IV - Chapitre 20 : La rose de fer

... Coucou ? 

(Pour celle.eux qui l'ignorent, il y a un craquage la semaine dernière et un chapitre a été posté !) 

Bon je suis assez ravie que vous ne me détestiez pas trop et que pour la plupart, vous avez compris mon choix ! Non seulement c'était un destin naturel pour Renata, mais comme l'a souligné quelqu'un, c'était aussi pour montrer que parfois, les plans ne vont pas au bout. Parfois, tout se fracasse avant même que ça commence. Parfois, on est balayé par des imprévus, et c'est ce qui est arrivé ... 

Bon, maintenant on poursuivit cette partie nettement moins fun d'O&P. Pour tout vous dire, c'est la partie que j'avais depuis le début, quand j'ai commencé à écrire la partie 1, je savais qu'un jour, il allait se passer ça ! 

Bonne lecture les enfants ! 

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Le langage politique est conçu pour que les mensonges paraissent vrais et les meurtres respectables, et pour donner à du vent l'apparence de la solidité. 

- George Orwell 

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Chapitre 20 : La rose de fer.

-Elle saigne ... Ellie, donne-moi ton écharpe.

-Avec le froid qu'il fait ... ? J'ai besoin de cette écharpe ...

-Le froid n'existe que dans ta tête, Ellie. C'est ces horribles créatures ... Donne, vraiment, elle saigne fort, ils ont dû la cogner. Ou alors elle est tombée quelque part ...

Quelques grommèlements et protestations plus tard, une douleur explosa dans mon crâne lorsqu'on passa une main derrière ma nuque. L'onde de souffrance éveilla mes sens et je sentis un souffle s'échapper de mes lèvres en même temps qu'un gémissement.

-Chut ..., murmura une voix au-dessus de moi. Chut, je bande ta tête, tu saignes ... Ellie, donne-moi l'eau !

-Je ne suis pas ton assistante.

L'eau finit néanmoins par être versée sur mon crâne et un frisson me parcourut de la tête au pied. Un filet glacé atteint mon œil et me força à battre des paupières. Chaque clignement vivifiait la douleur qui irradiait depuis mon front et il me fallut plusieurs secondes pour que la faible lumière ne soit plus une source d'inconfort. Les lignes tremblèrent et le temps pour m'accoutumer à la semi-pénombre me sembla infini, mais je finis par décrypter le visage crispé et blême d'une jeune fille au-dessus de moi. Ses cheveux bouclés étaient attachés en chignon sur sa nuque et plusieurs mèches folles s'en échappaient pour me chatouiller la peau alors qu'elle ceignait une épaisse étoffe autour de ma tête. Elle m'adressa un sourire fatigué.

-Bon, ça devrait éponger le sang et arrêter le saignement ... désolée, sans ma baguette je ne peux pas faire plus. Tu peux te redresser ?

La bouche sèche, je fus incapable d'articuler quoique ce soit et hochai la tête. Mon monde sembla valser alors qu'elle m'aider à m'assoir et une nausée voulut poindre, mais je m'adossai contre le mur derrière moi avec des étoiles dans les yeux qui s'estompèrent de secondes en secondes. Alors je pus remarquer l'humidité qui saturait l'air et rendait ma respiration laborieuse, la lueur d'angoisse qui brillait comme un phare dans le regard de la fille qui me soignait comme dans celui de sa compagne, recroquevillée un peu plus loin. Mais surtout j'eus une vue prégnante sur les barreaux qui fermaient l'espace, le ferraillaient par des lignes strictes et imposantes. La lueur des torches dehors découpaient leurs ombres sur le sol froid et donnaient la sensation que toute la pièce était une prison.

Je suis en prison.

La panique s'éprit de moi et me poussa à bondir sur mes pieds mais aussitôt les lignes strictes et incassables louvoyèrent et je me retrouvais de nouveau plaquée contre le mur, à bout de force. La fille aux cheveux bouclés attrapa mon bras et me ramena à ma position initiale avec fermeté.

-Calme-la, sinon ils vont revenir vers nous ! siffla l'autre.

-Reste tranquille ! Reste tranquille, les Détraqueurs sont partis de l'autre côté du secteur, si tu t'agites ils reviendront !

La menace me cloua sur place. Je ne comprenais pas grand-chose, mais la simple mention de ses démoniaques créatures suffit à totalement me paralyser. Je ne voulais pas risquer de subir leur glacial pouvoir ... Mécaniquement, je cherchai ma baguette dans mes poches de ma veste sans rien y trouver. D'ailleurs, rien ne s'y trouvait. Pas mes clefs, pas les chewing-gums que j'avais volé à Noah, pas les mouchoirs hérités de la crève qui m'avait encombré cette semaine. Leur absence m'angoissa presque plus que celle de ma baguette. Mon nez coulait, comment allais-je faire pour me moucher ?

-Où est-ce que je suis ? m'enquis-je d'une voix qui menaçait de dérailler. Qu'est-ce qu'il ... ?

... s'est passé ? Mais je n'eus l'occasion de poursuivre car les images me foudroyèrent l'esprit en même temps que la douleur ma tête. Renata dans l'encadrement de la porte, Renata enveloppée de sa cape rapiécée dans les rues d'Oxford, Renata et sa baguette au milieu de mille éclats lumineux ... Renata propulsée sur les pavés et la flaque de sang qui jetait sur son visage les ultimes couleurs.

Seigneur, Renata ... Renata ...

Pour la première fois depuis une éternité, je me surpris à prier. A prier pour que cette âme tourmentée mais entière trouve la paix dans l'autre monde, à prier pour que cette mort ne soit pas vaine. A prier pour que dans son propre cachot, Mathilda s'en sorte ... Elle est morte, Seigneur elle est morte ... le son que son corps avait produit lorsqu'il s'était fracassé contre les pavés ressassa en boucle dans mon esprit et des larmes dévalèrent mes joues. J'avais plus ressenti cette sensation d'étouffement et de désœuvrement depuis que j'avais contemplé le corps de Cédric ... Cédric ...

Un sanglot me noua la gorge et pour échapper aux images qui me perçait la tête comme autant de lame, mes yeux fouillèrent désespérément la petite pièce. Il n'y avait rien, rien que trois murs et ces barreaux, la lueur des torches dans le couloir qui donnait au tout une sinistre ambiance médiévale. Des bancs en bois collaient les murs et une seconde fille était réfugié sur l'un d'entre eux. Aussi pâle que la première, elle avait au fond des yeux un éclat farouche qui embrasait ses iris brunes et animait son visage. Mais sitôt que je posais les yeux sur elle, elle détourna le regard, les dents serrées. Maintenant que j'étais accoutumée à la faible luminosité, son visage m'évoquait quelque chose, un souvenir enfoui sous la poussière de la mémoire.

