IV - Chapitre 15 : Le perroquet noir

Perri crache ses poumons, Perri passe sa vie dans le mouchoir, Perri en a marre d'être malade. Donc Perri est faible, établissons cela dès le début. 

Joyeuse St-Sylvestre à tous.tes <3 Comme vous êtes des lecteur.ices formidables, que je vous aime d'amour, que chaque commentaire, chaque interaction avec vous, chaque réaction de vous est un véritable bonheur pour moi, j'ai décidé de poster un petit chapitre bonus ! (Pas de panique vous aurez le chapitre normal dans une semaine, je peux me le permettre je finis présentement le chapitre 25). Une nouvelle année s'achève et je vous remercie pour chacun et chacune et chacun.e d'entre vous d'être là, d'exister. Vous êtes tous.tes incroyables *-* 

En plus c'est le chapitre préféré d'Anna donc c'est un cadeau aussi pour ma compagne d'écriture (que dis-je? Mon âme sœur d'écriture !). Un immense merci à elle, à tout ce qu'elle a fait pour moi et pour cette histoire ! 

Et puis pour ne rien ajouter, j'aime vraiment bien ce que je fais sur O&P. Vraiment je suis toujours sceptique sur ce que j'écris, mais là la Partie 4 j'ai vraiment la sensation de produire quelque chose de véritablement abouti. Je m'éclate, d'une manière ou d'une autre, sur chaque partie, sur chapitre chapitre, chaque phase, je n'ai pas eu un seul instant de blocage en 25 chapitres de rédigés. Je trouve ça extraordinaire et je voulais partager ça avec vous !  

Enfin j'ai oublié un petit hommage sur LDP, SHAME ON ME. Mais après Dieu, c'est le Roi qui nous a quitté. Désolée, je vais encore un peu parler de foot, mais j'ai vraiment une pensée émue pour le roi Pelé qui a rejoint les cieux à l'âge de 82 ans. Je n'aime pas Neymar, mais je trouve qu'il a eu les bons mots pour décrire cet homme : "Avant Pelé, "10" était juste un numéro. J'ai lu cette phrase quelque part, à un moment donné de ma vie. Mais cette phrase, belle, est incomplète. Je dirais qu'avant Pelé, le football était juste un sport. Pelé a tout changé. Il a transformé le football en art, en divertissement. Il a donné une voix aux pauvres, aux Noirs et surtout.. : il a donné de la visibilité au Brésil". Voilà ce qu'était Pelé, l'homme aux trois coupes du monde qui a élevé le foot et lui a donné ses lettres de noblesses. Comme Maradona, il avait ses défauts (quelque peu l'homme de la dictature militaire), mais il a tant donné au sport, au monde et aux brésiliens ... Cruyff, Maradona, Pelé ... A présent, les plus belles légendes sont au ciel. 

VOILA, BACK TO O&P ! Profitez bien de mon craquage et passez un joyeux réveillon ! (Et bonne année à celle.eux qui liront ça le matin du 1er !) 

*** 

L'artiste n'est artiste qu'à la condition d'être double et de n'ignorer aucun phénomène de sa double-nature. 

- Charles Baudelaire. 

*** 

Chapitre 15 : Le Perroquet Noir.

Ce fut la musique qui, perçant les innombrables voiles du sommeil, m'en tirèrent le matin. Les yeux toujours clos, il fallut plusieurs morceaux pour que mon cerveau dissipe la brume et reconnaisse la voix venue d'un autre âge de John Lennon. Avec un grognement, je me glissai sous mon oreiller pour atténuer le son. Je respectais les Beatles, mais c'était un groupe d'une autre époque pour moi, un groupe qu'idolâtrait ma mère dans sa jeunesse et avec lequel Julian avait un véritable problème. J'allais finir par en casser tous les disques s'il continuait de me réveiller chaque matin avec.

-C'est pas vrai ...

La plainte pâteuse dans mon dos m'arracha un sourire et m'émergeai de sous mon oreiller pour jeter un bref regard à Simon. Il n'avait pas ouvert les yeux et s'était même un peu plus recroquevillé sur lui-même, l'air tendu. Je levai les mains pour effleurer doucement ses cheveux dans l'espoir de l'apaiser.

-Rendors-toi ...

-Troisième fois que je dors ici, troisième fois que c'est Lennon et McCartney qui me réveillent ... Y'en a marre, Julian ... C'est dimanche en plus cette fois ...

Je lâchai un petit rire sans cesser mes caresses, la musique à moitié étouffée par l'oreiller toujours sur ma tête. Simon ne paraissait pas assez réveillé pour se parer de la même protection : il s'était contenté de mollement plaquer une main sur la tempe.

-Peut-être qu'il fait des petites choses avec Noah et qu'il veut couvrir les bruits ..., hasardai-je avec un sourire malicieux.

-Bon sang Vicky ...

-Quoi ? On a fait plus ou moins la même chose hier soir ...

Sauf que la musique avait été remplacée par la radio, les morceaux rythmés et entrainants des Bizzar's Sisters qui avaient suivi l'émission de Potterveille que nous avions écoutées dans ma chambre. Même à moitié endormi, le sang monta aux joues de Simon devant l'allusion et il enfonça son visage dans l'oreiller avec un gémissement de dépit. Je m'esclaffai et m'approchai pour poser un baiser sur son front.

-Désolée, Noah commence à déteindre sur moi. Mon plan pour faire fortune est de lui faire mettre une pièce dans un bocal chaque fois qu'il fait une allusion salace.

-Bien sûr, la faute de Noah ... Pas du tout parce que tu adores me mettre au pied du mur et que c'est le sujet parfait pour y parvenir ...

-Comment oses-tu ? En plus tu as fait d'incroyables progrès en la matière, je suis fière de toi minus !

