IV - Chapitre 22 : Les cercles de l'enfer

Craquage m'a été demandé?

Craquage a été accordé.

DANS MA GRANDE CLEMENCE (absolument pas liée à ma hâte d'avoir vos réactions) j'offre ce chapitre. Vous avez de la chance que j'approche de la fin et que du coup l'idée de maintenir coûte que coûte une avance ait moins de sens.

Et puis je reviens d'un WE à Paris où l'Hydre s'est réuni une dernière fois au complet avant longtemps (snif snif) et rencontrer quelques lectrices, c'était vraiment hyper sympa, ravie de vous avoir (re)vues ! Du coup je vous dédie le chapitre ahah <3

ET ON A DEFONCE LES ANGLAIS AU RUGBY POUAHAHAHAHAH excusez-moi mais ça faisait bien plaisir cette affaire, meilleur WE possible avec une telle râclée.

Sur ce je ne vais pas vous assommer plus longtemps et vous laisser avec ce chapitre tant attendu ... bonne lecture, les enfants !

***

Je me tournai vers le côté, avec la peur d'être abandonné, lorsque je vis le sol obscur devant moi seul ; et mon consolateur : « Pourquoi crains-tu? » commença-t-il à dire, tourné vers moi. « Ne vois tu pas que je suis là, pour te guider ? »

- Dante Alighieri
Purgatoire, Chant III

***

Chapitre 22 : Les cercles de l'enfer.

-Cédric, murmurai-je, abasourdie. Cédric ...

J'avais besoin de me le répéter. Les syllabes sonnaient étrangement dans l'air, roulaient étonnamment sur ma langue, comme si elles n'existaient pas, comme si je les inventais. Comme si elles ne correspondaient à aucune réalité.

Et pourtant, si. Ces syllabes avaient un jour englobé le jeune homme qui se trouvait face à moi, assis en tailleurs dans un coin de ma cellule. La faible lueur des torches jouait sur sa peau d'albâtre. Ses longs cils jetaient des ombres sur les hautes pommettes et sur son nez droit. Totalement déroutée et anesthésiée par de longs jours de détresse, je me palpai mollement la poitrine, à la recherche de l'ombre d'un battement de cœur.

-Je suis morte ...?

-Non, protesta Cédric, l'air surpris de ma question. Pas du tout, tu es en vie ! Ne l'oublie surtout pas ...

Loin de me rassurer, les intonations familières de Cédric me glacèrent jusqu'aux os. Brusquement paniquée, je cherchai mon pouls sur mon poignet, dans le creux de mon cou et je finis par être convaincue lorsqu'il battit à mes tempes et que mon cœur menaça de faire éclater ma cage thoracique. Non, il n'y avait que la vie pour agiter ainsi un tel organe. Ma main se perdit sur mon sternum, à l'écoute de ce que cœur qui cognait contre mes doigts, trop consciente de l'absence de mon pendentif.

-Ce n'est pas possible, chuchotai-je, horrifiée. Ce n'est pas possible, tu es mort...

-Moi, oui, confirma tristement Cédric. Mais pas toi, je te l'assure ...

-C'est les Détraqueurs, alors.

L'explication venait de traverser mon esprit désœuvré comme un éclair. Ça ne pouvait être que ça. Ces derniers temps, il hantait mon esprit chaque fois qu'une sombre créature veillait devant ma cellule. Les images de ses yeux gris, reflétant la lune et les étoiles à l'infini, s'était imprimée dans mes cauchemars. J'enfonçai mes doigts dans mes cheveux, désespérée. Les jours angoisses avaient réduits mes ongles à des lignes rongées et sanguinolentes.

-C'est eux, gémis-je, le timbre broyé. C'est eux, ils me font penser à toi ... ils me font toujours penser à toi, toujours ...

-Mais non ! Mais non, Vic', regarde-moi ! Je suis là, d'accord ? Vic', ouvre les yeux et regarde-moi.

J'obéis et le contemplai entre mes doigts écartés. Il s'était levé pour se rapprocher, à pas lent, comme si j'étais un animal terrifié prêt à déguerpir au moindre geste brusque. L'idée faillit me secouer d'un rire amer. Pour aller où ? Cédric leva les mains en signe de paix. Une larme m'échappa lorsque je réalisais qu'il était vêtu de l'uniforme de Poufsouffle que je lui avais toujours connu. La lumière des torches faisait miroiter ses insignes de préfet et de capitaine.

-Je suis juste venu pour toi, assura-t-il d'une voix douce. Comme je l'ai toujours été, tu te rappelles ? Depuis les premiers jours à l'école, je prends soin de toi, Victoria ...

-C'est les Détraqueurs qui te font venir ...

-Vic', il n'y a pas de Détraqueur, promit Cédric d'un ton un peu plus ferme. Il ne fait pas froid, tu ne revis pas tes pires souvenirs ...

Il disait vrai, dus-je admettre - mais ça ne fit qu'ajouter à ma panique. Lorsque Cédric se redressa pour s'approcher de moi, je bondis de mon lit. C'était sans compter mon corps broyé par des jours - des semaines - de maltraitance : mon saut fut loin d'être élégant. Je trébuchai, me réceptionnai mal. Ma cheville se tordit, un cri m'échappa et je me retrouvais affalée à terre, trop faible et meurtrie pour tenter une autre fuite. Dans ma chute, j'avais renversé mon repas et une purée malodorante vint tapisser le sol.

-Va-t'en, articulai-je, incapable de le regarder. C'est les épouvantards, c'est eux ...

-Les épouvantards ne me feraient pas apparaître, opposa calmement Cédric, mortifié. Ce n'est pas moi ta pire peur ...

-C'est eux qui t'envoient ... Ce n'est pas possible, tu es mort ... je t'ai vu, je sais ... je sais ...

Un sanglot m'échappa et mes larmes vinrent inonder mes joues. Oui, je l'avais vu et j'avais senti mon existence éclater. Ce jour-là aussi j'avais descendu les cercles de l'enfer. J'y vais couru tout droit, tout droit vers le stade, tout droit vers ma perte. J'avais versé des larmes affligées dans les bras de Simon, j'avais laissé écouler les jours, trop sonnée pour réagir, incapable d'imaginer que mon ami n'était plus. Toute son existence s'était changée en souvenir, les souvenirs en échos, les échos en ombres tapissées en moi ... Son odeur subsistait à travers sa mère Flavia qui m'avait étreinte avant de m'indiquer sa tombe. Sa voix s'était perdue dans les limbes de ma mémoire.