-Tiens, me fit celle aux cheveux bouclés en me tendant une gourde. Bois ... calme-toi. Pleurer, ça ne sert à rien, ça ne va pas les attendrir ...

Je réalisai seulement que les larmes avaient dévalé mes joues pour matérialiser ma détresse. Sonnée, je saisis machinalement la gourde et la portai à mes lèvres. La gorgée fraiche parut me brûler la trachée mais eut pour mérite de m'éclaircir les idées et d'apaiser ma gorge aride.

-Je suis où ? demandai-je de nouveau d'une voix tremblante. A Azkaban ... ?

-Non, me rassura immédiatement la fille aux cheveux bouclés.

-Pas encore, ajouta l'autre avec un ricanement amer.

-Ellie !

-Quoi ? Elle est Née-moldue, tout le monde le sait ... Selwyn la poursuivait à l'école, son Mangemort de grand frère va bien s'en souvenir ...

Frappée par la réplique qui témoignait d'un passé commun, je dévisageai carrément la fille sur le banc. Son air familier ne m'aida pas à mettre un nom sur son visage ovale aux pâles tâches de rousseurs et ses grands yeux bruns plantés sur moi ne furent pas un indice supplémentaire. Elle avait les cheveux courts coupés à la garçonne qui ondulait sur ses oreilles, mais ses traits fins éclairaient sur sa féminité. Un étrange sourire retroussa ses lèvres.

-Tu ne dois pas te souvenir de moi, on ne s'est pas beaucoup parlé à l'école.

-Tu étais à Serpentard ... Ellie ... ?

Le nom de famille m'échappait, mais l'image de cette fille aux cheveux courts vêtue de l'uniforme vert et argent venait de me frapper comme un uppercut et figeait mes larmes sur les joues. La jeune fille cilla, l'air surpris.

-Et ben. Je ne pensais pas que tu t'en souviendrais. Ellie Wilson. J'étais assise derrière toi en Sortilège. Peut-être que tu te souviens de Pénélope ? C'était notre préfète-en-cheffe à un moment ...

-J'étais plus âgée que vous, et honnêtement je ne trainais pas avec les petits, protesta celle qui m'avait soigné, gênée, avant de pivoter de nouveau vers moi. Pour répondre à ta question, tu es au Ministère de la magie. Enfin, dans ses entrailles ...

Un souffle brûlant se bloqua dans ma gorge et me glaça les veines et je levai stupidement les yeux au plafond comme si je pouvais apercevoir les couloirs et les méandres du Ministère à travers. Rose est quelque part en haut ... George aussi ... Octavia aussi ...

Comme l'étaient Yaxley, le Mangemort que j'avais surveillé pendant quelques mois lors d'une mission de l'Ordre. Comme l'étaient tous ces individus qui avaient investis le centre Plumpton au lendemain de la chute du Ministère. Comme l'était Ombrage, cette femme atroce de fer et rose qui siégeait à présent à la Commission d'enregistrement des Nés-Moldus.

Cette simple pensée me ravit ce qui me restait de chaleur et je resserrai mes pans de ma veste sur ma poitrine, saisie par l'effroi. J'étais là où je n'aurais jamais dû être. Tous les efforts ... le polynectar, l'implication de Julian, le manque et l'étouffement ... tout réduit à néant par une stupide décision. Celle de passer la porte de l'appartement de Julian et Noah dans le sillage de Renata. Renata ... si je n'avais pas insisté pour qu'on prenne le bus ... Si on avait juste transplaner ... Les scénarios se répercutaient cruellement dans ma boite crânienne et je me pris la tête à pleine main, désespérée. Pénélope m'attrapa fermement le poignet et arracha mon pilier.

-Du calme, m'enjoignit-t-elle d'un ton plus dur. Tu n'as pas beaucoup de temps, dès qu'ils verront que tu es réveillé ils t'amèneront devant la Commission ! Ne perds pas de temps à te lamenter, réfléchis à ce que tu vas dire !

-Quoi ?

-J'étais comme toi quand je suis arrivée il y a deux jours après ma Rafle. J'ai passé deux jours roulée en boule à m'abandonner au désespoir ! J'étais ... ils m'ont ... (sa voix se réduisit à un filet broyé et à peine audible et elle se râcla la gorge pour se redonner contenance). Bref, je n'ai pas eu le temps de réfléchir ... Je suis bonne pour Azkaban, ils m'emmèneront dès qu'ils pourront mais toi ...

-Parce qu'ils nous emmènent à Azkaban ? murmurai-je.

J'étais incapable de parler plus haut sans que ma voix ne trahisse ma panique. Je n'étais pas prête d'oublier les articles de La Voix du Chaudron sur la sinistre prison ... devenue dangereuse, en raison du droit qu'avaient reçu les Détraqueurs d'embrasser parfois arbitrairement leurs détenus. Le regard bleu de Pénélope se planta dans le mien et j'eus tout le loisir de découvrir à quel point il était brisé et résigné. Sa main glissa de mon poignet à ma main pour serrer mes doigts à m'en briser les os.

-Tu penses qu'il y a un meilleur endroit pour les gens comme toi et moi ? Dans leur tête ? Au moins ils ne nous tuent pas dès notre sortie de la Commission ... j'ai eu tellement peur de ça chaque minute que j'ai passé devant cette femme ... Vraiment, réfléchis à quelque chose !

-Mais qu'est-ce qu'elle peut dire ? soupira Ellie en pressant ses jambes contre sa poitrine. Je te l'ai dit, tout le monde savait qu'elle était Née-Moldue, Selwyn et ses sbires la harcelait pour ça ! Je me suis prise la tête une fois avec dans la Salle Commune, je me souviens ... il t'avait cassé le nez, ce crétin, juste avant l'arrivée des délégations ... belle pub pour Serpentard ...

-Mais tu as bien eu quelque chose à dire, toi ! objecta Pénélope entre ses dents.

Les prunelles d'Ellie flamboyèrent et elle se redressa, les épaules rejetées en arrière.

-Mais je n'ai pas menti, je suis une sorcière !

-Ah parce que moi je ne le suis pas ! railla-t-elle avec un ricanement proche du sanglot. J'ai été acceptée en apprentie Médicomage à Ste-Mangouste sans être une sorcière, tu crois ?!

Le visage d'Ellie se décomposa et elle abandonna sa posture digne et fière pour se confondre en excuses :

-Mais non ! Pardon, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, évidemment que tu es une sorcière ... Il ne faudra pas que tu l'oublies quand tu seras à Azkaban, garde ça au fond de toi ... Comme ce n'est pas une pensée particulièrement heureuse, les Détraqueurs ne pourront pas te l'enlever.

