III - Chapitre 24 : Doute que les étoiles ne soient que flammes
ON SE CALME
Oui oui je vous vois bien en train de vous agiter derrière l'écran à cause du titre : ON SE CALME je n'ai pas de défibrillateur ! J'aimerais beaucoup vous en offrir mais c'est au dessus de mes maigres moyens !
Alors je vous conseille de vous munir d'un sac en papier pour bien inspirer dedans chaque fois qu'une crise d'hystérie vous prendra !
WELL JE CRAQUE j'ai reçu une supplique ce matin qui m'a rappelée que c'était la rentrée. Alors pour adoucir vos peines en cette rentrée scolaire voilà ... un chapitre.
BONNE LECTURE <3
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Chérissez l'amour, Marcus. Faites-en votre plus belle conquête, votre seule ambition. Après les hommes il y aura d'autres hommes. Après les livres, il y a d'autres livres. Après la gloire, il y a d'autres gloires. Après l'argent, il y a encore de l'argent. Mais après l'amour, Marcus, après l'amour il n'y a plus que le sel des larmes.
- Harry Quebert
La vérité sur l'affaire Harry Quebert
Joël Dicker.
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Chapitre 24 : Doute que les étoiles ne soient que flammes...
Il avait accepté. Il avait accepté ce stupide verre.
Pourquoi ? Il n'en avait pas donné la raison quand j'étais passée dans la matinée pour lui proposer de venir avec moi au centre Plumpton. Leonidas Grims revenait d'un voyage aux Etats-Unis et j'avais vu en son retour l'occasion d'attirer Simon autant que de découvrir ses attentions envers Adrianne. Elles avaient été claires, et je n'eus pas le temps de déployer toutes les techniques que j'avais mise au point pour lui arracher cette information. Il avait levé son livre et seule sa voix étouffée m'était parvenue : « je ne peux pas, je vais voir Adrianne ».
J'avais envie de hurler. De donner un grand coup de poings dans le grimoire pour qu'il s'écrase sur son visage. Mais j'avais dû quitter la place en vitesse : Rose et George étaient sur le point de partir pour leurs premières vacances en couple depuis la naissance de Caroline et prodiguaient à Simon nombre de conseils, d'inquiétudes qui semblait l'exaspérer au plus haut point. Et quand Rose proposa que Caroline vienne passer quelques jours dans la maison familial pour être certaine que le cadet ne meure pas de faim, Simon parut sur le point de mettre ses parents à la porte. Déjà en retard, je n'eus pas le temps de voir le déploiement de la dispute qui semblait germer et repartit avec mon balai et mon sac, complétement fulminante. L'entraînement arrivait à point nommé : j'étais d'une efficacité redoutable quand j'étais en colère. Le match contre Gryffondor l'année dernière, arrivé en pleine tourmente, l'avait prouvé. C'était ce jour-là que Gwladys Sayer m'avait repéré et ce jour-là, chaque souafle avait été doublé du visage de Simon.
Ça ne se démentit pas, ni pendant la séance physique du matin où mes statistiques furent excellentes, ni pendant l'entrainement de l'après-midi où j'envoyais d'un poing rageur le souafle dans le visage d'Eden. Son nez craqua sous le choc et nous fûmes obligés d'interrompre brièvement la séance pour lui permettre de se soigner. J'atterris près du poursuiveur, soigné par Emma Spielman, affolée.
-Bon sang je suis désolée Eden ! Je n'ai absolument pas calculé la trajectoire ...
-Pas grave, bredouilla-t-il pendant qu'Emma nettoyait le sang qui s'échappait abondement de son nez.
-Au contraire, continue comme ça, lança la guérisseuse avec un sourire. Tu as mangé du lion aujourd'hui !
-Oui enfin, si elle peut éviter nous blesser ..., marmonna Cameron.
Swan lui jeta un regard noir et il s'éloigna de quelques pas, sa batte sur l'épaule. J'attendis qu'Emma finisse de soigner Eden pour être pleinement rassurée et risquer un coup d'œil en direction de Dalia. Elle était plongée dans son calepin et je voyais d'ici sa plume donner des coups rageurs sur le papier. Sûr qu'elle devait apprécier ma séance : je doutais avoir été un jour aussi bonne. Mais si le prix à payer était que je casse le nez des poursuiveurs ... je doutais qu'elle doit prête à concéder cela. Je décidai de l'affronter avant que ce ne soit elle qui me lance une pique au pire moment : elle faisait parfois cela pour nous déstabiliser. Et ça marchait à chaque fois.
-Je suis désolée, assurai-je en arrivant à sa hauteur. Je ferais plus attention à l'avenir.
Dalia me jeta un bref regard avant de se replonger dans ses notes. L'esquisse d'un terrain de Quidditch y était dessinée, gribouillé de flèches et de lettres illisibles.
-Dans un match officiel, ce type de coup peut nous coûter un coup franc. Mais c'est assez rare parce qu'il faut prouver la volonté du gardien de faire mal et souvent ce n'est pas ton cas. Et c'est ça qui m'inquiète, si tu veux savoir. Oui, tu es très bonne aujourd'hui. Tu sais pourquoi tu es bonne ? Parce que tu ne contrôles rien. Un véritable feu follet. Tu as le diable au corps aujourd'hui ma petite. Ça attise le meilleur et le pire de toi. Et c'est exactement ce qu'on voit dans ton jeu : le meilleur et le pire. Essaie de filtrer ta rage pour ne laisser passer que le meilleur. Parce que c'est de ça dont il s'agit : tu es en colère.