Et pourtant quand elle résonna de nouveau, elle me parut terriblement réelle. Elle chatouillait mes tympans :

-Vic', je suis tellement désolé de t'avoir abandonné ... Par Merlin, ce que tu as dû souffrir ... ce que vous avez tous dû souffrir ... Mais je suis revenu maintenant. Je suis là pour t'aider ...

Je lui jetai un regard à travers mes yeux brouillés par les larmes. Le voile cassait les lignes et pourtant quand je cillai pour m'en libérer, Cédric m'apparaissait de chair et de sang, entier devant moi. Ce n'était pas l'un des fantômes qui avait parcouru les couloirs de Poudlard : il était juste là, la main tendue pour matérialiser son aide. Les yeux écarquillés, je fixai la main, remplie de frayeur. D'un brusque sursaut, je rampai à l'aveugle jusqu'au mur le plus proche.

-Non ! S'il te plait, va-t'en ... Ce n'est pas vrai, tu es mort, tu es mort, je t'ai vu. Tu es mort !

Secouée par les pleurs, je me frappai la tête, cognai mon crâne contre le mur. Ils avaient brisé mon esprit, broyé ma psyché. Ce n'était pas réel, ça ne pouvait pas être réel. Nestor n'avait pas pu brûler ma chair ? Qu'à cela ne tienne : il m'avait consumé de l'intérieur.

-Mon Dieu, Vic' ! murmura Cédric, épouvanté face à ma détresse. Arrête, calme-toi, arrête ça ! Ecoute, on va faire ça autrement, d'accord ? Je vais rester là, dans mon coin. Je ne bougerai pas, je resterai là. Si tu veux me parler, je serais là, d'accord ? Regarde ... regarde ...

J'ouvris péniblement un œil, le cœur battant la chamade dans ma poitrine. En face de moi, Cédric reprenait sa position initiale, dans le coin, balayé par les lueurs des torches. Ses deux mains étaient toujours levées en signe de paix.

-Je veux être là pour toi, poursuivit-t-il d'un ton tranquille. Pas de mettre dans un état pareil ... quand tu voudras parler, je serais là ... je te le promets.

Je le fixai, la gorge nouée par l'angoisse. Aucun mot ne parvenait à franchir le nœud. Je le contemplai longuement, les yeux écarquillés, à m'en dessécher la cornée. Ce n'est pas possible, ce n'est pas réel ... et pourtant l'image de Cédric ne tremblait pas. J'étais tant obsédé par lui que le grincement de la porte me prit par surprise. Les torches découpèrent la silhouette imposante de Steverson qui haussa un sourcil dédaigneux lorsqu'il posa les yeux sur ma personne recroquevillée puis sur les restes de mon repas étalés sur le sol.

-C'était ça, le bruit ... si notre nourriture n'est pas assez bonne pour toi, écoute. A ta guise. (Il pointa sa baguette sur moi). Allez, c'est l'heure des sanitaires.

Tremblante, je m'appuyais contre le mur pour me lever. Je ne quittais pas Cédric du regard. Il se contenta de me sourire et de tapoter le sol du dos de ses doigts, l'air de me promettre qu'il sera là à mon retour.

-Je n'ai pas que ça à faire, la brunette, grommela Sterverson en m'attrapant par le coude. Allez.

La présence de Cédric ne parut pas le troubler outre mesure : il me tira hors de la cellule sans ménagement. De nouveau, je manquais de tomber sur le sol pourtant parfaitement droit du couloir qui constituait la seule extension de mon monde. Comme toujours, je ne savourai pas cette promenade qui n'était qu'une preuve de plus que j'avais tout perdu. Je tenais à peine sur mes jambes : mes genoux flageolaient à chaque pas et ma cheville devait avoir sérieusement vrillé car un éclair de douleur la traversait à chaque appui. Même maintenant qu'il s'était dérobé à ma vue, Cédric hantait mes pensées. Même lorsque je me retrouvai assise aux toilettes, totalement sonnée, à laisser faire la nature machinalement, déconnectée de mon propre corps. La main cruelle du cycle menstruel était venue me titiller ces derniers temps et comme à mon dernier passage, je bourrai ma culotte de papier. Le sang avait certainement transpercé la maigre bande de tissu. Peu importait. Je n'avais même pas pris la peine de demander des protections. L'image d'un Sterverson parcourant les rayons de protection hygiénique d'un supermarché avait été le seul rayon de soleil de ma vie, mais elle était si improbable et risible qu'elle m'avait conforté dans l'idée que je serais privée de ce confort élémentaire.

Je jetai les papiers imbibés de sang dans les toilettes et les regardai disparaître, l'œil vide. Nestor n'avait pas pu verser mon sang, Dame Nature s'en chargeait alors. Je n'avais aucun moyen d'échapper à ça. J'étais destinée à ça. A quoi bon lutter ?

Je m'écroulai sur le lit une fois revenue, à bout de force. Cédric était toujours là, silencieux. Je ne rêvais pas, il était là ... il était là ... et les ténèbres qui m'enveloppèrent n'y changeraient rien.

***

Lorsque j'ouvris de nouveau les yeux, hagarde, il était là.

Lorsque je revins des sanitaires, souillée du sang menstruel, il était là.

Lorsque je sanglotais de désespoir quand un Détraqueur passa devant ma cellule, il était là.

Silencieux comme une ombre, granulé comme la poussière, Cédric Diggory se tenait dans la pièce. Fort de son vœu, il ne pipait mot, ne bronchait pas aux apparitions de Sterverson, frémissait simplement à chacun de mes mouvements. Il paraissait attendre patiemment qu'un train arrive et l'emmène, à peine agacé par les longues heures, les longs jours qui s'étiraient.

L'absence d'épouvantard et de Nestor apaisait peut-être mes jours, mais mes nuits restaient peuplées par la douleur et les flammes. Je me réveillais sans cesse avec un cri au bord des lèvres, la gorge lacérée par mes hurlements nocturnes. Le jour, j'étais trop vidée, trop épuisée pour réellement reprendre des forces. Je restai prostrée sur le lit, le regard plongé dans le vide pour ne pas le poser sur Cédric.

