III - Chapitre 17 : Une paix tangible

BONJOUR TOUT LE MONDE 

(Ceux qui lisent La dernière page, ça fait longtemps ahah ! j'espère que vous avez aimé le chapitre !) 

Je répète l'essentiel : LILLE EST CHAMPION DE FRANCE DE FOOTBALL et ça tue, je vous remercie pour les commentaires et réactions dans le chapitre précédant et voilàààà bonne lecture parce que dans deux minutes je suis censée commencer à travailler. 

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C'est assez facile d'être amical avec des amis. Mais créer une amitié avec celui qui se considère comme votre ennemi est la quintessence de la vraie religion. 

- Ghandi 

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Chapitre 17 : Une paix tangible.

-Je n'en reviens pas que vous soyez venus juste pour ça.

Jaga partit d'un éclat de rire qui m'arracha un sourire. C'était si rare de l'entendre rire, comme si Auschwitz le lui avait arraché ... Notre visite impromptue deux jours plus tôt l'avait plongé dans la perplexité mais son rire ne s'était pas tari depuis qu'elle en avait compris la véritable raison. Elle venait de raconter l'anecdote à ma mère avec un véritable plaisir et c'était elle qui s'était à son tour retrouvée hilare et mon père assez gêné. Il plongea son nez dans son thé pendant que ma grand-mère continuait de glousser.

-Oh non, j'étais si jeune, ça ne m'est même pas venu à l'idée ... C'est ton grand-père qui l'a retrouvé, au Kanada. Il me l'a rendu en signe de bonne foi, c'est grâce à ça qu'il a gagné ma confiance ... Mais je connais quelques femmes qui ont utilisé cette technique ... La moitié n'a jamais récupéré ces bijoux ...

Un nouveau gloussement la reprit et contamina ma mère. Mon père lui jeta un long regard désabusé qui ne la calma pas. Il tourna négligemment sa cuillère dans son thé, l'air de réprimer un soupir. Ces histoires sur Auschwitz l'affligeaient plus qu'autre chose, mais ma mère avait l'œil brillant. Petit à petit, elle découvrait la vérité sur ses parents et je sentais que quelque part ça l'apaisait.

Nous avions décidé de passer l'après-midi à Portishead, au bord de la mer pour leur rendre visite. J'y avais certes dîné dans la semaine avec Simon – et le dîner pourrait être qualifié au mieux de crispant – mais cela faisait une éternité que nous ne nous étions pas retrouvés en famille. Melania et Alexandre profitait du soleil froid qui brillait pour se promener sur la plage de galet, main dans la main. De temps à l'autre, mon frère tentait de pousser sa petite amie dans les eaux froides du Canal de Bristol et Melania le frappait en retour, hilare. Il m'arrivait souvent de me demander comment deux personnes si différentes, si peu susceptibles de se rencontrer, avaient pu tomber amoureuses, mais quand je les voyais ainsi, seule l'évidence comptait. Mon père commençait également à leur jeter un regard inquiet.

-Ils vont attraper froids ...

-Ils ont vingt-deux ans, Edward, ça les regarde, répliqua ma mère.

-Tu te souviens de nous à cet âge ?

Ma mère poussa un profond soupir et se cacha derrière l'album photo qu'elle feuilletait. La vérité, c'était qu'ils n'étaient pas ensemble à cet âge et que pendant que mon père faisait son séminaire, ma mère profitait des joies de la vie. Elle était croyante, une croyance construite en plusieurs étapes depuis son adolescence et des études scientifiques qui lui avaient prouvé contre tout attente que Dieu existait pour que l'univers soit si parfait. Mais pas une croyante pratiquante – ou sommairement. Mon père se plaisait à dire que qu'il l'avait ramené sur le droit chemin mais je percevais chaque fois, et de plus en plus, le regard désabusé de ma mère qui semblait dire que le chemin avait été parfois plus subi qu'autre chose.

Le couple finit par rentrer, les cheveux sans dessus dessous et Alex pieds nus et sa paire de basket aux mains. Il nous gratifia d'un immense sourire.

-L'eau est glaciale, bon sang !

-Quelle surprise, railla ma grand-mère en sortant deux tasses du buffet. Du thé pour vous réchauffer ? Et toi perelko ?

-Je vais me faire un chocolat, ne t'inquiète pas.

Je laissai ma chaise à Melania qui s'y écrasa avec un gros soupir, mais un immense sourire aux lèvres et me glissai dans la cuisine. Installé devant la fenêtre ouverte, mon grand-père fumait un cigare à l'odeur nauséabonde que l'air marin ne suffisait pas à masquer. Je refermai précipitamment la porte derrière moi et fusillai Miro du regard.

-Mais ça ne va pas ? Mamy va te tuer si elle te voit faire ?

-Hum ? répondit négligemment mon grand-père, les yeux rivés sur l'extérieur. Oh, ne t'en fais pas, perelko, j'ai mes techniques.

De son autre main, il fit tournoyer sa baguette de bois de vigne et l'affreuse odeur disparu pour ne laisser qu'un léger parfum floral. Je fronçai du nez et écartai les lettres qui jonchaient le plan de travail derrière lui pour y placer une tasse.

-Si tu penses que maintenant que tu as de nouveau la magie tu peux cacher des choses à mamy ... Attends, mais qu'est-ce que ... ?

Mon œil avait été accroché par le sceau de cire violette décroché d'un parchemin. Je la saisis immédiatement, me sentant stupide de ne pas y avoir réalisé plus tôt : c'étaient des lettres du monde magique. Je détaillai le sceau dont la gravure représentait un dragon jugé sur ses pattes arrières et aux ailes déployées puis observai l'écriture fine, parfaite, calligraphique, qui noircissait les pages. Mon sang se glaça.

-C'est du polonais ...

-Tu comprends pourquoi je fume un cigare maintenant ?

-Mais ... Qui... ?

La réponse m'attendait à la fin de la lettre, sous la forme d'une signature élégante mais au trait épais qui apparaissait lorsqu'on appuyait fort sur la plume. Je caressai le nom du pouce en mobilisant ma mémoire pour y attacher des informations.

-Dominika ... Ta grande sœur ? La Ministre de la magie ?

-Elle ne l'est plus depuis quelques années, c'est son petit-fils qui a pris le relai. Mais oui, c'est elle.