Simon ne me répondit que par un grognement confus à moitié étouffé par les draps que je traduisis par un « minus toi-même ». La nuit avait considérablement rafraichi la chambre et nous étions enveloppés dans les couvertures jusqu'au menton. La lumière matinale perçait faiblement à travers les stries du volet roulant – minimum vitale pour que Simon passe une bonne nuit – et me permettait à peine de le distinguer dans la semi-pénombre. Mes yeux finissaient par s'habituer à la faible luminosité qui baignait ma chambre et captaient chaque minute plus de détails. Que les mèches de Simon s'élevaient dans tous les sens et tombaient sur ses yeux, qu'il avait fini par lever une paupière lourde et s'acclimatait lentement à son environnement, que sur la montre qu'il avait posé sur la table de chevet les aiguilles indiquaient neuf heure quinze – et Seigneur c'est trop tôt pour un dimanche, Julian, pestai-je en pressant un peu plus l'oreiller contre mon oreille. Ça ne suffisait toujours pas pour étouffer la voix de John Lennon.

-Je ne pensais pas un jour détester les Beatles ...

-Mon Dieu garde-toi de lui dire ça, marmonna Simon en roulant des yeux. Tu aurais vu le regard qu'il a lancé à l'un des étudiants qui lui a dit qu'il ne trouvait aucun intérêt à ses musiques ... je crois que c'est la première fois que j'ai eu peur de lui.

Avec un soupir qui masqua à peine mon rire, il roula sur le dos et se couvrit les yeux de son avant-bras.

-On va dire que c'est de leur génération ... Tu te souviens des cassettes qu'on a trouvé dans le sac de Matthew, dans le grenier ?

-Burbage aussi, me souvins-je avec un voile de nostalgie. Elle venait souvent en classe avec des tee-shirts des Beatles ou des Stones ...

Nous échangeâmes un bref regard, saisis par ce lien qui nous apparaissait des années après. Jamais je n'aurais cru que la passion de ma professeure d'Etude des moldus pour le vieux rock non-magique pouvait mener au frère de Simon ... Avec le recul, il était évident que Julian, Matthew et Charity Burbage avaient dû écouter la même musique, partager la même culture, s'influencer mutuellement. Un véritable fil rouge qui les reliait par-delà leurs histoires ... Etait-ce pour cela que Julian faisait résonner si fort les Beatles ? Pour réveiller le souvenir de son meilleur ami ? Pour invoquer celui de mon ancienne professeure supposément disparue ? Brusquement nerveuse, je me redressai sur les coudes et laissai glisser l'oreiller sur le matelas. Come Together résonna dans ma boite crânienne.

-Je vais aller lui dire de baisser un peu la musique, on va finir les tympans broyés, annonçai-je à Simon. Tu veux que je te ramène un café pour te réveiller ?

-Merci, je vais me réveiller tout seul ...

Sa voix était en effet un peu plus claire et je souris dans la pénombre. Sans la moindre envie de m'extirper de la chaleur du lit, je me fis violence pour me redresser et balancer mes jambes dans le vide. Mes orteils effleurèrent les vêtements qui avaient valsés sur la moquette la veille et un sourire extatique retroussa mes lèvres alors que les souvenirs affleuraient. C'était un effet du manque et de l'absence auquel je n'avais pas forcément songé, mais il ne s'agissait pas que de langueur émotive. Chaque instant volé ensemble avait un goût de rattrapage, une intensité surprenante, était teinté d'une soif de vivre et de découvrir accrue. C'était comme si l'urgence, l'inquiétude et le manque avait fait voler aux éclats nos dernières pudeurs.

Un peu curieuse de voir si l'aisance de Simon avait survécu à la nuit, j'enlevai d'un geste fluide mon haut de pyjama. Mon souffle se bloqua dans ma gorge alors que ma peau mise à nue était parcourue de frisson face à la fraicheur ambiante de la pièce et je restai une seconde immobile, à l'affut d'une raideur ou d'un signe de malaise derrière moi. Comme rien ne se faisait entendre, je me penchai pour ramasser le soutien-gorge qui gisait en bas de mon lit, et me redressai pour passer mes bretelles. D'un geste sûr, je parvins à l'agrafer dans mon dos, mais à peine mes doigts quittèrent l'attache qu'ils furent remplacés par d'autres qui défirent prestement mon œuvre. Je rattrapai d'une main la bande de tissu qui s'affaissait sur ma poitrine, prise de court.

-Hé !

Le rire de Simon qui me répondit résonna partout en moi et m'échauffa totalement le sang. Je réprimai un sourire pour le toiser, les bras toujours pudiquement placés sur ma poitrine, un sourcil dressé. Simon s'était subtilement rapproché, redressé sur un coude et un sourire qui appelait ouvertement au défi aux lèvres. Oh que oui, il est réveillé.

-Et depuis quand tu sais ôter si facilement un soutif, Simon Sirius Bones ?

-C'est plus facile lorsqu'on voit l'agrafe, prétendit-t-il avec hauteur.

-Tu es gentil, mais je ne compte pas aller voir Julian et Noah à moitié nue.

-Tu n'es pas obligée d'aller les voir tout de suite ...

Cette fois j'élevai les deux sourcils en feignant l'incompréhension, bien que mon cœur s'était mis à battre la chamade dans ma poitrine. Simon ne se fit pas prier pour illustrer ses propos : il se redressa avec lenteur pour venir m'enlacer d'un bras avant de poser un délicat baiser sur mon épaule couverte d'une bretelle lâche. Un petit rire secoua ma poitrine brûlante.

-Hier ne t'a pas suffi ? murmurai-je en réprimant un nouveau frisson.

-Disons qu'hier a ... éveillé ma curiosité, reconnut Simon sans quitter ma peau de ses lèvres.

L'aveu provoqua en moi un mélange de fierté et d'exaltation. Je l'avouai volontiers, c'était plus que réciproque et j'avais même été quelque peu frustrée de devoir m'arrêter en si bon chemin, ralentie d'une fine et ridicule couche de vêtement qui ne cachait plus rien. Les baisers de Simon s'accentuèrent et remontèrent avec langueur dans mon cou et complètement grisée par chacun d'entre eux, je pus répondre qu'un vague « huuum » qui lui arracha un ricanement. Ses doigts se joignirent bientôt à ses lèvres, écartant définitivement mes bretelles, remplaçant la douceur du tissu sur ma poitrine par d'exaltantes caresses qui me firent frémir toute entière. Je le laissai complètement allée contre Simon, abandonnée à ses lèvres qui vénéraient ma gorge et à ses doigts qui courraient de mes épaules à mon ventre, avec toujours une légère hésitation lorsqu'ils atteignaient l'élastique de mon pyjama. Dans mes reins, la chaleur s'était transformée en brûlure qui se fit ardente lorsque Simon tourna mon visage de sa main pour s'emparer de mes lèvres. L'autre, elle, s'était glissée sur ma hanche et jouait avec le bord de mon pantalon avec un mélange d'indécision et d'impatience.

