IV - Chapitre 24 : Pleurer pour mieux sourire
Je vous l'avais promis.
Je vous avais promis que quand je finirais, vous auriez le droit à un craquage.
Et voilà. J'ai fini la partie 4 hier. Plus que les épilogues ... Bilan final : 40 chapitres, 582 pages et presque 300 000 mots, écrites en moins d'un an. ça a clairement été la meilleure partie à écrire, je me suis éclatée sur chaque phrase, jusque la fin. Comme me l'a dit Clem, c'est que le timing était excellent : je ne suis pas usée, je n'en avais pas marre, je suis juste hyper fière du travail accompli ! Bon triste certes parce que cette histoire fait partie de moi depuis plus de quatre ans, mais vraiment il y avait un grand sourire à travers les larmes.
BON et du coup j'inaugure ainsi le nouveau rythme d'un chapitre par semaine par les fameux craquages ! Je m'épancherai surtout à la fin quand j'aurais fini de poster, parce que là ce sera la vraie fin : tant que vous êtes là, l'histoire vit et c'est le principal !
Eh bien sachez que vous m'impressionnez ! Je m'attendais pas ce qu'autant d'entre vous reconnaissent Eugenia ! (pour celles.eux qui n'ont pas lu LFDO, elle est évoquée mais vraiment c'est un clin d'œil, ça n'entrave en rien votre compréhension !). Bon, c'est 100% de la faute d'Anna, elle a sous-estimé votre mémoire !
Et surtout je vous remercie pour votre remarquable discrétion ...
Et vous avez de la chance c'est, je crois, le seul chapitre à plus de 10 000 mots de cette partie, donc vous avez le droit au chapitre le plus long pour fêter la fin de la partie 4 ! Bonne lecture les enfants, profitez bien et Keur sur vous !
***
Adieu tristesse,
Bonjour tristesse.
Tu es inscrite dans les lignes du plafond.
Tu es inscrite dans les yeux que j'aime
Tu n'es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.
- Paul Eluard
***
Chapitre 24 : Pleurer pour mieux sourire.
Lorsque je me réveillais, j'eus la sensation d'être la Belle aux bois dormants émergeant d'une éternité de sommeil.
Et ce n'était pas un prince charmant qui m'accueillait, mais un lit douillet aux odeurs de jasmins, des tapisseries représentant des oursons aux doux sourires et un verre d'eau que je vidai d'un trait, assoiffé. Mon estomac commençait lui aussi à crier famine, si fort que j'étais certaine que c'était lui qui m'avait tiré du sommeil. Il fallait dire que je n'avais que du pain et du bouillon dans le ventre. Eugenia avait vertement refusé de me donner plus, malgré les protestations des jumeaux qui hurlaient qu'après mon emprisonnement, j'avais le droit au faste.
Mon emprisonnement.
Assise sur le lit, mon verre vide entre les mains, je relâchai lentement mon souffle pour vider mes alvéoles de la moindre goutte d'air. C'était mon troisième réveil en dehors des geôles du Ministère et cette fois je n'avais aucune difficulté à me souvenir que j'étais sortie de l'enfer. Mes premiers souvenirs restaient les explications de Miles, les cris des jumeaux Weasley et les immenses sourires d'Angelina. C'était sa maison, avais-je appris distraitement, une fois revenue au chaud. Ses parents, mère née-moldu et père sang-mêlé, avaient quitté le pays au moment de la chute du Ministère, la laissant seule dans cette grande maison. Comme moi, et malgré un « statut du sang » plus que tangent, elle avait refusé de fuir et immédiatement mis cette grande demeure du nord du pays au service des jumeaux Weasley. C'était d'ici que Lee Jordan émettait Potterveille, avais-je compris en remarquant que la salle à manger avait été arrangé en studio d'enregistrement. C'était devenu l'un des hauts-lieux de la résistance ...
L'idée me remplissait autant d'exaltation que de crainte. En comprenant cela, la mine de Miles s'était assombrie et il avait verbalisé ma peur secrète : que d'ici peu, les Mangemorts débarquent et me renvoient dans les geôles à la merci de Nestor. Mais d'après Lee, ils étaient loin de s'approcher de cette maison. Jusque-là, elle passait totalement sous leurs radars.
-Noah aussi se pensait à l'abri, me rappelai-je à voix haute. Le Perroquet Noir ... Merlin ... heureusement qu'il est passé entre les gouttes ...
C'était Fred qui me l'avait assuré. Après ma disparition, l'activité du dessinateur phare de la résistance s'était drastiquement réduite, pour ne se réduire qu'à la réplique d'imitateurs. Quant à la Voix du Chaudron, elle avait purement et simplement disparue de la circulation, renforçant le rôle de Potterveille. J'avais fini par couper les ailes du Perroquet Noir ... et j'ignorais si cela me soulageait, ou me mortifiait.
-Bon, au moins Julian est content, conclus-je en me relevant. Oh la la, mes jambes ...
Je passai une main sur mes cuisses encore chancelante, recouverte d'un pyjama trois fois trop long emprunté à Angelina. Ça avait été un véritable bonheur de pouvoir prendre une douche, lavé mes longs cheveux rendus crasseux par la détention, enfiler des vêtements propres même s'ils ne m'appartenaient pas. Eugenia avait soigné ma cheville tordue, mais c'était là le seul sévisse corporel et j'en étais responsable. Entre ses mains, j'avais eu la sensation d'être une créature timide et craintive dont elle pouvait prendre soin dans la ferme de ses parents. Ce n'était pas totalement éloigné de la réalité ...
Aussi vive que Bambi sur la glace, je fis quelques pas dans la chambre avant de me retrouver nez à nez avec mon reflet. Il m'avait déjà marqué dans la salle de bain, alors que je sortais nue de la douche avec cette immense masse brune qui tombait sous ma poitrine réduite à néant et les os de mon pelvis qui pointaient atrocement sur mes hanches. Là encore, la peau de mon cou me semblait tirée, celle de mon visage avait fondu sur mes pommettes saillantes. Si l'enfermement chez Julian et Noah m'avait remplie, celui-ci m'avait dépecée.
De nouveau, je pris une profonde et tremblante inspiration. D'un geste fébrile, je relevai mon tee-shirt pour constater les dégâts sur mon buste. Dire que j'avais un jour été fière d'être enfin capable de remplir mon soutien-gorge ... mais au moins, mes côtes ne ressortaient pas tels des touches de xylophone. C'était réellement ça que j'avais craint, en posant timidement les yeux sur mon corps. De me retrouver à l'état de cadavre ambulant et décharné. Dans le même état que Jaga avait dû sortir d'Auschwitz ... Ce n'était pas à ce point. Mon rythme cardiaque s'apaisa à cette constatation et un souffle soulagé s'échappa de mes lèvres. J'avais toujours été maigre, de toute manière. En sous-poids. Ma condition physique avait toujours fait l'illusion. C'était tout ce qui me manquait, de la condition physique ...
Revigorée par mes persuasions, je trouvais la force de sortir de la petite chambre d'enfant qui servait d'ordinaire aux cousins d'Angelina. Toutes les portes du couloir étaient soigneusement fermées pour économiser le chauffage et l'étage semblait désert. En revanche, de l'animation se dégageait de la cage d'escalier qui me faisait immédiatement face et une bouffée de chaleur qui me fit frissonner lorsque je m'engageai sur les marches. Il débouchait sur un espace intermédiaire qui séparait le salon spacieux et coloré avec un somptueux tapis tissé de motifs tribaux de la salle à manger qui servait de salle d'enregistrement à Lee. Cependant, les deux pièces étaient désertes : les voix venaient de la cuisine un peu plus loin, entrecoupés d'éclats de rire qui m'arrachèrent un impensable sourire. Depuis combien de temps n'avais-je pas entendu un véritable rire ... ?
-... vraiment, restez tant que vous voudrez. Ma maison, c'est officiellement un asile, j'ai déjà hébergé quelques fois des nés-moldus en fuite, c'est pratique, on a plein de chambre ... Mon père a quatre frères et sœurs, il faut bien accueuillir les cousins quand ils passent !
-On ne t'embêtera pas longtemps, promis. Juste être certain que Victoria va bien ... et entre les mains de Simon Bones. Enfin, c'est le contrat que je me suis fixé.
-Victoria qui passe de Bletchley à Bones, c'est l'histoire de sa vie ...