Je me dandinai d'un pied à l'autre sans chercher à nier. C'était incroyable ce que le sport pouvait vous apprendre sur les gens, comment Dalia avait analysé mon état d'une traite et de façon si juste ... « ça attise le meilleur et le pire de toi ». C'était exactement ce que faisait Simon dans la vie de tous les jours. Et c'était exactement la source de ma colère. Dalia se leva et coinça ses carnets sous son bras.
-Pourquoi, je ne veux pas le savoir. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi. La colère est un moteur comme un autre. Apprends simplement à la canaliser et je considérerais la séance comme réussie. (Elle porta le sifflet à ses lèvres et souffla un grand coup qui résonna dans le stade). Allez, si Eden est remis on y retourne ! Les Batteurs, en séance individuelle, Joana tu peux aller faire un peu de cardio si tu veux. Et tous les poursuiveurs contre Bennett !
Elle m'adressa un sourire sarcastique sur ses lèvres décharnés et je faillis le lui rendre. Dalia était sèche, poussait à l'excellence à l'absurde, ne montrait aucun sentiment mais c'était sa façon de faire ressortir le meilleur de nous, de nous faire progresser. La méthode à la McGonagall quand j'avais été maternée toute ma vie par Chourave. C'était difficile pour moi de m'y adapter mais je ne pouvais que lui donner raison : je progressais. Preuve s'il en fallait une, son conseil me fut d'une grande aide pour la suite de la séance. J'avais toujours cette fureur sourde au creux de mon ventre, qui s'attisa quand je songeais que Simon devant être à l'instant même avec Adriana, assis sur une table du Chaudron Baveur ... Peut-être même que la jeune fille avait proposé d'aller plus loin, de dîner un soir, ou d'aller boire un autre verre chez elle ... Puis je clignai les yeux et j'étais éblouie par le soleil et Swan volait droit sur moi en armant une frappe. Dès lors, je prenais une profonde inspiration pour calmer les nerfs, chassait l'image tout en gardant l'énergie et tentai une parade. L'exercice fut fastidieux et je ne parvins pas toujours à gommer Simon de mon esprit mais à la fin Dalia m'adressa un hochement de tête satisfait qui signifiait que j'avais assuré l'essentiel. Elle ne s'attarda pas et nous laissa regagner les vestiaires complétement éreintés.
-Preums pour la douche ! exigea Cameron en se l'appropriant sans vergogne
-En toute simplicité, ironisa Arnold avant de me donner une grande tape dans le dos. Bon, Barbapapa, tu fais quelque chose ce soir ? Ou c'est parce que tu ne fais rien que tu as cassé le nez d'Eden ?
-Oh, laisse-la, le rabroua Swan, déjà nue sous sa serviette. Parle, toi : tu fais quelque chose avec Kate ?
Arnold éclata d'un grand rire et passa la main dans sa barbe aux reflets roux.
-Elle accouche dans quelques semaines alors je pense que ça va être soirée plaid et télévision !
Swan et Eden échangèrent un regard chargé d'incompréhension. Je savais que la femme d'Arnold attendait leur premier enfant et je doutais que c'était cela qui provoquait leur foncement de sourcil. Simplement, les sorciers ne connaissaient pas le plaisir simple de la télévision et je sortis Arnold de l'embarras en embrayant :
-Je pense que ce sera pareil pour moi. Le chocolat en plus.
-Je savais que je pouvais compter sur toi, Mini-pouce, me sourit-t-il en s'installant sur le banc à côté de moi. Tu habites toujours chez tes parents ?
-Oui, mais il est hors de question que j'emménage sans télé. Ta femme l'a accepté ?
Arnold eut un sourire malicieux.
-C'est une moldue, elle. Pas de pouvoir magique donc obligation d'avoir un foyer relié à l'électricité.
-Une moldue ? s'étonna Eden. Comment tu l'as rencontrée ?
La question sonna étrangement à mes oreilles. Pourquoi cette surprise ? Puis je me souvins que les interactions entre sorciers et moldus étaient nulles, si nulles qu'effectivement, une rencontre voire une liaison semblait improbable. Seuls les nés-moldus ou les familles de sorciers qui avaient acceptés que leurs enfants grandissent dans le monde non-magique en fréquentait, mais nous étions loin d'être la majorité. Arnold parut indisposé par le questionnement et répondit d'un ton sec qui avait perdu de sa bonhommie :
-Une longue histoire, je te raconterais quand tu serais plus grand. Bon, au revoir les gosses, j'ai ma femme et mon enfant qui m'attendent à la maison ...
-Qu'il ne se plaigne pas, j'ai trois enfants qui m'attendent, grimaça Swan alors qu'il s'en allait, son balai sur l'épaule. Bon, miss, tu nous racontes maintenant que Barberousse est parti ?
-Raconter quoi ? prétendis-je innocemment.
Swan me gratifia d'un regard perçant, le genre de regard qu'une mère pouvait lancer à son enfant pour lui faire comprendre qu'elle savait parfaitement que c'était lui qui avait cassé le vase de grand-mère sur la commode et que toute tentative pour prétendre le contraire aggraverait son cas. Je poussai un soupir et tentai de la rassurer d'un sourire.
-Ça va. Je suis juste un peu contrariée, ce n'est pas grave ...
-Beaucoup contrariée, rectifia Eden en tâtant son nez. J'ai littéralement senti toute la puissance de ta colère.
-Encore désolée pour ça ...
-Ce n'est pas grave. Mais je mérite de savoir pourquoi j'ai eu le nez cassé, non ?
Je levai les yeux au ciel, refusant de me laisser attendrir.
-Laisse tomber, c'est compliqué.