-On profite de la musique, alors ? chuchotai-je lorsque Simon enfouit de nouveau son visage dans mon cou.

Sa poitrine se bloqua totalement lorsque je mis mes propres mains en mouvement, les infiltrants sous son tee-shirt, effleurant d'un geste teinté de désir la ligne de son ventre. Que ce fut difficile de suspendre leur court ... Mon pouls parut battre plus fort que jamais contre ma gorge que Simon n'avait pas quittée. Il devait forcément sentir le rythme qui s'accélérait douloureusement à chacun de ses gestes, il devait forcément entendre mon souffle erratique, rauque à s'en transformer en râle qui trahissait toutes mes envies, il devait forcément deviner où tout mon sang et mon oxygène était drainé. Avec regret, je le sentis s'écarter de moi, se redresser quelque peu pour faire face et laisser l'air froid chasser le souvenir de ses lèvres sur ma peau. L'espace d'une seconde, j'eus peur qu'il recule, que ses vieilles craintes l'assaillissent et j'ouvris la bouche, prête à le rassurer, prête à assurer qu'on s'arrêterait au premier geste de sa part ... mais avant que je n'aie pu articuler le moindre mot, il avait fait passer son propre tee-shirt par-dessus sa tête, avait attrapé un pan de couverture et nous avait complètement enveloppé dedans. Avec un éclat de rire incrédule à en couvrir la voix de John Lennon, je me retrouvai allongée dans la chaleur rassurante des draps, Simon par-dessus-moi qui parsemait mon front, mon nez et mes joues de petits baisers. Mes jambes entremêlées aux siennes s'agitèrent d'exaltation et mes doigts se refermèrent sur ses omoplates pour les parcourir avec une certaine gourmandise. J'eus plaisir à sentir la chair de poule s'hérisser sur la peau de Simon à chacun de mes passages.

-Ainsi c'est donc vrai la légende du désir matinal des garçons ?

-Hum ... Disons que ce matin ça l'est pour moi, répondit Simon avec une sincérité presque enfantine.

-Je ne vais pas m'en plaindre, soufflai-je.

Le sourire que m'adressa Simon faillit mettre fin aux battements effrénés de mon cœur. Le temps se suspendit alors qu'il plongeait son regard dans le mien, les avant-bras placés de chaque côté de mon visage. Jamais il ne s'était appuyé sur moi ainsi, rarement je n'avais pu le sentir d'aussi prêts, savourer sa peau contre la mienne. L'éclat intense de ses prunelles embraser mon visage et mes veines et l'espace de quelques instants, plus rien n'exista d'autre que nos respirations laborieuses qui enfonçaient nos poitrines dans l'autre, l'appréciation de l'instant entre appréhension et excitation et enfin les plaintes sourdes et voluptueuses lorsque nos doigts trouvèrent ensemble l'objet de leurs désirs.

***

Les Beatles résonnaient encore lorsque je remis pied à terre, encore étourdie par les sensations qui m'avaient assailli quelques secondes plus tôt. Dans mon bas-ventre, les pulsations impatientes et douloureuses avaient laissé place à un ronronnement langoureux qui à chaque vibration injectait des ondes bienfaisantes dans chacun de mes muscles. Un petit sourire refusait de quitter mes lèvres alors que je me rhabillais – cette fois sans interruption. De toute manière, Simon en aurait été incapable. Enveloppé dans les couvertures, le visage enfoncé dans l'oreiller, il paraissait plus proche de se rendormir que de poursuivre l'exploration ... Mutine, je me blottis de nouveau contre lui et picorai un petit baiser sur son épaule nue.

-Hé, Bones ?

-Humpf ?

-Tu te souviens quand je t'ai dit que tu ne savais rien faire de tes doigts ? Je retire.

Simon ne répondit rien mais un bref et timide sourire se dessina sur ses lèvres. Amusée et toujours vibrante pour lui, j'embrassai longuement sa peau pour le faire émerger.

-Allez ma crevette dépêche-toi, murmurai-je avec tendresse. Julian doit avoir ranger le petit-déjeuner. Je t'attends en bas.

De nouveau, seul un gémissement confus s'échappa des lèvres entrouvertes de Simon et je secouai la tête, désabusée, mais prête à le laisser profiter de ses sensations totalement inédites pour lui. Pour être parfaitement honnête, elles l'étaient aussi en partie pour moi également ... Je n'avais pas souvenir qu'un tel plaisir m'ait inondé, à tant de strates différentes de moi-même qui ne comprenaient pas que l'enveloppe corporelle. Bien sûr il y avait eu des maladresses, bien sûr qu'il y avait eu des moments de gênes vite désamorcés par un éclat de rire ou des mots rassurants. Mais rien qui ne m'avait empêché de profiter de chaque seconde, rien qui ne m'avait rebuté, rien qui ne m'avait empêché d'écouter Simon et ses envies. Le pire dans tout ça ? J'étais presque certaines de ne pas avoir été totalement jusqu'au bout de mes ressources et j'en étais déjà tout éblouie. C'était donc cela de découvrir les plaisirs charnels avec une personne qu'on aimait si profondément ? En qui j'avais une confiance si absolue que lui laissait libre usage de mon corps et inversement ?

Je volai un dernier baiser à Simon avant de définitivement – et à regret – quitter le lit, enveloppée dans un jogging et le pull que je portais déjà la veille. La pure lumière du jour m'aveugla quelques secondes et je profitai de descendre les marches pour faire totalement disparaître le sourire qui flottait toujours sur mes lèvres. Noah ne manquerait pas de s'interroger sur ce sourire béat et je refusais qu'une remarque mal placée brise la confiance que commençait à prendre Simon sur ce plan ... La table du petit-déjeuner était toujours dressée, constatai-je en atteignant la pièce principale. Et même intacte : les bols étaient propres et empilés les uns sur les autres, les pots de marmelade toujours fermés et les œufs à la coque dont Noah raffolait au petit matin, froids.