J'entrai dans la pièce au meilleur moment pour voir Miles faire un doigt d'honneur à Angelina Johnson, sous les éclats de rire d'Eugenia. Celle-ci était assise sur le plan de travail, les jambes lancées dans le vide alors que Miles et Angelina semblaient aux fourneaux. Elle fut la première à me remarquer en jetant un coup d'œil derrière son épaule après avoir tiré la langue à Miles. Un immense sourire dévoila ses dents blanches qui tranchaient avec sa peau sombre.
-Hé, le réveil d'une étoile !
-Ça va Victoria ? s'enquit Eugenia. Bien dormi ?
-Comme un loir, assurai-je avec un timide sourire. Ça sent bon ...
La remarque fit pouffer Angelina. La jeune fille leva triomphalement sa cuillère pleine d'une sauce rouge et odorante.
-Riz jollof à la nigériane, recette maternelle ! Pour éveiller vos papilles, pauvres anglo-anglais.
-Ma mère a des origines jamaïcaines, ça compte ? protesta Miles.
-C'est bien pour ça que je te laisse m'assister, prétendit Angelina avec hauteur. Malgré le fait que la dernière fois qu'on s'est parlé toi et moi, c'est parce que tu as jeté un maléfice à ma meilleure amie.
-Tu as fait ça ? s'indigna Eugenia, les yeux écarquillés.
Oh que oui, me souvins-je, un peu embarrassée. Un sortilège de Cheveux-Dru qui avait fait pousser les sourcils d'Alicia Spinnett jusqu'à en être aveuglée. Le cri qu'Angelina avait poussé dans la Grande Salle se répercutait encore dans ma boite crânienne. Miles se frotta la nuque, les joues colorées d'une délicate teinte rosée.
-Oui bon ... on est tous un peu stupide à dix-sept ans. Et certains ne cessent jamais réellement d'être stupide ... comme les jumeaux, ajouta-t-il en étouffant les mots dans son poing.
-Je ne les ai pas vu s'excuser à genoux, fis-je remarquer en prenant place sur la table de la cuisine.
-Excuses oui, du bout des lèvres et pas à genoux, résuma Eugenia, le nez froncé. Ils sont à leur boutique là, de toute manière.
-Ils y travaillent encore ?
Angelina remua le riz en acquiesçant joyeusement. Ses tresses dont la pointe était écarlates étaient relevées en un chignon sur sa tête et elle portait un pull en maille épaisse verte sur un jogging. Malgré la négligence de la tenue je lui trouvais une grâce et une énergie folle.
-Oh que oui, tant qu'ils peuvent encore, ils engrangent. Bon, certains n'osent plus trop se rendre à leur boutique depuis qu'elle a été fracassée, mais ils développent leur vente par correspondance, comme du temps de Poudlard. Ils ont participé à la mise en place de Potterveille, mais c'est surtout Lee qui l'anime. Eux n'interviennent jamais, pour l'instant ils protègent leurs voix – même si ça les démange. Mais tant que les Mangemorts n'ont pas de motifs officiels pour s'en prendre à eux, ils maintiennent l'illusion.
Je la contemplai longuement, elle et son air aussi concentré si familier, comme chaque fois qu'elle était entrée dans un terrain de Quidditch. Miles devait avoir certainement la même impression car chacun de ses gestes occasionnaient un mouvement de recul de sa part, comme s'il craignait un coup.
-Tu as aidé des Nés-Moldus à s'enfuir ? m'enquis-je d'une petite voix.
Angelina me jeta un petit regard par-dessus son épaule avant de s'intéresser de nouveau à son mélange qui mijotait. Ses lèvres s'étaient pincées.
-Euh ... quelques-uns, oui. Disons qu'on est l'un des lieux sûrs de l'Ordre, de transition si on veut. Mais vous, vous pouvez rester, évidemment. (Elle planta son coude dans les côtes de Miles). Même toi, espèce de Serpentard. Et ta copine.
-Je ne suis pas sa copine, je suis son amie, rectifia tranquillement Eugenia. Et sa sauveuse. Sans moi, il n'aurait pas pu mettre son plan en route.
Miles lui concéda silencieusement ce point mais prit soin de tourner le dos à Angelina pour couper les légumes, comme pour parer d'autres questionnements et d'autres moqueries. Ses gestes vifs et précis me firent écarquiller les yeux.
-Mais pourquoi ? interrogea Angelina, l'air curieux. Je veux dire, tu as pris tellement de risque en descendant là-dessus, c'est hyper altruiste ...
Une pointe de méfiance dans son ton semblait douter du désintéressement total de l'action et je lui fus reconnaissante de poser une question qui me tenaillait encore. Eugenia haussa les sourcils devant le silence attentiste qui avait empli la pièce. Sa voix s'était nettement refroidie lorsqu'elle répondit :
-On n'est pas si différente, toi et moi. Tu te servais de ta maison, moi de ma valise pour faire fuir ceux qui en avaient besoin. J'ai failli être médicomage, je vis dans un refuge. Sauver, c'est une seconde nature chez moi. Quand Miles m'a demandé, je n'ai pas hésité.
Elle me décocha un petit regard avant de le river sur ses mains. Si une immense vague de reconnaissance était venue noyer ma poitrine, Angelina paraissait plus prudente sur le discours, au grand agacement de Miles qui lui décocha une œillade exaspérée.
-Je vois un peu, finit-t-elle par soupirer avec lenteur. Tu as raison, on fait la même chose depuis le début de la guerre, toi et moi ... Seulement, moi je sais pourquoi je le fais. Je veux que mes parents puissent revenir ... ça m'a fait quelque chose quand ils sont partis ... ça m'a ouvert les yeux sur le monde dans lequel je vivais.
Elle se tourna derechef vers ses préparations, la tête basse et les épaules contractées. Parfaitement capable d'imaginer ce qu'elle avait pu ressentir en aidant ses parents à fuir, mon cœur se mit à saigner pour Angelina et je papillonnai les yeux pour chasser les larmes. Les dernières nouvelles que j'avais eu de ma famille remontaient à Noël ... A un autre monde. Les larmes me montèrent aux yeux et je détournai le regard vers la fenêtre pour les masquer. La neige avait réduit dans le jardin d'Angelina, laissant apparaître des plaques vertes et brunes qui tapissaient le sol sous le fin manteau blanc. Nous étions dans le nord du pays, quelque part à la frontière entre le Yorkshire et le comté de Durham. Là, les températures glaciales persistaient et l'air rappelait agréablement l'Ecosse qui nous avait tant soudé. C'était cela : je contemplai un paysage que j'aurais pu voir à Poudlard. Un peu apaisée par l'idée, je le fus encore plus lorsque Eugenia posa une tasse fumante devant moi. Les odeurs herbacées me chatouillèrent les narines.
-Une infusion fortifiante ? devinai-je en réprimant une grimace.
-Des vitamines, je te trouve encore un peu pâle. C'est normal, après, ça fait un mois que tu n'as pas vu le soleil ...
-Nous nous plus pour tout te dire, honnêtement il pleut ou il neige depuis Noël, évalua Angelina avec un sourire caustique. Tu étais médicomage donc, Eugenia ? Tu vas nous remettre notre championne sur pied ?
Elle me présenta le poing pour que je toque dedans avec un entrain limité, largement consciente que la détention m'avait fait perdre ce statut de championne. Malgré tout, la bonne humeur et l'énergie d'Angelina me furent communicatives et je me sentis déjà plus forte avant même d'avoir ingurgité la moindre goutte de l'infusion. Eugenia se fendit d'un drôle de sourire.
-Bien écoutez, si je suis autorisée à rester ce sera avec plaisir, ironisa-t-elle avec une petite révérence. J'ai fait deux ans comme apprentie mais avec la spécialité de psychomagie qui reste une branche très nébuleuse et pas du tout exploitée de la médecine magique. J'ai abandonné mais j'ai quelques restes, alors ... autant que ça serve, on va dire.
-Je pense que les jumeaux ont besoin d'un psychomage, marmonna Miles, récoltant le coup de coude d'Angelina. Hé ! C'est vrai ou pas ? Leur peur absurde des Serpentard ...
-Ils t'ont encore dit quelque chose ? me récriai-je.
L'idée m'hérissait totalement et pour la première fois depuis que j'avais ouvert les yeux je me sentis assez forte pour donner une bonne claque au premier jumeau que j'aurais devant moi. Ou un coup de poêle, ça leur rappellerait des souvenirs ... Angelina nous jeta à tous les deux un regard ennuyé.
-Non ... non, ils ont conscience que Miles est l'un des nôtres maintenant ...
-L'un des vôtres, n'exagère rien ...