-Ah, comprit Swan avec un semblant de sourire. Donc ça concerne le neveu de Grims ? Le blond qui était là la dernière fois ?
-Avec qui tu as clairement un comportement de couple même si tu prétends le contraire ? compléta Eden.
-Oh, la douche s'est libérée ...
Je bondis à l'intérieur sans attendre mon reste, provoquant l'éclat de rire de Swan et Eden et l'œil désarçonné de Cameron quand je refermais la porte sur lui. Mes acolytes tambourinèrent à ma porte pour me prévenir qu'ils seraient toujours là quand je sortirais, que je m'étais trahie et tentèrent de m'arracher des informations toute la durée de ma douche qui fut donc tout, sauf reposant. Car à chaque question, les images oniriques de Simon avec Adrianne – forcément dans mon imaginaire plus jolie et plus épanouie que moi – dansaient dans mon esprit et provoquait un mélange désagréable de colère et d'abattement.
C'est idiot, Vic'. C'est juste un verre. Simon te l'a dit : ça n'a pas d'importance. C'est qu'une amie.
Mais il l'avait accepté. Malgré la Saint-Valentin. Il était en ce moment même avec elle, parfaitement conscient que la rencontre avait des allures de rendez-vous galant et qu'Adrianne attendait vraisemblablement de lui un peu plus que de l'amitié. Et il avait accepté.
Fulminante, je me revêtus de mon débardeur et mon sweat informe sur un jean dont la couleur était passée depuis longtemps. Il faudrait que je songe à me racheter des vêtements : sept ans à ne porter que les uniformes de Poudlard avaient sérieusement appauvri ma garde-robe. Peut-être que j'y irais avec Emily et la laisserai faire les choix à ma place, elle avait plus de goût que moi. Je fus soulagée de constater que Swan et Eden avaient renoncé à m'attendre – mon silence avait dû leur faire comprendre que l'affaire me mortifiait plus qu'autre chose – qu'ils avaient quitté le vestiaire. J'adressai un vague salut à ceux qui restaient et m'en fus. Je remontai les marches quatre à quatre jusqu'au bureau du sorcier-vigile-réceptionniste Philibert et sortis de la gare pour transplaner.
Je choisis d'atterrir assez loin de chez moi. Le soleil brillait sur Terre-en-Lande avec de pâle rayon qui irisait le ruisseau qui découpait le village. Les berges étaient souvent vides et je m'y attardais, suivant le cours de l'eau en espérant qu'elle m'apporterait la sérénité qui me manquait. Et pourtant face à son reflet, les points dorés provoquait le soleil m'évoquait une autre image, la couleur que prenait les cheveux de Simon en plein été quand les rayons les blondissaient le plus. Ma gorge se ferma. Je n'en pouvais littéralement plus de ce doute constant. J'avais besoin d'être fixée. Ce n'était pas difficile, non ? J'avais prononcé ces mots un nombre incalculable de fois dans ma vie. « Simon, il faut que je te parle d'un truc ». J'avais pu lui cracher que je m'étais faite agressée, je pouvais y arriver, non ? Mais chaque fois que j'ouvrais la bouche, les mots m'obstruaient désagréablement la gorge et se refusait à s'échapper.
Je poussai un gros soupir et nichai le nez dans l'écharpe que j'avais enroulé autour de mon cou. Je n'avais pas pris le soin de mettre une cape ou un manteau : mes muscles étaient encore chauds de l'entrainement. Et j'avais besoin de ce froid, ce froid glacial de février qui me semblait à l'instant le plus efficace pour contrôler le feu qui brûlait dans mes entrailles. Il avait même neigé la semaine dernière pour la première fois de l'année : les températures n'étaient pas remontées depuis et certains arbres et toits gardaient leur ornement immaculé. Cela donnait au vieux village des aspects de Pré-au-Lard un soir d'hiver et l'idée m'arracha un sourire.
Des berges, je pus entendre parfaitement les cloches de l'église Saint-Edward sonner les dix-neuf heures et je me résolus à reprendre le chemin de chez moi, d'autant que la lumière déclinait. La promenade m'avait fait du bien et avait complétement aéré mon esprit : mes entrailles s'étaient dénouées et je traversai le village d'un pas plus tranquille, moins nerveux. Je cachai mon balai sous mon bras chaque fois que je croisais un villageois mais personne ne me posa de question jusqu'à mon arrivée chez moi. Je pris mes clefs pour ouvrir mon portail – mes parents devaient être sortis pour leur repas romantique – et le refermai derrière moi du plat du talon. Puis mes yeux se levèrent sur la maison et je me figeai totalement. L'espace d'un instant, les battements affolés de mon cœur parurent devenir ma seule réalité
-Qu'est-ce que tu fiches là ?
Simon était assis en travers de ma balancelle, Cyrano de Bergerac entre les mains et un bocal de flammes bleues pressée contre sa poitrine et sa cape couvrant ses jambes comme une couverture. Il ferma le livre sur son pouce et m'adressa un petit sourire.
-Je ne sais pas, tu ne m'as pas vendu Rasta Rockett avec du chocolat ?
-C'était Le cercle des poètes disparus et tout le chocolat est pour moi, précisai-je en avançant prudemment vers lui. Mais tu n'étais pas ... occupé ?
Simon haussa les épaules et se redressa pour poser les pieds sur le sol. Il se leva, sa cape sous le bras et le livre dans la main et me rejoignit en quelques enjambée sous mon porche.
-Ce n'était pas censé durer une éternité ... Tu sais, c'était juste un verre.
-Et ça s'est bien passé ? demandai-je en introduisant ma clef dans ma serrure.