Pénélope renifla et se détourna d'Ellie, mais moi je vis les larmes inonder ses yeux et rouler sur ses joues. Elle était toute petite et menue, vêtue un pantalon fluide tâché et effiloché ainsi qu'un chemiser lui tout bonnement déchiré sur lequel elle plaquait un gilet de laine roussi par la magie. Je la fixai, interdite, avec la sensation de contempler mon intériorité brisée, vaincue et en deuil. Ellie quitta son banc pour se rapprocher et poser une main douce et affligée sur l'épaule de Pénélope. La torche arracha un éclat cuivré au collier qu'elle portait au cou et qui était visible par-dessus ta tenue de sa sorcière chiffonnée.

-Je suis désolée, mais je ne peux pas prétendre que je suis Née-Moldue pour te faire plaisir, ajouta-t-elle avec tristesse. Ma mère est de sang-mêlé, c'est juste ... qu'elle n'a jamais beaucoup utilisé la magie. Par égard pour mon père.

-Alors qu'est-ce que tu fais là ? interrogeai-je, la voix rauque.

Je préférais me concentrer sur son histoire plutôt que de ressasser la mienne à l'infini. Depuis mon réveil, quelques minutes plus tôt, je n'arrivais qu'à voir les innombrables erreurs et mauvais choix qui m'avaient amené ici, les vains efforts et sacrifices qui avaient été fait pour me sauvegarder d'un tel sort ... j'avais plongé dedans la tête la première ... Si jamais tu m'abandonnes pour jouer à l'héroïne ..., menaça Simon dans ma tête et je faillis laisser échapper un sanglot. Simon, Seigneur ...

Cette fois, je ne pouvais pas le supplier de venir me chercher. Non, je n'avais pas le droit. Pas après tous les efforts qu'il avait déployés pour me préserver. Pas après tout ceux que j'avais fait pour me retrouver là.

-C'est ... compliqué, soupira Ellie, les épaules voûtées. J'ai toujours été un peu surveillée parce que ... j'ai de la famille qui était dans la résistance. Enfin, pendant la première guerre des Sorciers ... Ma tante. Malgré tout, j'ai toujours cru que j'étais hors de problème. Après tout ma tante est morte depuis quelques années, et ma mère est une sorcière, elle est allée à Poudlard, elle a un compte à Gringrott ... Il a fallu qu'ils fouillent un peu mais quand ils ont découverts que mon père était moldu et comme du côté maternel on est vraiment non-magique sur la forme ... ils ont considéré que j'ai pu falsifier mon statut de sang et ils m'ont arrêté quand je suis arrivée un matin pour travailler ...

Cela expliquait sa tenue, une robe de sorcière émeraude soignée que les nuits dans ce cachot avaient froissés. Elle portait aussi d'élégantes boucles d'oreilles et une chaine pendait sur son sternum au bout de laquelle oscillait une bague de bronze orné d'une perle. Par miroir, j'effleurai ma propre gorge et d'autres larmes virent m'inonder lorsque je ne trouvais que ma peau nue et prise de frisson. Où était ma chaine ? St-George et le David, ma force et mon combat dont le simple contact avait suffi à m'insuffler du courage ?

-Elle s'appelait comment, ta tante ? chuchotai-je pour faire diversion de la douleur que causait cette perte.

-Tu ne dois pas connaître ...

Je faillis me fendre d'un rire amer. Oui, ça ne devait pas être évident comme ça que je faisais parti de l'Ordre du phénix et qu'on m'avait cité les morts pour la cause comme une litanie funéraire destiné à assurer qu'ils ne soient pas morts en vain.

-Dis toujours.

-Alexia Cassidy, avoua-t-elle alors avec un haussement d'épaule. Elle était amie avec Lily Potter, à ce qu'il paraît. En tout cas, ma mère m'a toujours défendu de parler d'en parler avec elle ... je n'avais même pas le droit d'évoquer le fameux « Harry Potter » ...

-Evite ici aussi, lui enjoignit Pénélope en jetant un coup d'œil terrifié par-dessus son épaule.

Ellie sembla ravaler sa langue et baissa la tête, comme pour soustraire sa présence à ceux des geôliers. Je me penchai un peu pour jeter un regard anxieux par-delà les barreaux, la seule chose qui donnait vie au couloir était l'ondulation des flammes sur les torches et la danse des ombres qu'elles projetaient. Le moindre frémissement suffisait à faire bondir mon cœur.

-Et qu'est-ce qu'il va se passer maintenant ? Pour moi ?

Je devais avoir l'air affreusement égoïste entre une Pénélope éplorée dont le sort semblait scellé et une Ellie qui semblait s'accrocher à son statut comme à l'espoir. Elles échangèrent un regard.

-Ils vont venir te chercher pour te faire passer devant la Commission, expliqua Ellie d'un ton qui se voulait neutre. Et si tu es sur leur liste, ils t'enverront à Azkaban.

Un frisson d'horreur me parcourut l'échine et les souvenirs de l'air glacé sur ma peau et du souffle froid du désespoir sur mon âme vint le paralyser l'espace d'un instant. Je n'avais connu les Détraqueurs que lointainement pour protéger, jamais à nue sans ma force, mon combat et ma baguette. L'idée d'être enfermée sur cette île avec mes pires souvenirs et les fantômes pour seule compagnie me parut insoutenable. Les esprits les plus sains devenaient fous à Azakaban. On laissait une partie de soi à Azkaban. Si on sortait d'Azkaban, on en sortait brisés. C'était le sort qui m'attendait parce qu'évidemment que j'étais sur cette maudite liste, évidemment que j'étais sur cette liste des Nés-Moldus qui n'avaient pas répondu à leur convocation. Ça avait été martelé tous les jours dans les pages de La Gazette quotidiennement réservées aux personnes recherchées. C'était inéluctable.

Le souffle me manqua et j'éprouvai le besoin irrépressible de me jeter sur les barreaux pour les tordre en hurlant. Le désir enfla dans ma poitrine, mais se trouva opposé à la paralysie qui ankylosait mes membres et me fit trembler comme une feuille à défaut de me faire bouger. Ma respiration se fit lourde et erratique, expulsant des panaches blancs irréguliers. Pénélope serra mes doigts.

-Non, ne panique pas ! Il faut que tu trouves quelque chose à raconter, comme Ellie !

-Ce n'est pas quelque chose à raconter, c'est la vérité, se défendit Ellie, outrée.

-Oh, arrête ! C'est plus facile à soutenir quand on vient de leur camp.

-De leur camp ? s'étrangla Ellie, l'air de suffoquer. De leur camp ?! Tu veux que je te répète qui j'avais dans ma famille ? Ce n'est pas parce que j'ai atterri à Serpentard que j'ai adhéré aux valeurs des petits princes qui tyrannisaient ma Maison ! Au contraire je les méprisais, je restais loin d'eux ! Moi j'ai grandi avec de vraies valeurs !

