III - Chapitre 1 : Cendres et poussières

HEEEEEY 

J'ai pas de perme, je m'ennuie DONC je poste. C'est parti pour la partie 3. Je suis navrée pour les fans de Simon Bones qui attendent sa réaction après la mort d'Amelia, j'ai jugé que pour une fois, Victoria n'aurait pas à gérer ses états d'âmes pour prendre quelques petites vacances ... 

En fait, j'ai entrepris de commencer un rattrapage de citation en en trouvant une très belle pour le chapitre sur Halloween dans la partie 1, donc dès que j'en trouve une qui correspond à des chapitres déjà écrits je la rajoute ! D'ailleurs si vous avez des propositions pour certains chapitres des deux premières parties, n'hésitez vraiment pas, si ça me plait je la mettrais et je vous créditerais de l'idée ! 

Allez, bonne lecture ! 

*** 

A Auschwitz, dans les cendres, s'éteignirent les promesses de l'Homme. 

- Elie Wiesel

***

Chapitre 1 : Cendres et poussières.

-Arthur, viens ici tout de suite ! Et dépêche-toi, ta grand-mère nous attend à la maison ... Oh révérend, bonnes vacances ! Revenez-nous vite !

La mère du petit Arthur adressa un sourire radieux au révérent Edward Bennett, un grand homme au doux regard et au sourire tranquille qui le lui rendit poliment. Il rangeait dans le coffre des valises pendant que sa femme donnait ses dernières instructions à son père derrière lui avec une certaine anxiété. A dire vrai, une certaine appréhension semblait s'être emparé des vieilles pierres de Terre-en-Landes depuis que leur chef spirituel, apprécié de tous, avait annoncé partir en voyage au moment où le village perdait l'une de ses enfants de la façon la plus brutale qui soit. Amelia Bones avait beau avoir quitté la place depuis plus de trente ans, les anciens persistaient à se rappeler du sérieux de la petite fille qu'elle avait été, de ses beaux yeux verts, quelle tragédie c'était pour cette famille qui s'était déjà amputée de deux branches, retenue à la vie que par un fil ... 

Les hommages se multipliaient sous forme de fleurs dans le cimetière ou de plat déposé sous le porche de la belle maison victorienne qu'occupait les survivants de la famille, mais la belle porte de bois ciré était demeurée hermétiquement close. Il n'en fallait pas moins pour les habitants se mettent à tempêter : le silence était le terreau le plus fertile pour les spéculations et tous s'en était donné à cœur joie. On ne savait pas ce qu'Amelia avait fait de sa vie, avait rappelé l'épicière Elisabeth Fisher, et le meurtre avait été particulièrement brutal. Assez pour étayer la piste d'un règlement de compte ? Les Bones avaient toujours été si mystérieux ... A cela le garagiste répondait d'un air bourru que cela se prêtait mal à la personnalité inflexible d'Amelia, mais c'était une femme d'un certain âge et vivant seule – vulnérable selon tous les critères, de quoi attirer les voleurs, les Bones paraissaient riches ... Seuls les McDougal de l'autre côté du village ne s'y trompaient pas et restaient soigneusement loin des ragots des villageois. Eux aussi avaient clos leur porte et interdit à leurs filles de sortir ; on parlait même d'un déménagement. Après tout, le père, Jack, avait été là lorsque, quinze ans plus tôt, une sinistre marque avait coiffé la belle demeure victorienne et amené la mort sur Terre-en-Lande ...

Non, il n'y avait pas à dire, cette terre était maudite pour les sorciers.