J'espérais avoir garder le ton le plus neutre possible et me forçai à garder mes yeux rivés sur la porte que j'étais en train d'ouvrir. Je devais paraître presque froide, mais froide était moins problématique que furieuse. Je secouai rapidement la tête pour me remettre les idées en place. Je devrais être heureuse qu'il soit là, qu'il ait choisi de passer avec moi alors qu'il avait l'occasion d'être avec elle. C'était censé signifier quelque chose ... Non ?
Il s'adossa à l'embrassure de ma porte, tourné de trois-quart vers moi. Je ne sentais pas la pression de son regard donc je supposais qu'il devait se promener sur le paysage glacé baigné par la lumière du soleil couchant. Je la voyais qui jouait sur le visage de Simon, sa lueur orangée effaçant ses tâches de rousseurs et assombrissant ses yeux par complémentarité. Je me reconcentrais sur ma tâche, agacée par moi-même et par la lenteur de mon action. Finalement, je réussis à tourner la clef et m'engouffrai chez moi avec un soupir de soulagement. J'allumai les lumières et me rendis immédiatement dans la cuisine où Archimède reposait sur son piédestal improvisé par Alexandre au-dessus du buffet. Il nettoyait ses plumes et une lettre était toujours attachée sa patte. Simon caressa l'oiseau du dos de l'index.
-Je trouve que j'ai bien choisi, fanfaronna-t-il.
-Il n'est pas tout marron, rétorquai-je pour la centième fois en dépliant la lettre.
L'écriture d'Emily s'y étalait, belle et furieuse :
Salut Vic' ! Désolée d'avoir tardé à répondre, on est surbooké en ce moment à Ste-Mangouste – tu as entendu de l'immeuble qui avait explosé à Newcastle ? C'était une résidence sorcière, tous les blessés ont atterri chez nous et on doit refaire tout le stock de potion ... Bref. Ça devient presque la routine, c'est horrifiant.
UN VERRE LE JOUR DE LA SAINT-VALENTIN ?! Elle est douée, cette fille parce que pour attirer Simon dans un rencard il faut y aller en finesse ! Non, sérieusement, ça m'étonnerait qu'il accepte, Octavia a dû le travailler au corps pendant des semaines pour qu'il daigne lui accorder de l'attention ... Et vraiment, quand il nous en a parlé, ça avait juste l'air d'être une amie et même moins que ça. J'ai essayé de te faire peur pour te tester mais je pense honnêtement que tu n'as rien à craindre de ce côté de là.
Je pense surtout que tu as toutes les cartes en main. Vic', je sais que Roger t'a dit qu'il trouvait Simon plus évident, mais ça reste Simon : même si c'est vrai, jamais il n'ouvrira la bouche. Je sais que c'est difficile mais c'est comme ça. Il va falloir que ça vienne de toi. Continue d'observer de voir comment il réagit si ça peut te rassurer mais à un moment ... il va falloir te jeter à l'eau. Je sais que c'est compliqué et que c'est nul comme conseil et que tu dois être certainement tétanisée en lisant ces lignes, mais c'est le meilleur que j'ai à te donner.
Bon, je vais me préparer pour ma Saint-Valentin – oh attends, je suis privée de Saint-Valentin parce que mon copain travaille ... Tu me tiens au courant ? Bon sang s'il se passe quelque chose et que je ne suis pas la première au courant, je te jure que je t'en voudrais toute ma vie, Victoria Bennett, tu m'entends ? Sur la tombe de Cédric je le jure !
Bon courage, je t'envoie toute mes forces !
(Ecris-moi, même si je mets un mois à répondre).
Em'.
Je soupirai devant la lettre et jeta un bref coup d'œil à Simon qui s'occupait à goinfrer mon hibou, un léger sourire aux lèvres. Ça faisait des semaines que j'étais en phase d'observation mais chaque fois j'avais l'impression que ça ne faisait que renouer la pelote de laine. Chaque petit geste ne faisait qu'empoisonner mon existence, chaque intention me mettait le doute. Que venait-il faire ici ? Pourquoi était-il venu me voir : pour passer la soirée avec moi ? Ou étais-je une excuse pour abréger son rendez-vous avec Adrianne ? Je relus la lettre, tiraillée. « Ça m'étonnerait qu'il l'accepte » Et pourtant, il était bien allé voir ce verre... « Il n'ouvrira pas la bouche. Il va falloir que ça vienne de toi ».
Oui. Oui, ça je voulais bien le croire. C'était l'immense problème de Simon Bones : chaque part inconnue de lui devait lui être arrachée. De nouveau, je glissai un petit regard sur lui et le petit sourire qu'il abordait face à Archimède. J'avais réussi à lui arracher le pire de lui : son identité. Lui faire admettre que notre relation était tout sauf normale devrait être facile après ça ?
Mon estomac était un véritable chaudron en ébullition et cette agitation rendait mes pensées confuses et lentes. Je fermai les yeux, pris une grande inspiration et finit par me tourner résolument vers Simon. Il me contempla, déboussolé.
-Quoi ?
-Changement de plan. Ça te dit un ciné ? Ça fait une éternité que je n'y ai pas été. Au moins deux ou trois ans.
Simon parut surpris par la proposition. Je ne savais pas d'où m'étais venue cette idée. Sans doute l'idée de me retrouver seule dans mon canapé avec lui à souffle de moi m'angoissait trop : j'avais besoin d'air avant. Mais maintenant qu'elle était jetée, je craignais qu'il me la renvoie à la figure. Ma main se resserra sur la lettre d'Emily et la froissa dans mon poing. Ça doit venir de toi. Fort heureusement, ce fut un petit sourire qui fendit le visage de Simon.
