirait ses traits.

-Non ... Non, ce n'est pas possible ...

-Pourquoi ? enchérit Simon, affolé. Enfin c'est l'un de leurs batillons, Poudlard, c'est Rogue à sa tête ! Rogue, celui qui a tué Dumbledore, pourquoi il irait ... ?

-Harry.

Toutes les têtes se tournèrent vers moi, mais moi, même les yeux grands ouverts, écarquillés par l'épouvante, je ne voyais que Nestor, Nestor et sa face brûlée, Nestor et cet air glacial et déterminé. On a chacun notre Némésis, susurrait-il d'une voix trouble, lointaine. Cette personne qui reste au fond de nous comme un poison et dont il faut nous expurger. Notre ultime quête, notre combat le plus terrible avant réellement s'appartenir totalement. Le Seigneur des Ténèbres a Potter ... et moi j'ai Victoria Bennett. Un frisson glacé me traversa l'échine.

-Fred disait qu'il était à l'étranger ... il n'y a que pour lui qu'il a pu revenir ... Que pour ça ...

Les regards glissèrent de moi à Tonks, dans l'attende d'une réponse. Les yeux sombres de la jeune femme ne paraissaient pas assez grands pour refléter toutes les émotions qui la traversaient. Son grave hochement de tête fut comme un couperet sur nos nuques.

-Vous n'avez pas écouté Potterveille cet après-midi ? Gringrotts a été cambriolé, on soupçonne que ce soit Harry ... Ne me demandez pas ce qui s'est réellement passé ... Tout ce que je sais, c'est qu'Arthur Weasley a déboulé chez ma mère pour annoncer que maintenant, Harry était à Poudlard, que les Mangemorts attaquaient l'école et que McGonagall avait décidé de les affronter. Tous les Mangemorts, Tu-Sais-Qui à leur tête.

Je me laissai retomber sur le canapé, proprement sonnée. Ce n'était pas un avertissement, pas une escarmouche. C'était une attaque d'ampleur. L'ensemble des forces de Voldemort, y compris sa propre et précieuse personne qui était demeuré un serpent de fumée durant la guerre, contre une école ... une école ... Cela me semblait disproportionné, impossible, de l'ordre du fantasme plus que de la réalité. Pourtant, les mains de Tonks s'étaient mises à trembler.

-Remus est parti avec lui. Tout l'Ordre, ils sont partis il y a une heure déjà ... je ne voulais pas attendre seule ...

-Simon !

Simon venait brusquement de se ruer sur l'entrée, et si mon cri ne l'arrêta pas, Miles le fit en l'agrippant vertement par le bras avant qu'il n'atteigne la porte. Simon fit vertement volte-face, la main serrée sur la baguette, une lueur agressive dans le regard qui me fit craindre qu'il ne jette un maléfice à Miles en plein visage. J'avais un sortilège de désarmement au bord des lèvres, mais il se contenta de cracher :

-Arrête, tu vas me faire croire que tu n'y as pas pensé non plus ! Tes sœurs sont là-bas, celle d'Eugenia aussi ! Vous voulez vraiment rester ici et attendre qu'on apprenne par la radio que ces enfoirés ont pris l'école et qu'elles font parties des victimes ?!

-Non, assura Eugenia, livide. Non, non, ça ne peut pas arriver ...

Je refermai mon poing au creux de ma gorge où venait d'apparaître une boule chauffée à blanc. La vision d'une Susan, une Susan encore jeune avec ses tresses rousses, se battant contre une silhouette pourvue de la même force destructrice que Nestor, me donna la nausée.

-Non, lâchai-je d'une voix rauque. Non, tu as raison... On ne peut pas ...

Les yeux de Simon se vrillèrent sur moi et la lueur dans son regard bascula de la révolte à l'angoisse pure et dure. Ce n'était pas que Susan qui l'alimentait ainsi ... C'étaient des fantômes. Des fantômes qu'ils n'avaient pas pu sauver, entravé et impuissant dans un placard. Pourtant, alors qu'il me contemplait comme un spectre, sa détermination sembla se fendiller. Le visage décomposé, il traversa la pièce et prit mon visage en coupe, comme si nous étions seuls, comme si la réalité s'était délitée à ses yeux. Il n'avait littéralement d'yeux que pour moi et son regard me coulait sur place.

-Vicky, souffla-t-il, comme possédé. Vicky, toi tu dois rester ici...

Susan était en danger, Susan ainsi qu'une école pleine d'adolescents, d'enfant même, des jeunes de onze ans qui venaient de découvrir la magie de la pire des manières. Remus, les Weasley, Harry Potter et son fol espoir en personne. Et pourtant ce fut à l'instant que la panique me transperça comme une lame brûlante. J'agrippai les poignets de Simon, si fort que mes ongles s'enfoncèrent dans sa peau. Même la douleur ne troubla pas l'intensité de son regard.

-Ne me demande pas ça, articulai-je rageusement. Ne me demande pas ça, Simon Bones. Ne me demande pas de te regarder partir. Ne me mets pas dans un placard.

-Vicky ..., s'étrangla-t-il, effaré.

-Je te suivrais, de toute manière. Je ne vois rien qui pourrais m'en empêcher ... On y va ensemble, ou on n'y va pas du tout. C'est à prendre ou à laisser.