Depuis la fenêtre de ma chambre, grande ouverte pour laisser s'engouffrer la légère brise de l'été, j'observais le village s'étendre devant moi. Les maisons avaient poussé en quartiers disparates autours de deux axes principaux qui se coupaient au Market Square, place sur laquelle se tenaient nombre de boutique d'antiquité qui faisaient la renommée locale de la ville. Surplombant les toits, l'église Saint-Edward se découpait dans le ciel d'un bleu pur et sans nuage de sa tour rectangulaire percée de pic. Avec des pierres couleurs miel typique de la région et ses rues sinueuses, elle me faisait parfois songer à une ville médiévale et figée. C'était certes une ville ancienne dont l'origine se portait à l'époque romaine, mais elle était loin d'être figée, en attestait les nombreux passants qui profitaient de la fraicheur de la fin de journée pour sortir enfin et profiter des derniers rayons du soleil. 

Je vis la mère d'Arthur se pencher sur Rodolph Blake et lui chuchoter quelques mots à l'oreille en pointant une direction à l'est. Je suivis son geste mais l'objet son attention, si dissimulé qu'il soit par les nombreuses bâtisses, me semblait limpide. Tous discutaient du silence des Bones depuis la mort d'Amelia, quelques jours plus tôt. Beaucoup songeaient que ce repli cachait un déménagement, comme les McDougal, d'autre imaginaient des choses bien plus sombre. J'eus un sourire désabusé. C'était drôle de songer que, sans avoir réellement conscience de la situation, sans savoir ce qui se jouaient réellement dans un système parallèle au leur, qui à la fois ne leur était rien et qui pourtant pouvait tant influencer le leur, ils aient compris quelque chose de sombre se jouait derrière les portes closes des sorciers.

-Victoria ! Victoria, donne ta valise, on va partir !

Le cri creva la bulle de contemplation et je posai le regard sur les affaires qui s'étalaient grossièrement sur mon lit, puis sur ma valise béante qui n'attendait que d'être remplie. J'avais attendu le dernier moment pour pouvoir la faire, incertaine jusqu'au bout de pouvoir faire ce voyage que j'avais attendu presque toute ma vie. Le moment où je quitterais pour la première fois les îles britanniques pour enfin poser le pied sur le continent, si proche et lointain à la fois. Le moment où j'assouvirais les envies de voyage qui me meurtrissaient depuis des années où je me sentais aliénée à ma patrie. Le moment où je découvrirais le pays de mes ancêtres, ce pays où mes grands-parents avaient soufferts et aimés. Je poussai un gros soupir.

Oui. S'il fallait vraiment sortir de Grande-Bretagne pour la première fois, c'était pour découvrir mes origines.

-Tory ?

Un grand garçon brun aux yeux bleus-gris étaient entré dans ma chambre, sans même prendre la peine de frapper. Mais il y avait longtemps qu'Alexandre se passait de ce genre de politesse, surtout lorsqu'elles concernaient sa petite sœur. Il posa le regard sur le lit jonché d'affaires et la valise vide avant de darder sur moi des yeux désabusés.

-Tu as encore changé d'avis ?

-Non, je viens, affirmai-je en hissant ma valise sur mon lit.

-Ça se voit ... Tu es courant qu'on part dans cinq minutes ?

Un léger sourire retroussa mes lèvres et je fouillai mes affaires pour sortir de l'amoncellement de vêtement une baguette de bois pâle que je fis tournoyer entre mes doigts. Une légère chaleur se diffusa dans mes doigts et mes muscles se détendirent face à ce contact si familier, rassurant, naturel. La touche qui me complétait, qui me rendait entière.

-Et tu es courant que je suis une sorcière ?

Avec un sourire malicieux, j'opérais un léger mouvement de baguette et sans prononcer le moindre mot, l'ensemble de mes vêtements se plièrent d'eux-mêmes pour se rangeait de façon plus ou moins ordonnée dans la valise. Lorsque je me retournais vers mon frère en exécutant une révérence moqueuse, il fixait mon œuvre avec un mélange d'envie et d'admiration. Presque aussitôt je m'en voulus : tout acte magique provoquait chez mon frère le passage d'un ombre sur son visage, vestige de sa première confrontation avec mon monde. Brutale. Amère. Pourtant il sourit et l'ombre s'effaça aussitôt pour ne laissait que le visage enjoué du garçon dynamique qu'il était.