C'était certainement pour cela que son visage ne m'était que familier et non connu. Ça avait été une jeune fille discrète au milieu de la foule, comme moi. Elle n'avait pas été liée de près ou de loin au cercle de Selwyn qui contenait Gloria Flint qui m'avait jeté de l'encre au visage ou Warrington qui m'avait poussé dans l'escalier. Les larmes s'accumulèrent sous mes paupières. J'avais affronté pire depuis, et pourtant j'avais l'impression d'être réduite à cette gamine terrifiée que j'avais été face à eux, celle qui fuyait à toute jambe à la recherche d'un abri. Cette fois, des barreaux m'empêchaient de fuir ...

-Si tu le dis, renifla Pénélope avant de vriller un regard étincelant sur moi. Tu n'as pas ... de sorcier à qui te rattacher ? Un copain, une meilleure amie qui pourrait prétendre que tu de leur famille ?

-Ne lui mets pas de fausses idées dans la tête ... ça ne résistera pas à un examen approfondi ... le mensonge ne t'aurait pas sauvée, Pénélope ...

Pénélope battit des cils pour chasser les larmes et de nouveau je lui trouvais l'air absolument brisé. Sa main vint se crisper sur son ventre et un éclair de douleur et de rage traversa ses iris.

-Parce que la vérité aide, peut-être ? Ils s'en fichent de la vérité ... il n'y a plus que la leur qui compte ... Tout ce qui sort de leur bouche a valeur de vérité et de loi ... ça justifie tout ... tout même l'innommable ...

-Oh, Penny, murmura Ellie, l'air peiné.

Elle voulut poser une main sur son épaule mais Pénélope se dégagea d'un coup sec. Elle qui semblait au bord des larmes un instant plus tôt, son regard avait à présent la dureté de la pierre.

-Je dis que puisqu'ils ont institutionnalisée le mensonge pour nous retirer notre statut de sorcière, alors ils nous ont donné le droit de leur mentir. Qu'elle ne se prive pas ! Peut-être que ça ne lui évitera pas Azkaban, mais ça pourrait lui faire gagner du temps ...

-Penny, ce qui est arrivé, ce n'est pas ta faute ...

-Tais-toi ! persiffla Pénélope.

Pour s'éviter un nouvel affrontement, elle se détourna et se précipita vers l'opposé de la cellule, s'enveloppant de ses bras avec un frisson. Elle s'installa dans une flaque d'ombre et j'eus l'absolue certitude qu'elle pleurait en silence, le visage à moitié couvert par les boucles qui s'échappaient de sa coiffure. Ellie baissa la tête, comme un recueillement et me confia à voix basse :

-A dire vrai, je ne sais pas réellement qui s'est passé ... Mais tu as vu l'état de sa chemise ... je pense qu'un Rafleur s'est ... servi au passage ...

C'était également ce qui m'avait traversé l'esprit au geste que Pénélope avec esquissé, cette main crispée sur son ventre, à moitié pour le guérir, à moitié pour l'arracher. Mon estomac se souleva et le pressait une main contre ma bouche pour contenir une nausée.

-Ouais, ricana amèrement Ellie. Estime-toi heureuse de t'avoir été que cognée ...

-Heureuse ? répétai-je, incrédule. Comment je peux m'estimer heureuse, dis-moi ? Je suis coincée ici, je vais finir à Azkaban !

Ma voix dérailla quelque peu sur le nom de la prison et je crispai mes mâchoires pour contenir l'émotion qui menaçait de me submerger. Je n'étais pas en état d'aller à Azkaban ... j'allais finir broyée à Azkaban ... Ils allaient m'aspirer l'âme ... me réduire à l'ombre et la poussière. Un air penaud se peignit sur les traits d'Ellie et elle leva une main en signe d'excuse.

-Excuse-moi, c'est vrai ... C'est ... difficile de m'imaginer ce que vous ressentez comme je vais sortir ...

-Comment tu peux en être aussi certaine ? Elle a raison sur un point, Pénélope : la vérité, c'est eux qui l'inventent, maintenant. Ils sont Dieu. Il a juste fallu qu'ils assènent « les Nés-Moldus ne sont pas des sorciers » pour qu'il en soit ainsi et amen ma sœur. Ils peuvent décider que tu es une Née-Moldue et en faire leur nouvelle vérité. Qu'est-ce qu'il les empêche de décréter qu'en tant que nièce d'une résistance, tu es trop dangereuse pour passer cette guerre autre part à Azkaban ?

-J'évite d'y penser pour ne pas perdre la raison.

L'acidité dans la voix d'Ellie m'atteint à peine. Je rejetai ma tête en arrière et pris une profonde inspiration. Ma tête me lançait toujours et je portai une main à mon front pour toucher l'écharpe qui l'enserrait et pressai la plaie. L'écharpe d'Ellie.

-Désolée, m'excusai-je dans un filet de voix. C'est juste ... (Je battis des cils et de nouvelles larmes s'échappèrent). Tu te souviens de Renata Morton ?

Ellie glissa sur moi un regard circonspect.

-La solitaire, là ? Celle qui te donnait l'impression qu'elle allait te mordre si tu l'approchais ?

-Elle est morte ...

Un sanglot m'échappa et je ne m'attardais pas sur la réaction d'Ellie. Avions-nous été réellement différentes à Poudlard ? Deux jeunes filles issues de deux Maisons opposées, perdues dans la masse anonyme des élèves, remarquables en rien, fondue dans leur concon et leur cercle d'amis. Renata ne lui était certainement rien. Elle n'était rien à personne. Elle ne l'avait jamais été qu'à Mathilda. Pauvre Mathilda ...

Des Rafleurs ... Victoria se sont des Rafleurs ! L'avertissement fut suivi du son fracassant de ses lunettes qui se brisaient après sa chute et je frémis, comme si mon âme se morcelait en autant de pièces de verre. Le souvenir m'enveloppait toute entière de son étreinte glacée et j'eus un sursaut lorsqu'un fracas métallique vint claquer ma bulle. Derrière les barreaux, les ombres s'étaient animées et solidifiées en deux hommes : l'un dont la barbe masquait les traits lourds et qui pointait sa baguette sur nous, l'autre plus jeune, en retrait. Grand et élancé, il se tenait les épaules rejetées en arrière et le menton relevé. La torche soulignait l'éclat dorée de sa chevelure qui lui couvrait la nuque et les oreilles.

-Archie, souffla Ellie, visiblement émue.

-Reculez toutes les trois, grogna le barbu muni de sa baguette. Contre le mur, allez ! Vous ne voulez pas que je demande aux Détraqueurs de s'approcher ...