-Non mais ils sont vraiment encore au lit ? m'interrogeai-je à voix haute.

Je fus rassurée d'être amusée plus qu'embarrassée par l'idée. Plus de deux mois à voir Noah embrasser Julian à voler, Julian caresser distraitement la nuque de Noah, Noah attirer un Julian glapissant sur ses genoux avaient fini par abolir les inhibées de la petite anglicane que j'étais. Néanmoins l'allégation me surprenait compte tenu la présence de la table du petit-déjeuner. Je finis par trouver la réponse à l'énigme en m'approchant de la porte entrebâillée de l'atelier, où des éclats de voix filaient masquées sous les chants des Beatles.

-... combien de fois il va falloir que je jure que tout ira bien ? Morgane, Jules, ça fait des heures qu'on y est ... j'ai faim, moi. Et les jeunes ne vont pas tarder à descendre ...

-On continuera tant que j'aurais l'impression que tu prends les choses à la légère ! J'ai l'impression que tu t'en contrefiches, alors que c'est la sécurité d'une gamine qui est en jeu ! A moins que ça te soit complètement égal de l'emporter dans ta chute ?

J'aurais certainement m'écarter dès les premiers échos de la dispute. Et pourtant, le mot « gamine » me cloua totalement sur place, l'oreille dressé. Ils parlent de moi ...

-Gamine ? Elle a dix-neuf, calme-toi elle est majeure et vaccinée.

-Et en danger, rétorqua Julian d'une voix dure. Elle est venue trouver la sécurité ici, Noah, qu'est-ce qu'il se passera lorsqu'elle apprendra que tu accrois son péril sans vergogne ?

Un poing invisible me heurta l'estomac au ton accusateur de Julian et me vida totalement de toutes les sensations délicieuses qui fourmillaient encore à même ma peau.

-Oh arrête, lâcha Noah avec un souverain mépris. Arrête d'utiliser Victoria comme bouclier, on sait tous les deux que ça n'a rien à voir avec elle. C'est pour moi que tu as la frousse, Jules.

Oh ! Darling, chantaient les Beatles au milieu d'un silence terrible. Please believe me ... I'll never do you no harm. Believe me when I tell you I'll never do you no harm

-Mais tu le sais ! éclata Julian en m'arrachant un sursaut, l'air hors de lui. Tu le sais, tu en as parfaitement conscience et tu oses quand même jouer avec mes nerfs ! Bon sang, Noah !

-Tu vois, Jules, c'est précisément pour cette raison que je ne t'en ai pas parlé à la base ! Justement parce que je savais que ça te mettrait sur les nerfs, que ça te boufferait le cerveau, que tu laisserais ton angoisse nous étouffer tous les deux !

-Je pense que j'ai été d'une remarquable patience et compréhension jusqu'à ce que tu juges bon d'emmener Victoria dehors ! Tu n'en fais pas assez, c'est ça ? Elle, le Perroquet Noir et il faut en plus que tu tentes le diable en t'exhibant ?!

-Oh je t'en prie, on ne va pas y revenir ? Elle va devenir folle, Jules, si tu continues de la prendre comme une prisonnière ou de limiter les visites de Simon !

-Excuse-moi de vouloir qu'aucun de vous trois ne finissent dans un escalier !

Un grand fracas couvrit complètement le refrain mélancolique de Oh ! Darling et me fit frémir de l'autre côté de la paroi. De là où je me tenais, je visualisais parfaitement Noah ou Julian envoyer valser le contenu de son établi.

-Arrête ! Par Morgane et Merlin et tous les sorciers et sorcières que tu veux, arrête d'agiter Matthew comme menace ultime ! Si Simon veut prendre le risque de finir comme son frère, c'est sa décision, comme ça a été celle de Matthew de ne pas rester inactif ce jour-là ! Si Victoria préfère risquer mourir que vivre éternellement dans l'attente et la peur, c'est aussi son choix ! Et ...

-... Et je devrais te laisser toi aussi poursuivre de grands idéaux avec ta tête brûlée ?! Je pensais qu'accueuillir Victoria ... te donnerait cette impression d'être utile, de faire quelque chose que tu arrêterais de prendre des risques avec le Perroquet Noir mais tu t'entêtes ...

-C'était ça le but ? réalisa Noah, incrédule. C'est pour ça que tu l'as acceptée ? Pour remplacer une mission par une autre ? Enfin Jules ... En quoi c'est moins risqué d'abriter une fugitive que de dessiner ?

-C'est faux, se défendit rageusement Julian. J'ai accepté qu'elle vienne ici parce qu'elle n'avait nulle part où aller et que je refuse que la guerre la prenne à Simon comme on nous a pris Matthew. Mais j'avoue que j'avais peut-être ce fol espoir que ça te forcerait à mettre le Perroquet Noir à la retraite par sécurité ... Pour elle, à défaut que ce soit pour moi ... Noah, ils ne peuvent pas remonter jusqu'à toi, maintenant moins que jamais ...

Je pressai les paupières, physiquement touchée par l'émotion que véhiculait la voix de Julian. Oh ! Darling, please believe me I'll never let you down ... Believe me when I tell you, I'll never do you no harm ... La chanson qui tournait toujours engloutissait les accents qui avaient étranglés son timbre et étouffait les pas qui faisaient grincer le parquet.

-Jules, écoute-moi ..., entonna Noah d'une voix si douce qu'il me fallut tendre l'oreille pour la distinguer des mots de Paul McCartney. Je ne veux pas te donner l'impression que je me fiche de te mettre dans cet état, rien n'est plus faux, vraiment ... Mais il faut que tu comprennes ... Héberger Victoria, c'est bien, noble et louable. Mais ce qu'on veut, c'est qu'elle puisse sortir d'ici un jour, non ? Qu'elle puisse vivre son amour au grand air avec Simon, qu'elle puisse publier son livre et en écrire un autre avec toi, qui sait ? Et dans ce but, le Perroquet Noir a son utilité. Il mobilise, il rappelle qu'il n'existe pas que Lord Machin, qu'une autre voie est possible ... Jules ... tu veux vraiment que Matthew soit mort en vain, qu'il ne soit qu'un nom anonyme qu'on oubliera ? Ou l'un des héros qui aura posé sa pièce à l'édifice pour mener à la chute du tyran Britannique ?