Je détachai mon regard de la signature de Dominika pour le river de nouveau sur mon grand-père. Il fixait les vagues dehors, le cigare à quelques centimètres de ses lèvres, les traits tirés. Ses rides creusaient davantage son visage et son épaisse barbe ne suffisait plus à cacher l'évidence : Miroslav Liszka était un vieux lion. Ou plutôt un vieux dragon, déduisis-je du sceau de la lettre de Dominika.

-Quelle âge elle a maintenant ?

-Plus de quatre-vingt ans, des enfants, des petits-enfants et même des arrières-petits-enfants. C'est ce qu'elle m'explique dans sa lettre. (Il prit une nouvelle bouffée du cigare qu'il recracha de nouveau dans l'air). Je me doutais qu'elle me retrouverait un jour. On était proche, enfant, les deux prodiges, les deux fiertés de la famille – mon grand frère ... C'était un fou-furieux, il me brutalisait pendant mon enfance. Dominika me protégeait ...

-Comment elle t'a retrouvée ?

Les lèvres de Miro se tordirent mais son regard ne lâcha pas le paysage. Il fixait la haie qui clôturait le côté gauche de leur jardin d'un œil suspicieux quand il lâcha :

-Très honnêtement, je n'ai que des théories. Elle ne me l'explique pas. Alors soit ses cinquante ans d'effort pour me retrouver viennent de payer mais j'en doute. Soit ... ma réhabilitation a tout déclenché, je crois. Maintenant, je suis inscrit sur le registre anglais, quelqu'un a dû le voir. Quelqu'un qui l'a rapporté à Dominika ...

-Et tu comptes lui répondre ?

Cette fois, Miro arracha son regard du paysage pour le planter sur moi. Face à l'intensité de l'éclat qui brillait dans ses prunelles, j'eus un mouvement de recul qui me plaqua contre le meuble. Pour justifier mon geste, j'attrapai nerveusement la bouteille de lait et me détournai pour me soustraire à son regard.

-Ma sœur n'est pas une femme bien, Victoria, asséna-t-il dans mon dos d'un ton dur. Elle était la première lieutenante de mon père, celle qui était la plus proche des idées de Grindelwald. Elle est la première que j'ai fuis en quittant la Pologne. J'ignore quel contact lui a donné l'information, mais il n'est certainement pas dans notre camp. Et sa lettre le prouve, bon sang !

Il donna un coup de poing sur le châssis qui fit trembler la fenêtre – et moi avec. J'avais oublié à quel point mon grand-père pouvait me terrifier quand il était en colère. Je m'en voulus de ne pas avoir anticipé la réponse et dans mon trouble, je renversai un peu de poudre de cacao sur le sol. Je nettoyai d'un coup de baguette pendant que mon grand-père poursuivait son agacement :

-Tu sais ce qu'elle dit ? Après m'avoir longuement parlé de sa famille, de sa fierté, de son petit-fils si brillant – plus que moi dit-on ! J'aimerais bien voir ça ! – qui est devenu le plus jeune Ministre de la magie de l'histoire de la Pologne ? « Toi et ta famille avaient l'occasion de faire de grandes choses en Angleterre. N'oublie qui tu es et d'où tu viens, petit frère, n'oublie pas ce pourquoi nous sommes nés ».

Les mots m'arrachèrent un frisson et je fixai la lettre, les mots que j'arrivais à déchiffrer mais pas à comprendre en tentant de retrouver la citation. Brièvement, j'eus envie de mettre feu à ces lettres comme j'avais désiré mettre le feu à la tapisserie des Black, mais préférait m'en détourner pour mettre mon chocolat au micro-onde.

-Je pense que le contact n'a pas dû lui dire quelle était la nature de ta famille.

Un bref sourire passa sur les lèvres de mon grand-père. Il écrasa son cigare contre les briques, jeta à la poubelle et me prit par l'épaule pour plaquer un baiser dans mes cheveux.

-Ça, j'en doute. La loi anglaise ne m'oblige pas à préciser le statut de sang de ma compagne – mais si elle est moldue, elle m'autorise à la mettre au courant. Vous avez vraiment un beau pays, quel dommage que votre sorcier de pacotille veuille tout gâcher ...

-Pourquoi ? En Pologne ils obligent à préciser le statut de sang ?

Rien que le mot me dérangeait et je pris une cuillère gourmande de miel pour faire passer le goût âpre qu'ils avaient laissé dans sur ma langue – eux et l'affreuse odeur de cigare qui persistait. Miro poussa un grognement dédaigneux.

-Bien sûr. Et épouser un moldu est très mal vu. Ce n'est pas interdit, mais le poids est tel que ce genre d'union se raréfient. Interdiction de parler de ta condition magique, interdiction de fréquenter les lieux magiques et les enfants doivent demander une autorisation pour étudier à Durmstrang. Et bien sûr, il y a le regard des gens. Tu deviens un pestiféré.

Son regard s'était de nouveau rivé sur la haie, perçant, lointain. Visiblement, la lettre de Dominika avait réveillé de mauvais souvenir.

-Agata, finit-t-il par lâcher d'une voix sans timbre. Agata, par exemple, c'était une enfant de moldu. Son père. C'est pour ça qu'elle se battait. Pour le sang qui coulait dans ses veines.

Il contempla les lettres quelques instants avant l'une d'entre elle par le sceau et d'appliquer sa baguette dessus. Ses lèvres s'agitèrent et le parchemin s'embrassa immédiatement. Les flammes se reflétèrent dans le regard spectral de mon grand-père jusqu'ce qu'elles lui lèchent les doigts et qu'il laisse tomber la lettre embrasée dans l'évier.

-C'est la plus belle cause pour se battre, perelko. Sa famille. Tu sais que je suis le dernier des Liszka vivants ? La guerre a élagué notre arbre généalogique ... Mon cousin est mort, mon frère aussi ... Il ne restait plus que moi pour transmettre notre noble sang et notre noble nom. C'est la première chose que Dominika m'a demandé. Si j'avais eu un fils ...

Un sourire retroussa sinistrement les lèvres de mon grand-père et une certaine fierté fendit sa voix quand il déclara :

-Je suis le dernier des miens, perelko. Et tu ne peux pas savoir le soulagement que c'est de savoir que quand je mourrais, les Liszka s'éteindront avec moi.