-Tu as risqué ta vie pour arracher Victoria aux griffes d'Ombrage : j'appelle ça faire acte de résistance, Bletchley. (Elle lui donna un coup de hanche taquin). Je t'en pardonne même d'avoir jeté un maléfice à Alicia. Et pour les jumeaux, va ... Ils ont toujours été de nature méfiante. Comment ne pas l'être avec ce qui se passe ... ? Sincèrement, ils doivent être les membres les plus actifs de l'Ordre ou presque, et ils ont une famille à protéger. Ne leur en veux pas de se laisser aller à quelques clichés douteux ...
Miles poussa un grognement qui poussa Angelina à lever les yeux au ciel. Elle touilla son eau bouillante et tâta le riz blanc sur sa cuillère, le nez froncé.
-Ecoutez, c'est ma maison ici et c'est moi qui pose les règles. Restez tant que vous aurez besoin, vraiment. Vous n'êtes pas obligés de rentrer chez vous tout de suite, faites-vous oublier le temps qu'ils se désintéressent de Victoria. Quelque chose finira bien par arriver qui la fera totalement passer à la trappe.
-Merci, lança Eugenia, radoucie. Je préfère en effet, je ne veux pas apporter la suspicion sur mes parents. Il faut que le refuge continue de tourner. Même si, paradoxalement, le Ministère a fait une série de lois pour sanctifier certaines créatures magiques, vous saviez ? Limiter le marché noir, renforcer les zones protégées ...
-Je sais, j'ai travaillé sur les dossiers, avoua Miles du bout des lèvres. Ils ont décrété une zone d'installation des géants dans les montagnes écossaises ... Mais le but derrière, c'est toujours de dire que ce qui vient de notre monde devrait avoir la priorité. Ils ont entendu la zone de chasse des dragons dans une réserve moldue qui protège faune et flore. C'est toujours une histoire de domination d'un monde sur un autre ...
L'infusion sembla se muer en plomb dans mon estomac et en un éclair je me revis chuter devant Nestor, son ombre me surplomber, m'engloutir tout entière ... Le souvenir me força à me lever d'un bond, comme si un simple mouvement pouvait le chasser. Le raclement de la chaise fit sursauter Miles et je traversai la pièce pour les rejoindre et justifier mon geste soudain, faisant mine de m'intéresser aux plats qui mijotaient tranquillement.
-Ta mère est Nigériane ?
-Ma grand-mère, rectifia Angelina avec un sourire. Et c'était peut-être une sorcière, difficile de savoir, la magie là-bas se pratique sans baguette et faire la différence entre le vaudou et la véritable sorcellerie n'est pas aisé ...
Une ombre de tristesse passa sur son visage et je ne pus m'empêcher de mettre une main compatissante sur son bras. Un drôle de sentiment me grignota le ventre et quelque part, je compris que j'étais un peu soulagée de ne pas être l'unique à souffrir. Angelina me gratifia par ailleurs d'un triste sourire complice.
-Alors on est un peu deux orphelines, dans l'affaire. Fred m'a raconté que tes parents aussi ont dû quitter le pays ...
-Et mes grands-parents, et mon frère et sa copine enceinte ... (Un peu perplexe, je posai une main sur mon propre ventre, creux et vide). J'y pense, mais le bébé doit être pour bientôt ...
Angelina abandonna quelques secondes ses plats du regard pour accrocher le mien, la mine affligée. Elle ne prit pas vraiment la peine de se remobiliser et de se recomposer une mine plus réjouie pour poursuivre :
-Tu sais, je suis super contente de te revoir. Vraiment. Je crois que tu étais l'une des personnes que j'appréciais le plus à Poudlard, en dehors de ma Maison ... je suivais les résultats de l'équipe de réserve des Tornades l'année dernière, tu sais ?
-Vraiment ?
-Je te jure. Je travaillais dans une usine Nimbus et les matchs étaient parfois retransmis à radio-sport du sorcier ... J'attendais trop que tu affrontes Alicia et Oliver au Club des Flequemards, je comptais même venir voir ce match ... c'est dommage qu'ils aient suspendu le championnat avant que ça arrive ...
J'eus un faible souvenir en me souvenait effectivement l'impatience que j'avais eu d'affronter mon ancienne camarade, vite flétrie face aux préoccupations plus urgentes. Loin d'être une déception, l'arrête de la Petite Ligue avait été un véritable soulagement pour moi. J'étais loin de m'imaginer qu'elle avait coupé la seule source d'information d'Angelina à mon égard ... qu'elle ait pensé à moi à travers ce biais.
-Je suis contente de te revoir aussi Angie, répondis-je, sincère. Alors, c'est bien l'usine Nimbus ?
A la façon dont les traits d'Angelina s'affaissèrent, je compris que j'avais posé la mauvaise question. Elle prit le temps de faire tomber quelques épices dans sa viande et d'arracher une cuillère en bois des mains de Miles avant de répondre :
-C'était génial. J'ai adoré l'aspect moitié artisanat, moitié enchantement ... Mais tu sais, la Petite Ligue n'a pas repris, la Ligue ordinaire difficilement et pendant les guerres, les balais ce n'est pas ce qui se vend le plus alors ... C'était déjà compliqué financièrement pour Nimbus l'année dernière, mais c'est pire depuis la chute du Ministère. Bref, mon contrat s'arrêtait en septembre et ils ne l'ont pas renouvelé. Je suis, comme qui dirait, au chômage.
-Oh, lâchai-je, un peu déconcertée. Je suis désolée pour toi ...
-Oh ce n'est rien, éluda-t-elle avec un haussement d'épaule. J'avais de l'argent de côté, mes parents m'ont laissé quelques économies. Je suis loin d'être la plus à plaindre. Le pire qu'il pouvait m'arriver c'est la Commission des Nés-moldus, mais j'ai l'impression d'être passée à travers. Après tous mes deux parents sont allés à Poudlard ... je suis un peu dans l'angle-mort de leurs nouvelles règles.
-Heureusement que tu n'es pas dans les grandes institutions, c'est certainement ce qui t'a sauvé, évalua Miles, l'air perplexe. Parce qu'au Ministère ils ont épluché les arbres généalogiques de tous les employés ...
-Comme Ellie Wilson, enchéris-je à mi-voix.
Miles se figea avant de vriller un regard écarquillé sur moi. Si Ellie ne m'avait rien été, je réalisai brutalement que ce n'était pas son cas. Ils avaient sans doute tout dû partager à Serpentard ... Une pointe de panique vint transpercer son regard.
-Ellie Wilson ? s'étrangla-t-il, incrédule.
-Elle avait avec moi ... là-dessous ... Mais elle est vite sortie, quelqu'un est venu la chercher, m'empressai-je d'ajouter quand Miles posa une main sur sa tempe, effaré. L'écharpe, c'est à elle, elle l'a oubliée ...
-Bon sang, jura Miles, à bout de souffle. Ellie ... c'était peut-être l'unique personne de valeur dans mon dortoir, ça m'aurait embêté de ... de la laisser là-dedans.
Je tentai de sourire pour le rassurer, mais je sus qu'il avait toutes les peines du monde à s'épanouir sur mes lèvres. Parce que si Ellie en était sortie, une autre elle continuait de creuser son enfer au milieu d'une île. Je ne pouvais m'empêcher d'associer son visage à celui de Pénélope ... Trouve quelque chose.
J'ai trouvé quelque chose. Et maintenant je suis dehors ... si j'étais allée à Azkaban, personne n'aurait pu venir me chercher. J'ai bien fait ... j'ai bien fait ...
-Tant mieux pour elle, reprit Angelina, les traits crispés. C'est tellement rare que ça se passe comme ça, c'est presque rassurant de se rappeler que parfois, les gens s'en sortent ... Comme toi, ma championne ! Allez, riz à la nigériane comme toi, je suis sûre que les soupes du Ministère étaient infectes !
-Pas trop de gras, prit la peine de préciser Eugenia, le nez froncé. Quand on reprend d'une période de sous-nutrition, il faut y aller doucement ...
-Mais oui, soupira Angelina avec un geste désinvolte de la main. Ce n'est pas gras, ce ne sont que des épices ... et un peu d'alcool flambé, ça c'est le petit ajout maternel. Attention !
Elle versa le contenu d'une flasque dans la poêle de viande avec un grand geste professionnel qui m'arracha un sourire. Mais je ne saisis la suite que lorsqu'elle l'exécuta : elle saisit sa baguette, et rien que ce mouvement brusque me fit reculer. Cependant, ce ne fut rien comparé à ce qui se passa lorsqu'une étincelle jaillit de la pointe pour mettre feu au contenu de la poêle.