-Tu es d'humeur lyrique ..., remarqua Julian, l'air dubitatif.

-Mais c'est une vraie question. Je sais combien tu as souffert de la mort de Matthew ... Jules, je ne veux pas te faire revivre ça. Et je trouve que le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de tout mettre en œuvre pour nous débarrasser de ce serpent. (Il eut une petite pause pendant laquelle la chanson s'acheva dans un doux bercement). Tiens, ça me donne une idée de caricature ça ...

-T'es idiot, le tança Julian avec un sourire dans la voix.

-Mais je suis ton idiot préféré.

-Tu m'énerves.

-Ça ressemble à des préliminaires, Jules. On finit ça comme notre dernière dispute quand tu as appris pour le Perroquet Noir ? J'avais bien aimé ...

Le ton à la fois moqueur et langoureux de Noah me fit l'effet d'un choc électrique et je m'écartai prestement de la porte, soudainement terrifiée à l'idée d'en entendre davantage. Oh, Darling se fondit dans Octopus's Garden dont le rythme plus effréné s'accordait à merveille avec les battements de mon cœur.

-Oh !

Avec un sursaut, je fouillai la pièce du regard avant de lever les yeux pour découvrir Simon, nonchalamment appuyé sur la passerelle. La structure de ses cheveux n'avait strictement aucun sens, ses orteils nus frôlaient le bord du précipice mais il s'était vêtu de son jean et d'un tee-shirt chiffonné qui devait avoir passé la nuit au pied du lit.

-C'est comme ça que tu demandes de baisser le son ? me taquina-t-il avec un sourire.

Cette simple vision d'un Simon tranquille aux iris claires et pétillantes apaisa partiellement les doutes qui avaient commencés à m'assaillir après la discussion que je venais d'entendre. A pas de chat, je me précipitai vers les escaliers et rejoignis Simon au milieu de la passerelle.

-Figure-toi que j'espionnais ... Enfin sans le vouloir, mais finalement les Beatles avaient un intérêt très pragmatique.

Un coup d'œil sur mon visage sérieux suffit à Simon pour deviner que cela n'avait rien à voir avec nos hypothèses matinales. Il fronça les sourcils en une interrogation muette et je me trémoussai, embarrassée d'avoir à relater la conversation. Matthew n'était pas un fantôme qui était bon de réveiller chez Simon ...

-Ça te dit quelque chose le « Perroquet Noir » ? m'enquis-je plutôt.

-Oui.

La rapidité de la réponse me stupéfia et je dévisageai Simon avec de grands yeux écarquillés. Il haussa les épaules avec flegme.

-C'est quelqu'un qui fait des dessins, j'ai vu pas mal de tracts dans le QG de l'Ordre lorsque je passai mes journées avec Bill à étudier des traités de magie noire ... (Il papillonna des yeux, l'air pris d'une révélation intérieure). Attends, tu crois que ...

-Chut !

Les gongs de la porte venaient de grincer sous nos pieds et nous détalâmes prestement, moi vers la salle de bain et lui vers la chambre. J'espérais sincèrement que les percutions des Beatles avaient couvert le tambourinement de notre fuite et à peine eus-je fermer la porte derrière moi que la voix de Paul McCartney s'éteignait enfin. Histoire que ma présence ici ne soit pas fortuite, j'en profitai pour me rafraichir et me brosser les dents, les yeux rivés sur le miroir comme si mon reflet pouvait me permettre de trouver un sens à tout ce que je venais d'entendre.

Le Perroquet Noir ...

En quoi c'est moins risqué d'abriter une fugitive que de dessiner ?

Je recrachai rageusement le dentifrice veiné d'un filet de sang dans l'évier – dans mes réflexions, j'avais appuyé trop fort et meurtri mes gencives – avant de nettoyer le tout et d'attacher mes cheveux en une vague queue-de-cheval. Lorsque je m'aventurai de nouveau en bas, Julian était installé sur la table avec une tasse de thé en face d'un Noah qui découpait soigneusement son œuf à la coque. Sur leur visage, aucune trace de la dispute que j'avais pu percevoir. Au contraire, le sourire goguenard et plein de sous-entendu dont me gratifia Noah était des plus ordinaires. Il lança un regard équivoque à Julian.

-Ah bah elle n'a pas l'air si échevelée, la nuit a dû être calme ...

-Tu ne sais pas dans quel état j'étais ce matin, rétorquai-je du tac au tac.

Je me rendis compte que la réponse était inhabituellement mordante lorsque Julian planta sur moi un regard interdit, mais surtout lorsque j'entendis Simon s'étrangler dans mon dos. Je pris intérieurement note qu'il s'agissait là des nouvelles limites de son aisance et pris place à table comme si de rien n'était. Un sourire appréciateur retroussa néanmoins les lèvres de Noah malgré le peu d'état que je faisais de sa pique. Il me pointa de sa cuillère pleine de jaune d'œuf.

-Ah ... ça ma chère Vicky, c'est un visage que je préfère !

-Non !

La protestation venait à la fois de Simon et de moi, à la différence près que j'avais en plus agrippée machinalement mon couteau. Julian lorgna dessus, l'air de se demander s'il ne ferait pas mieux de le confisquer avant que je n'éborgne son compagnon. Il devait lui rester un peu de colère au fond de lui car il ne bougea pas d'un iota.

-Je déteste quand on m'appelle comme ça, expliquai-je à Noah.

-Il t'appelle comme ça, fit-il remarquer en pointant Simon du pouce.

-Et il m'a fallu dix ans de lutte pour obtenir ce privilège, rétorqua celui-ci avec un sourire suffisant. J'ai pris le droit – ce ne sera pas ton cas.