Et ce serait à prendre. Il fallait que ce soit à prendre, parce qu'il était hors de question que j'abandonne Susan à son sort. Il était hors de question que l'Ordre dans son entièreté batte des ailes d'un même ensemble pour porter le phénix à la bataille en me laissant en arrière. L'idée même m'arrachait le cœur. Susie, ma petite Susie, pourquoi tu as pris le train ... ? Je pressai mon front contre celui de Simon, le souffle court.

-Souviens-toi de ce qu'a dit Dumbledore, ajoutai-je d'une voix rauque. « Si, un jour, vous avez à choisir entre le bien et la facilité, souvenez-vous de ce qui est arrivé à un garçon qui était bon, fraternel et courageux simplement parce qu'il a croisé le chemin de Lord Voldemort ... »

-Victoria ! s'étouffa Eugenia, terrifiée.

Mais peu importait. Tous les Mangemorts étaient à Poudlard, le Ministère était vidé du gros de son poison. Qu'ils viennent. Moi je serais au cœur battant de la guerre. J'enfonçai mon regard dans celui de Simon.

-« Souvenez-vous de Cédric Diggory », achevai-je dans un souffle qui s'abattit sur ses lèvres. Et on n'a jamais choisi la facilité, Simon. Jamais. Ni toi, ni moi.

Simon se perdit dans mes yeux, se rattacha à mon regard de façon presque désespérée. Je le sentais presque trembler contre moi, trembler à l'idée que la vie lui arrache de nouveau quelqu'un comme elle lui avait arraché Cédric, comme elle lui avait tout arraché à l'âge de trois ans. Et pourtant elle était là, la flamme au fond de ses prunelles, celle qui s'était embrasée lorsqu'il avait voulu se ruer à Poudlard sans réfléchir. Elle était là, toujours intense et emplit son être à mesure que les secondes s'égrainaient. Sa voix avait gagné en profondeur lorsqu'il déclara :

-Dieu pour Cédric, Angleterre et Albus Dumbledore.

Un mélange de soulagement et de ferveur se diffusa dans mon être et je hochai la tête contre la sienne. Lorsque nous nous écartâmes enfin l'un de l'autre, je découvris qu'entre temps, la pièce s'était animée. Eugenia laçait ses chaussures de randonnées sur ses chevilles et Miles discutait avec une Tonks encore plus agitée qu'à son arrivée :

-... elle a prononcé le Tabou et ils ne sont pas venus ... Oh par le caleçon de Merlin, c'est grave, c'est très grave ... C'est comme si l'univers s'était arrêté pour planter son œil sur Poudlard !

-C'est pour ça que je dois y aller, rétorqua Miles avec détermination. Je dois sortir mes sœurs de là avant qu'elles ne soient prises dans le cyclone ! McGonagall est inconsciente de livrer bataille avec des centaines d'élèves à l'intérieur !

-Tonks, intervins-je en lâchant Simon pour me précipiter vers elle. Arthur, il a dit quoi à Remus ? Comment on fait pour entrer à Poudlard ?

Parce qu'on ne pouvait pas simplement passer par le portail d'un château en état de siège, non ... L'énormité de notre décision pesait de tout son poids sur ma poitrine, écrasant un cœur qui cognait pour l'éjecter, radicalement, brutalement. Voldemort et ses Mangemorts attaquent Poudlard. Tout venait de basculer. On n'attaquait pas Poudlard, jamais. C'était la lumière de chaque sorcier de cette terre. Tonks nous scruta tous les quatre, totalement dépassée. Elle s'était attendue à trouver du soutien, des mains à tenir pour ronger son frein et passer ses angoisses pendant que le père de son enfant risquait sa vie. Lentement, l'affolement quitta son visage pour se muer en une sorte de détermination sauvage. Le rose disparut totalement pour ne laisser que le sang dans ses cheveux.

-La Tête de Sanglier. Je vais vous montrer. 

***

Et oui. 

On y va tout droit. 

Je mets ainsi fin à un secret de polichinelle : la bataille de Poudlard arrive aussi pour Victoria. 

ça me fait tout drôle de vous livrer ce chapitre, parce que c'est vraiment celui-ci qui nous a fait réaliser à Anna' et moi que c'était la fin. Dans les HP, il n'y a rien après la Bataille, c'est l'ultime affrontement. Là aussi, en un sens ... C'est vraiment le début de la fin. 

Bon à part ça, j'espère que le chapitre vous a plu ! 

Pour la première fois de Vic et Simon, j'ai voulu jouer sur un autre volée que la passion (que j'ai déjà faite aux fiançailles d'Octavia) ou la découverte (chez Julian), vraiment une idée plus réaliste, plus tranquille. Certes je veux désacraliser cette étape de la première fois, pour autant, elle signifie quelque chose pour Simon et Victoria, et c'est loin d'être un acte à banaliser puisqu'il demande une préparation physique et mentale accrue. Il faut juste dédramatiser je dirais ! 

VOILA donc j'espère que vous avez bien profité de ces derniers chapitres tout en douceur et en candeur, que vous avez fait le plein de bonnes vibes et de positivité parce que ... la suite arrive. Et elle ne va pas être simple. Bon courage à vous et on se retrouve la semaine prochaine pour le branle-bas de combat. 

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