-Et moi plus de dix ans. Ça marche.
***
L'univers avait un drôle d'humour. Car lorsque je passai la porte du cinéma de Gloucester avec Simon, la première affiche qui nous fit à tous les deux envies fut une adaptation du texte complet d'Hamlet. Son fou rire quand il le découvrit nous valut le regard désarçonné de certains couples venus passés une soirée devant des comédies romantiques. Je trouvai au fond de mes poches de manteau de l'argent moldu pour payer les places et le pop-corn et nous pûmes nous installer ensemble dans ce qui devait être la plus petite salle du complexe, occupée uniquement par un couple d'une trentaine d'année qui nous jeta un regard surpris. Ce fut Simon qui nous plaça plutôt au fond de la salle – loin de nos camarades de salles – et qui piqua immédiatement dans le pop-corn dès qu'il fut assis. Je lui pris vertement le paquet.
-Ne mange pas tout alors que les bandes d'annonce n'ont même pas commencées.
-Je n'ai pas mangé ce midi, protesta-t-il en m'arrachant le paquet des mains.
Je levai un sourcil surpris et un sourire moqueur s'étala sur mes lèvres.
-Et pourquoi ? Maman n'était pas là pour te faire à manger ?
J'en fus quitte pour qu'il me lance un pop-corn à la figure. Il avait pris ses aises sur le siège rouge de la salle, s'installant en tailleurs en posant sans la moindre vergogne ses baskets sur le velours. Il avait pris soin de sa tenue : des vêtements moldus, certes avec un sweat à zip et un tee-shirt mais parmi les plus beaux de sa garde-robe. Le sweat de couleur pourpre était même neuf si je n'abusais. J'avais toujours aimé cette couleur sur lui, elle mettait ses yeux en valeur par complémentarité. Mon cœur se serra. Bon sang, il avait réellement fait des efforts ... Je fus tentée de me recroqueviller sur mon fauteuil comme une bête blessée mais me forçai plutôt à demander :
-Bon. Tu me racontes du coup ?
-Te raconter quoi ? interrogea-t-il en engloutissant un nouveau pop-corn.
-Ton verre avec Adrianne. Ça a été ... concluant ?
Je devais savoir. Je devais savoir très vite sinon j'allais lui faire payer la colère qui lacérait mes entrailles depuis ce matin. La bouche de Simon fut agitée d'un tic nerveux. La lumière commençait à lentement se tamiser et l'écran s'alluma pour jeter une lumière crue sur son visage. Il prit le temps de mastiquer quelques pop-corn avant de répondre d'un ton neutre :
-Bah ... Bien. Je veux dire, ça a été, elle est gentille. Mais ça je le savais.
Et bien moi tu ne m'apprends rien Bones ! Je passai mes nerfs en déchiquetant l'étiquette de ma bouteille d'eau. Dans la pénombre qui s'installait, Simon ne pourrait pas capter ce geste d'énervement.
-Et elle est jolie ?
-Euh ... Oui, plutôt mignonne, pourquoi ?
Un bref sourire s'étala sur mes lèvres. Bon sang ce qu'il pouvait avoir des réactions d'enfant. En un sens, ça me rassurait. En un sens, ça m'angoissait. Moi je n'étais plus une enfant. J'avais grandi, j'avais vécu, j'avais appris. C'était l'évidence même que Simon n'avait pas la même expérience que moi en terme de relation. Que le fait même d'être en couple était quelque chose d'incongru pour lui. Fort heureusement, l'idée d'être en couple avec lui l'était tout autant pour moi alors nous étions sur la même longueur d'onde. Je m'affaissai contre mon dossier et un pauvre sourire ourla mes lèvres.
-Tu vas tourner autour du chaudron longtemps ? Tu sais très bien ce que j'essaie de te faire dire. Est-ce que pour une fois, tu peux éviter de faire lutter et juste ... parler ?
Simon me contempla longuement au moment où les premiers mots de la pièce fendaient l'air (« Qui est là ? »). Je l'avouais : j'avais lu la pièce tant de fois que me désintéresser de la toile et de la projection n'était pas difficile. L'air indécis de Simon l'était bien plus. Il abaissa le pop-corn sur ses genoux et j'y vis un signe qu'il cesserait de se cacher derrière sa faim pour refuser de me répondre.
-Elle est mignonne, elle est gentille. C'est vraiment une fille adorable, très intelligente.
Les mots étaient chuchotés et je les entendais à peine à travers le fracas de Marcellus et d'Horatio. Cela me força à m'incliner un peu plus vers lui, à poser le bras sur son accoudoir et à devoir supporter le fait que sa main se retrouva à quelques épouvantables centimètres de la mienne. Les doigts de Simon pianotèrent sur le paquet de pop-corn.
-Mais je n'en sais rien ... C'est comme avec Octavia. Ça pourrait marcher, ça pourrait même me plaire quelques temps. Mais ça resterait creux, sans but, juste ... « comme ça ». C'est ça en fait, je ne vois pas beaucoup d'avenir. Quoiqu'il arrive, ce sera une relation de passage et si ça ne me dérangeait avec Octavia à l'adolescence, là j'ai un peu plus de scrupules.
C'était difficile à juger dans la semi-obscurité, mais il me semblait que les joues de Simon s'étaient colorées durant ses aveux. Je ne savais pas réellement quoi en penser. Du soulagement peut-être en constatant qu'il n'envisageait rien de sérieux avec elle. Une déchirure au cœur parce qu'il ne faudrait pas grand-chose pour que ça devienne envisageable. Et les doutes, les doutes affreux qui m'assaillaient toujours et qui se demandaient toujours quelle place j'avais dans cette situation, dans ces paroles.