Je ne sus réellement quoi répondre à cela. Je m'étais longtemps demandée pourquoi mes grands-parents n'avaient eu que les jumelles, ma mère et ma tante, pourquoi, fort de leur amour, ils n'avaient pas eu un véritable enfant à eux. La réponse était simple : cet enfant aurait été magique et sa magie aurait été difficile à gérer pour l'un et pour l'autre. Mais en voyant mon grand-père être ainsi fier d'être le dernier de sa lignée, je compris que cette idée était également venue parasiter sa réflexion.

-Mais ça ne te manque pas ? De ne pas avoir eu d'enfant ?

-Mais qu'est-ce que tu racontes, Victoria ? J'ai eu Marian et Beata. Je leur ai donné le meilleur de moi-même et crois-moi, mon sang n'en faisait pas parti. Tu connais ta mère, qui peut dire que ce n'est pas ma fille ?

J'essuyai un rire amusé et Miro se détendit enfin pour me gratifier d'un sourire, ce genre de sourire doux, confiants qui avait fait que je lui avais lentement pardonner ses mensonges et ses omissions. Sa famille était son plus grand trésor. J'étais son plus grand trésor. On ne pouvait pas en douter quand il nous souriait comme ça. Il m'embrassa sur le sommet du crâne, jeta un dernier regard dehors avant de retourner dans le salon, où ma grand-mère l'accueillit d'un cri indigné : « Toi, tu as fumé je le sens d'ici ! ».

***

J'aurais aimé rester toute l'après-midi, à regarder les vagues se fracasser contre les galets tout en étant au chaud à boire mon chocolat, mais Octavia m'avait donnée rendez-vous à seize heures pour finaliser notre plan et envisager la rédaction de notre projet. La vitesse à laquelle nous avancions ne cessait de m'étonner mais il fallait dire que la semaine précédente, nous avions passés deux soirées successives à travailler dans la bibliothèque des Bones, si bien que Simon s'était plains de nous à son père qui nous avait prié de quitter les lieux à près de trois heures du matin. Lorsque je laissais échapper cela, les yeux de Melania étincelèrent et il lui fallut une seconde pour décréter qu'elle m'accompagnait. Nous arrivâmes à trois, avec Alexandre, dans le jardin des Bones, après un transplanage qui laissa mon frère haletant, une main sur les côtes. Melania eut l'air inquiète et se précipita vers lui.

-Oh la la, ça va ... ?

-Ouais, ouais. C'est juste ... hyper perturbant, votre truc.

-T'inquiète, ça l'est pour tout le monde, le rassurai-je en passant une main sur son bras. Je préfère utiliser un autre moyen quand je peux ...

-Comme la poudre de cheminette ?

Je grimaçai. Non, à dire vrai, la cheminée, son feu émeraude et sa sensation de ne rien contrôler était pire. C'était peut-être les flammes le pire maintenant que j'y pensais. Perturbée, je préférais me tourner vers Melania avec un sourire malicieux.

-Tu veux torturer ta future belle-sœur ?

-Elle a trop brillamment réussi le premier repas avec ma famille, admit Melania d'un air entendu. Tout est trop parfait chez elle ...

-Oui je sais, c'est agaçant.

-Ce n'est clairement pas à elle que sa mère va dire quelque chose, railla Alexandre.

La mention de Thalia Selwyn eut raison de mon sourire et je revis l'image captée par la multipliette, son visage à peine éclairé par les réverbères et dont la capuche jetait des ombres qui rendaient ses traits à peine discernables. Je passai la porte arrière des Bones en songeant que je pourrais en profiter pour l'interroger discrètement sur les activités de sa mère quand la porte de la cuisine s'ouvrit à la volée sur Simon, la baguette tendue, le regard alerte. Je portai aussitôt la main à la mienne mais en m'apercevant il la baissa aussitôt.

-Bon sang tu m'as fait peur ! Tu vas arrêter de faire comme chez toi ?

-Et toi tu n'as pas des questions à poser ? s'écria une voix depuis l'intérieur de la maison.

Melania essuya un petit rire ravi en la reconnaissant et Simon fusilla l'ouverture du regard, puis moi. Je lui adressai un sourire penaud.

-Désolée. Promis on se cache dans la bibliothèque et à vingt heures je suis partie.

Ça ne suffit pas à adoucir Simon. Il fit claquer négligemment sa baguette contre sa cuisse, l'air contrarié.

-Pour la deuxième partie, vous avez intérêt. Mais pour la première, ça risque d'être compliqué ...

Là-dessus, il ouvrit grand la porte de la cuisine qui ouvrait sur le salon et m'invita d'une courbette ironique à y entrer. J'échangeai un regard perplexe avec Melania et m'engouffrai dans la pièce d'un pas prudent. La vision d'un Ulysse Selwyn assis dans le magnifique et confortable fauteuil – mon préféré de cette pièce, celui juste devant la cheminée – tel un prince sur son trône faillit me faire faire demi-tour. Octavia était elle sur le canapé, les jambes croisées sous son ample jupe, un sourire aimable et poli de grande dame du monde aux lèvres.

-Salut Bennett. On t'attendait.

-Et pour ça, sache que je t'en veux, me souffla Simon à mon oreille.

Son souffle effleura ma nuque et j'y mis la main en sentant les frissons hérisser ma peau. Je lui glissai un regard courroucé puis reportai mon attention sur Ulysse, confortablement installé et qui observait avec un intérêt froid le modeste décorum du salon des Bones. La maison était magnifique à mon goût, tout en bois et en charpente, nature, authentique, mais elle devait trancher avec le faste des manoirs des grandes familles de Sang-Pur. Sa sérénité fut heureusement troublée par l'arrivée de Melania derrière moi et le frère et la sœur écarquillèrent les yeux pour s'exclamer en même temps :

-Qu'est-ce que tu fais là ?

-Oh mon Dieu, qu'est-ce que tu fais là ? enchérit Alexandre d'un ton nettement moins poli.

A dire vrai, j'entendais presque la panique dans sa voix. C'était également le cri de détresse qui s'était coincé dans ma gorge à la vue d'Ulysse. Ce petit prince descendu de sa tour, c'était un oiseau de mauvaise augure. Mais mon inquiétude muette fut très rapidement apaisée par Octavia, consciente de l'image qu'on avait tous les deux en tête.

-Non, non ne vous en faites pas ! Oh par Merlin non, ce n'est pas concernant Nestor, pas de menace, rien du tout !