Nous ne sommes qu'ombres et poussières, m'avait murmuré Albus Dumbledore pour me consoler de sa mort. Mais avant de retourner à la poussière nous nous battrons.

J'avais fini de me battre. Il était temps pour moi de me fondre dans l'ombre et la poussière ...

-Ça t'a fait mal de mourir ?

L'interrogation, assourdie dans un timbre broyé, neutre, indifférent, m'avait échappé. Même la mention de la mort avait cessé de me faire de l'effet, de nourrir un feu en moi. La fureur de vivre, celle qui avait sauvé Jaga à Auschwitz. Les premiers jours, j'avais tenté de puiser en l'esprit de ma si admirable grand-mère pour tenter de résister. Trouver la source qui lui avait fait asséner « Plus ils me prenaient plus je me disais : moi ils ne me prendront pas ». J'avais tant pris d'elle, j'avais espéré avoir hérité de ça ... mais la source semblait avoir coulé ailleurs.

-Non, répondit Cédric avec beaucoup de douceur. A dire vrai, je ne l'ai vraiment pas venu venir ... c'est la dernière chose à laquelle je m'attendais, en saisissant le trophée. A me retrouver face à ça ... je n'ai pas eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait que je basculais de l'autre côté.

Basculer de l'autre côté. Moi aussi j'avais la sensation d'être passée de l'autre côté. C'était forcé. Sinon comment pourrais-je entendre cette voix venue d'outre-tombe ? Je rentrai ma tête dans mes épaules courbaturées, les larmes aux yeux.

-J'avais vraiment pensé que ma médaille te guiderait ..., me souvins-je, le cœur morcelé. Que Saint-George te protégerait comme il m'a protégé bébé ...

-Il a tout fait pour, Vic', j'en suis sûr. Mais rien ne peut stopper un sortilège de la mort. Même pas Saint-George.

Une larme roula le long de mon nez et se perdit dans l'écharpe d'Ellie qui me couvrait nuit et jours. Incapable de tenir, je me fis violence pour me retourner et enfin faire face à Cédric. Il n'avait pas bougé depuis une éternité, plaqué droit sur son mur, les coudes sur les genoux. Il avait l'air frai et juvénile de ses dix-sept ans, ce sérieux au fond des yeux qui l'avait toujours caractérisé et une certaine gravité qui accentuait la beauté de ses traits. C'était bien mon meilleur ami qui me faisait face. Sa voix s'était perdue, mais jamais son visage, immortalisée sur des dizaines de photos que j'avais contemplé avec des larmes dans les yeux. Là encore elles s'accumulèrent cruellement et ma vue se brouilla.

-Je ne voulais pas que tu partes ... tellement pas que tu partes ... quand je t'ai vu, là, au stade ...

Un triste sourire s'étira sur les lèvres de Cédric. Ses mains se joignirent et il pressa ses deux paumes l'une contre l'autre en un geste que je l'avais vu faire des centaines de fois dans un moment crucial. Avant un match. Avant d'entrer dans la salle de pratique des BUSE. Avant de m'expliquer sa décision de participer au Tournoi qui lui avait coûté la vie.

-Moi non plus, Vic', soupira-t-il, dépité. Crois-moi ... j'avais encore ... tellement de chose à faire ... tellement de chose à te dire ...

-Par rapport à Simon ?

Mes lèvres craquelèrent lorsqu'un sourire tenta de s'imprimer. Je n'avais pas la force de faire plus que l'esquisser, mais c'était déjà un véritable petit miracle. Malgré mon cœur qui saignait à la mention d'un Simon, qui dans un autre monde devait se ronger les sangs pour moi.

Cédric me rendit mon sourire, avec la même bienfaisance qui l'avait toujours caractérisé.

-Alors il a fini par te parler ? Mille gargouilles ce n'était pas gagné ... il est tellement buté, tellement crampé dans ses positions ...

-Le temps a fini par faire son œuvre, confirmai-je, et une nouvelle larme roula jusqu'à coin de ma bouche pour me saler les papilles. Il va me tuer ... Seigneur, il va me tuer avant que Nestor ne le fasse ...

-Beaucoup de parole en l'air, éluda Cédric avec un geste nonchalant de la main. Pour l'un comme pour l'autre. Si Simon avait voulu te tuer, tu serais morte depuis bien longtemps. Ce n'étaient pas les prétextes qui lui ont manqué.

-Hé ...

Ma protestation était si molle qu'elle n'était pas crédible et un petit rire secoua Cédric. Je le fixai, foudroyée. Fut un temps j'aurais tout donné pour entendre de nouveau ce rire et voilà qu'il sonnait de nouveau à mes oreilles ...

-Tu étais injuste avec lui, Vic', même moi je le voyais. C'était évident qu'il prenait tout ce que tu n'osais pas donner aux autres. Après je ne dis pas que ça l'excuse, il n'a jamais été tendre avec toi. Mais j'ai fini par comprendre que c'était par dépit ... par dépit amoureux. Ça le mortifiait de voir ses sentiments changer alors que tu restais inflexible. Alors il s'est enfermé dans son rôle d'ennemi mortel. Mais ça fait longtemps qu'il a abandonné l'idée de te tuer ...

-Depuis qu'il a compris que quelqu'un pouvait lui griller la priorité, murmurai-je par automatisme. Tu l'as vu ... avant tout le monde ...

-Evidemment. Vous étiez mes meilleurs amis ... rien ne m'échappait sur vos états d'âmes. Je voyais que vous vous cachiez mutuellement.

-« Je pense que tu as été chercher Bletchley un peu trop loin » ... Simon est furieux que tu aies tenté de le trahir ...

-Oh ce n'était pas pour le trahir, se défendit Cédric, les sourcils dressés. C'était plus contre toi. J'avais planté la graine dans Simon ; pour son éclosion, ça ne dépendait que de lui, mais le terreau était là. Toi en revanche ... Tu étais à des années-lumières de ça. Tu t'es même débrouillée pour se dégoter Bletchley ...

Le mépris avait réussi à percer la voix sur ce nom, me rappelant qu'il n'avait jamais apprécié ce choix. Non, il s'était toujours méfié de Miles. Il ne lui faisait pas assez confiance pour lui laisser sa précieuse Victoria entre ses mains. Malgré cela, un sourire presque malicieux ourla ses lèvres.