Le sourire qui dévoila machiavéliquement les dents de Noah me confirma que c'était la dernière chose à dire. Cet homme était l'esprit de contrariété même. Et alors que je resserrai ma prise sur mon couteau en observant les « Vicky » frétiller dans les iris de Noah, prêtes à lui chatouiller la langue, Simon vint me rappeler qu'en terme de contrariété, il n'était pas en reste. Prenant place sur sa chaise, il pivota souplement vers Julian avec un sourire sardonique.

-Au fait, Jules, commença-t-il d'un ton badin. Il faudrait que tu relises mon devoir, ce sont les prémisses du projet de fin d'année et je n'ai pas envie de partir dans la mauvaise direction.

Le sourire de Noah se fana de façon immédiate et il fusilla Simon du regard. Loin de le calmer, cette œillade assassine parut au contraire l'enhardir et il poursuivit tranquillement tout en se servant en café.

-Oui parce que figure-toi que je pars plutôt sur les contre-sortilèges que la création. Je sais que ton domaine c'est plus la création, Jules, mais je suis sûr que ton regard sera instructif. Je pourrai demander l'expertise du professeur Hawking bien sûr mais il est moins disponible que toi, Jules, et comme je suis là, autant en profiter ...

Julian paraissait se retenir de toutes ses forces de ne pas laisser éclater son hilarité. La mienne était irrépressible : face au visage exsangue teinté d'une expression outrée de Noah, je m'étais détournée pour étouffer mon rire dans mes mains.

-Mais dis-donc, tu n'es pas du tout le frère de Matthew Bones, toi, grinça Noah entre ses dents.

Mon pied fusa et lui meurtrit le tibia si fort que Noah en lâcha sa cuillère avec un cri étouffé. Simon cessa son manège et nous jeta un drôle de regard, les yeux plissés. Pourtant, ce fut la main de Julian qui vint discrètement couvrir mon genou sans que je ne sache si c'était un geste d'apaisement ou d'avertissement.

-Il t'a eu, lança-t-il à Noah avec une pointe de satisfaction avant de s'adresser à Simon. Matthew a fait exactement la même chose en France, pour le faire sortir de ses gongs. Extrêmement efficace, mais là tu as tendu le bâton pour te faire battre, Noah.

-Et je me suis fait battre au sens littéral, marmonna-t-il en se frottant la jambe.

-Si tu me donnes les cartouches pour dégainer, je ne vais pas me gêner, me dédouanai-je avec hauteur.

-Victoria, soupira Julian avec lassitude. S'il te plait, lâche ton couteau.

Je louchai sur la pointe pour remarquer que je l'avais ostensiblement pointé sur Noah à mesure que la conversation avançait et un sourire contrit ourla mes lèvres. Je le déposai sagement dans mon assiette et minaudai à l'adresse de Julian :

-Voilà ! C'est mieux ?

-Parfait, estima Julian, le coin des lèvres frémissant. Maintenant j'aimerais pouvoir déguster mon thé sans que personne ne se tape ni ne menace d'énucléer ni ne pique les surnoms privilégiés. Ah et Simon ? J'attends les prémisses de ton projet ce soir, puisque tu en parles.

Simon faillit recracher sa gorgée de café et gratifia Julian d'un regard incrédule qui le laissa parfaitement de marbre si on exceptait la commissure de ses lèvres qui tressautait. Il venait de battre toute la table d'un point final.

-Mais quel prof, marmonna Noah, l'air consterné.

-Ce n'est pas un prof, ça, lui soufflai-je sous le ton de la confidence. C'est un papa.

La cuillère que Noah s'apprêtait à mener à sa bouche suspendit son élévation une seconde avant de reprendre son court et de l'abstenir de répondre. Les accents à la fois volontaires, malicieux et bienveillants de Julian m'avaient en tout point rappelé ceux de mon père chaque fois qu'il tentait de désamorcer une dispute entre ma mère et Alexandre où j'étais trop effrayée, trop déchirée pour faire l'arbitre. Cela planta une petite graine de nostalgie dans mon cœur que je vins apaiser en relisant les dernières lettres de mes parents après le petit-déjeuner, pendant que Simon griffonnait un devoir qu'il n'avait évoqué que pour fanfaronner. L'effet était étrange : alors que je relisais la lettre, dans la tête résonnait à la voix le souvenir de mon père et le timbre plus concret de Julian. Les deux figures se mélangeaient étrangement.

Boston a peau être une ville charmante, la campagne anglaise me manque, écrivait mon père de son tracé soigné, presque calligraphique. Je passe ma vie entre le bénévolat de la petite église anglicane et les parcs. Je suppose que c'est ça, le mal du pays. Mais crois-moi ma chérie, rien ne me manque plus que toi. Je peux remplacer une église par une autre, des champs par des parcs, l'accent anglais par l'américain ... Toi rien ne peut te remplacer. N'écoute pas ce que ce Diable dit de toi, ma chérie. Tu es inestimable.

La majuscule sur le mot Diable m'attirait à chaque lecture. Evidemment que mon père avait réussi à rationnaliser la situation en l'adaptant avec ses propres termes, sa propre réalité. En faire une lutte biblique et mystique pour que ses prières aient plus de résonnance dans les cieux. Prie fort, papa, songeai-je, le cœur serré. Prie fort. Pas pour moi, mais pour sa chute.

-C'était un coup bas, grogna Simon en se levant de mon bureau. Lui non plus il ne doit pas beaucoup aimer qu'on l'appelle « Jules » d'autres lèvres que Noah, il se venge. Il n'est pas censé exiger que je rende un devoir un dimanche ...

-Je pense surtout qu'il a voulu tous nous remettre à notre place. Gagner la mêlée, en quelque sorte.

-Ouais, bah moi j'appelle ça de l'abus de pouvoir.