Je me rendis compte alors que je retenais ma respiration depuis que j'étais entrée dans la pièce et inspirai une grande bouffée d'air qui chassa le cri et me permis de retrouver l'usage de ma langue. La main d'Alexandre s'abattit puis se crispa sur mon épaule.

-Seigneur, vous m'avez foutu la frousse !

-Hé, lança Alexandre à l'adresse de Simon. Tu ne pouvais pas annoncer la couleur direct, mon ... ?

-Oh, non ! le coupa-t-il fermement. Certainement pas !

Un éclat de rire absurde m'échappa quand j'imaginais le ravissement d'Ulysse et d'Octavia s'ils entendaient Alexandre appeler Simon « mon crapaud ». La même image parut traverser l'esprit de Melania car elle s'esclaffa franchement avant de s'avancer d'un pas volontaire dans la pièce.

-Magnifique nouvelle ! Maintenant on peut avoir la véritable raison qui t'a poussé à trainer ton royal fessier jusqu'ici ?

Ulysse vrilla une main sur sa tempe, comme si cela pouvait le protéger de l'air moqueur de sa sœur. Il ne parut pas apprécier le sourire ravi que j'échangeai avec Simon face aux mots employés par Melania et fusilla Octavia du regard. La jeune fille esquissa un léger sourire et ne se laissa pas démonter.

-C'est une idée stupide, cingla Ulysse.

-On en a parlé, rétorqua Octavia sans se départir de son sourire. C'est mon ultime condition, tu sais ce qui te reste à faire.

Les yeux gris d'Ulysse roulèrent dans leurs orbites et j'échangeai un regard perplexe avec Melania. La jeune femme haussa les épaules en signe d'ignorance. Avec un soupir qui semblait arracher à lui-même, Ulysse Selwyn se leva et fit quelque pas en ma direction. Machinalement, j'en reculai d'un, gênée et surprise qu'il se plante ainsi devant moi le visage si fermé. Incapable de le regarder dans les yeux, je me penchai discrètement pour interroger Octavia du regard, mais elle semblait être trop concentrée à maintenir ce léger sourire énigmatique sur ses lèvres. Faute de réponse et consciente que l'atmosphère s'était tendue depuis qu'Ulysse s'était levé, je me concentrai à nouveau sur lui, perplexe. Sa mâchoire se contracta et il consulta une dernière fois Octavia du regard avant de lâcher du bout des lèvres :

-Victoria, il semble que je te doive ... des excuses. Dans le passé, j'ai eu un comportement inacceptable avec toi et les conséquences ont été terribles pour nos deux familles. Si je n'avais pas jeté le premier mot, il n'y aurait pas eu de cinq novembre.

Il prit une profonde inspiration et ferma les yeux l'espace d'un instant. Je le fixai, incapable de croire et d'admettre les mots qui me parvenaient.

-Au-delà de cela, j'ai pris récemment conscience du préjudice moral que je t'ai causé.

-Et physique, rappela Octavia d'un ton tranquille.

-Et physique, concéda-t-il en penchant la tête. Tout cela sur des bases qui, nous le savons tous deux, sont fausses, imaginaires et pire que tout, peuvent conduire aux actes criminels auxquels nous assistons aujourd'hui. Alors pour tout cela je te prierais de bien vouloir accepter mes excuses.

Le discours était soigneusement préparé, exécuté, si protocolaire qu'il était peu naturel. C'était peut-être pour cela que j'avais du mal à le prendre au sérieux, que depuis qu'il avait commencé à parler j'oscillai entre hilarité et incrédulité. Ce fut cette dernière que laissa éclater Simon :

-C'est pour ça que vous squattez mon salon depuis une heure ?

-Et je ne « squatterais » pas plus longtemps que ça, Bones, cingla Ulysse d'un ton froid. J'attends juste que Bennett accepte mes excuses.

-Et pourquoi elle le ferait ?

-Simon !

-Non sérieusement, insista-t-il malgré Octavia qui venait de se lever. Pourquoi ? Parce que brusquement, tu as besoin de ça pour les beaux yeux de McLairds ? Tu crois vraiment que ça fait tout oublié ? Que soudainement parce que tu es fou amoureux, ça pardonne tout ? Les insultes, les poursuites, les coups ?

-Ce n'est pas à toi de décider, répliqua Octavia.

-C'est vrai, admis-je avant que la conversation ne m'échappe. Mais il n'a pas tort.

J'entendis Simon soupirer de soulagement dans mon dos mais Ulysse plissa les paupières en sa direction.

-Les insultes, les poursuites, les coups, répéta-t-il avec une certaine lenteur. C'est drôle, que tu dises ça, ce n'est pas exactement ce que tu lui faisais subir ?

-Excuse-moi ?!

Simon voulut s'avancer, indigné par l'allusion, mais Alexandre lui barra le passage d'un bras et vint crisper une main sur son épaule. De mon côté, je fixai celle de Simon qui s'était plongée dans sa poche, puis Octavia qui avait sorti prestement sa baguette. J'écartai précipitamment les bras en me plaçant préventivement entre Simon et Ulysse.

-Allez, stop, tout le monde se calme ! exigeai-je d'un ton ferme. Bon sang, inutile de tirer la baguette pour si peu !

-Quand on peut la tirer, grogna Alexandre. Allez, Sim', assieds-toi et laisse-la gérer.

J'adressai un regard reconnaissant à mon frère, qui hocha la tête. Simon mit quelques secondes à sortir la main de sa poche, quelques secondes pendant lesquelles il fixa Selwyn d'un regard ardent, le visage fermé, ses prunelles vertes luisants de tous les sorts qui défilaient dans son esprit. Puis Alexandre le poussa plus fermement vers le canapé le plus proche et enfin ses doigts émergèrent de sa poche sans rien en tirer. Il s'y laissa tomber, les bras croisés, mais les yeux toujours rivés sur Ulysse. Mon frère s'assit sur le bras du fauteuil juste à côté et me sourit.

-Vas-y Tory, à toi maintenant.

Je me sentis rougir quand tous les regards se rivèrent sur moi – excepté celui de Simon qui paraissait toujours à la recherche du maléfice le plus douloureux et le plus humiliant pour Ulysse Selwyn. Pourtant, j'avais la sensation que rien ne devait être plus humiliant pour lui que la situation présente, où il était planté devant moi en quémandant mon pardon, presque à en remettre son destin entre mes mains. Et pire que tout, j'avais conscience du regard de moins en moins serein d'Octavia qui pesait sur moi. Je la dévisageai, tiraillée. Elle était venue me voir pour chercher la bénédiction, mon acceptation, moi, la fille que son aimé avait harcelé. Maintenant, pour être certaine de ne pas faire une erreur, elle demandait à Ulysse de purger les siennes. Ma bouche se tordit, indécise.