-Vous m'avez un peu forcé la main pour Cho, tu te rappelles ? Vous m'avez forcé à lui demander de m'accompagner au bal ... Tous les deux, main dans la main. Il fallait bien que je vous rende la monnaie de votre pièce ...

-Ça a marché, soufflai-je, la poitrine compressée. Enfin, pour Simon ... Il ... il regrette ... il voulait que tu saches à quel point tu avais raison.

La nostalgie fit étinceler le regard de Cédric.

-Je sais. Je me doute. Je suis encore avec vous, dans chaque instant ...

J'étais meurtrie dans ma chair et mon âme, le ventre noué, la gorge asséchée et agressée, la cheville douloureuse. Mes seuls réconforts étaient une écharpe trempée de mes larmes et un bracelet qui s'enfonçait dans ma peau. Mais ce furent ces mots enrobés dans un timbre empli de tendresse et de conviction qui agirent comme le premier baume qui m'apaisa réellement pour la première fois depuis Nestor avait franchi la porte. Cette sensation inédite entre ses murs me fit verser des larmes de soulagement qui imbibèrent encore un peu l'écharpe d'Ellie.

-J'ai toujours voulu être là pour toi, Vic', poursuivit Cédric comme j'étais incapable de lui répondre. Depuis que j'ai compris quel genre de fille tu étais ... si intelligente, si joyeuse ... Ta timidité, ce n'était pas ta nature profonde, non. C'était plus de la crainte que de la timidité ... mais une fois la crainte passée, tu t'es révélée tellement brillante ... j'avais envie que le monde te découvre. Qu'Emily et Simon te voient avec mes yeux ...

-Je ne suis plus, pleurai-je dans l'écharpe, prise de tremblement. Je ne suis plus cette fille-là, je ne suis plus là ...

Un silence assourdissant me répondit, si bien que je finis par émerger, prise de peur à l'idée que Cédric ait soudainement disparu. Ce n'était pas le cas. Il s'était simplement rapproché pour s'accroupir auprès de mon lit, les doigts figés sur le bord où j'étais recroquevillée, léthargique sans la moindre autre trace de vitalité que mes pleurs. Dans la semi-pénombre, son regard gris avait pris la dureté de l'onyx.

-C'est faux, murmura-t-il, presque férocement. C'est faux et tu le sais. Tu pensais être cette fille-là en première année ? Après avoir appris que tu étais une sorcière, après le cinq Novembre ? Non, bien sûr que non. Cette fille-là, elle était en sommeille au fond de toi et elle s'est dévoilée.

-Grâce à toi ...

-Et je suis là. Je suis là, Vic'. Donc si je suis là, elle est là aussi, d'accord ?

Il planta son regard dans le mien, comme pour ancrer le message, l'inciser au fond de mon esprit. Je me plongeai dans l'immense sérénité et la profonde certitude que véhiculait ses prunelles, m'accrochait à ce contact de toutes mes forces. Un pilier au milieu du chaos, un pilier près à me porter, au moment où la porte grinçait de nouveau sur ses gongs. Cédric se leva et le considéra, le visage grave. Je me remis à trembler de manière incontrôlable.

-Tu restes avec moi ? suppliai-je, déjà dans l'attente.

-Je n'ai jamais cessé d'être avec toi, Victoria.

Pourtant il s'éloigna et en lieu et place apparut un visage nettement moins avenant, nettement plus inquiétant. Le regard était gris, les cheveux était brun mais jamais on ne put voir deux êtres si différents. Cédric était une âme de lumière et de bonté quand dans mon enfer personnel, Nestor Selwyn prenait avec une aisance démoniaque le rôle du Diable. L'homme qui me précipitait dans les cercles de l'enfer.

Nestor me décocha un regard froid, presque indifférent. Comme Sterverson, la présence de Cédric ne parut ni l'effleurer, ni l'affecter. Mais c'était évident depuis le début : il n'avait d'yeux que pour moi.

-Et bien, la déchéance est laide à voir, commenta-t-il devant mon absence totale de réaction à son entrée. Pourtant l'épouvantard est cadenassé ... C'est à ce point, Victoria ?

Le sourire qui retroussa ses lèvres tenait presque de la grimace grotesque au milieu de son visage brouillé par les cicatrices. Enveloppée dans l'écharpe d'Ellie, je fermai les yeux, occupée à rassembler mes forces pour l'assaut qu'annonçait la lueur folle qui s'était mise à luire dans ses prunelles.

-Ne l'écoute pas, intervint Cédric depuis son coin de la cellule. Moi je te trouve très bien. C'est joli tes cheveux longs comme ça, ça change.

-C'est ça ..., murmurai-je, désabusée.

-Pardon ?

J'ouvris un œil sur Nestor qui venait de dresser un sourcil méprisant. Devant mon manque de réponse, il secoua lentement la tête et ferma la porte derrière lui pour replonger la cellule dans la semi-pénombre. J'accueillis les ténèbres comme une vieille amie qui avait la bonté de m'aveugler pour atténuer mes souffrances.

-Alors Victoria, c'est comme ça que tu accueilles ton seul visiteur ? railla Nestor en relevant ses manches. Ta famille slave ne t'a pas appris la politesse la plus élémentaire ...

-La sienne non plus, fit remarquer Cédric avec une certaine dérision. C'est une nouvelle tradition de torturer ses hôtes ?

Je masquai le sourire que la saillie provoquait dans l'écharpe. Nestor ne semblait pas vraiment d'humeur à me voir sourire. Au contraire, mon silence parut dissoudre ses envies de plaisanter. Il pointa sa baguette sur moi. Sur son bras blanc qui ressortait dans l'obscurité, j'arrivais presque à discerner les contours de la marque des Ténèbres.

-Lève-toi.

L'intérêt me semblait limité : je serais à terre dans une seconde, quoiqu'il arrive. Mais je supposais que me voir me fracasser au sol, chuter encore et encore n'était qu'un charme supplémentaire pour lui... Parfaitement consciente que refuser, c'était m'exposer à pire, je basculai péniblement mes jambes hors du lit. Une pointe foudroyante de douleur traversa ma cheville lorsque je m'appuyais dessus.