Il picora un baiser sur ma joue et annonça qu'il allait rendre le devoir à Julian. Je doutais sincèrement qu'il s'en accommode tant Simon y avait mis peu de cœur et d'entrain. J'effleurai ma joue, comme pour garder la trace de ses lèvres sous ma peau. C'était uniquement parce que sa présence agissait comme un baume que je ne m'étais pas mise à pleurer en parcourant de nouveau les lettres de ma famille. Je les rangeai soigneusement dans une boite avec les autres et descendis quelques minutes après Simon. Comme je l'avais prédit, Julian observait le parchemin à moitié rempli et chiffonné d'un air profondément consterné, le nez froncé par le mépris et lorsqu'il se munit de sa plume, j'eus la certitude qu'il allait tout raturer de rouge. Pareille négligence et manque de profondeur devait le hérisser, lui qui avait la rigueur intellectuelle du Serdaigle. La mine profondément exaspérée de Simon ne l'empêcha pas de s'assoir avec lui et de l'entendre asséner des mots de magie complexe et pointue qui me filèrent bientôt mal au crâne – contrairement à lui dont les yeux finirent bientôt par étinceler. Plutôt que de les écouter, je me glissai dans l'atelier. Noah, installé sur son établi, me jeta un bref regard.

-Tu viens pour me planter un couteau dans l'œil ? attaqua-t-il immédiatement.

-Non, je viens en paix, assurai-je en refermant la porte derrière moi. Julian m'a volé Simon en l'attirant avec l'étude de la magie. Pire qu'une maîtresse, celle-là.

Je crus que Noah allait me repousser ou se fendre d'une nouvelle remarque sarcastique, mais il se contenta de me tendre la main pour que je puisse frapper dedans. Soulagée, je ne m'en privai pas et me glissai même sur son banc pour observer ses travaux. Des traits diffus et géométriques étaient tracés au fusain.

-C'est pour quoi ? m'enquis-je innocemment.

-Le journal, ma caricature de dernière page. Qu'est-ce que tu veux que ce soit d'autre ? J'ai eu une idée ce matin ...

Pendant que tu te disputais avec Julian. Je me mordis l'intérieur de la joue pour ne pas le laisser échapper et mes yeux cherchèrent les dessins que j'avais pu apercevoir fortuitement la dernière fois. Aucune trace : une grande feuille avec la caricature en cours, quelques crayons et les mains de Noah étaient le seul meuble de l'établi. Les traits feutrés prirent bientôt la forme d'une pyramide dans laquelle il inscrivit des noms en variant la calligraphie. Mon cœur manqua un battement. Matthew Bones fut le premier d'entre eux. Lily et James Potter furent les derniers, au sommet.

Tu veux vraiment que Matthew soit mort en vain, qu'il ne soit qu'un nom anonyme qu'on oubliera ? Ou l'un des héros qui aura posé sa pièce à l'édifice pour mener à la chute du tyran Britannique ?

-Tu devrais le faire en forme d'arc de triomphe, proposai-je timidement. Ce serait plus impactant qu'une pyramide, non ?

Noah parut soupeser la proposition avant de prendre une nouvelle page et de dessiner en conséquence. Les briques s'alignèrent renfermant chacune un nom qui avait été tuée pendant la guerre.

-Et ajouter un slogan, ajoutai-je alors qu'il esquissait le fronton de l'arc. Enfin pour préciser le message. Des esprits mal placés pourraient croire que ces morts constituent le triomphe.

-Bien vu, concéda Noah, l'air concentré. « Morts pour la cause » ?

Je plantai mon regard dans le sien.

-Ça c'est aussi bateau que « Gardez espoir ».

Les yeux de Noah s'écarquillèrent légèrement avant que ses doigts ne se crispent sur son crayon. Je lus dans son regard tout ce que je savais déjà : je n'étais pas censé avoir vu ce tract avec ces deux mots inscrits sous un phénix. Il se détourna, la mâchoire contractée.

-Petite fouineuse ...

-Par hasard, admis-je en toute sincérité. Et ... je t'ai entendu avec Julian ce matin. Par hasard aussi. « P.N. » c'est Perroquet Noir, c'est ça ? C'est le nom avec lequel tu signes tes tracts pour l'Ordre ?

-Un problème avec ça, miss Colibri ? cingla-t-il sans me regarder.

La tension qui émanait de lui était contagieuse : mes entrailles se rétractèrent dans mon ventre. L'inquiétude qui avait saturé la voix de Julian ce matin me fit hésiter. J'étais parfaitement en droit d'exiger qu'il cesse. Etant celle qui risquait le plus sur ce toit, ma voix comptait. C'était ce qu'espérait Julian, c'était ce qu'était en train de craindre Noah : qu'au nom de ma sécurité, il doive mettre fin à ses tracts. Pourtant c'était loin d'être l'élan qui avait primé lorsque je n'avais compris dans quoi trempait Noah.

-Tu fais ça depuis quand ? interrogeai-je plutôt.

-Quelques mois ... Mais je ne fais que dessiner. Je rencontrais l'un des membres dans un hôtel et eux se chargeait la diffusion ... (il poussa un soupir qui tenait presque du grognement). Julian est terrifié et je le comprends, mais honnêtement il n'y a aucun moyen de remonter à moi. Il faut être un savant connaisseur de généalogie américaine pour comprendre le lien entre le perroquet et mon nom de famille – une de mes ancêtres a fini seule et folle avec cet oiseau pour seule compagnie ... Oui, j'ai des sacrés gènes.

Il devait y avoir une trace de pitié sur mes traits que je n'avais pas su masquer. Si j'ajoutai ce fait à ce qu'il avait laissé entendre sur sa mère lors de notre sortie à Oxford ... La folie s'était-elle transmise jusque elle ? Noah taquina la feuille de la pointe de son crayon, les mâchoires toujours crispées.

-Ecoute, je sais ce que tu dois penser. Que ça risque de te compromettre, si quelqu'un devine qui je suis et décide de faire un petit tour par ici pour vérifier ... Mais honnêtement il n'y a vraiment aucun risque. Parfois je signe « P.N. » en bas de La Voix du Chaudron mais parce que je l'ai toujours fait, ça a toujours été mon nom de plume, si tu veux ... depuis mon adolescence. Mais au journal, personne ne sait ce qu'il signifie. Il n'y a que Julian qui sache.

-Ce serait peut-être plus prudent que tu arrêtes de signer « P.N. » sur tes caricatures officielles, supposai-je avec lenteur.

-Certes. Mais c'est difficile. C'est mon identité d'artiste. C'est ma voix.