-Ce n'est pas ma décision, McLairds. C'est la tienne. (Je jetai un bref regard à Ulysse, qui me contemplait toujours d'un air détaché). On ne va pas se mentir, tu ne l'aurais jamais fait si elle ne te l'avait pas demandé. Même si tu as conscience de tes torts. Vous êtes trop fiers pour ça, vous, les Sangs-Purs.

Melania et Octavia échangèrent un regard ennuyé que j'ignorais. Mon père m'avait tout appris qu'il fallait toujours pardonner, que les mauvaises actions seraient payées dans un autre monde et jugée par une puissance juste, légitime et supérieure, Seigneur que c'était difficile dans la réalité. Simon avait raison, c'était trop facile d'effacer les insultes, les poursuites et les coups. Puis mon regard glissa sur Alexandre, occupé à calmer Simon à voix basse, penché sur son oreille. Mon cœur se serra et l'espace d'un instant, le cri qu'il avait poussé sur le toit de son immeuble à Bristol me perça les oreilles. Je portai une main à ma tempe, troublée, vacillante sur mes positions.

-Bon, écoute je vais y réfléchir, finis-je par décréter face à la pression silencieuse qui s'épaississait en l'attente de ma réponse. C'est tout ce que je peux promettre.

Ulysse haussa les épaules, l'air indifférent. L'était-il vraiment ou se drapait-t-il du peu de dignité qui lui restait ? Toujours était-il qu'il hocha la tête d'un geste élégant avant de s'en retourner vers Octavia pendant que je me laissai tomber dans le sofa à côté de Simon. Il avait enfin lâcher Ulysse pour river ses yeux sur moi, écarquillés et incrédules.

-Réfléchir ?

-Il m'a aidé pour Mel et Alex, lui rappelai-je d'un ton sec. Et même si c'était pour se protéger lui et sa famille, ça compte.

Alexandre, assis juste de l'autre côté de Simon, se raidit et serra le poing sur son genou. Il contempla Melania, toujours debout près de la porte, puis son frère prêt à prendre congé. Ulysse se dirigeait vers la porte sans demander son reste quand il cingla :

-Pas si vite mon grand. Demi-tour droite, on a à causer.

Ulysse s'immobilisa net dans l'encadrement de la porte qui menait au vestibule et tourna à peine le visage pour rétorquer :

-Vraiment ? Et de quoi ?

-De ton psychopathe de frère et de ta non-moins psychopathe de mère.

Je retins mon souffle et observai discrètement la réaction de Melania. Elle ne parut pas vexée par sa façon de désigner sa famille et hocha même la tête avec une certaine détermination.

-Oui, tu as raison. Tant qu'on est tous réuni, il faut qu'on en parle. Assieds-toi, Ulysse.

Elle prit elle-même place à côté d'Octavia, qui lui jeta un regard de coin, l'air soudainement figée comme une statue de sel. Ulysse daigna faire volte-face pour contempler sa sœur, puis mon frère et enfin sa petite-amie. Mais visiblement, Octavia n'avait pas de réponse à lui apporter et se contenta de secouer la tête. Il passa une main gênée sur son col.

-Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Vous savez pertinemment ce qu'il en est.

-En fait absolument pas, répliqua Alexandre. On n'a aucune nouvelle depuis que ton frère a laissé son message enflammé sur notre église en septembre ...

-On n'est pas sûr que ...

-Oh arrête, râlai-je en levant les yeux au ciel. Evidemment que c'était lui.

-Et il faut l'admettre Ulysse : mère paraissait trop heureuse pour ne pas être lié, ajouta Melania avec gravité.

Comprenant que toute fuite était inutile, Ulysse finit par revenir à pas lent vers nous et reprit sa place sur le fauteuil. Mais soudainement, il avait moins l'air d'un prince que d'un accusé devant une cour de justice. Ses épaules étaient rentrées et son regard défiant, prêt à nous affronter.

-Et alors ? Les rondes des Aurors ont réussi leur coup, ça fait deux mois qu'il n'a rien tenté.

-Est-ce que tu peux arrêter de faire semblant que tout va bien ? l'attaqua Melania, exaspérée. Qu'il n'y a rien à dire ? Arrête, Ulysse ! Je ne vis plus à la maison, mais chaque fois que j'y passe je les sens, les tensions et j'entends parfaitement les disputes. Alors toi qui vis quotidiennement au manoir, tu dois en entendre plus que moi ...

Je m'efforçai de ne regarder ni Melania ni Simon et serrai le poing devant mes lèvres. Elle m'offrait plus que ce j'en espérais compte tenu de la mission dont m'avait donné Tonks. Trainer les oreilles du côté des Selwyn. Ulysse avait plaqué ses paumes l'une contre l'autre et croisé ses doigts devant son visage. Ses traits s'étaient figés aux mots de sa sœur et je sentis qu'elle touchait à une vérité qu'il souhaitait maintenir la plus floue possible. Son attitude finit par agacer Octavia qui claqua la langue.

-Tu es sérieux ? Des vies sont en jeu et tu vas te taire ? Bon sang, c'est bien beau de me prouver que tu as changé en venant jusqu'ici t'excuser mais si derrière tu penses que le chemin est fini et que tu peux redevenir le petit prince de ta lignée, tu te mets le doigt dans l'œil ! Bon sang, dis-leur ce qu'il se passe !

Les lèvres d'Ulysse se pincèrent mais le regard d'Octavia se fit flamboyant. Après quelques secondes de lutte silencieuse, elle se leva d'un bond et rejeta furieusement ses cheveux derrière son épaule.

-Simon, il est à toi. Tu as le droit à toutes tes compétences légales. Bonne chance.

-Quoi ? s'indigna Ulysse.

-Oh c'est vrai ? se réjouit Simon en se redressant.

-Du calme, le tempérai-je, amusée. On va d'abord tenter de régler ça diplomatiquement.

-Toi t'es pas la fille de Saint-Edward pour rien, fit remarquer Alexandre d'un ton presque acide avant de se tourner vers Octavia. Moi aussi j'ai ton autorisation ?