-Et j'admets que ça a des côtés pratiques, convint-t-il en empoignant ma valise. Maintenant va dire au revoir au crapaud et on décolle.

-Le crapaud m'a presque claqué la porte au nez ce matin alors il va se faire voir.

Alexandre fut secoué d'un rire pendant que je faisais mon sac à dos avec de grands gestes rageurs alors que toute la colère que j'avais pu éprouver le matin même face à la porte qui s'était refermée sur moi remontait brusquement. Je fus presque tentée de tout de même y retourner pour lui asséner Cyrano de Bergerac sur son grand nez, mais étouffai l'envie en fourrant la pièce dans mon sac avant de le fermer brusquement. Je levai alors les yeux sur le sourire désabusé de mon frère, visiblement amusé par mon énervement manifeste.

-Je me doute bien, Tory. Il fallait bien qu'il te claque la porte au nez pour que tu acceptes de le lâcher et de partir.

Je m'empourprai furieusement avant de me détourner pour qu'Alexandre ne voit pas ma frustration. J'avais passé une année éprouvante à en perdre le sens commun sur ce qui était normal et ce qui ne l'était pas, surtout le concernant. Peut-être était-ce le moment de prendre un peu de distance avec tout cela. J'avais eu toutes les peines à accepter cette idée et peut-être qu'au fond, c'était heureux qu'on m'ait claqué la porte au nez, me forçant ainsi à faire ma valise et m'envoler pour la Pologne. J'entendis Alexandre soupirer derrière moi :

-Je sais que tu t'inquiètes pour lui, mais ce n'est pas parce que tu pars une semaine qu'il va forcément faire des conneries. Je ne suis pas sûre que ses parents ou Susan le laisserait faire et tu as demandé à des amis de faire attention, non ? Et si ça se passe mal et bien tu pourras le tuer. Joyeuse perspective, pas vrai ?

Un rire tremblant s'échappa de ma gorge. Je me laissai allée à l'étreinte familière de mon frère. Sans doute avait-il raison : je m'inquiétais trop. J'étais si habituée à tout gérer à Poudlard que j'avais oublié que d'autres à l'extérieur pouvaient m'aider. Dieu que c'était dur de lâcher prise ... Je pivotai vers Alexandre pour lui sourire.

-Bon. Direction Cracovie, donc ?

-A la bonne heure, se réjouit-t-il en prenant ma valise et mon sac à dos. Et j'ai promis au crapaud de te perdre dans les souterrains du château de Wawel : a priori, il y a vraiment un dragon qui dort sous ses fondations, du coup Mel refuse d'y aller.

-Tu te ligues avec lui contre moi ? m'indignai-je

-Les enfants ! rugit la mère depuis le rez-de-chaussée. Si vous n'êtes pas dans la voiture dans deux minutes, nous partons sans vous !

Alexandre leva les yeux au ciel avant que ses lèvres ne se retroussent d'un sourire amusé.

-Prête pour tes premiers pas en dehors de la mère patrie ?

Un rire sortit de ma poitrine au ton de ces derniers mots, prononcé dans une imitation parfaite de l'Ancien, dernier poilu du village, qui avait un jour exhorté Alexandre à s'engager dans l'armée au commencement de la guerre du Golfe. Je m'éloignai enfin de mon frère pour prendre mon sac. Ce faisant, mon regard fut accroché par ma fenêtre toujours ouverte sur la ville et vagabonda, suivant le chemin sinueux de l'artère principal que je savais s'achever au pied de la maison des Bones. Une vague de remords m'envahit soudainement et je fermais minutieusement mes volets, puis ma fenêtre avant que l'envie ne me prenne de défaire mes bagages. Puis, chassant toute malaise et cédant à l'aventurière qui avait en un sens toujours dormi en moi, je me tournai vers mon frère avec un immense sourire.

-Oui. Plus que prête.