Et moi ? Je serais de passage ?
Je tentai de ne rien laisser paraitre de mes troubles et passai ma frustration sur l'étiquette de ma bouteille. Les yeux de Simon s'était rivé sur l'écran où le spectre du roi apparaissait à Hamlet pour le mettre au courant de son assassinat par Claudius.
-Et tu ne te dis pas ... qu'avec le temps ...
-Non, me coupa immédiatement Simon. Non, vraiment je ne crois pas. Et elle, j'ai eu l'impression que ce qu'elle recherchait, c'était précisément cette longue relation dans laquelle tu t'investies pour la vie.
-Ah, je vois ... Tu lui as dit au revoir avant de prendre les jambes à ton cou ?
J'eus le droit à un nouveau pop-corn qui cette fois heurta mon front et m'arracha un cri de surprise. Le couple devant se tourna brusquement sur nous avec un « Chuuut ! » insistant et je levai une main pour m'excuser pendant que Simon cachait son hilarité dans son paquet de pop-corn. Je n'eus aucun scrupule à le gratifier d'un coup de coude.
-Tais-toi ! Et je rappelle au passage que tout ça est de ta faute ! Et arrête de cracher dans le pop-corn, comment tu veux que j'en mange après ?
-Toi tais-toi ! On arrive à l'acte II ...
-L'acte II ... Oh la la ...
Comprenant parfaitement où il voulait en venir, je remontais mon manteau jusque ma tête pour m'en couvrir et Simon pouffa à côté de moi. Je l'entendis farfouiller dans le pop-corn et attendis avec une boule au creux de la gorge les fameuses répliques qui ne devraient plus tarder maintenant qu'Ophélie parlait de la folie feinte d'Hamlet à son père Polinius. Quand la reine entra en scène, Simon se mit à taper mon épaule de façon insistante, ce à quoi je répondis en secouant frénétiquement la tête sous mon manteau.
-Quoi ? Ceci est adressé d'Hamlet à Ophélie ?
-Attendez ma bonne dame, je lis ... « Doute que les étoiles ne soient que flammes, doute que le soleil n'accomplisse son tour, doute que la vérité soit menteuse infâme mais ne doute jamais de mon amour... ».
-Arrête de rire, marmonnai-je alors que Simon s'esclaffait de plus belle.
-Comment tu veux que j'arrête avec ça, sérieux ?
Sa main glissa au sommet de mon crâne pour attraper un pan de mon manteau et je n'en crispai que plus les miennes pour rester cachée dans noir. Mon visage s'était violement empourpré à la récitation des vers, ces fameux vers qui m'avait fait comprendre que je n'avais jamais aimé Miles. Je revoyais encore Simon les lire sur cette table à la bibliothèque et je regrettai brusquement de ne pas pouvoir faire machine arrière, de l'observer les déclamer, d'analyser ce que je ressentirais à l'idée. Mon cœur se gonfla de beaucoup trop de chose : espoir, panique ... sérénité. A l'abri sous mon manteau, je poussai un soupir. C'était peut-être le pire dans cette affaire, cette sérénité que je ressentais chaque fois que je posais des mots sur ce que je ressentais pour Simon. De l'amour, de façon si absolu qu'il m'effrayait presque. Faute de pouvoir remonter le temps, je récitai les vers dans ma tête tout en ayant conscience de la proximité de Simon, de son souffle régulier à côté de moi, de sa main qui ne s'était pas ôté de mon manteau et dont je sentais la chaleur.
Doute que les étoiles ne soient que flammes
Doute que le soleil n'accomplisse son tour
Doute que la vérité soit menteuse infâme
Mais ne doute jamais de mon amour.
Heureusement que j'étais invisible sous mon manteau : mes lèvres, emportées par mon cœur sur le point d'exploser, s'étaient risquées à esquisser le dernier vers. Ça m'avait aidé dans la visualisation, rendu l'instant plus réel et ce qui en découlait plus prégnant. Simon avait parlé d'Adrianne, de son angoisse quant à ses attentes car elle espérait une relation à long terme. Ma gorge se serra et mes mains remontèrent mécaniquement sur ma poitrine qui s'était mise à battre à un rythme affolé, erratique, irrégulier.
C'était là depuis l'enfance. Ça grossissait depuis l'enfance, ça s'amplifiait chaque jour à chaque geste, à chaque mot. Ça ne disparaîtrait pas comme ça. C'était là pour la vie. Et c'était sans doute ce qui m'effrayait le plus dans cette histoire.
Et si ça m'effrayait moi, ça terrifierait Simon. C'était certain.
-Hé.
La main de Simon sur mon manteau se fit plus hésitante. Lentement, après être certaine d'apparaître avec un visage montrable, je décrispais mes doigts et le laissai me découvrir. La lumière agressive de la toile m'agressa la rétine et me fit plisser les yeux : la scène avait défilé et à présent Hamlet parlaient aux comédiens censés jouer devant la cour le meurtre de son père. Une mise en abyme, une mise à distance ... J'avais besoin d'une mise à distance mais Simon posa une main sur mon épaule.
-Tu es sûre que ça va ? Tu es restée beaucoup trop temps là-dessous ...
Je sentais la sincère inquiétude dans sa voix, aussi m'efforçai-je de le rassurer d'un sourire qui me sembla affreusement forcé.
-Ça va ... j'ai juste eu ... une journée épuisante.
-Ça n'a pas été l'entrainement ?
-Si, très bien. Juste épuisant.