Pénélope fut la première à se plaquer contre le mur qui faisait face aux barreaux, les mains bien en évidence de part et d'autre de ses hanches. Il me fallut l'aide d'Ellie pour m'élever sans valser et nous fûmes toutes les trois alignées à la plus grande satisfaction du barbu. Il me jeta un bref regard.

-Ah, elle est réveillée ... je vais en aviser la Commission, ils auront certainement une petite place pour toi ... T'es une Sang-de-Bourbe ?

L'insulte hérissa tout mon être. Simon avait été le premier à m'apprendre que ces trois petits mots étaient insupportables. Il suffisait de voir son visage se tordre de dégoût et de colère chaque fois qu'ils étaient prononcés. Quelle expression traverserait son visage s'il comprenait qu'ils étaient à présent affreusement banalisée ? Si tu m'abandonnes pour aller jouer à l'héroïne ...

Je suis désolée. Je suis désolée, Simon, je suis désolée ...

-Dépêchez-vous, intervint le deuxième, m'épargnant ainsi d'avoir à répondre. J'ai des obligations qui m'attendent ...

-Ouais, ouais ... c'est celle-là ?

Il pointa Ellie de sa baguette. La jeune fille frissonna entre Pénélope et moi, les yeux rivés sur le jeune homme qui hocha vigoureusement la tête – et qui n'avait d'yeux que pour elle. Il avança d'un air un peu raide qui semblait trahir une certaine nervosité, et pourtant son beau visage aux traits fins et aristocratiques était terriblement impassible.

-Oui, c'est elle. Relâchez-la.

Le barbu fronça les sourcils.

-Ecoutez ... je peux pas vraiment faire ça, normalement ça doit être décidé par la Commission ...

-Alors allez me chercher le Directeur de la Justice Magique ! aboya le jeune homme d'un ton dur. Vous avez vu mes papiers, non ? Je suis Archibald Regulus Yaxley. Ma mère est une cousine. Donc si vous ne voulez pas offenser l'une des plus nobles familles de Sang-Pur de ce pays, je vous conseille de relâcher cette demoiselle. Qui de toute manière est une sorcière, ce qui prouve votre complète incompétence.

Sur ce, il lui claqua sèchement une liasse de parchemin dans la main libre.

-Ces papiers le prouvent, ajouta Archibald d'un ton glacial. Alors maintenant ouvrez-moi cette grille.

-Oui, ça a l'air en règle, bredouilla le geôlier en rendant maladroitement le rouleau au jeune homme. Toutes nos excuses monsieur Yaxley ...

Il ne lui rendit qu'un regard hautain qui obligea le sorcier barbu à s'empresser de lever sa baguette. Deux barreaux tremblotèrent puis disparurent et avant même qu'il n'ait pu nous mettre en joue, Archibald s'était engouffré dans la cellule. Libéré par la sentence, l'angoisse se lisait à présent très clairement sur son visage et son soulagement éclata lorsqu'Ellie se jeta à son cou en tremblant de tous ses membres. Pour elle aussi, toute la pression venait de se relâcher.

-Tu es fou, murmura-t-elle en s'écartant, affolée. Complètement, s'il apprend que ...

Mais Archibald posa un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence. Derrière lui, le sorcier barbu attendait en tapant impatiemment du pied, la baguette pointée alternativement sur Pénélope et sur moi. L'ouverture béante faillit me faire pousser des ailes qui furent très vite brisée par une étreinte glacée et équivoque. Des Détraqueurs approchaient ... Je palpai machinalement ma poche, mais la façon dont elle s'affaissa sous les doigts me rappela que je n'avais plus rien pour me défendre. Ils rendaient leur prophétie véridique en me volant ma magie.

C'était eux les voleurs de magie. Pas moi.

-Tu es une sorcière, tu n'as rien à faire ici, mon ange, murmura Archibald avec un mélange d'inquiétude et de tendresse. Viens, on s'en va ...

Ellie acquiesça d'un hochement de tête frénétique et agrippa la main que son ami lui tendait. Il l'entraina vers le couloir sans porter la moindre attention au geôlier. En sortant, Ellie se retourna une dernière fois sur nous, les yeux brillants. Une fois dehors, elle sembla hésiter quelques secondes avant de nous chuchoter un simple :

-Bonne chance ...

La mâchoire de Pénélope se contracta et elle croisa les bras sur sa poitrine lorsque le barbu fit réapparaître les barreaux avant de s'éloigner avec un grognement. Mu d'un impossible espoir, je m'approchai pour les tâter : ils étaient réels, dur et froid. Les secouer n'arrangea rien, de les fit même pas trembler. Non, c'était comme s'ils étaient ancrés dans les entrailles de la terre.

-C'est toujours plus facile quand on a des relations ..., marmonna Pénélope avec amertume. Tu n'as pas un prince charmant qui peut apparaître en se vantant d'être le cousin du Ministre et de te sortir d'ici ?

-Je ne préfère pas ..., évaluai-je, le cœur morcelé. D'autant que pour Ellie c'était peut-être vrai mais pour moi ...

De nouvelles larmes perlèrent à mes yeux et s'écrasèrent au pied des barreaux. C'était mentir qu'en remarquant la blondeur d'Archibald, mon cœur ne s'était pas gonflé d'un fol espoir en même temps que d'une immense crainte. Si Ellie Wilson, élève anonyme de Poudlard, avait été surveillé en raison des activités d'une tante décédée, qu'en était-il de Simon ? Non, qu'il vienne me chercher et c'était Azkaban pour lui également ... et si moi je risquai d'y laisser une partie de mon âme ... Mon poing se referma au creux de ma gorge nouée. Les Détraqueurs étaient la pire créature possible pour Simon, j'en avais toujours été intimement persuadée. Il avait trop vécu, était déjà trop brisé ... Non, Simon, ne viens pas me chercher, par pitié ... C'est de ma faute, j'ai déconné, tellement déconné, je suis tellement désolée ...

-Et toi ? interrogeai-je d'une voix étranglée. Personne ?

-J'avais un petit-ami qui travaille maintenant avec le Ministre, avoua Pénélope. Mais ... on a rompu l'année dernière. Quand ils ont enfin admis que Tu-Sais-Qui était revenu ... ça a été une rupture assez violente, je lui en ai énormément voulu ... Il savait que j'étais Née-Moldue, je me suis déjà faite agressée pour ça et il a refusé d'admettre qu'ils m'avaient mis en danger. Ça m'a mis hors de moi.

-A juste titre ...

Un faible sourire retroussa les lèvres de Pénélope. Sur son visage pâle et émacié, cela avait quelque chose de sinistre.