Je ne sus réellement si ce fut le fait de me retrouver face à lui, au bout de cette baguette qui, peu importe que je faisais, n'était destiné qu'à me faire souffrir. Ou si ce fut le sourire encourageant que m'adressa Cédric par-dessus l'épaule de Nestor, ainsi que le regard infiniment révulsé qu'il lui réserva. Ou peut-être ses jours calmes sans épouvantard qui m'avaient permis de retrouver des forces ... et une répartie. Mais je me retrouvais à ânonner d'une voix venue d'outre-tombe :

-A quoi ça rime, Nestor ? Brise-moi, broie-moi, tue-moi ... qu'est-ce que ça va changer ? Tu te trouveras toujours avec le même reflet face au miroir.

Un terrible courroux embrasa les prunelles de Nestor et déforma son visage encore un peu plus. Je l'entendis à peine prononcer la formule : tout en moi s'était éteint, une seconde plus tôt, pour ne laisser que les battements effrénés de mon cœur au moment où le sortilège me frappa.

Et de nouveau, je chutais. Folle de douleur, je gigotai, me arquai sur le sol pour échapper aux mille lames qui me transperçaient de part en part. Ce fut long. Une éternité qui me laissa glisser dans un nouveau cercle, m'arracher le peu que j'avais réussi à récupérer en quelques jours. Lorsque tout cessa enfin et que j'ouvris mes yeux noyés de larmes, les visages de Cédric et de Nestor se confondaient au-dessus de moi.

-Vic', tiens bon ..., m'enjoignit fermement le premier. Il ne peut pas totalement t'atteindre ... Regarde-moi ...

-Tu ne sais pas tout ce que j'ai vécu après que tu aies osé user de ta sale magie sur moi ! vociféra le second, hors de lui. Tu ne sais pas ce que j'ai enduré ! La première fois que j'ai vu mon reflet, le dégoût dans les yeux de mon père, le mépris dans ceux de mon frère ! J'étais l'héritier, la joie et la fierté de la famille et tu m'as tout fait perdre ! Tu m'as transformé en moins que rien, tu m'as transformé en monstre !

-Et je m'en suis voulue !

Un sanglot m'échappa alors que ce terrible aveu jaillissait de mes lèvres, d'une terrible boule de culpabilité qui ne m'avait jamais totalement quitté depuis que l'étincelle avait embrasé son écharpe avant de dévorer ses traits. Je ne sais pas où je trouvais la force de me redresser sur un coude pour pouvoir lever les yeux sur le visage crispé par la haine et la colère de Nestor.

-Vic', tu n'as pas à t'excuser, me rappela Cédric d'un ton sévère. N'oublie pas que ce ne serait jamais arriver sans lui ... ce n'est pas ta faute.

Et pourtant ... maintenant que les mots étaient sortis, la suite suivit avec une fluidité dont je fus la première surprise :

-Tu crois que j'ai aimé ce que j'ai fait ? crachai-je alors, presque littéralement. Tu crois que j'ai aimé ce que ça a dit de moi ? Je t'ai mis le feu et je me suis enfuie ! C'était horrible, j'ai pensé toute la nuit à ce qui avait pu t'arriver, imaginer dans quel état tu allais revenir ! Je venais de bouleverser ta vie et je me sentais si mal ! Alors que c'était toi le responsable ! Toi !

-Moi ? rugit Nestor.

-Qui m'a attaché sur un bûcher ?!

Ce ne fut qu'en observait la mine profondément stupéfaite que pour la première fois, j'accordais de la fois aux propos de Simon, prononcé à un moment où j'étais encore incapable de le contempler sans éprouver l'envie de l'étrangler. « Ils ne l'auraient pas fait ».

Non. Non, Nestor n'aurait jamais allumé le bûcher. Pas à quinze ans. C'était un garçon malveillant, mais dénué du feu destructeur qui l'animait à présent tout entier. C'était la rancœur, le dépit et la haine qui avait empoisonné son esprit et lui avait permis le franchir ses propres cercles de son propre enfer. Lui aussi avait perdu son humanité en descendant dans les stats. Il avait laissé ses scrupules dans l'un de ses cercles et était à présent libre d'allumer l'étincelle qui lui avait manqué ce soir-là.

-Très bien, déclama Nestor d'une voix rauque, le regard intensément planté dans le mien. Tu admets tes torts, j'admets les miens. J'étais ... un gamin stupide. Mais tu sais quoi ? On s'en fiche, Victoria. Je m'en fiche que tu aies été rongée par la culpabilité, je me fiche que tu te tortilles à mes pieds, je me fiche que tu me supplies. Ce n'est pas ta vie qui a été gâché ce soir-là, c'est la mienne.

Ses doigts se raffermirent sur sa baguette et derrière elle je perçus le regard inquiet de Cédric, la façon dont son corps se tendu en miroir du mien.

-Courage, Vic' ...

-Je pourrais passer toute ma vie à essayer de tout rattraper, tout récupérer, ce ne sera jamais assez, poursuivit Nestor, comme possédé. Jamais je ne retrouverai l'avenir brillant qui m'était promis, qui m'était dû ... Ce sera toujours le même dégoût dans les yeux de mon père, le même mépris dans deux de mon frère. Même ma sœur qui prétend m'aimer ne rêve que de me briser davantage ... je ne la laisserai pas faire. Je ne laisserai plus jamais personne me faire ça. Jamais.

La lueur dans ses prunelles vacilla. Il ne paraissait même pas réellement s'adresser à moi. Avait-il pu un jour verbaliser toutes les terribles conséquences de nos actes ? Avait-il seulement pu cracher ses maux comme il le faisait à présent ? Non ... Elles étaient restées comme de terribles parasites à lui empoisonner l'âme et l'esprit encore et encore.

-Et je ne te parle même pas de ma propre sœur jumelle ... ma seule alliée, la seule personne à m'avoir soutenu sans condition ... même ça tu as réussi à me l'arracher ... ton bâtard de frère ... comment ça se fait que tu sois une sorcière s'il est né vermine, hein ? Elle ne tient pas debout ton histoire... j'en trouverais le fin mot ... en attendant ...

-En attendant quoi ? Tu vas me torturer à l'infini ? C'est bon, Nestor, tu as eu ce que tu voulais ! On est quitte ! Je me sens brûlée à l'intérieur, tu as tout cramé, tout ! ça suffit maintenant ... ça suffit ...