-Tu ne préférais pas qu'on reste chez toi ... ? Ou même que je te laisse d'ailleurs, si tu veux aller dormir ...
Je fus presque suffoquée de l'immense « non » qui monta en moi. Je ne voulais pas aller dormir, je ne voulais pas quitter cette salle de cinéma, malgré mon estomac réduit à une bouillie de sentiments indistincts, malgré les doutes, malgré toutes mes réactions fortes et insensées à chaque mot. Mais c'était justement pour mettre fin à tout cela qu'il fallait que je me fasse violence et cesse de fuir.
Mais sa prévenance me toucha. Cela évoqua pour moi ce que Roger avait laissé entendre sur l'instinct de protection que Simon semblait avoir avec moi, instinct qui l'avait poussé à s'égosiller contre Ombrage, ou contre moi quand j'étais revenue de Londres après l'attaque des Détraqueurs.
« Si tu oses m'abandonner pour jouer à l'héroïne, alors je me ferais un plaisir d'aller cracher sur ta tombe ».
Ça signifie quelque chose. Ça signifie quelque chose.
Comme cette main qui restait sur mon épaule et qui la pressa devant mon mutisme.
-Vicky ...
Vicky. Ça aussi ça signifiait quelque chose. Je n'étais Vicky que pour lui.
-Non ça va t'inquiète. Je peux avoir le pop-corn ?
Simon paraissait toujours dubitatif lorsqu'il me tendit le paquet dans lequel je picorais, plus pour m'occuper les mains que par réelle envie. Il me fixait toujours, les sourcils froncés, son visage animé des différentes lumières que la projection jetait sur nous. Elle lui donnait différentes colorations, différents jeux d'ombres qui rendait difficile la lecture de son expression.
-C'est à cause d'Adrianne ?
-Quoi ?
Mon cri devait tenir du couinement qui fit s'envoler les sourcils de Simon sous ses mèches folles. Au moins, il n'avait pas pris le temps de se coiffer.
-Ton attitude. J'ai l'impression que tu es hyper détachée depuis qu'on est ici ... Tu es encore en colère contre moi parce que je t'ai caché quelque chose, c'est ça ?
Non. Oui. Presque.
-Est-ce que j'ai dit quoique ce soit ? préférai-je opposer d'un ton calme.
-Tu n'as pas besoin.
Le sourire désabusé qui s'étira sur mes lèvres accentua le froncement de sourcil de Simon. Il détourna le regard et s'enfonça dans son fauteuil, la tempe appuyée contre son poing.
-Mais je rêve, tu essaies de faire semblant avec moi ...
-Faire semblant de quoi ?
-Et bien tu sais quoi ? Je ne sais même pas ! Mais je sais que ça ne date pas d'aujourd'hui, ça fait au moins quelques semaines que je te sens distante et que je n'arrive pas à mettre le doigt sur la raison. La seule chose que je vois c'est cette histoire de choses que je te cache : mon deuxième prénom, Adrianne ...
-Donc ... tu cachais Adrianne ?
Simon poussa un grognement de frustration en tournant la tête et mon cœur manqua un battement. Ce n'était pas qu'il ne m'en avait pas parlé : il me l'avait caché. Et ça changeait beaucoup de choses et ravivait les braises de la colère qui m'avait animée toute la journée.
-Mais pourquoi ? Si ce n'est pas important, pourquoi tu me l'as cachée ?
Un sourire férocement satisfait s'étira sur les lèvres de Simon.
-Donc, ça te dérange.
-Pourquoi, Simon ?
-Mais admets-le !
-Il me semble que je t'en ai déjà parlé, non ? répliquai-je, exaspérée. Que je t'ai dit que ça me mettait hors de moi que tu n'aies pas confiance en moi comme j'avais confiance en toi et que j'étais fatiguée de devoir lutter pour découvrir chaque parcelle de toi ! Maintenant à toi de me dire pourquoi tu me caches des détails sans importances !
-Parce que c'est sans importance justement ! Je ne te demande pas de me parler de tes coéquipiers, à ce que je sache ? Ce que tu fais, avec qui, avec toi, pourquoi tu restes chaque fois un peu plus avec Eden, il me semble que je ne te le demande jamais, non ?
Je clignai des yeux, prise de court par l'argumentaire qui se retournait contre moi sans que je ne l'aie vu venir. Et pire que tout, je n'avais pas du tout conscience que Simon avait connaissance des informations qui venaient de franchir ses lèvres.
-Comment tu sais que je me prolonge toujours mes entrainements avec Eden ?
-Parce que Leonidas me l'a dit la fois où je suis venu !
-Oh les gosses ! s'écria l'homme devant nous. Bécotez-vous au lieu de crier !
Ce fut difficile de déterminer qui rougit le plus fort entre Simon et moi. Je plaquai une main sur mon visage et m'enfonçai dans mon fauteuil de tel sorte à ce que je voyais même plus l'écran où la pièce voulue par Hamlet était enfin jouée. C'était le milieu de l'acte III ... Nous étions à peine au milieu du film et je me sentais déjà étouffer. C'était sans doute l'une des pires idées que je n'avais jamais eue ...
-Tu crois qu'il pense qu'on a quel âge pour nous appeler « les gosses » ? me souffla Simon.
Il s'était avachi aussi sur son fauteuil, les pieds callés contre celui d'en face et ses jambes repliées. Ses joues gardaient des traces de rougeur crument révélées par la projection. Je le toisai du coin de l'œil, incrédule.
-Tu es sérieux ?
-Tu as raison, on fait tous les deux moins de dix-huit ans, c'est évident.