Alexandre me rendit mon sourire et prit ma valise pour la descendre. Profitant de mon dernier instant seule avant d'arriver à Cracovie, je plongeai ma main dans la poche de mon short et effleurai le rouleau de parchemin qui avait fini écorné et écrasé. Je le déployai une dernière fois. Les mots avaient beau être imprimé dans mon esprit, je les relisais sans cesse dans un espoir vain de me rassurer, de trouver un point d'ancrage. Mon souffle se bloqua dans ma gorge. Ce voyage, ce n'était pas simplement l'ivresse de découvrir de nouveaux rivages.

C'était la vraie vie qui commençait pour moi.

***

C'était un voyage des plus singuliers. La destination, une ville certes riche d'histoire, mais d'un ancien pays communiste qui se laissait à présent aller au nationalisme, n'était pas des plus ordinaires. Tout était organisé avec un budget réduit mais fort heureusement, la Pologne n'était pas un pays cher, bien au contraire et la location me surprit agréablement.

Mais plus que tout, c'était la composition des voyageurs qui était disparate. Mes parents se laissaient rarement aller au voyage : mon père gagnait peu et préférait de loin rester à Terre-en-Landes et ma mère était une véritable bourreau de travail. Elle avait par ailleurs amené avec elle nombre de dossiers dont elle comptait s'acquitter le soir, mais Alexandre avait projet de les cacher. Elle avait d'ailleurs longtemps refusé de faire ce voyage au pays de ses ancêtres, elle qui était née de sang polonais en terre anglaise. Cela se constatait sur son visage : avec son nez épaté et ses pommettes rebondies, ma mère avait tout le charme d'une belle polonaise et ses boucles brunes ne souffrait d'aucun cheveu blanc. Il avait fallu que les fondements de son identité soient secoués pour qu'elle ressente le besoin de faire cette sorte de pèlerinage. Et bien sûr, elle ne l'admettait pas, mais la volonté de sa propre mère, Jadwiga Liszka, d'enfin faire ce voyage qui la ramènerait dans son pays natal l'avait fortement influencé. Jaga avait beau être une femme forte du haut de ses soixante-dix ans, cette visite risquait bien fort de rouvrir d'anciennes plaies. Survivante de la Shoah et du camp d'Auschwitz, elle retrouvait une Pologne changée, et une Cracovie figée dans son aspect et pourtant si différent dans sa composition. Le quartier juif, malgré ses nombreuses synagogues, n'avait plus grand-chose de juif, m'apprit-t-elle avec un certain dépit, puisque c'était l'endroit où elle avait grandi. L'immeuble dans lequel elle vivait avant la déportation était à présent un restaurant ouvrant sur une place agréable.

Mes parents avaient décidé de l'accompagner dans une synagogue et nous nous retrouvions à trois assis sur la fontaine. Alexandre s'était allongé sur le rebord, les mains derrière la tête. Melania Selwyn, sa petite-amie observait l'environnement à travers ses nouvelles lunettes de soleil, son appareil photo entre ses doigts. J'avais passé une après-midi avec elle à Bristol pour l'aider à constituer une parfaite garde-robe moldue pour la sorcière qu'elle était : malgré sa grande connaissance de notre monde, celle de notre mode était encore un peu désuète pour Melania. Elle tira sur le short qui découvrait assez inhabituellement ses jambes. Elle avait d'abord refusé de mettre quelque chose d'aussi court avant que la chaleur polonaise n'ait raison de sa pudeur.

-En quoi une synagogue diffère d'une église ? s'enquit-t-elle à Alexandre alors qu'elle observait le bâtiment avec attention.

-Demande à Tory, elle sait mieux que moi, répliqua-t-il sans ouvrir les yeux.

Je levai les yeux au ciel face au flegme de mon frère. Bien que baptisé selon les rites anglicans et en partie juif, Alexandre n'avait aucune appétence pour la religion. Je n'aurais pas été contre le fait de visiter une synagogue, mais c'était plus par curiosité que par recueillement et je doutais que les motivations aient été du goût de ma grand-mère, aussi avais-je préféré rester à l'extérieur également.