J'entendis à peine le hurlement qui s'échappa de ma gorge à m'en déchirer les cordes vocales. En revanche, je sentis parfaitement la brûlure de la chaleur sur ma peau, longtemps après avoir exécuter un bon de cinq mètres pour m'éloigner des fourneaux et même lorsque Miles referma la main sur l'avant-bras qui me donnait l'impression de fondre après avoir été chauffé par les flammes.
-Oh ! Vic', ce n'est rien, regarde, Angelina contrôle ! Ce n'est que de l'alcool flambé !
Le ton, calme, posé et rationnel, ne suffit pas à me calmer et le simple crépitement des flammes dans la poêle me faisait frémir et faillit m'arracher un gémissement que je réprimai en mordant mon poing. Miles attrapa vertement mon poignet pour suspendre mon geste.
-Vic' ..., souffla-t-il, l'air horrifié. Du calme, arrête ... Regarde, ce n'est rien ...
Il passa sa main avec douceur dans mon dos et tenta de m'inciter à contempler la poêle mais se heurta à un mur. Mes pieds fermement ancrés dans le sol refusèrent de bouger. Fort heureusement, Angelina me cachait la vue des flammes. Elle restait devant les fourneaux, les bras ballants, la cuillère dans une main et sa baguette dans l'autre.
-Je suis désolée, je ne savais pas, bredouilla-t-elle, décontenancée. Qu'est-ce qu'il ... ?
-Ne t'en fais pas, la coupa Eugenia avant de se planter devant moi. Victoria, ce n'est pas un épouvantard ... ce n'est pas là contre toi.
Sa façon de me parler, comme à un enfant, acheva de me hérisser. Angelina se résolut à étouffer les flammes dans sa préparation – ou bien s'étouffèrent-elles d'elle-même après avoir consumer tout ce qu'elles pouvaient, destructrices qu'elles étaient. Et tout redevint calme, y compris en moi. Je pus parfaitement réaliser l'irrationnalité du moment et j'entendis mon cri de frayeur vrombir à mes oreilles avec quelques minutes de décalage. Gênée, j'effleurai ma gorge des doigts pour apaiser mes meurtrissures liées au hurlement. Mon pouls battait fort contre mes phalanges.
-Je sais, prétendis-je, le souffle court. Je sais, je ... je vais prendre une douche, je reviens après.
Oui, l'idée de la douche me semblait délicieuse. Une douche glaciale pour éteindre l'incendie qui s'était déclenchée dans mon être à la vue de l'étincelle. Maintenant qu'elles s'étaient éteintes, je prenais conscience du fait que les flammes avaient été plus que modeste – et pourtant, la peau exposée me paraissait encore brûler. Je brûle encore ... L'idée glaça totalement mon sang dans mes veines. Ignorant son déroutement, j'arrachai mes mains aux prises de Miles et me dépêchai dans l'escalier, une main sur les lèvres pour réprimer les nausées qui s'éprenaient de moi. Il me fallut deux marches pour enfoncer mes doigts dans mes cheveux et mes ongles dans mon crânes, paniquée.
-Tout va bien, tout va bien, tout va bien, me répétai-je, les larmes aux yeux. Respire Victoria, tu es sortie de là, tout va bien ... Allez respire, ce n'est pas grave.
J'enroulai une mèche autour de mon poing et tirai dans l'espoir que la vive douleur chasse cette sensation d'étouffement propre à ce que l'incendie perpétuel avait pu déclencher. Ce manque de souffle, cette impression que le monde se refermait sur moi et broyait ma poitrine, compressait mes poumons, écrasait mon cœur qui ne s'en débattait que de plus belle. En pleine apnée, je pris une profonde inspiration, artificielle et vaine qui n'atteint jamais mes alvéoles pour être recrachée aussi sec.
-Victoria ?
Je sursautai, une main sur le cœur malgré toute la douceur qu'Eugenia avait tenté d'insuffler dans mon prénom. Je ne l'avais pas entendue me suivre : plantée à quelques marches du palier, elle me fixait avec ses grands yeux bleus emplis de sollicitudes. Elle leva une main apaisante.
-Je suis juste venue voir comment ça allait ...
Doucement, je relâchai mon souffle, un peu rassurée de voir mon rythme cardiaque un peu ralentir. Mon monde paraissait moins pulser que lorsque j'étais moi-même dans l'escalier ... Je passai une main dans mes cheveux.
-Tout va bien, assurai-je, la voix un peu rauque. Non, ça va, je vais ... juste prendre une douche, ça ira mieux ...
Eugenia me contempla longuement, impassible. Avec une lenteur calculée, elle grimpa les dernières marches, d'une démarche qui m'exaspéra. Tout dans son attitude criait que j'étais un petit animal farouche et blessé qui risquait de fuir au moindre geste brusque.
-Je ne doute pas qu'une douche te fera le plus grand bien ... mais ... (Sa tête oscilla, marquant son indécision). Tu as conscience que ... ce qui vient de se passer, c'est une chose banale de la vie quotidienne à laquelle tu dois te réhabituer ?
-Bien sûr. Je veux dire ... J'ai juste été surprise qu'elle fasse flamber ça comme ça, c'est tout ...
-Ce n'était pas de la surprise, ça, objecta Eugenia avec une grande douceur. C'était ... de la panique. C'est parfaitement normal que tu paniques comme ça, d'ailleurs ... (Elle marqua une pause). L'épouvantard ... il était là tout le temps ?
Je cillai, paralysée. Mes doigts tressautèrent compulsivement avant que je ne les enferme dans mon poing.
-Oui. Presque. (Je battis des paupières où des larmes venaient de s'accumuler). Je ne préfère pas y penser, écoute.
-Victoria ...
-Non, vraiment, insistai-je, ferme malgré ma gorge nouée. Eugenia, je ne suis pas ... j'en sais rien, un faon blessé qui serait atterri dans ton refuge. Je veux dire, je te serais reconnaissante à vie de ce que tu as fait, sincèrement ... tous les risques que tu as pris alors qu'on ne se connaissait même pas ... mais m'avoir sorti de là, ça ne te donne pas d'obligation envers moi, d'accord ?
-Je ne me sens d'aucune obligation, protesta-t-elle calmement. Je reste ici pour ma propre sécurité et il se trouve que tu es forcée d'en faire de même. Autant que mes connaissances te soient utiles pour récupérer ...
Je la considérai, à la fois agacée et mortifiée par son ton catégorique et sans appel. J'arrivais à supporter le regard compatissant de Miles ou le sourire encourageant d'Angelina car ils avaient faits parties de ma vie et que j'avais avec eu une histoire qui justifiaient leurs agissements. En revanche, Eugenia restait un corps étranger au milieu de ce cadre, un corps étranger dont je peinais à accepter les gestes, mêmes s'ils paraissaient les plus sains et les plus utiles. Les bouillons pour réadapter ma nourriture, les vitamines, potions de sommeil : tout ce qui m'avait redonné la santé, c'était elle. Pourtant, un inexplicable sentiment de rejet crispait mes entrailles.
-Vraiment, je vais bien, j'ai juste besoin de prendre une douche, là, martelai-je, butée. Vraiment, les douches ça m'a manqué, pendant un mois ...
Les yeux d'Eugenia tressaillirent étrangement et je compris qu'elle prenait sur elle pour ne pas les lever au ciel. Ce ne fut pas assez : le coin de sa bouche s'affaissa en un pli qui respirait la condescendance.
-C'est très bien. Prends autant de douche que tu veux, si ça te fait du bien. (Elle tapota nerveusement la rambarde de l'escalier). Mais je pense que ce qui te ferait le plus de bien, c'est de parler.
-Parler ?
-De ce qui s'est passé dans les geôles, Victoria. De tes ressentis. Peut-être que si tu arrives à mettre des mots dessus ... on arrivera à trouver des astuces pour que tu n'aies plus à crier à la moindre flammèche.
Ce qui s'est passé dans les geôles. Le visage de Cédric flotta quelques secondes dans mon esprit, lui avant que tout le reste ne m'assaille. Encore ce matin en ouvrant les yeux, mon premier réflexe avait été de le chercher dans la pièce. En vain. Il est parti. Je battis des paupières alors que la colère et le chagrin enflaient dans ma poitrine.
-Oh ne t'en fais pas, je sais parfaitement quels mots mettre sur mon vécu et mes ressentis, grinçai-je d'un ton nettement plus froid. Merci, je sais me gérer.