-Bones, je vais t'arracher les yeux !
-Change de disque, Bennett.
-Je rêve ... Tu veux vraiment plaisanter alors que ça fait dix minutes que tu t'énerves contre moi ?
Simon se trouva une nouvelle passion pour la contemplation du plafond. Peu lui importait que devant nous, Hamlet tuait par erreur Polinius, le père de son aimée Ophélie qu'il pensait être son oncle Claudius. Ses doigts pianotaient l'accoudoir avec une certaine frénésie et trahissait à la fois sa nervosité et la chanson qu'il avait dans la tête.
-Ce n'est pas ... je ne suis pas énervé. C'est juste que j'en ai assez que tu me fasses payer des choses auxquelles je ne peux rien. Tu me fais la tête parce que tu penses que je ne t'ai pas dit pour ma tante, parce que tu ne sais pas tu ...
Il fronça les sourcils de plus belle et ferma la bouche pour s'éviter de bafouiller. Il jeta un regard noir à la femme qui s'était retournée pour nous lorgner de façon suspicieuse.
-En fait j'ai l'impression que tu me fais payer le fait que je ne t'ai jamais dit la vérité, avoua-t-il finalement dans un murmure rageur. Qu'au début tu acceptais parce qu'il était évident que j'allais mal et que tu es Sainte-Victoria, toujours là pour porter les autres au détriment de toi-même. Mais au fond, tu ne m'as jamais pardonné de t'avoir caché pendant dix-sept ans qui j'étais.
J'aurais préféré qu'il n'aborde jamais le sujet. Parce qu'il avait raison et que c'était la raison qui rendait ses cachotteries si sensibles, si blessantes. En un sens, j'étais toujours blessée d'avoir dû lui arracher envers et contre tout cette information. Mais c'était mettre du sel sur la plaie : j'avais déjà beaucoup trop de chose capable de me faire exploser, pourquoi fallait-il qu'il y ajoute cet aspect ? Je refermai mon poing contre ma bouche, muette et il finit par renifler avec dépit.
-Tu ne nies pas. J'ai raison ?
-Je t'en veux toujours un peu, admis-je dans un filet de voix. Mais je ne te le fais pas payer.
Simon essuya un petit rire incrédule qui me mit les nerfs à vif. Je dardai sur lui un regard flamboyant.
-Et tu ne me rends pas les choses faciles, Bones ! Le mystère sur ton deuxième prénom ... Bon sang, c'est comme si ça t'amusait ! Comme si c'était drôle pour toi de te voir galérer, comme si tu languissais de cette situation et vu tous les efforts que j'ai dû faire pour toi, oui ça me met hors de moi.
Je croisai mes bras et mes jambes dans une position de repli.
-Je te l'ai déjà dit, je ne vois pas pourquoi on y revient.
-Parce que c'est un peu hypocrite de ta part de me reprocher des choses que tu fais toi-même ?
-Tu sais mon nom complet et tu te fais un plaisir de me le faire savoir, persifflai-je, furieuse. T'es sadique.
-Je ne parlais pas des noms, Vicky.
Mes sourcils se froncèrent seuls et mon esprit remonta jusqu'à la source de cette conversation. De nouveau, j'eus l'impression qu'on injectait un liquide glacial dans mes veines et une lumière venue de nulle part jaillit en moi.
-Tu voulais me parler d'Eden, réalisai-je.
-Pas exactement, rétorqua-t-il sèchement. Juste te démontrer que tu n'avais pas à me reprocher de ne pas t'avoir parlé d'Adrianne.
-Mais il ne se passe rien avec Eden ... Pourquoi je t'en aurais parlé ? C'est juste ...
-Un collègue ? ironisa-t-il. Comme Adrianne.
-Mais je ne t'ai jamais rien dit ! Simon, à quel moment je t'ai reproché quoique ce soit ? D'accord, j'ai été surprise que tu avais un rencard avec une fille mais je ne t'ai pas dit que ...
-Pas avec des mots, mais tu t'es vue depuis qu'on est entré ici ? Et puis même je te l'ai dit, ça date de plusieurs semaines au moins, tu ... Vicky !
Je venais de me lever d'un bond et le pop-corn s'était déversé à terre en un fracas qui se fit retourner le couple. Je pris mon manteau, le lançai sur mon épaule et descendis les marches lumineuses de la pièce au moment où Ophélie devenait folle à la découverte de la mort de son père. On arrivait dans le pire d'Hamlet : je n'avais pas envie de voir la fin.
Je n'avais forcément envie de voir la fin de cette conversation.
J'occultai Simon qui m'appelait et me suivait dans la salle et passer rapidement la porte qui m'amena directement dehors. La nuit était tombée et ce ne fut qu'en sentant l'air frai sur ma peau que je me rendis compte que je pleurais. J'essuyais ma larme d'un revers de manche, le cœur au bord des lèvres.
Il fallait qu'on parle. Mais pas comme ça.
Alors sans lui laisser le temps de me rattraper, sans même vérifier qu'aucun passant ne pourrait me découvrir, je transplanai.
***
Et très clairement, ce chapitre n'était pas un cadeau.
Et très clairement j'ai bien envie de poster la suite mais je n'ai pas encore assez d'avance. Peut-être que si j'arrive à écrire cette semaine ... Mais je ne veux pas vous donner de faux espoirs.
Pour la petite histoire, j'ai bien été voir les films qui étaient sorti en février 1997 et quand j'ai vu qu'une version complète d'Hamlet était dans les salles, j'ai éclaté de rire. C'était le destin.
Bon j'espère que le chapitre vous aura plu ! A dans deux semaines !
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