-Merci. Des amies m'ont dit que j'étais dure et le gars en question m'a traité d'hystérique. Autant dire qu'il a aggravé son cas...

-Ellie ... elle n'a pas repris son écharpe, réalisai-je en portant ma main à la tête.

-Tu en auras plus besoin qu'elle ... Tiens, laisse-moi regarder si le saignement s'est arrêté ...

Je laissai Pénélope s'approcher et m'ôter le bandage de fortune. L'opération révéla vite que je tremblai de tous mes membres et elle me força à m'assoir sur le banc qu'occupait Ellie quelques minutes plus tôt.

-Ça ne saigne plus ... ça ne devait pas être grand-chose, tant mieux pour toi ...

Je me tâtai le front et découvris la petite plaie au bord de mon cuir chevelu. Je m'étais certainement blessée lorsque j'avais chuté ... après ... de nouveau, l'image de Renata baignant dans une flaque emplit mon esprit et je pris une profonde inspiration pour réprimer larmes et nausées.

-Merci ... de m'aider ...

Un sourire amer fendit le visage pâle et marqué par la fatigue de Pénélope. J'avais beau tenté de toutes mes forces, ma mémoire ne parvenait pas à la situer ... mais de manière honnête, elle ne paraissait pas me connaître non plus. Combien d'élève avons-nous croisés pour les oublier la seconde d'après ?

-C'est ça, ou de nouveau me rouler en boule en attendant mon sort ..., chuchota Pénélope avant de porter la main sur sa poitrine. Oh non ...

Je l'avais senti aussi, cet étau glacé qui resserrait ses pinces sur moi, accompagné de son lot de voix qui gémissaient comme la brise à mes oreilles. Les murmures habituels, si habituels qu'on aurait pu croire qu'ils glisseraient sur moi sans me pénétrer ... et pourtant. Les fantômes ne quittaient jamais vraiment – leur morsure non plus.

Quelques secondes plus tard, le sorcier barbu était revenu pointé sa baguette sur nous, mais pas seul. Protégé par une brume argentée qui éclairait ses pas, il était suivi d'une sinistre silhouette encapuchonnée qui glissait sur le sol de pierre sans un bruit. Il n'en avait pas besoin : ma tête était déjà pleine de cri qui me paralysaient. A côté de moi, déjà plaquée contre le mur, Pénélope s'était mise à pleurer et trembler, la tête baissée.

-Hé la brunette, viens, exigea le sorcier avec un geste sec de la baguette. La Commission a une petite place pour toi ...

Le pouvoir du Détraqueur faillit me laissée paralysée par le froid et les souvenirs, collée à mon mur à m'y fondre pour échapper aux voix qui éclataient comme des bulles amères dans mon esprit. Il me fallut entendre le profond râle de la créature et que la frayeur vienne me piquer pour que je daigne faire un pas en avant et m'engouffre timidement entre les barreaux que le geôlier avait fait disparaître. J'évitai tout contact physique et visuel avec la terrible créature, comme si cela pouvait minimiser son pouvoir sur moi. Peine perdue. Un nouveau râle me fit frémir et je m'enveloppai de l'écharpe d'Ellie. Je venais de comprendre pourquoi elle avait paru si réticente à s'en séparer. Elle était vitale. Sa chaleur et son réconfort étaient vitaux.

Un haut le cœur me secoua lorsque la main pleine de croûtes aux doigts squelettique du Détraqueurs se refermèrent sur mon bras. L'accablement tomba sur mes épaules, de façon presque physique et écrasa toute volonté, gela synapses et neurone par un souffle glacé de désespoir. J'eus à peine conscience du trajet que j'effectuai guidée par le monstre qui enserrait mon bras. La brûlure d'une larme m'acidifiait la peau. Les sombres réflexions du cachot ne m'avaient pas quitté : ce n'étaient pas des pensées heureuses, le Détraqueurs n'avait aucun pouvoir sur elles. Et elles tournoyaient dans mon esprit comme des spectres infernaux, paralysant totalement mes capacités de réflexions et de façon totalement paradoxale, cela empêcha des souvenirs encore pires de remonter à la surface. Ma situation était déjà trop saturée de désespoir pour que la mémoire s'y mêle.

Pleurer, ça ne sert à rien, ça ne va pas les attendrir, asséna durement la voix de Pénélope. Trouve quelque chose à dire !

Le son d'une grille métallique qui se hissa me parvint à travers des voiles innombrables et la lumière m'agressa la rétine. Toujours conduite par un Détraqueurs dont les sinistres râles étaient mon seul meuble sonore et suffisaient à chaque fois à injecter une vague de terreur dans mes veines, je marchais, éblouie, trébuchai sur le sol pourtant parfaitement égal avant de me retrouver assise sur un fauteuil dur. A peine le temps de le réaliser que des chaines cliquetaient autour de moi pour m'enrouler fermement les avant-bras. Je les fixai, effarée.

-Dossier numéro 64 du 6 janvier, lança une voix aigüe et fluette au-dessus de moi. Jeune fille d'environ seize ou dix-sept ans raflée devant la gare routière d'Oxford en compagnie d'une indésirable sang-mêlée dont l'appartenance à l'Ordre du Phénix n'était pas un secret.

Renata ... - Trouve quelque chose ! exigea Pénélope en retour, avant que les images terribles de mon amie baignant dans une flaque d'eau et de sang vienne de nouveau me plomber l'âme. L'injonction agit comme une onde de choc en moi et libérée du contact du Détraqueur, je réussis à trouver les ressources nécessaires pour lever la tête. La première chose sur laquelle je posais les yeux étaient la principale source de lumière de la pièce : un chat argenté aux éclats étincelants. Brillant de mille feux, il faisait les cent pas devant une estrade où était perchée une petite femme rondelette aux courts cheveux bouclés vêtue d'un chandail rose. Un sourire s'étirait sur sa bouche molle et flasque et dans mon esprit embrouillé j'imaginais une langue visqueuse et vive jaillir de ses lèvres pour m'engloutir toute entière.

-Professeur Ombrage, murmurai-je, saisie.

Ombrage leva un sourcil méprisant par-dessus un œil qu'un éclat féroce venait de traverser.

-Professeur, nota-t-elle avec lenteur. Oui c'est vrai que vous semblez avoir l'âge d'une élève que j'aurais pu avoir durant mon mandat de Grande Inquisitrice ... Mafalda, notez que la détenue a certainement détourné l'obligation de tous les élèves de l'école d'aller à Poudlard.