-Mais vous êtes sérieux, là ? Vous allez faire quoi, me torturer ?

-Octavia a dit « légal », rappela Simon avec un sourire cynique. Et avec des moyens légaux, on peut trouver plein de façons différentes de te faire parler, j'ai commencé à apprendre pas mal de chose à l'IRIS. Tu veux que je te montre ?

Il avait négligemment sorti sa baguette d'acacia qu'il faisait à présent élégamment tournoyer entre ses doigts. Ulysse suivait ce mouvement de ses yeux gris et eut même un sursaut quand des étincelles jaillirent de la pointe. Il glissa le regard sur Octavia, qui avait attaché sa cape, l'air prête à partir et se laissa aller contre le fauteuil.

-Très bien, céda-t-il. Très bien, je vais vous dire ce que je sais – et malheureusement pour vous, ce n'est pas grand-chose. Mais c'est vrai que c'est pas grand-chose de significatif.

-C'est fou qu'on soit obligé d'en arriver aux menaces, s'ébahit Melania, interdite. Père t'a demandé de tenir ta langue pour que tu luttes comme ça ?

Le silence d'Ulysse était éloquent. Octavia paraissait furieuse et avait laissé tomber son sourire de grande dame. Sa main blanche serrait l'attache d'argent sur sa gorge, si fort que je fus persuadée qu'elle rêvé de la serrer autour du cou d'Ulysse. Elle se maîtrisa en prenant une immense inspiration et contourna le fauteuil pour se rassoir.

-Très bien. Alors, qu'est-ce qu'on doit savoir ?

-Octavia ...

-Qu'est-ce qu'on doit savoir ?

Ulysse la dévisagea longuement, elle et son regard inflexible. S'il finit par parler, ce fut les yeux rivé sur elle, comme si les confidences, les concessions, étaient pour elle et pour elle seule :

-Il ne faut pas que ça sorte de cette pièce ... Depuis cet été, on essaie de restaurer la respectabilité de notre famille et c'est loin d'être facile. Certaines puissances financières refusent de travailler avec nous, certaines que Nestor est un Mangemort et que soit ça les mettrait en danger, soit elles nous considèrent dans la même veine. Alors s'ils apprennent que c'est le cas de la moitié de la famille, en effet ...

-La moitié ? s'étonna Octavia.

-Enoboria, confirma Melania d'un air sombre. C'est la petite dernière, elle est très proche de notre mère ... Mais elle est encore à Poudlard, ce n'est pas elle qui m'inquiète pour l'instant.

Je sentis Simon se tendre à mes côtés et je sus que nous avions le même nom en tête. Même Susan avait évoqué Enorboria quand nous étions venue la voir à Pré-au-Lard, la cour qu'elle semblait se former et la façon dont elle semblait la suivre du regard.

-Le plus urgent, c'est mère, insista Melania, son œil perçant planté sur son frère. C'est ça ?

-On la soupçonne de continuer à financer Nestor, oui, avoua-t-il du bout des lèvres. Et de l'avoir présenté à Torfinn Rowle, je ne sais pas si vous savez ...

-Oh si, le coupai-je avec une grimace. Je vois très bien.

C'était l'homme qui avait chaperonné le groupe sur le toit de l'immeuble de Bristol. Celui qui avait torturé Alexandre. Celui qui était à présent devenu Mangemort et que Tonks soupçonnait d'héberger Nestor.

-Donc elle ne fait pas que le financer, elle l'encourage à aller sur la voie des Mangemort, conclut Octavia avec son esprit synthétique de Serdaigle.

-Pendant que ton père dit qu'il n'y a pas de lien entre les Mangemorts et sa famille, ça fait tache, ricana Alexandre.

-Elle ne finance que Nestor ou vous pensez qu'elle finance la cause entière ?

Merci Bones. J'étais heureuse de ne pas être celle qui poserait cette question, mais en observant la lueur circonspecte qui s'était mis à briller dans les yeux d'Ulysse, je doutais que ce soit une bonne chose que ce soit lui qui la pose.

-Aucune idée, très honnêtement. Ce serait bizarre, ce n'est pas elle qui a les cordons de la bourse : c'est mon père. Elle n'a accès qu'à l'argent qu'il lui donne.

Melania poussa un grognement dédaigneux et échangea un regard avec Octavia et moi. Evidemment que l'idée était révoltante mais – et j'avais conscience que c'était horrible de ma part – j'étais soulagée de savoir que Thalia Selwyn n'avait pas la pleine possession de ses moyens. Mais Melania eut un sourire ironique.

-Je vérifierais bien ça mais moi aussi je suis une femme. Je suis la spécialiste en droit et en connaissance moldue, c'est toi que père a désigné pour être l'expert financier de la fondation Selwyn. A toi d'aller vérifier sur les comptes que c'est vrai.

-Tu me demandes d'espionner nos parents ?

-Il faut qu'on en ait le cœur net. Qu'on sache ce qu'il nous attend. Je doute que mère soit capable d'agir réellement contre les Bennett ou moi, mais si elle les finance assez elle sera assez puissante pour commander. C'est peut-être pour ça qu'il n'y a rien eu pendant deux mois. Un avertissement – un peu maladroit, du grand Nestor – qu'elle a apprécié mais qu'elle lui a reproché pour manque de finesse. Mère adorait me répétait que Patience était mère de Sûreté.

-Mais ...

-Bon, Selwyn, l'interrompit froidement Simon. Un jour ou l'autre, il va bien falloir que tu décides dans quel camp tu te situes, parce que là c'est tout, sauf clair. C'est bien beau de vouloir protéger ta famille, mais en faisant ça tu protèges et tu cautionnes un réseau bien plus vaste.

-Je ne soutiens pas les Mangemorts, Bones ! Tu crois qu'un Mangemort irait faire des excuses à une Sang...

-NON !

Le cri fusa à la fois de Simon, mais aussi d'Octavia et Melania, même si contrairement à lui elles n'avaient pas tiré la baguette, ce qui expliquait que je me joigne à leur cri mais à l'adresse de Simon. Je refermai immédiatement la main sur son poignet pour l'empêcher de la pointer sur Ulysse. Il m'opposa une résistance mais je réussis à lui faire baisser le bras pendant que Melania s'indignait :

-Même si tu ne le penses plus, même si tu ne fais qu'emprunter un langage tu ne dois jamais – jamais – utiliser ce mot ! Et en tout cas, je ne te laisserais pas faire !