-On n'y pratique pas la même religion, expliquai-je à Melania. L'anglicanisme est une forme de christianisme où on considère que Jésus est le Messie envoyé par Dieu pour sauver les hommes. Pour les Juifs, ce Messie n'est pas encore arrivé. Alors les rites et les croyances diffèrent assez à l'intérieur. Ce sont deux traditions différentes.

-Mais qui vénèrent le même Dieu ?

-On va dire que oui, simplifiai-je, peu envieuse de m'embarquer dans un sujet si pointu. Mais pas de la même manière. C'est assez difficile d'expliquer pourquoi et comment, parles-en avec mon père, si tu veux.

Melania fronça les sourcils et baissa ses lunettes sur son nez pour mieux contempler la synagogue. Elle qui était sorcière et qui avait grandi dans la croyance simple de la magie, l'idée de religion était un véritable mystère, pour ne pas dire une absurdité. Alexandre avait plaisanté en songeant qu'elle brûlerait sans doute en entrant dans une église, toute sorcière qu'elle était.

Mes parents finirent par sortir de la synagogue et Alexandre éclata d'un rire franc lorsque mon père ôta la kippa que les autorités locales l'avaient forcé à porter. L'image avait aussi fortement amusé Jaga, qui malgré l'émotivité qui se lisait dans ses yeux, esquissait un sourire moqueur et un peu fier. Ce fut ma mère qui se chargea de faire taire Alexandre d'un regard incisif.

-Moque-toi, jeune homme, renchérit ma grand-mère en prenant le bras que je lui tendais. Tu feras moins le malin dans trois jours ...

-Tu veux toujours y aller, maman ? s'inquiéta ma mère alors que nous nous remettions en chemin. Tu n'es pas obligée, tu peux rester à ...

-Je viendrais. Je ne suis pas venue ici pour manger des pierogis, je sais très bien les faire seule Marian.

La sécheresse de Jaga souffla la voix de ma mère qui se contenta donc d'échanger un regard sceptique avec moi. Je haussai discrètement les épaules et ma mère secoua la tête en prenant les devants. Marian Bennett avait la tête dure, mais elle n'oubliait pas que celle de sa mère l'était encore plus. Mon père entoura ses épaules de son bras et prit la tête de notre groupe avec entrain, nous faisant visiter la ville comme si c'était lui qui avait grandi ici. Nous faisions si peu de voyage que lui se délectait de chacun d'entre eux et les préparait dans les moindres détails, aussi nous emmena-t-il à la place principal, Rynek Główny, la place du Marché, avec une grande facilité. C'était un grand espace coupé en son centre par des Halles au sein desquelles nous déambulâmes, vaguement intrigués par les étales touristiques.

-Il y a vraiment un dragon sous le château de Wawel ? m'enquis-je à Melania en observant les peluches en forme de dragons que vendaient presque tous les marchants ambulants.

-Il y en a eu un, c'est sûr ... Après est-ce qu'il est encore en vie, je ne sais pas, ce serait quand même vraiment imprudent de la part des autorités polonaises de laisser un dragon sous un lieu si fréquenté ... Tu m'achètes une peluche ? demanda-t-elle à Alexandre avec un adorable sourire.

Alexandre leva les yeux au ciel.

-Vu que maintenant que je sais que tu es pleine aux as, c'est moi qui vais te demander de m'acheter des choses. Tu me payes le restaurant de ce soir ?

-Je t'ai connu plus galant.

-Je t'ai connue plus pauvre, ça doit être pour ça.

Alexandre plaqua un baiser contre son crâne pour adoucir la pique et s'éloigna pour aider Jaga à grimper une volée de marche. Melania le contempla un instant, les sourcils froncés et je ne pus m'empêcher de demander :

-Euh ... Est-ce que ça va mieux ?