-Non, refusa Nestor dans un souffle rauque. Non, ce ne serait jamais fini. Tu as raison, j'aurais toujours cette face-là. Je ne récupérerai jamais ce qui m'est dû ... ce ne sera jamais fini pour moi. Je suis un purgatoire éternel. Alors tu vas m'y rejoindre.

Les mots étaient déclamés avec un calme irréel, qui tranchait avec la colère et la douleur qui animaient son visage. Ils avaient la force d'une conviction forgée au rythme des épreuves, des réflexions intenses pour chercher un sens à ce qui lui était arrivé, à trouver une échappatoire à son enfer. Il n'y en avait pas. Nestor s'était résigné à descendre les cercles à l'infini - et à m'emporter avec lui.

Ce n'était pas la première fois que j'éprouvais de la peine pour Nestor. Je m'étais sentie déchirée par la compassion lorsque j'avais découvert ses fraiches cicatrices après qu'il fut rentré de St-Mangouste. Je l'avais trouvé pathétique et pitoyable sur le toit, à répondre à l'appel aveugle de la haine. Il venait de torturer mon frère, et j'avais éprouvé plus de pitié que de colère. Mais cette résignation totale sur le sens de sa vie était pire que toi. La lumière s'était éteinte ce soir de cinq Novembre où les flammes l'avait dévoré.

-Ça ne finira jamais, soufflai-je à Cédric. Jamais, jamais ...

-Non, me confirma sinistrement Nestor.

-Si, objecta Cédric. Si, Vic', il faut que tu croies ! Tu vas sortir d'ici un jour, il existe un monde au-delà-de ses murs, un monde qui t'attend ! Vic' ! Vic', pense à eux ! Pense à tes parents, pense à Emily, pense à Simon !

C'étaient leurs visages que j'avais en tête lorsque le sortilège s'abattit de nouveau sur moi, avec une brutalité accrue. Leurs visages, pour me relier à la vie. Leurs visages, pour que ce moment au milieu de l'enfer ait un sens.

***

Les flammes étaient revenues.

Mais cette fois, Cédric était avec moi pour les affronter.

Il m'avait rejoint sur le lit, le visage crument éclairé par la lumière du brasier qui rugissait autour de nous. Il paraissait presque intéressé par la danse des flammèches et leur crépitement qui sonnait à ses oreilles comme un feu d'artifice. Son absence totale de crainte apaisait quelque peu la mienne, bien que j'étais incapable de leur faire face. Recroquevillée contre le mur, j'attendais simplement que l'instant passe et qu'on rappelle l'épouvantard.

-Tu chantes bien, se souvint Cédric d'un ton badin. Je me souviens des fêtes dans la salle commune ... je donnais tout pour te voir chanter. Tu as la voix d'un ange.

-C'est les chants ecclésiastiques, ça, répondis-je par automatisme.

Un tonnerre de crépitement m'arracha un gémissement d'agonie. Les flammes avaient beau ne jamais m'avoir atteinte, je n'arrivais pas à me raisonner. Dans mon esprit tourmenté, elles étaient là pour rétablir l'équilibre et allumer le bûcher du cinq Novembre.

Remember, remember, the fifth of November ... Gunpowder, treason and plot. Guy Fawkes. Maudits catholiques. Mon père avait raison de se méfier d'eux.

-Tu ne veux pas chanter ? me proposa Cédric. Comme avant.

-Cédric ...

-Allez, il y a bien une chanson qui doit te faire du bien. Le genre de chanson que tu chantes avant d'aller au champ de bataille pour te donner du cœur. Un truc qui ressemble à « La chasse est ouverte : suivez l'ardeur qui vous emporte ! Et dans l'assaut ...

-« ... Criez Dieu pour Henry, Angleterre et St-George », complétai-je.

Ma voix n'était pas plus haute qu'un murmure rauque et brisé. J'arrivais à peine à garder les yeux ouverts : malgré le rugissement des flammes derrière moi et leurs ombres qui dansaient sur le mur, je me sentais à deux doigts de basculer. Seule la conversation avec Cédric me permettait de garder le fil de ma vie.

-Je l'ai transformé, articulai-je difficilement à l'adresse de Cédric. Pour moi c'est devenu « Dieu pour Cédric, Angleterre et Albus Dumbledore ».

Le rire de Cédric résonna puissamment dans ma carcasse creuse, la remplit momentanément avant qu'il ne se fasse aspirer par le brasier. Il m'adressa un grand sourire.

-Et bien, je suis flatté d'être mis sur le même plan que l'Angleterre et qu'Albus Dumbledore ! Qu'est-ce que tu nous aurais chanté comme chanson qui va avec ça ?

Mon cerveau peina à répondre à la requête de Cédric. J'étais au ralenti. Le dernier assaut de Nestor avait été terrible. J'avais eu la sensation qu'il était resté des heures, des heures à la merci de sa baguette, des heures à l'écouter s'épancher sur ses malheurs tout en étant responsable des miens. On était le serpent qui se mordait la queue. Un jour, les Serdaigle se poseront comme énigme « qui de Victoria ou Nestor a allumé la mèche » et seraient incapable d'y répondre. Nous étions la plume et le phénix. Impossible de savoir lequel des deux étaient apparu en premier.

Je battis rapidement des cils pour éviter que mes yeux ne se ferment. Des notes s'étaient mis à jouer dans mon esprit, mais lointaine, vague écho de ce qu'elles avaient été réellement. Mes lèvres se mouvèrent machinalement, d'abord sans émettre le moindre son, puis peu à peu, un filet de voix s'échappa :

... There is a flame that never dies
Even the darkest night will end

And the sun will rise !

They will live again in freedom
In the garden of the Lord

We will walk behind the ploughshare
We will put away the sword
The chain will be broken
And all men will have their reward

Will you join in a crusade?
Would you me strong and stand with me?

Somewhere beyond the barricade
Is there a world you long to see?

Do you hear the people sing?
Say do you hear the distant drums?
It is the future that they bring
When tomorrow comes !

Mais voix s'éteignit, mais pas le chant en moi. Il sonna encore, se répercuta dans mon esprit brisé sous tous ses angles, trouva des échos au plus profond de moi. There is a flame that never die ... Une flamme qui ne meurt jamais. Une bonne flamme, pas celles qui m'assaillaient sans répit. Il existait de bonnes flammes dans ce monde. Elle existait à l'intérieur de moi. Tout au fond.