Je réussis à carrer les épaules pour donner du corps à mes mots, mais ça ne parut pas convaincre Eugenia qui secoua longuement la tête sans me lâcher du regard. Le pli sur sa bouche s'était mué en compassion, mais elle m'en épargna la vue en pivotant vers l'escalier.
-Je suppose que c'est un peu tôt, tu n'as pas envie ... alors retiens juste que lorsque tu en auras envie, je suis là, d'accord ? Ou Miles, si tu préfères. On veut tous t'aider, ici, tu sais.
Les mots sonnaient comme un reproche ; le timbre comme une sincère main tendue. Je choisis de ne retenir ni l'un, ni l'autre en m'enfonçant sans un mot dans la salle de bain pendant qu'Eugenia redescendait l'escalier d'un pas vif. Je pris soin de tourner le dos au miroir en me déshabillant et accueilli le flot qui jaillit de la douche comme une eau bénite et purificatrice. La tiédeur qui s'empara de mon corps acheva de faire ralentir les battements de mon cœur et je pus enfin me relâcher toute entière, le front collé aux carreaux de céramique qui tapissaient la douche.
-Je suis sortie ... tout va bien ... tout va bien ...
***
Je ris pour la première fois en observant les réactions Miles face à la télévision d'Angelina. Aux éclats lorsqu'elle l'alluma alors qu'il était en train de l'examiner et qu'il fit un bond de deux mètres en brandissant sa baguette. Néanmoins, il finit vite par s'accommoder à la chose et je le retrouvais le lendemain au réveil assis sur le canapé, concentré sur un jeu télévisé dont il tentait de comprendre les règles. Au milieu du salon, sur le tapis aux motifs tribaux, Lee Jordan semblait reprendre les notes de sa prochaine émission de Potterveille qui devait avoir lieu dans la matinée. Un immense sourire fendit son visage lorsqu'il me vit émerger de l'escalier.
-Hé, voilà la plus belle !
-Tu changes de « plus belle » tous les cinq matins, marmonna Miles, la joue appuyée sur son poing. Du temps de Poudlard, tu passais ta vie à déclarer ta flamme à Johnson.
-Que veux-tu, au bout du millième vent tu finis par chercher l'amour ailleurs, soupira-t-il dramatiquement. Bien dormi ma petite Victoria ? Oh, j'ai une nouvelle qui devrait t'intéresser ! Mathilda Morton, elle a été libérée !
-Sérieusement ? me recriai-je, incrédule. Par qui, comment ?
Le sort de ma pauvre camarade de classe m'avait littéralement déchirée depuis que j'étais sortie et j'avais fini grignotée par la culpabilité. Tout ce poids s'envola d'un coup alors que Lee souriait largement.
-Yaxley lui-même, pour tout te dire. Pourquoi il perdrait du temps et de l'énergie à la faire garder, maintenant ? Seule, Mathilda ne vaut pas grand-chose ... Fred l'a raccompagné chez ses parents, elle va y rester quelques temps maintenant ...
-La pauvre, commenta tristement Miles.
Je hochai la tête, affligée. Oui, la pauvre. En l'espace de deux jours, Mathilda avait vu son petit-ami mourir sous ses yeux, avait été emprisonnée et sa sœur était morte en tentant de la sauver. Savait-elle que j'avais été aussi une victime collatérale de son arrestation ... ? Seigneur, elle n'a pas besoin de ça, songeai-je en préparant mon chocolat chaud dans la cuisine. J'avais vérifié deux fois qu'Eugenia n'y était pas. J'avouai éviter la jeune fille depuis notre conversation la veille devant la salle de bain : je n'avais pas la moindre envie de sentir son regard entendu sur ma nuque, ou qu'elle fasse une remarque sur mon chocolat alors que j'étais censé adapter mon alimentation à ce que mon corps était capable de recevoir. Au diable mes besoins : j'avais envie de chocolat. Parfois, j'avais la sensation d'être terriblement ingrate, mais Eugenia avait le don de me mettre mal à l'aise.
-Comment s'annonce l'émission ? demandait Miles à Lee lorsque je revins dans le salon.
-Je pense que ça manque vraiment d'une rubrique, une rubrique concrète sur les activités de Tu-Sais-Qui, pour montrer qu'il s'en fiche du bonheur des sorciers et qu'il n'œuvre que pour lui ... Je ne sais pas qui s'occupe de ça à l'Ordre et Kingsley ne sait pas si ce serait finement jouer de montrer à quel point on en sait. Au contraire, pour l'instant on a tellement peu d'atout dans nos manches qu'il pense que c'est bien que les Mangemorts nous croient largués sur les informations.
-Ça fait sens, comme ça l'Ordre garde un effet de surprise. L'Ordre, ajouta-t-il dans un ricanement. Merlin comment j'ai fait pour m'embarquer là-dedans ...
-Désolée, lançai-je à l'aveuglette.
Je pris place à côté de lui sur le sofa et m'installai en tailleurs, la tasse fumante entre les mains. C'était bien l'unique source de chaleur que j'étais capable de supporter ... j'avais coupé le chauffage de la chambre cette nuit tant l'ambiance moite m'avait gêné. Je m'étais réveillée avec un cri, certaine d'être encore au milieu des flammes. Miles m'adressa un timide sourire de coin.
-Ne t'excuse pas, c'était avec plaisir. Depuis que les jumeaux sont retournés se terrer dans leur boutique, c'est agréable de vivre ici.
-Ils viennent certainement ce soir, ils dînent une ou deux fois par semaine avec nous, intervint alors Lee, le nez dans les notes. J'essaie de trouver une phrase d'accroche, hum ... qu'est-ce qui fait bien avec un 15 février 1998 ?
La mention de la date faillit me faire recracher la gorgée de chocolat que je venais de prendre. Abasourdie, je dévisageai Lee qui s'était replongée dans ses parchemins, une plume entre les dents. Il portait une veste aux motifs militaire sur un pantalon vert, ce qui donnait la sensation malgré ses dread-locks et son bonnet aux couleurs de l'Union Jack qu'il était en opération commando.
-Quoi ?
-Hein ? réagit Lee, incapable de parler avec la plume dans la bouche.
-Qu'est-ce qu'il y a, Vic' ? s'inquiéta Miles en quittant la télé des yeux. Ça ne va pas ?
La réponse devait se lire dans les larmes qui avaient inondé mes yeux de façon totalement inopinée. J'en écrasai une qui avait décidé de définitivement me trahir en roulant sur ma joue.
-On est le 15 février ?
-Oui ...
Un rire absurde jaillit de ma gorge et je laissai aller ma tête contre le dossier du sofa, les yeux clos pour retenir mes larmes. Le manque sembla creuser un gouffre profond en moins, abyssal et douloureux dont j'avais refusé de prendre conscience depuis que j'étais sortie de cette maudite valise. J'appuyai mes deux mains contre ma poitrine qui semblait devenir trop étroite pour contenir mon cœur et Miles posa une main soucieuse sur mon épaule.
-Hé ...
-C'est rien, assurai-je en souriant à travers mes larmes. C'est rien, c'est idiot, c'est juste ... (Un nouveau petit ricanement m'échappait et j'enfouis mon visage entre mes mains). Ça fait un an que j'ai embrassé Simon. Aujourd'hui. Un an ...
-Oh, lâcha Miles, l'air de s'attendre à tout, sauf à ça. Bon anniversaire, alors.
La nonchalance mêlé au sarcasme appuyé de Miles m'aidèrent au recul et j'arrivais à rire de ses mots au lieu de plonger la tête la première dans la mélancolie. Un moment qui, depuis les premiers instants, m'avaient semblé appartenir plus au rêve et au songe qu'à la réalité. Dès les premières secondes, j'avais douté de la véracité du baiser. Il m'en avait fallu tant d'autre, tant d'autres gestes, tant d'autres mots pour que le rêve se fonde dans la réalité ... Là encore, les souvenirs me filaient entre les doigts, déconnectés du reste et de mes derniers instants. Simon appartenait trop à un autre monde, un autre temps, une autre vie pour être rattaché au réel. Il était redevenu un songe.
Ma brève hilarité et la main persistante de Miles sur mon épaule ne suffirent pas à faire barrage aux larmes qui se mirent à couler sans discontinuer sur mes joues. La date avait agi comme un coup de bélier sur un barrage : j'étais enfin prête à pleurer sur le manque qui m'avait étreint pendant un mois, mais que j'avais refoulé pour faire face à plus urgent et survivre.