Une femme maigre et décharnée, installée un peu en dessous d'Ombrage, s'empressa de s'exécuter. La plume inscrivit seule et élégamment les propos sous ses yeux concentrés qui dévièrent une seconde pour se planter sur un point derrière moi. Le souffle court, je suivis son regard et un frisson de dégoût me parcourut lorsque je visualisais les deux Détraqueurs aux deux coins de la pièce. Le patronus d'Ombrage les tenait en respect, mais n'agissait que pour elle et la greffière. Pour moi, c'était vagues de froid et de désespoir et j'en viens même à prier pour qu'Ombrage se remette à parler pour couvrir les râles qui jaillissaient de leurs capuches aveugles.

-Veuillez décliner votre identité.

Trouve quelque chose ! m'enjoignit de nouveau Pénélope avec la précipitation de l'urgence. Mais l'action des Détraqueurs sur mon esprit était tel qu'aucune autre alternative ne vint que la vérité :

-Victoria Anne Jadwiga Bennett.

Je fus à moitié surprise de la note de fierté qui teinta ma voix. Ils m'arrachaient tout, mon statut de sorcière, ma liberté, ma magie mais je gardais l'intégrité de mon nom à jamais. Ça, ils ne pouvaient pas me l'enlever. Derrière moi, j'entendis de l'agitation, des râles plus forts et plus rapprochés et une frayeur indicible gonfla dans ma poitrine lorsqu'un souffle glacé s'abattit sur ma nuque. Un couinement de terreur m'échappa, mais le chat d'Ombrage bondit en ma direction et feula silencieusement. Son aura tiède m'atteignit alors et je m'affalai sur ma chaise avec l'impression qu'une douce couverture venait d'être posée sur mes épaules pour apaiser mes tourments.

Mon soulagement fut de courte durée. Car le temps que les Détraqueurs battent de nouveau en retraite, Ombrage avait sorti un rouleau de parchemin et un sourire sauvagement satisfait retroussait ses lèvres.

-Et bien miss Bennett, je vous l'accorde vous n'êtes pas écolière ... en revanche, vous êtes une Sang-de-Bourbe en fuite. Vous ne vous êtes pas présentée à votre entretien du 18 août dernier.

Comme chaque fois, le mot « Sang-de-Bourbe » me révulsa, à la différence près qu'il sonna également une sonnette d'alarme en moi. Je tremblais encore du souffle visqueux qui m'avait effleuré la nuque, comme promesse de ce qui m'attendait une fois à Azkaban. Telles des mains glacées, la peur et la panique m'étranglèrent.

-Mais maintenant vous êtes face à moi, il est toujours temps de faire cet entretien, reprit Ombrage, l'œil allumé par une lueur malsaine. Comme quoi on n'échappe pas à son destin, Miss Bennett ... il est vain de vouloir nous fuir.

Surtout lorsque je me jette dans vos bras avant tant d'empressement, songeai-je amèrement, écrasée par l'enjeu. Les râles étaient de nouveau devenus mon meuble sonore et m'hérissaient toute entière.

-Identité des parents ? interrogea alors Ombrage d'un ton sec. Noms, profession, parcours ?

-Edward Bennett, pasteur. Il est en mission humanitaire aux Philippines ...

J'étais perdue, mais ce mensonge-là devait survivre, coûte que coûte. Cela me hantait tant qu'en le livrant, je ne réfléchis pas que dans ma précipitation, je venais de sceller mon sort. Au mot « Pasteur », Ombrage se fendit d'un petit rire aigu et s'avança sur son bureau. Ses traits se brouillèrent une seconde, miroitèrent dans une onde irisée et je compris qu'un sortilège à l'œuvre m'empêcherait certainement de sauter à la gorge de ce crapaud sadique. Quelque part, l'idée fit naître une satisfaction féroce en moi. Cette précaution signifiait clairement que, malgré les Détraqueurs, quelqu'un avait voulu lui faire payer.

-Pasteur ..., répéta-t-elle de sa voix de petite fille. Vous êtes donc bien une Sang-de-Bourbe, donc.

-Je suis une sorcière !

Le cri m'avait échappé et la frustration me parcourut comme une onde de choc. En conséquence, je tirai nerveusement sur mes bras pour les libérer des chaines qui me meurtrissait la peau à travers la veste, mais elles ne daignèrent pas laisser échapper le moindre cliquetis.

-Si vous vous débattez, vous serez soumise au baiser du Détraqueur, annonça Ombrage avec une certaine nonchalance, comme pour ne pas me dissuader de la priver du spectacle. Voyons Miss Bennett, une sorcière ne peut pas être fille de Pasteur ... qu'est-ce que ce métier, d'ailleurs, Mafalda ?

-Je ne sais pas, Dolores ..., avoua la greffière d'une voix timide. Ceux qui gardent les moutons, non ?

-Et pourtant je suis une sorcière, plaidai-je, les larmes aux yeux. J'ai ... j'ai ...

J'ai brûlé Nestor Selwyn sans baguette – mais je doutais que cet exploit joue en ma faveur. Je pinçai des lèvres, désespérée par ma défense pitoyable qui n'avait pour effet que redoubler l'hilarité d'Ombrage. Cette vérité fondamentale n'était pas non plus une idée particulièrement heureuse. J'avais tant souffert d'être une sorcière ... le regard de ma mère, celui de mon école ... mes difficultés scolaires ... Devenir une sorcière avait été une véritable épreuve, épreuve devenue aventure, aventure devenue partie intégrante de mon identité. J'avais tant lutté pour pouvoir affirmer ces mots que les renier m'arracherait l'âme aussi efficacement que le baiser des sombres créatures derrière moi.

-Vous avez quoi ? me défia Ombrage, un sourcil relevé. J'espère que c'est brillant parce que si ça ne suffit pas à vous convaincre, les Détraqueurs vous accompagneront à Azkaban où vous pourrez retrouver les autres voleurs de magie de votre espèce.

De mon espèce ..., suffoquai-je, outrée et abattue. Ne les laisse pas faire ce qu'il nous on fait, Perelko ..., supplia ma grand-mère dans ma tête et l'absence du David pesa lourdement sur ma poitrine. La lueur qui étincelait furieusement au fond de son regard à chaque instant de sa vie brilla en moi d'une manière singulière. Elle m'embrasa tout entière. Etait-ce ce que Jaga avait ressenti en descendant du train qui l'avait mené à Auschwitz ? En se retrouvant face au précipice de son existante ? Cette brûlure terrible qui emplissait ses veines, tout son corps qui n'était qu'un cri ? L'énergie qui poussait à hurler aussi bien qu'à atteindre l'inatteignable de soi-même ?

C'était donc ça, la fureur de vivre ?

Face à la menace d'Ombrage, elle devint mon nouveau guide. Et embrasé par elle, je m'entendis répondre avec ferveur :

-Je suis la petite-fille de Miroslav Liszka !

Et à la façon dont le visage d'Ombrage se décomposa, je sus que j'avais gagné.