Les lèvres de Melania se pincèrent. Même si leur couple s'était reformé, je savais que leurs relations étaient tendues depuis juin. Ce n'était pas l'attaque de Nestor qui en était en cause : toute violente et inattendue qu'elle avait été, Alexandre savait pertinemment que nous n'y étions pour rien. En revanche, je doutais qu'il ait parfaitement réussi à nous pardonner d'avoir fomenter leur rupture et de lui avoir caché tout ce qu'il risquait. Cela se manifestait par des petites piques et une sorte de distance qui s'était instaurée depuis le début de l'été. Et moi qui avais toujours été proche de mon frère, cette nouvelle barrière m'était désagréable.

-J'avoue que j'espère que ce voyage va remettre les choses en perspective pour lui, m'avoua-t-elle du bout des lèvres. Et lui changer les idées ... C'est pour ça qu'on sort à deux, ce soir ... A ton tour, maintenant. (Elle piocha une boule à neige représentant le château de Wawel). A quoi ça sert ?

J'éclatai de rire devant sa mine perplexe et lui expliquai l'intérêt décoratif de l'objet. Cela parut vaguement l'intriguer et elle paya la boule à neige avec mon aide. Elle se débrouillait avec la livre-sterling, mais le zloty lui était totalement étranger. A moi aussi du reste et il nous fallut quelques minutes pour se familiariser avec la monnaie avant de payer le commerçant. Mes parents, Jaga et Alexandre avaient depuis longtemps avancer et nous flânâmes plus lentement entre les arcades jusqu'à ce que Melania s'arrête devant l'une d'entre elle. Elle passa sa main sur son sac à main et je devinai qu'elle s'empêchait s'attraper la baguette qu'elle avait cachée à l'intérieur.

-Je pense que c'est là ...

-Quoi donc ?

Melania m'adressa un sourire malicieux, le regard pétillant.

-L'entrée vers le monde magique polonais.

Elle jeta un regard à la ronde avant de sortir discrètement sa baguette et de la passer sur le pilier. Il se mit à luire légèrement avant que cela ne s'estompe, mais j'avais senti l'air se tendre autour de moi, inexplicablement. Le sourire de Melania s'élargit.

-Mais oui, c'est là ! Il faudra que j'y retourne demain, j'ai des affaires à régler ...

-Des affaires ?

Je savais que Melania avait fait deux années de formation à la Justice Magique avant d'intégrer la Fondation de son père, le très influent Julius Selwyn et de l'aider grâce à ses connaissances juridiques et surtout des moldus. Elle m'adressa un sourire penaud en rangeant sa baguette.

-Tu penses que le rayonnement des Selwyn s'arrête aux frontières de l'Angleterre ? Nous avons des intérêts un peu partout en Europe ... Mais peu en Europe de l'Est, je l'admets. Et ici les institutions sorcières ont refusés de suivre leurs homologues moldues à Varsovie, ils préfèrent la vieille ville ... Alors j'en profite pour rencontrer quelques familles, disons ...

-Quelques familles ? répétai-je, horrifiée.

Melania parut surprise de ma réaction, avant de comprendre et de mettre une main sur mon épaule.

-Nom d'une gargouille non, pas des Liszka, ne t'en fais pas ! Enfin, j'aurais aimé, ce sont eux qui contrôlent tout en Pologne et c'est bien pour ça qu'ils sont inaccessibles ... Et puis, je ne vous aurais pas fait ça, enfin ...

La culpabilité qui se peignit sur le visage de Melania acheva de me rassurer. C'était la présence en ville de sa famille, les Liszka, qui avait dissuadé mon grand-père Miroslav de faire le voyage avec nous. Il était un sorcier en exil et la Pologne l'avait que bien trop meurtri : parfois, je songeais qu'il y avait laissée la partie déchirée de son âme. Je n'étais pas sûre qu'il apprécierait de savoir que Melania était venue pour les affaires, mais chacun voyait son propre but à Cracovie. Ma grand-mère y cherchait la paix, Alexandre une échappatoire, ma mère une identité, et mon père se resourçait dans un pays connu pour sa piété.