-Désolée, c'est idiot, haletai-je en essuyant mon visage d'un revers de manche.
-Arrête de dire que c'est idiot, c'est tous sauf idiot, promit Miles avant de soupirer. Bon, ça concerne Bones, et peut-être que j'ai eu un jour un problème avec ça, mais je m'y suis fait et ce n'est pas idiot. Ça fait longtemps Vic' ... avec ce que tu as vécu, c'est normal qu'il te manque.
Le nez dans un mouchoir, je me contentai d'acquiescer mollement. Oui, il me manquait. Terriblement. J'avais besoin de lui, plus que jamais. De le toucher, de l'ancrer à ma nouvelle réalité, de me fondre en lui, qu'il me secoue comme un prunier en me voyant léthargique dans ce canapé, qu'il vienne me tuer pour avoir tenté de jouer à l'héroïne, qu'il vienne m'embrasser et me faire sentir ce mois qui nous avait cruellement séparé. Qu'il me rende vivante.
La main de Miles se crispa sur mon épaule.
-On a laissé passer un peu de temps parce qu'on estimait ça dangereux de le mettre au courant directement, il était le premier que le Ministère allait surveiller en se rendant compte de ton évasion ... Mais maintenant, on va essayer de le trouver, d'accord ? Je te dis, le but de ma mission c'est de te rendre à Bones.
-Pff, laissai-je échapper avec un petit sourire. « Me rendre à Bones » ...
-Et en échange de ça, Octavia a d'ors et déjà décréter qu'elle réclamerait vénération éternelle, ajouta-t-il avec un sourire amusé. Je crois que ça l'enchante d'imaginer Bones se prosterner à ses pieds, bien plus que l'idée d'être mariée.
-Si tu veux je préviendrais sur les antennes que tu es saine et sauve et en sécurité, proposa Lee en notant son idée sur un coin de parchemin. Au moins il cessera de s'inquiéter et peut-être même qu'il pensera à nous contacter. Tu peux même dire un petit mot ! Oh ! (Il releva brusquement la tête et me contempla avec des étoiles dans les yeux). Ou même carrément faire un témoignage ! Ce serait formidable, Victoria, certains sorciers peinent encore à réellement croire que les Nés-moldus sont réellement martyrisés !
Mais l'idée figea tout en moi, même les larmes sur les joues, et le regard féroce qu'adressa Miles à Lee sembla lui coller la langue au palais.
-Trop tôt, grogna Miles, l'air réprobateur. Laisse-lui le temps de se remettre, enfin ... mais bonne idée le message. Ça rassurera Emily aussi, je sais qu'elle écoute l'émission et je n'ai pas pu la prévenir ...
-Vendu, céda Lee de bonne grâce. Allez Bennett, tout va rentrer dans l'ordre ...
Malgré tout, les larmes profitaient de ma faiblesse béante pour s'échapper et lorsqu'Angelina entra dans la pièce, vêtue d'un sweat rouge informe et ses cheveux fixés sur sa tête en un chignon désaxé, elle fusilla Miles du regard.
-Qu'est-ce que tu as encore fait pour qu'elle pleure ?
-Quoi ? s'indigna Miles, une main sur le cœur. Et pourquoi ce serait moi ? Moi je suis fournisseur officiel de mouchoir !
-Amen mon frère, maugréai-je en dépliant un nouveau carré. Qu'est-ce que je ferais sans toi, Miles Bletchley ...
Un drôle de sourire retroussa les lèvres de Miles et il s'abstint de répondre. Parfois quand je le contemplai, lui et son visage sérieux qu'éclairait parfois un éclair de malice, je peinais à pleinement réaliser tous les dangers qu'il avait encourus pour me sortir des geôles. Je n'arrivais pas à composer ce fait avec le garçon que j'avais connu, celui qui avait été assez lucide pour nous arracher aux Détraqueurs et que j'avais targué de lâcheté pour cela. Rétrospectivement, la honte m'enveloppait à l'idée. Encore plus maintenant.
-Hum, lâcha Angelina, les yeux plissés.
-C'est moi, j'ai rappelé une mauvaise date, se dénonça Lee d'un ton distrait. On va lancer un appel au Bones sauvage.
-Oh, comprit-t-elle, peinée. Simon Bones, ouais ... désolée, j'avais oublié que tu étais avec maintenant. Pas très intuitif, George a essayé de me faire deviner. « Deux personnes de notre année à Poudlard sont ensemble, devine qui ! ». Je pense qu'on y serait encore s'il n'avait pas lâché le morceau. Comment c'est arrivé en fait ?
L'amusement et la nostalgie firent naître un petit sourire sur mes lèvres et je désignai Miles d'un coup de menton.
-Demande à lui, il a bien mieux compris que moi.
-Ah, ah, ricana sombrement Miles en roulant des yeux. Vraiment très drôle. Rends-toi plutôt utile et donne-moi la liste des endroits où je pourrais le trouver des fois qu'il n'entende pas l'appel de Jordan. Jordan, parchemin !
Lee m'en envoya un à l'aveugle et je leur jetai un regard brillant de reconnaissance. J'avais peut-être pensé me mettre seule à la recherche de Simon, mais le souvenir de ma dernière sortie me hantait encore et chaque fois que je posais le pied dehors, même si c'était juste dans le jardin d'Angelina, je ressentais durement l'absence de ma baguette. Alors parcourir le monde, même si c'était pour Simon, me remplissait autant d'exaltation que d'effroi. Je n'étais pas encore assez forte pour lutter contre l'effroi ... Alors je listai soigneusement les lieux fréquentés par Simon. La maison de Terre-en-Landes, l'IRIS, même les appartements d'Emily et Julian ... Tous les endroits où il était susceptible d'apparaître. Je réfléchissais encore lorsque des coups furent frappés à la porte. Pelotonnée dans son fauteuil, Angelina se leva d'un bond et tira une longue traine de tissue d'un panier pour la jeter sur moi.
-Hé ! protestai-je en levant les bras.
-Reste là-dessous !
-Du calme, c'est sans doute Romulus, l'apaisa Lee en se levant.
-Oui bah va vérifier ! persiffla-t-elle avant de tourner le regard vers moi. Mais si c'est dans Mangemorts, Vic' tu cours dans mon garage : au milieu des balais de chantier, il y a un balai de course.
-On n'a pas le « code rouge » où on transplane chez la tante des jumeaux en cas d'attaque ?
-Mieux vaut qu'elle file discrètement.
Mes doigts se renfermèrent sur le tissu fluide et je compris en émergeant ma tête qu'il s'agissait d'une cape d'invisibilité. Miles me la remonta immédiatement sur le crâne et l'ajusta sur mes épaules, le visage crispé par l'inquiétude.
-Johnson a raison, reste-là-dessous trente secondes ...
-Je n'ai pas de baguette ...
-Ce n'est pas grave : on sait que tu es redoutable sans.
Avant. Avant j'étais redoutable sans, mais maintenant mes bras ont la force d'un têtard. Ils le prouvèrent en tremblant pendant que Lee se trainait dans le vestibule, visiblement exaspéré de l'agitation qui s'était épris du salon. Mon pouls battait si fort à mes tempes que je ne pus distinguer le moindre mot échangé : je n'avais d'yeux que pour la main de Miles sur le canapé, crispé sur sa baguette.
-C'est bon ! claironna Lee en revenant joyeusement. Libérez le kraken !
-C'est moi que tu traites de kraken ? s'offusqua une voix derrière.
Je ne songeai même pas à me débarrasser de la cape tant la surprise le cloua sur place. Un couple suivait Lee dans la pièce, un homme de haute stature à la cape rapiécée et une femme aux longs cheveux roses dont le ventre semblait la précéder en tous lieux. Ma bouche s'ouvrit de stupeur et je la dévisageai, elle et son visage arrondi au teint éclatant, familier mais brouillé à la fois.
-Tonks ?
La jeune femme sursauta lorsque son nom sembla jaillir de nulle part et posa une main sur son ventre proéminent. D'une main prudente, je repoussai enfin la cape et elle poussa un petit cri lorsque je surgis du néant.
-Merlin, murmura Remus à côté d'elle.
Tonks ne s'embarrassa pas de parole en se précipitant vers moi au moment où je m'arrachai du canapé. Cela me fit un drôle d'effet de l'enlacer et d'en même temps sentir son ventre appuyer contre le mien, qui me repoussait autant que ses bras me serraient contre elle. Courbé pour contourner cette nouvelle masse, je posai ma tête lourde sur son épaule, sonnée par sa simple présence.
-Oh Tonks ...