Ce n'était pas de la lucidité : c'était du pur instinct de survie. La menace des Détraqueurs m'avait condamné aux derniers retranchements et une part intègre de moi regretta de ne pas pouvoir cracher ma fierté d'être née-moldue au visage de cette femme. Mais cette voix-là était réduite en cendre, pour que je ne le sois pas toute entière.

-Pardon ? murmura Ombrage, choquée.

-Miro Liszka, poursuivis-je avec ferveur, les poings serrées sur les bras du fauteuil. Héritier d'une puissante famille polonaise ... il a immigré en Angleterre ... vérifiez vos papiers ! Il s'est déclaré l'année dernière il ...

Je clignai des yeux, mes capacités de réflexion à moitié paralysées par les pouvoirs des Détraqueurs. Aucun mensonge ne vint à l'esprit alors je me retrouvais à dire la vérité :

-Il a cessé la magie ... après avoir tué une femme, en Pologne ... vérifiez ... je suis sa petite-fille ... Victoria Anne Jadwiga ... je suis à moitié polonaise ...

Des pleurs étaient venus étouffés ma voix, des pleurs paniqués à l'idée que mon ultime recours ne fonctionne pas. Le souffle sur ma nuque avait réduit mes dernières résistances : je n'avais pas envie d'être une coquille vide, l'âme aspirée, le sort pire que la mort qui risquait de m'attendre dans un Azkaban plus qu'incertain. Affalée sur mon trône de fer, j'entendis vaguement Ombrage s'adresser la greffière et celle-ci sortir précipitamment de la pièce. Puis sa voix sonore emplit de nouveau la salle :

-Alors comment expliquez-vous que votre père soit Pasteur ?

-C'est ma mère. Ma mère, Marian Liszka ... elle ...

Je cillai rapidement, comme si ce simple geste pourrait m'ébrouer et dissiper la brume qui ankylosait mon esprit. Il était là, le nœud entre la vérité et le mensonge.

-Mon grand-père a arrêté la magie, poursuivis-je dans un filet de voix. Parce que sa magie a tué ... alors il ne voulait pas l'enseigner à ses filles ... elles n'ont ... jamais rien su ... pas de Poudlard ... il ne leur a jamais rien dit ...

Un silence buté et circonspect d'Ombrage accueillit mes explications et mes ongles s'enfoncèrent dans ma paume de main pour éveiller ma lucidité. La douleur plutôt que la brume.

-Demandez à Rogue, ajoutai-je, prise d'une illumination. La petite-fille de la femme que mon grand-père a tué ... Agata Tokarsky ... elle m'a attaqué en vengeance pendant le Tournoi ... le professeur Rogue le sait ... il l'a vu ...

L'idée de possiblement mettre mon salut entre les mains de l'assassin de Dumbledore me soulevait le cœur, mais ce n'était rien face à ce qui me compressait chaque fois que je repensais au râle sur ma nuque. Toujours muette, Ombrage me dévisagea les yeux plissés. Le nom des Liszka avait immédiatement sonné en elle et je pris enfin le temps de m'en étonner. Qui s'intéressaient aux lignées de l'est ... ?

La greffière finit par revenir en trottinant, une liasse de parchemin entre ses doigts osseux. Pâle, la bouche légèrement entrouverte, elle sembla prendre soin de se tenir hors de portée d'Ombrage.

-Dolores ... elle dit la vérité. J'ai le dossier de Miroslav Liszka et il a bien déclaré la sorcière Victoria Anne Jadwiga Bennett comme sa petite fille.

Le soulagement éclata tant dans mes veines qu'il faillit les percer et me disloquer toute entière. J'ignorai que mon grand-père avait pris cette disposition et certainement l'avait-il fait pour cette situation très particulière où j'aurais besoin de me renier. Mais est-ce que je me reniais vraiment ? J'étais réellement sa petite-fille et je venais une nouvelle fois de le prouver. Des larmes débordèrent de mes yeux et je pleurais sur mon grand-père que j'avais laissé partir malade aux Etats-Unis et qui dans ses dernières décisions m'avait sauvée.

-Ça alors, lâcha Ombrage avec un déplaisir évident. Une vraie héritière ...

Je serrai les dents, me refusant à commenter davantage. De toute manière c'était des pleurs qui risquaient de jaillir de mes lèvres ... Ombrage me contempla longuement, très longuement et je vis les rouages tortueux de son esprit tenté par tous les moyens de me retenir sur cette chaise à sa merci. Elle dut en trouver aucune car elle finit par déclamer du bout des lèvres d'un ton glacial :

-Reconduisez-la à une cellule. Mafalda, allez prévenir Yaxley que j'arrive. Nous avons une question épineuse à traiter ...

Tout s'activa autour de moi, mais j'étais tant écrasée par le soulagement que je le réalisai à peine. La libération des chaines puis la main pleine de croûte qui se referma de nouveau sur mon bras ne me firent aucun effet. Enveloppée de l'écharpe d'Ellie et d'une sensation étourdissante de victoire, je me laissai guidée en dehors de la salle d'audience sous les yeux d'une Ombrage qui ne cachait pas sa déception. Mes mensonges m'avaient ôté mes dernières forces : la blessure sur mon front me lançait à nouveau, comme marque que mon cerveau avait trop fonctionné.

J'avais été au bout de moi. J'avais gagné ... mais pour quoi ? Pour combien de temps ? Pour quel destin ?

Ils ne me ramenèrent pas à la première cellule. Ils passèrent devant en glissant, réduisaient l'éclat des torches et la chaleur des couleurs. Pourtant, elle était ouverte. Pénélope n'y était plus. Sa vérité l'avait emportée. 

***

Alors votre verdict? 

Pour les yeux avertis, vous avez reconnu deux personnages évoqués dans les histoires d'Anna et qui prennent leurs racines dans ATDM : Ellie et Archibald, qui sont deux bébés à l'époque ... 

(Oui, Ellie a le même âge que Vic. On a découvert ça très fortuitement quand Anna' a commencé ATDM 3, ce qui est un peu dommage car j'étais trop avancée dans O&P pour lui faire une vraie place) 

Et pour les yeux encore plus aguerris, vous avez vu le lien avec des événements évoqués dans Lucy Weasley/Les fantômes des oubliés ... 

Je vous l'ai dit, on ne rentre pas dans la partie la plus marrante d'O&P ... et clairement dans des chapitres que j'ai TELLEMENT appréhendé et au final écris d'une traite. Je ne vais pas espérer qu'ils vous plaisent, c'est trop vous demander ... Au moins que vous y trouviez de l'intérêt ! 

Allez les enfants, à dans deux semaines cette fois ! Bonnes vacances à celle.eux qui y sont encore et bonne rentrée pour les concerner ! 

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