-C'était magnifique, Vic', assura Cédric, l'air vaguement ému. Tu n'as rien perdu ...

-Tu aurais dû voir quand c'était le corps d'armure de Poudlard qui le chantait ... ça c'était magnifique ... ça te prenait aux tripes, ça résonnait littéralement en toi. Tu avais l'impression que c'était ta chair qui chantait.

Le souvenir ne m'arracha même pas une larme. Je n'en avais plus à verser : le feu et le temps avait vidé mes canaux lacrymaux.

-Tu penses que Simon fait quoi en ce moment ? interrogeai-je, toujours de cette voix basse, si basse ... presque morte.

-Qu'est-ce que tu en penses, toi ?

-Je pense qu'il est en train de me maudire quelque part. Qu'il a envoyé son poing dans la face de Noah, mais que Julian l'en a empêché. Qu'il a voulu venir au Ministère des dizaines de fois mais que chaque fois quelqu'un l'a retenu. Parce que si Simon pose un pied ici, ils ne le laisseront plus ressortir, hein ? Si Nestor est comme ça avec moi ... imagine Jugson ... Il te l'avait dit ? Pour ses parents ...

-Non, Vic', me promit Cédric, un éclat peiné dans le regard. Non, jamais ... mais je doutais que quelque chose ne tournait pas rond. J'ai juste pas eu le temps de mettre le doigt sur « quoi » ...

-Tu aurais compris, en septième année ... tu aurais vu comment il était, Cédric ... comment il était ...

Le souvenir en appela un autre et je revis la mine dubitative et fermée de Renata sur le quai de la gare routière. J'eus des vagues échos de ma colère lorsqu'elle avait sous-entendu que Simon n'était pas fiable, justement à cause de ses traumatismes. A cause de moi. Elle était si radicale ... si radicale ... Au fond j'ai découvert qu'il était ... tout aussi radical que moi, murmura-t-elle dans mon esprit, elle aussi depuis les abysses.

-Cédric ... Renata ...

Cédric me décocha un regard surpris. Avec l'intensité des flammes, ses cheveux avaient l'aspect du cuivre en fusion.

-Renata ?

-Tu ... elle a dit que ... que vous étiez amis.

-Un peu, concéda Cédric, la tête penchée sur son épaule. C'était une personnalité singulière ... elle parlait à un aspect de moi que je ne me sentais pas de partager avec vous. Ce n'était pas un manque de confiance, non, pas du tout ... C'est juste que toi tu avais l'air à l'époque d'espérer que faire le dos rond suffirait. Emily n'aurait pas compris ce que j'aurais tenté de lui dire. Simon, à la limite. Oui, Simon était sur la même longueur d'onde ... mais étrangement, pas du tout. Je pense qu'il attendait de moi que je le tempère, pas que je l'attise et c'est ce que j'ai fait. Alors que Renata ... elle n'attendait rien. Elle a tout accepté de moi, même ce que je ne voulais pas montrer à la face du monde.

-J'aurais accepté aussi, murmurai-je, presque vexée.

Un sourire retroussa les lèvres de Cédric et il me lança un regard empli de tendresse. Je n'avais pas daigné voir ce regard de son vivant et pourtant, il justifiait à lui seul tout ce qu'on avait pu me dire sur ma relation avec Cédric. J'étais la petite chose qu'il aurait voulu protéger par-dessus tout.

-Je n'en doute pas ... alors disons que je voulais t'épargner cet aspect-là de moi. Si je m'étais lâché, Vic', je serais allé voir Miles cent fois pour lui demander de te foutre la paix et j'aurais fini par faire équipe avec Simon pour placarder Selwyn dans l'armoire à disparaître de l'étage de Sortilège.

-Seigneur, ne me parle pas de cette armoire ...

-Pardon, s'excusa Cédric, penaud. Juste pour te dire que ... tu n'avais pas besoin de moi, pas comme ça.

Il garda le silence quelques secondes, l'air songeur, avant d'ajouter avec une certaine solennité qui soulignait la beauté de son visage :

-J'aurais fait comme toi, Vic'. Je serais rentré dans l'Ordre, je me serais battu. Peut-être que j'aurais eu le destin de Renata ... que tout ce qui se passait m'aurait tellement révolté que j'aurais fini par perdre pied. Peut-être que je serais mort comme elle ...

Un sourire, moitié dépité, moitié nostalgique, fendit son visage.

-Alors ne pleure pas trop sur mon sort ... Les événements n'ont pas eu le temps de me déformer. Je ne suis pas sûr que tu aurais aimé ce qu'ils auraient fait de moi ...

-Cédric ...

-Mais je suis fier de ce que ça a fait de toi. Tu es devenu la femme quisommeillait au fond et que j'ai cru percevoir au fond de tes yeux dès lespremiers instants. Intelligente, débrouillarde, forte, solaire ... et courageuse.Je savais que tu étais courageuse, Vic' mais tu ne cesses de me le prouver.

Quelque chose se réveilla dans ma poitrine et alimenta les restes de chant qui continuaient de résonner en moi, à se calquer sur le rythme excessivement ralenti de mon cœur. J'avais la sensation qu'il économisait ses battements. Qu'il n'avait plus assez de force pour fonctionner normalement.

-Merci ..., soufflai-je, reconnaissante d'avoir une réponse à une question qui m'avait hanté. Cédric ... Cédric je veux dormir, maintenant.

-Avec les flammes ? s'étonna-t-il.

-Je m'en fous ... je m'en fous ...

Je fermai les yeux, le nez niché dans l'écharpe, les crépitements éclatant à mes tympans mais peu importait, à présent. Je n'avais même plus la force d'être terrifiée. Libre à Nestor de jouer avec moi : je doutais qu'il obtienne des cris aussi satisfaisants que les premiers, désormais. Au fond de moi, tout était consumé. Ne restait que Cédric.

Je fermai les yeux, m'abandonnai aux ombres qui réclamaient ma présence et me fondit dans la poussière. Malgré la chaleur qui menaçait de me faire suffoquer, tout semblait enfin paisible. Les flammes dansaient à peine derrière mes paupières closes. C'était fini ... fini ...