-Oh, Victoria, souffla-t-elle en écho en prenant mon visage en coupe. Mille gargouilles galopantes, je suis tellement contente de te voir en un seul morceau, par Helga ... Les Weasley m'ont dit que tu étais réapparue, mais je voulais le voir pour le croire ...
Je voulus sourire pour la rassurer, mais les muscles de mon visage me semblaient atrophiés. Alors je me contentai d'effleurer son ventre du bout des doigts.
-Ça aussi, il faut le voir pour le croire ... Regarde-moi ça, comment ça a poussé !
Celui de Melania devait être similaire. Peut-être même devait-elle avoir la même étincelle comblée qui éclaira le regard de Tonks lorsqu'elle pensa à l'enfant qui grandissait en son sein. Cette même mine éclatante fendu d'un grand sourire.
-Oui, je suis devenu un dromadaire, évalua Tonks sans la moindre aigreur. Encore deux mois et je pourrais de nouveau lacer mes chaussures sans demander à Remus !
-Et je le fais avec la plus grande vénération, assura son mari en posant une main sur sa taille, avant de tourner son regard ambré sur moi. Comment te sens-tu, Victoria ?
Dans sa voix, j'entendis toute la sincère inquiétude sous les intonations de l'ancien professeur. Ses yeux me scrutaient, s'attardaient sur les longs cheveux qui couvraient ma poitrine et sur mon visage aux yeux et au nez certainement rougi par la dernière émotion en date. Devant cet examen, cette fois je trouvais la force de sourire, ne serait-ce que pour masquer les dégâts.
-Mieux. Je suis tellement contente de vous voir, j'ai l'impression que ça fait une éternité ...
-Remus intervient dans l'émission de Lee, m'apprit Tonks avec une certaine fierté.
-Je me suis mis un peu en retrait de l'Ordre pour préparer l'arrivée du bébé, c'est la moindre des choses que je peux faire pour ne pas abandonner totalement la cause, précisa-t-il avec un sourire amer.
-D'ailleurs venez m'aider, professeur ! intervint Lee, de nouveau plongé dans ses notes. Je peine à trouver une phrase d'accroche !
Je me rendis rapidement compte que le « professeur » avait du mal à s'évacuer du vocabulaire de Lee et d'Angelina – et qu'elle aurait tout autant de difficulté avec celui de Miles qui avait contemplé notre ancien professeur avec de grands yeux, acceptant à peine sa poignée de main tant l'idée de frayer avec lui semblait incongru. A moins que c'était son statut de loup garou qui continuait de le crisper ? m'interrogeai-je lorsqu'il monta un peu prématurément. Tonks, elle, resta avec moi sur le sofa, les mains posément plantées sur son ventre, à babiller les détails de sa grossesse, sur la vie chez ses parents qu'elle avait rejoint pour plus de sécurité, sa frustration de ne plus être aussi souple et vive qu'avant. Malgré sa mine radieuse, ce poids semblait peser sur elle et alimentait un besoin ardent d'à nouveau se jeter dans l'assaut. Il s'en était fallu de peu lorsqu'elle avait appris que j'avais disparue, m'assura-t-il, le feu dans les yeux. Sans ce petit être qui dépendant uniquement d'elle et dont elle avait la responsabilité, elle aurait tenté.
-Le problème, c'est qu'on ne savait pas vraiment où tu étais, avoua-t-elle, la mâchoire contractée. Et l'option la plus probable, ça restait quand même Azkaban ... c'est ce que je pensais, sincèrement. Ma question c'était juste la peine dont tu avais écopé, ça peut aller de six mois à dix ans pour le « vol de magie » ... Je me suis dit qu'avec un peu de chance ... (Elle fronça les sourcils en me contemplant). Pourquoi ils t'ont gardé dans les cellules du Ministère ? Elles sont transitoires normalement ...
Ma bouche s'assécha à la première réponse qui traversa mon esprit – Pour que Nestor m'ait à porter de main. Quelque chose d'inquiétant dût se lire sur mon visage car Tonks dénoua ses mains de son ventre pour en poser une sur mon genou. Une expression grave était venue durcir ses traits.
-Victoria ...
-J'ai menti. J'ai dit que j'étais la vraie petite-fille de mon grand-père ... une Liszka. Je pense qu'ils m'ont gardé en attendant de savoir ce que les Liszka voulaient faire de moi ...
Je fus rassurée de constater que ma voix tremblait à peine devant le récit et Tonks hocha la tête, compréhensive. Avec une douceur toute maternelle, elle écarta une mèche de mon front et la replaça derrière mon oreille.
-Ce que tu as été vive d'esprit ... c'était intelligent, de faire ça.
-Je me suis reniée ...
Ma plainte sonna étrangement à mes oreilles, comme un mensonge. Je préférais me concentrer sur le dilemme moral qu'avait constitué mon mensonge plutôt que sur le cœur de ma détention. Je ne voulais surtout pas que sa prochaine question soit « qu'est-ce qu'il s'est passé ? ». Le visage de Cédric flotta de nouveau dans mon esprit et je pressai les paupières pour le repousser loin. Tonks pressa mon épaule.
-Tu as fait ce qu'il fallait pour t'en sortir, Victoria. Ne t'en veux surtout pas pour ça ... Des gens font bien pires, pour de bien pires raisons. Moi je ne vois qu'une jeune femme forte et intelligente qui a été assez lucide dans un moment terrible. Je suis admirative, vraiment.
Et son admiration me brûla comme de l'acide et me creva la peau. Serait-elle si admirative en découvrant que j'avais totalement sombrée, était devenue pantin entre les mains de Nestor, brisée, rompue et soumise ? Une boule se logea dans ma gorge et je prétendis vouloir passer aux toilettes pour me lever et fuir le regard brillant de Tonks. Il ne suffit pas à totalement me tranquilliser et je le prolongeai dans la cuisine, à la parcourir de long en large en prenant de longues inspirations pour calmer mes nerfs et chasser les images qui s'immisçaient dans mon esprit comme des parasites. Ce fut ainsi que Remus me retrouva quelques minutes plus tard en venant faire du café et je réussis à me dissimuler en faisant mine de chercher quelque chose dans le frigo.
-Tout va bien Victoria ? s'inquiéta-t-il immédiatement en refermant la porte derrière lui.
-Oui oui, promis-je d'une voix qui gardait des traces d'émotivité et de tourments. Je n'ai pas déjeuné, je commence à faiblir ...
Je sortis un yaourt et tournai soigneusement le dos à mon professeur à la vision si clairvoyante. Je fouillais le tiroir à couvert pour une cuillère, lourdement consciente de son silence songeur et du fait qu'il n'avait esquissé le moindre geste vers la machine à café.
-Ça n'a pas dû être tous les jours faciles, entonna-t-il d'un ton très neutre, calme. Je suppose qu'ils ne se sont pas juste contentés de t'abandonner dans une cellule ...
-Je suis sortie, lançai-je avec un brin de brusquerie. C'est le principal ...
Je me retournai pour découvrir le regard de mon ancien professeur planté sur moi, à la fois soucieux et songeur. Ses yeux profondément enfoncés dans ses orbites donnaient une intensité singulière à ses prunelles.
-Nestor Selwyn a su que tu te trouvais entre leurs mains ? lâcha-t-il à brûle-pourpoint.
Remus eut tout le loisir de lire la réponse dans mon langage corporel. La façon dont j'écrasai le yaourt dans mes mains, où mes lèvres se pincèrent pour réprimer la colère et la douleur qui montaient par bouffées, à mes paupières qui papillonnèrent pour réprimer les larmes. Il poussa un profond soupir affligé.
-Victoria ...
-Je suis sortie, répétai-je obstinément. C'est fini alors ... c'est bon. Je vais manger, reprendre des forces et retrouver Simon.
-Simon, releva Remus, les sourcils haussés. Merlin ... Victoria, pense à Simon.
Je n'arrête pas ! Le cri faillit jaillir, rageur et aller de pair avec un jetage de yaourt en bonne et due forme face à l'accès de frustration qui venait de parcourir. Je ne sus par quel miracle je parvins à garder les lèvres scellées. La colère me brûlait la poitrine.
-Oh oui, définitivement, murmura Remus et un sourire étrange s'esquissa sur ses lèvres. Tu réagis comme lui.
-Pardon ?
-Exactement. Même mécanisme de défense. Un mur. J'ai pu m'y frotter quand j'étais votre professeur ... Un véritable mur et j'ai cru que personne ne serait assez fort pour me briser et fracasser ses illusions. Tu l'as été ...