-Ce n'était pas pour l'insulter, c'était pour illustrer !

-Ça n'illustre rien du tout, rétorqua Octavia en levant les mains au ciel. Tout ce que ça illustre, c'est que tu banalises ce mot alors qu'il est loin d'être anodin. Les mots ont du pouvoir et en continuant d'utiliser celui-ci pour désigner les personnes comme Victoria, tu continues de dire qu'elles te sont inférieures. Et continuer de perpétuer leur infériorité, c'est ouvrir la porte au reste – tout ce en quoi croient les Mangemorts et Tu-Sais-Qui. Alors ta sœur a raison : n'utilise plus jamais ce mot. Il est même contraire à ce que tu crois, tu m'as dit que tu n'as jamais considéré Victoria comme inférieure.

Le regard d'Ulysse passa brièvement sur moi et les échos de la dispute entre Octavia et lui que j'avais perçu cacher derrière une armure me revinrent. Non, il avait toujours eu conscience que j'étais son égale, à magie égale. Justement parce que j'avais brûlé le visage de son frère un soir de 5 novembre. Mes doigts se décrispèrent sur le poignet de Simon et de mon autre main, je sortis ma baguette de bois de saule et passai mon pouce sur les reliefs en arabesque qui décoraient la surface claire. Je me souvins de la fureur qui m'avait envahi la dernière fois que j'avais entendu le mot « Sang-de-Bourbe », de tous les sentiments qu'Octavia avait brillamment verbalisé : si j'acceptais ça, c'était la porte ouverte à tout le reste.

-Pour information, la dernière personne à avoir prononcé ce mot devant moi a pris un maléfice, finis-je par lâcher. C'était Warrington.

Les yeux d'Ulysse s'écarquillèrent et je sentis même la surprise de Simon à côté de moi.

-L'infection de la peau de Warrington c'était toi ? s'étonna Octavia, presque admirative.

-Quand ?

-Peu importe. Ce qui importe, c'est qu'effectivement il y a des mots qui ne doivent pas être prononcer et si tu veux soutenir que tu es quelqu'un de bien et que ta famille est respectable, tu dois le bannir de ton vocabulaire. Et Simon a raison : arrête de protéger ce qui ne mérite pas de l'être. Au contraire, même : la protection de la réputation de ta famille, c'est par nous qu'elle passe, pas par le secret.

La bouche d'Ulysse se tordit, marquant son hésitation. Ça devait lui paraitre totalement contre-intuitif de se fier plus à Simon ou à moi qu'à sa propre famille, pour laquelle il était vraisemblablement capable de tout. Melania se leva et fit quelques pas devant la cheminée, les mains jointes devant elle, sa longue jupe froufroutant à chacun de ses mouvements. Elle finit par se tourner vers nous, raide et digne, le regard volontaire.

-Bon. Voilà ce qu'on va faire : Ulysse et moi on va se renseigner sur les activités de ma mère, activités qui nous donneront des informations sur celles de Nestor. Octavia pourra aussi trainer les oreilles dans les cercles mondains – et Simon aussi, je suis sûre que les Bones en fréquente ! Vous serez au bal du Ministère de noël, non ? Bref. Toujours est-il qu'on partagera nos informations entre nous six dans un premier temps et quand nous aurons du tangible, nous pourrons en parler à des cercles plus actifs ...

-Mel ...

-Si un danger se prépare, on en parlera aux Aurors, insista-t-elle avec un regard perçant pour son frère. C'est non-négociable. Et encore une fois, Simon a raison, Ulysse, il est temps que tu choisisses ton camp. Tu es avec nous, oui ou non ?

Après quelques secondes où il consulta exclusivement Octavia du regard, il finit par hocher la tête et Melania se fendit d'un « hum » satisfait. Je jetai un bref coup d'œil à Alexandre, toujours assis négligemment sur le bras du fauteuil à côté de Simon. Il n'était pas du genre à cacher ses émotions et je percevais nettement à quel point il était inquiet mais également soulagé d'être associé au plan de Melania. De ne pas être laissé pour compte au motif qu'il était un moldu. J'espérais simplement que ça réduirait son aigreur persistante à mon égard.

Octavia sourit à l'approbation de son petit-ami et se leva à son tour. Digne et fière, elle était presque le reflet de Melania debout en face d'elle, avec leurs longs cheveux soyeux et leur longue jupe qui cachait pudiquement leurs jambes, leur sourire poli et leur détermination. Elle claqua énergiquement dans ses mains.

-Là-dessus, Bennett, il est temps de nous mettre au travail, si on veut apposer notre pierre à l'édifice.

-Oh par Merlin, grogna Ulysse en la lorgnant. C'est toujours sérieux votre projet de livre ?

-Non seulement c'est sérieux, mais ça avance bien, confirma Octavia avec un sourire tranquille. Tu peux rentrer, je te libère.

Elle se pencha vers lui pour embrasser sa joue en toute chasteté, et je ne sus si je trouvais l'image mignonne ou risible. Mais voir les joues d'Ulysse rosirent ou Simon se détourner du spectacle m'obligea à choisir et je cachai mon rire dans ma main. Il finit par s'étouffer de lui-même quand Octavia soupira :

-Et on ferait bien de se dépêcher, il faut vite qu'on fige tout ça si on veut commencer à rédiger avant noël. Il va falloir faire un stock d'encre et de parchemin ...

-On va devoir rédiger le livre à la main ? m'étranglai-je.

Je n'avais pas songé à cet aspect du problème. J'avais passé ma scolarité à rédiger des devoirs excédant rarement le rouleau de parchemin à la pointe d'une plume mais l'envergure de notre projet semblait peu adaptée à ce type de rédaction. Octavia cligna des yeux, surprise.

-Et comment veux-tu qu'on fasse ?

-Mais je n'en sais rien ! Mais ça va être un travail colossal, plusieurs dizaines de rouleaux, c'est énorme ... Bon sang, pourquoi vous ne piquez les technologies moldues ?

-Parce qu'on a les nôtres, fit valoir Ulysse d'un ton sec.

-Et elles sont vachement efficaces ! ironisai-je.