Tellement fini que, lorsque me vint le lointain grincement de la porte, je ne réagis pas. J'étais passée dans l'autre monde. Mon corps n'était plus à même de donner satisfaction à Nestor. Il ne me verrait plus chuter, plus jamais je n'atteindrais les décibels atteintes. S'il voulait me voir gesticuler comme une poupée désarticulée, libre à lui ... oui, libre à lui ... La chaleur cessa, annonciatrice de la douleur. Pourtant la voix qui traversa les voiles innombrables du sommeil était infiniment plus douce et sembla même s'étrangler :

-Oh, par Merlin ...

Je connais, notai-je distraitement, les paupières scellées sur mes yeux brûlants. Je connaissais, et ce n'était pas Nestor. C'était trop compatissant pour être Nestor. La main qui vint se loger sur mon épaule était trop petite pour être celle de Nestor. La voix qui s'éleva de nouveau trop féminine pour être Nestor.

-Victoria ... Victoria, ouvre les yeux s'il te plait ... Mon Dieu, Victoria ...

-Vic', il faut que tu ouvres les yeux, maintenant, insista Cédric en écho. Allez, c'est le moment ...

Les yeux tremblotèrent sans que je ne parvienne à lever une paupière. J'avais une vague conscience du monde extérieur, mais tout semblait me venir par tremblement, comme si j'étais sous l'eau et que je recevais les signaux par ondes diffuses. De l'agitation se fit entendre. Un choc sourd semblable à celui de la malle qui retenait l'épouvantard et mon corps entier se crispa. Pitié, je voulais dormir ...

-Dépêchez-vous, murmura la fille d'un ton urgent. Elle ne se réveille pas, il va falloir la porter ...

-Pas du tout ?

Je connaissais aussi. C'était que je devais connaître ces doigts qui me palpait le cou et le front. Ils tremblèrent sur ma peau.

-Mille gargouilles, elle est brûlante ...

-On s'en occupera plus tard, pressa une troisième voix, étrangère celle-ci. Vite, dans la valise !

-Je vais avoir besoin d'aide ...

-Tu as plus de muscles que nous deux réunies.

-Bah porte un poids mort et on en reparle !

-Oh ! intervint l'étrangère, consternée. Vous êtes vraiment en train de se disputer pour ça alors qu'on est à deux doigts de se prendre un aller simple pour Azkaban ?

Un lourd silence accueillit la mise à point. Quelqu'un renifla. Des doigts se crispèrent sur mon bras. D'autres effleurèrent la peau de mon visage, écartaient une mèche de cheveux d'un geste à la fois tendre et fébrile. Je fus secouée. Avec une certaine douceur. Mais secouée quand même. Mon ventre se souleva.

-Allez Victoria, ça nous aiderait que tu ouvres les yeux ...

-Obéis-leur, Vic', m'enjoignit Cédric avec plus de fermeté. Allez !

-On a pas le temps, dépêche-toi !

Il eut quelques secondes de battement où des mains hésitèrent sur mon corps, comme incapable de savoir où se poser. Ce ne fut que lorsque je fus hissée, arrachée à mon lit, qu'un électrochoc me parcourut et que je trouvais la force pour ouvrir un œil. Tout était flou, sombre, terrifiant et au milieu de ce marasme, un seul visage m'apparaissait nettement :

-Cédric ... ?

La personne qui me portait se figea, et tout le monde sembla retenir son souffle face au mot qui avait jailli de ma carcasse.

-Non Vic' ... non, c'est moi, c'est...

-Laisse tomber, elle divague ! Dépêche-toi, on a peu de temps ... Il manquerait plus qu'on se fasse choper.

-Cédric !

Une main nerveuse couvrit ma bouche mais mon regard parvint à accrocher celui de Cédric. Il ne bougea pas, un léger sourire imprimer sur ses lèvres, le visage plus serein que jamais.

-Tu sais le seul moyen de sortir de l'enfer, Vic' ? C'est d'en descendre tous les cercles. Ta chute est terminée, maintenant ... il est temps que tu atteignes le paradis.

-Cédric, s'il te plait ...

-Oh la la, chuchota la fille qui je connaissais, catastrophée.

Cédric m'adressa un sourire chagriné. Les mains dans les poches, il reculait vers le fond de la cellule. Déjà, son uniforme gris semblait se fondre dans les pierres derrière lui.

-Je ne t'accompagne pas, cette fois. J'appartiens à l'ombre et la poussière ... Tu as d'autres personnes pour veiller sur toi et je leur fais une entière confiance. Mais je serais toujours avec toi, Victoria Bennett. Souviens-toi en. Toujours.

Des larmes débordèrent de mes yeux. Je ne pensais plus en avoir une seule, mais voir Cédric disparaître une seconde fois, c'était trop. Je voulus me débattre, me précipiter vers lui, me fondre en lui pour être certaine de ne jamais le perdre ... mais mon corps avait cessé depuis longtemps de m'obéir et je fus emportée. Cédric me souriait alors que je descendais dans les derniers cercles de l'enfer, seulement accompagné des voix qui me parvenaient toujours par brouillement :

-Ça va aller ?

-Mais oui ... j'ai jeté un sortilège au geôlier, il ne se souviendra de rien ... Ne sortez pas tant que je n'ai pas donné le signal, d'accord ?

-Cédric ...

On était en train de refermer un voile sur moi. Le visage de Cédric m'apparaissait de moins en moins nettement. Un dernier sourire, un dernier éclat dans ses yeux gris, une main sur le cœur et ce fut tout.

Pour la seconde fois, il était parti.

***

Alors, deux questions :

- Votre verdict ?

- Et vos théories sur les trois sauveur.ses 0:)

Alors peut-être que ça en décevra certains et certaines d'entre vous qui attendaient peut-être que j'approfondisse le lien avec les Liszka : j'avoue, je n'y ai pas particulièrement songé, pour tout vous dire. Ce n'était pas l'aspect qui m'intéressait le plus : ce que je voulais vraiment, c'est une vraie confrontation entre Vic et Nestor, une vraie "vengeance" si on veut.

Peut-être les plus sadiques d'entre vous attendaient-ils que je prolonge la torture : là encore, les chapitres ont été assez éprouvants à écrire, j'ai été au bout de ce que je pouvais faire. Et j'ai considéré que Vic avait déjà bien assez souffert !

J'espère que que ces chapitres vous ont "plu", c'était un véritable challenge pour moi vu leur teneure et je suis assez heureuse de la façon dont je m'en suis sortie !

A la semaine prochaine pour la suite 0:)

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