-Quoi ? soufflai-je, déconcertée.
Je me laissai allée contre le mur, les jambes brusquement coupées par la comparaison que je n'avais vu venir. Remus parut satisfait de voir la colère refluer dans mon attitude et se permit d'avancer de quelques pas en ma direction.
-Tu as été assez intelligente pour déceler le problème chez Simon. Pour lui faire comprendre qu'il fallait qu'il regarde son passé dans les yeux. Même le pire, même ce qu'il l'a détruit. Ce n'est que comme ça qu'il a pu avancer, non ?
-Mais ... ce n'est pas pareil, protestai-je mollement. Il ... il a vu son frère mourir, il l'a vu, il ... c'était des années de mensonges ...
-Alors évite de te constituer le même fardeau. Gère-toi comme aurait dû être géré Simon.
C'était dit avec la fermeté de l'évidence, mais avec une compassion qui vint adoucir le tout. Loin d'insister, Remus se détourna ensuite pour enfin prendre possession de la machine à café. Chez Angelina, dans cette maison de Nés-Moldu, tout fonctionnait à l'électricité et je le vis observer la machine d'un air perplexe. Je finis par prendre pitié et à me charger des opérations avec un soupir où résonnait un brin de condescendance.
-Merci, sourit Remus lorsque je plaçais le filtre empli de café moulu dans le haut de la machine. Je suis un peu dépassé ...
-Aucun problème. Si le bébé a envie d'apprendre à vivre chez les moldus, qu'il s'adresse à moi.
Remus essuya un petit rire et observa le café brun s'écouler dans la cafetière après que j'aie appuyé sur un bouton. Nous restâmes côte à côte, appuyés contre le plan de travail, dans un silence pesant où bourdonnaient encore tous les mots échangés.
-Tu sais, je ne dis pas ça pour te forcer, ajouta Remus en se râclant la gorge. Je dis juste que ... tu sais quels dégâts peuvent faire un traumatisme mal géré.
-Je n'ai pas ...
Je me mordis l'intérieur de la joue pour m'interrompre, le cœur morcelé. Si, j'étais traumatisée. Il n'y avait qu'à se souvenir du cri que j'avais poussé lorsqu'Angelina avait fait flamber sa viande. Des flammes, des toutes petites flammes, bienveillantes et maîtrisées avaient suffi à me faire perdre pied. Eugenia avait raison : j'allais de nouveau me retrouver face à ce genre de situation. Allais-je hurler et paniquer à chaque fois ? Allais-je réellement passer ma vie, transie de frayeur à l'idée de croiser une étincelle ? A craindre brûlure et chaleur ? J'allais finir bouffée ... prisonnière de mes peurs.
Les larmes me prirent presque par surprise et je poussai une exclamation exaspérée en les essuyant passivement sur mes joues.
-J'en ai marre de pleurer, geignis-je en inclinant la tête vers les cieux pour les réprimer.
-Dis-toi que c'est pleurer maintenant pour mieux sourire plus tard.
L'idée m'arracha même un sourire en avance. Fort heureusement, les larmes se tarirent vite, avant même que la cafetière ait achevé de se remplir et je pus reprendre mes esprits d'une profonde inspiration. L'idée de replonger dans les cercles de l'enfer faisaient frémir mon âme mais quelque part une lumière s'était allumée, celle qui refusait de vivre dans les ténèbres et la peur.
La cafetière finit enfin de se remplir et Remus la saisit et fit léviter plusieurs tasses qui le suivirent docilement lorsqu'il s'éloigna. Je lorgnai jalousement les porcelaines qui lévitaient, rongée par cette magie qui semblait m'avoir quitté. L'épouvantard avait tout consumé.
-Prends le temps, penses-y, conclut Remus avec un sourire. Tonks et moi venons régulièrement, si tu as besoin. Ou un de tes amis ... je suis sûr que tu peux trouver un interlocuteur qui saura dénouer ce que tu as en toi, Victoria. Mais dénoue-le. Ne reste pas ça avec ce poison qui te rongera toute ta vie ... Pense au mal que tu as eu à l'extirper chez Simon.
Mon grognement lui arracha un dernier sourire avant qu'il ne sorte de la cuisine. Oui, ça avait été un travail usant, de longue haleine. Une tâche qui m'avait usé jusque la corde, broyé. Broyé tous les deux. Je me souvenais encore de la fatigue mentale qui m'avait assaillie après l'attaque qui avait touché mes grands-parents, de l'immense impuissance que j'avais ressentie à l'idée que peu importe mes efforts, Simon se battrait toute sa vie avec ses démons. Toute sa vie. Une lutte de chaque instant.
Non. Non, j'étais trop fatiguée pour envisager une vie de lutte.
La réflexion chemina lentement dans mon esprit et au fond de moi la lumière s'agrandit, brilla pour chasser les ténèbres et la peur. Je ne pouvais pas attendre Simon. Je ne pouvais peser le poids qu'il avait pesé, c'était impossible. Je ne pouvais pas lui infliger cela. Je devais le préserver de ça. De façon honnête, je doutais même de sa capacité à me porter comme je l'avais fait ... J'avais trop conscience de ses fragilités.
Finalement, la solution s'imposa à moi, amère mais évidente. Abandonnant le yaourt et l'idée même de me nourrir, je montai discrètement à l'étage jusqu'à la chambre que j'occupais. Je n'y étais pas seule : dans le lit jumeau, Eugenia avait étalé une carte qu'elle semblait annoter, allongée à plat ventre. Elle leva un regard étonné lorsqu'elle me découvrit sur le bas de la porte.
-Oui ?
J'eus toutes les peines du monde à trouver mes mots. Je me sentais illégitime à réclamer son aide après ce que j'avais pu penser, à cette fille dont je ne comprenais aucune des actions. Angelina avait raison : qui plongeait vers les pires dangers pour une inconnue ? Eugenia l'avait fait. C'était une étrangère à qui je n'étais rien, qui ne me connaissait pas, ne savait rien de qui j'étais et de mon passé. Et pourtant cette idée dérangeante me conforta. Non, elle ne savait pas que j'étais censé être un petit soleil, capable de porter le monde sur mes épaules et qu'à présent je n'étais plus qu'un Atlas à qui on avait brisé les genoux pour que son monde s'écroule.
En plus elle avait fait des études. Ça aiderait. Non ?
-Je crois qu'il faut que je parle, articulai-je finalement.
Eugenia me dévisagea, impassible, avant qu'un fin sourire n'ourle ses lèvres.
-Très bien.
-Je risque de pleurer.
-J'ai des mouchoirs.
-Beaucoup pleurer.
D'ailleurs, les larmes inondèrent déjà mes yeux. Une expression de compassion passa sur le visage d'Eugenia et elle remballa sa carte avant de fermer ma porte derrière nous. De sa baguette, elle tapota le poste radio sur la commode qui se mit en route en crachotant.
-On mettra de la musique pour te détendre et que les autres ne t'entendent pas. Ne t'en fais pas, ça restera entre toi et moi. On a tout notre temps. Ce n'est pas comme si on avait autre chose à faire pendant qu'on est coincées ici, non ?
Incapable d'articuler le moindre mot, je hochai la tête et m'installai sur le lit que j'avais fait bien en face de celui d'Eugenia. Elle s'était déjà rallongée, les yeux fermés et les mains jointes sur son ventre et je décidai de l'imiter, de fixer mes yeux sur le plafond blanc. Je pris une profonde inspiration et rassemblait mes pensées. Tout glissa au bord de mes lèvres, comme les larmes sur mes yeux. Tout sauf une chose. Tout, sauf ce qui m'avait fait perdre la tête autant qu'elle me l'avait sauvé.
Cédric était mon talisman. Et je n'étais pas prête à entendre une explication rationnelle à son apparition. Encore maintenant, j'en avais besoin au fond de moi.
Mais le reste ? Le reste pouvait glisser. S'expier avec les larmes. Pleurer, pleurer, pleurer. Pleurer pour mieux sourire ensuite.
***
Alors votre verdict?
Pour le coup ce n'est pas une partie hyper facile à écrire et à imaginer cette phase où Victoria est traumatisée et ne fais que pleurer alors j'espère que j'ai réussi à rendre un truc réaliste !
Maintenant on se retrouve vendredi pour le prochain chapitre ! Ah ça vous fait pas un peu plaisir de voir que la suite est si proche? Moi j'avoue je suis assez contente, il faut pas croire c'était frustrant pour moi aussi !
Donc à vendredi <3
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