Octavia et Ulysse échangèrent un regard désabusé qui me fit grincer des dents. C'était le genre de regard qui démontrait parfaitement la profondeur du gouffre qui séparait le monde moldu du monde sorcier – et qui m'éloignait moi. Je lisais parfaitement dans ce regard que j'étais la petite idéaliste née-moldue incapable de s'adapter aux façons de faire de la société sorcière et ça les exaspérait. Je bondis sur mes pieds, soudainement résolue à poursuivre mes recherches pour leur démontrer à quel point ils avaient tort – même si visiblement, je devais sacrifier ma main pour cette cause.

-McLairds, on y va ! Et promis Simon, vingt heures on est dehors.

-Vous avez intérêt, grogna-t-il.

Il avait appuyé sa joue contre son poing et tenait toujours sa baguette entre ses mains. Son regard vert se posait régulièrement sur Ulysse et inversement, comme si l'un et l'autre attendait un mouvement, un mot, un soupir, pour ouvrir les hostilités. Alexandre contemplait le tableau en restant proche physiquement de Simon, comme pour l'épauler si jamais ça éclatait. Il posa une main sur son épaule.

-T'inquiète mon ... grand, je reste pour te tenir compagnie.

-Bon sang, arrêtez ça, râla Melania, exaspérée. Ce qui vaut pour Ulysse vaut pour tout le monde ici : on doit se respecter si on veut travailler ensemble. C'est d'accord pour tout le monde ?

Elle darda un regard ardent sur Alexandre, Simon et Ulysse, qui finirent tous par donner leur accord avec des mots et des gestes les plus succincts et les plus discrets possible. J'eus un sourire désabusé face à la volonté mais l'air désespéré de Melania. Difficile de faire s'entendre une bande aussi hétéroclite que la nôtre : issus de grandes familles comme de moldus, magiques et non-magiques, fougueux ou prudents, nous étions tous aux antipodes. Et quand Melania rappela pour la seconde fois à Ulysse qu'il devait tout nous dire et que nous garderions le secret, mon cœur se serra et je fis tous les efforts du monde pour ne pas tourner mon regard vers Simon.

Je ne pouvais pas faire une telle promesse. J'en avais déjà fait une autre, une qui comptait plus que l'intégrité des Selwyn : prouver que Corban Yaxley était un Mangemort. Et si cette démonstration passait par la compromission de Thalia Selwyn, tant pis pour eux.

Gênée par la décision qui s'imposait à moi comme une évidence, je passai à la cuisine dans l'espoir de trouver quelque chose à boire pour apaiser ma gorge asséchée et nouée par le stresse. Je me servais un verre conséquent de jus de citrouille bien frais quand la porte s'ouvrit, suivie d'un soupir.

-Victoria Anne Jadwiga Bennett, tu n'es pas chez toi !

-Alors sers-moi mon verre, Simon prénom-ridicule Bones, répliquai-je en lui tendant la bouteille.

Il ne fit pas mine d'amorcer un mouvement pour la récupérer. Il se contenta de fermer la porte derrière puis de s'adosser au battant, les bras négligemment croisés sur sa poitrine et un petit sourire fier aux lèvres. Il me fixait, les yeux pétillants et de façon si intense que je finis par rougir. J'aurais voulu détourner les yeux pour effacer la gêne, mais mon regard était aimanté au sien.

-Quoi ?

-Tu as jeté un maléfice à Warrington ? Et je ne suis au courant que maintenant ?

Il n'y avait pas la moindre trace d'amertume dans son ton, juste de l'amusement et de la même fierté que laissait entendre son sourire. Et cet orgueil manifeste en fit naitre un sur mes lèvres. Comprenant qu'il ne serait pas disposé à me servir mon verre, je me retournai pour le remplir de jus de citrouille.

-Et oui ...

-Sainte-Victoria, grande pacificatrice et fuyeuse professionnelle de conflit ?

-Tout arrive, Bones. Tu ne pouvais pas être le seul à qui je donnais des coups.

Son sourire s'estompa quelques peu sans réellement disparaitre et son regard s'arracha à moi pour contempler la porte de la cuisine. Je l'interrogeai silencieusement, un sourcil dressé mais il balaya mes questions d'un geste de la main.

-Laisse. Je suis juste ... vexé de voir que je ne suis plus la seule cible de tes coups.

Je clignai des yeux, perplexe mais Simon ne me laissa pas le temps de m'interroger davantage : d'un geste, il ouvrit la porte et me la tint avec un petit sourire.

-Allez viens, Vicky. On va construire le monde de l'autre côté de la barricade.

-Then you join the fight that will give you the right to be free, chantonnai-je machinalement. Do you hear the people sing, singing the song of angry men ! It is the music of ... Oh non, Simon je vais l'avoir dans la tête !

-Tant mieux. Elle te va bien.

Un sourire timide effleura mes lèvres et nous échangeâmes un regard complice. J'avais l'impression que les notes de l'enchantement que nous avions animé, lui par la magie et moi par la voix, flottèrent dans l'air et résonnèrent en moi, m'enveloppant d'un sentiment de fierté et de plénitude. Je ne m'étais rarement senti aussi bien qu'en cet instant, cachée dans un couloir de Poudlard, à chanter Do you hear the people sing ? sous une pluie de note magiques enchanteresse crées par Simon. J'avais presque l'impression de revoir cet instant à travers ses prunelles vertes, de ressentir de nouveau cela, de me retrouver hors du temps.

Puis soudainement, tout fut brisé.

-Bennett ! Dépêche-toi, je ne tiens pas à ce qu'on m'accuse d'abuser de la sainte bonté des Bones !

La voix d'Octavia claqua ma bulle et j'eus alors conscience que je fixai Simon depuis un peu trop longtemps – en silence et avec un sourire étrange aux lèvres. Je me détournai rapidement et m'engouffrai sans attendre dans la porte laissée ouverte par Simon. Je fus tentée de lancer un regard en arrière avant de me raisonner et de rejoindre Octavia qui m'attendait de pied ferme au pied de l'escalier. Inconsciemment, je mis une main sur mon cou et mes doigts se figèrent lorsque mon pouls, fort, irrégulier, éclata à leur contact. Paniquée, je mis une main sur ma poitrine pour découvrir que mon cœur cognait fort contre ma cage thoracique, beaucoup trop fort. J'avais l'impression qu'un tambour avait pris possession de ma poitrine. Je pris une profonde inspiration pour calmer ces pulsations et éventai mon visage d'une main

C'est normal. C'est normal. 

C'est normal ? 

***

Voilà j'espère que ça vous aura plu ! A dans deux semaines, keur sur vous <3 

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