La fierté et la conviction débordait dans la voix de Noah et la façon dont il releva le menton m'interdit de protester davantage. Un silence pesant s'insinua entre nous, pendant lesquels mon regard se promena sur les pierres esquissées par la main de Noah, les noms inscrits qui s'alignaient comme une sombre litanie funéraire. Un grand calme s'éprit de moi alors que mes yeux remontaient jusqu'au fronton de l'arc.

-Tes slogans sont nuls, lâchai-je finalement. Tu dessines peut-être bien, mais tu es nul à manier les mots.

Noah glissa sur moi un regard de biais où pointait la vexation, mais aussi une lueur d'incompréhension. Nerveuse, je coinçai mes mains froides entre mes cuisses.

-Mais moi, je suis plutôt pas mauvaise dans l'exercice, continuai-je résolument. Et j'ai écris un livre entier pour contrer les idées des Mangemorts. Alors si je peux t'aider pour mieux lier le texte à l'image ...

Mon ton manquait cruellement d'assurance et menaçait ma crédibilité et pourtant Noah n'eut pas le moindre sourire moqueur. Au contraire il me contempla longuement avec une certaine gravité qui durcissait ses traits.

-Je savais que tu étais ce genre de fille, Victoria Bennett, déclara-t-il avec solennité. Et je te remercie sincèrement de l'être, ça m'aurait troué le cœur d'arrêter de dessiner pour la cause. Le Perroquet Noir t'engage.

Il me présenta sa main de façon pompeuse et je la serrai avec un sourire blasé. Etait-ce prudent d'encourager Noah dans ses activités souterraine qui risquaient de braquer un projecteur sur ma personne ? Non. C'était aussi dangereux que pointer le nez dehors. Mais c'était tout aussi nécessaire. Pas pour mon équilibre cette fois : pour celui du monde. Qu'il diffuse leurs idéaux nauséabonds par la force, nous le ferons par le fusain et la plume.

Noah garda longuement ma main dans la sienne, sans me lâcher du regard. Une pointe diffuse que j'identifiais comme un soupçon d'inquiétude vint percer ses prunelles.

-Tu es sûre de toi ? Normalement ils n'ont aucune raison remonter jusque moi, mais s'ils le font je ne veux pas ...

-Avoir ma mort sur la conscience ? achevai-je avec un sourire tordu.

-Etre massacré par Simon, rectifia-t-il en s'éclaircissant la gorge. Pas que j'ai peur d'un poussin pareil, mais parait-il il est habile de sa baguette ...

-Simon sait que je ne suis pas restée en Angleterre simplement pour lire et jouer avec ses peurs. Si je suis rentrée dans l'Ordre, c'est que je ne veux pas que Vol ... Tu-Sais-Qui, gémis-je en me frappant le front. Oh mon Dieu pardon ... mais je suis imprégnée des idées de Dumbledore. « La peur d'un nom ne fait qu'accentuer la peur de la chose en elle-même ».

-Oh c'est pas mal ça, réalisa Noah en se redressant, comme piqué par l'inspiration. Répète donc ?

-C'est de Dumbledore ...

-Le héros sans tâche de ceux qui gardent espoir ? ricana-t-il en se munissant de sa plume. Encore mieux, non ? Il y a une belle image à faire autour de cette phrase, tu ne penses pas ?

Et prenant une nouvelle feuille, il commença à tracer des traits qui pour moi étaient à tort et à travers, s'interrompit pour écrire la phrase en arc de cercle sur le haut de son œuvre avant de gribouiller une silhouette que je finis par identifier comme Dumbledore. Je secouai la tête face à la chose, consternée.

-Seigneur ça se voit que tu ne l'as pas connu ... heureusement que maintenant je suis là pour superviser ...

-Assister. Tu es mon assistante.

-Ton associée, contrai-je fermement.

Noah me l'accorda en penchant la tête sur son épaule. Sa main vola sur la feuille, précisant le dessin à chaque passage. Un coup il ornait la citation, un autre il ajoutait un détail à la figure de Dumbledore et petit à petit, la composition centrale m'apparut comme étant une silhouette encapuchonnée et effrayante aux contours fuyants et ondulant tel un serpent ... qui se regardait dans le miroir et n'était qu'un homme, vieux, avachi, pathétique dont il ne servait à rien d'avoir peur. Satisfait de son esquisse, Noah signa gaiement, non seulement de son nom mais aussi d'un autre qui fit sortir mes yeux de mes orbites.

-Perroquet Noir et Miss Colibri contre Voldy le Serpent !

-Tu ne vas pas signer « Miss Colibri » ?! me récriai-je, horrifiée. C'est mon patronus, plus reconnaissable tu meurs !

-Me prendrais-tu pour un idiot ?

Il raya prestement le nom qu'il venait d'inscrire. Finalement, il préféra ne garder le sien : je prenais bien assez de risque pour rajouter une ligne en plus à mon casier judiciaire, prétendit-t-il – mais sur son visage je vis passer une ombre soucieuse et mon cœur s'en attendrit. C'était peut-être pour cela que j'acceptais la chose avec tant de facilité. J'étais certaine que si je le lui avais demandé, il aurait déposé le crayon. Le Perroquet Noir avait un cœur ... et j'avais fini par m'y faire une petite place.

*** 

Voilà ! Alors votre verdict? 

J'ai conscience que cette partie chez Julian et Noah est vraiment plus calme, mais je pense que tout le monde en avait besoin avec un début effréné et plein d'action ! En plus Anna' m'a, je trouve, donner les cartes parfaites pour remplir cette partie de façon pertinente avec la mission du Perroquet Noir ! 

Je vous invite fortement, si ce n'est pas fait, à aller lire le bonus d'Anna sur LHDI où elle explique un peu la genèse du Perroquet Noir et comment Julian l'a découvert (en plus de plein d'autres trucs sympa héhé) 

A part ça, vous trouvez ça comment le point culminant de l'hydraverse? C'est à la hauteur de vos attentes? 

Allez, je vous libère ! Bon réveillon - ou bonne année en fonction de quand vous lirez ça ! Perri vous souhaite tout le bonheur du monde ! 


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