-Tu en as parlé à Alexandre ?

-Non, répondit Melania d'une voix prudente. Peut-être ce soir ...

-Ce soir, oui. Ce serait bien.

Melania finit par hocher lentement la tête. J'avais fini par deviner que c'était difficile pour elle de se livrer après avoir passé toute sa vie à mentir, dissimulé et cacher. Ce double-jeu était une partie d'elle et c'était sans doute pour cela qu'il lui avait été si aisé d'être heureuse tout en cachant à Alexandre qu'elle était une sorcière. Melania avait tout simplement du mal à abattre ses cartes, mais après ce qu'il s'était passé en juin, Alexandre ne supporterait plus la moindre omission, même si elle concernait les affaires familiales.

-C'est vrai que ce n'est pas le moment pour faire cela, admit-t-elle en se remettant en marche. Et ça ne prendra pas de temps, promis ... Peut-être que je profiterais de la fois où tu iras voir ton ami. Tu y vas quand, déjà, demain ?

-Non, demain on va aux mines de sel, rappelai-je, le ventre soudainement noué. Sans doute en fin de séjour ...

-Je trouve génial que tu aies gardé des contacts du Tournoi, sourit Melania, soudainement plus gaie. Même si évidemment ils étaient là pour battre Dumbledore, je suis contente que ce soit de vraies valeurs saines qui en découlent. Que tout le discours sur la coopération magique internationale, l'amitié des communauté magiques et tout cela ne soit pas qu'un discours vide de sens ... Je pense que c'est un événement que j'aurais adoré vivre ...

-Vraiment ?

Je n'avais pu endiguer l'amertume dans ma voix en songeant à comment s'était terminé le fameux Tournoi pour moi. La mort de Cédric avait beau dater d'un an, la douleur liée à sa disparition restait toujours en embuscade dans ma poitrine. Melania me jeta un regard désolé en comprenant son erreur et passa un bras par-dessous le mien.

-Désolée, j'ai été maladroite ... Euh ... Si je t'achetais une peluche dragon pour me rattraper ?

La proposition m'arracha un sourire et je la laissai le conduire aux étales avec plus d'entrain pour faire passer la boule d'émotion qui était apparue au souvenir de Cédric.

***

Je pensais que je n'aurais pas été dépaysée en Pologne. Après tout, les peuples étaient si connectés les uns aux autres que leurs urbanismes avaient fini par se ressembler. Malgré tout, j'avais trouvé un véritable charme à Cracovie. J'avais craint la ville-musée, enfermée dans ses vieilles pierres et dans le tourisme, mais c'était en réalité une ville très vivante, agréable avec ses animations de rues, ses jeunes qui riaient aux éclats en babillant en polonais et la beauté de son architecture. Je m'y sentais chez moi : l'accent roulant que j'avais entendu chez Miro et Jaga, les traits slaves que j'observais chaque fois que je me regardais dans un miroir et même la nourriture. Tout me paraissait familier et réconfortant, et malgré tout j'éprouvais l'ivresse d'une sensation d'ailleurs. Les mines de sel, véritable ville sous-terraine à quelques kilomètres de Cracovie m'avaient véritablement enchantée tout comme la vision des vestiges du Ghetto m'avait révolté et attristé. Ma grand-tante Emilia était morte entre ces murs et nous avions déposé des fleurs au pied du morceau du mur. Cela avait éprouvé ma grand-mère et pourtant, le pire était à venir.

Ce voyage, c'était sa mémoire qui se réactivait, son identité qui se reconstruisait. Et une partie d'elle, c'était à Auschwitz qu'elle l'avait laissé.

Nous fîmes le voyage de la plus cruelle des manières : en train. Selon les guides, c'était le meilleur moyen de se rendre là-bas, près de la petite ville d'Oswiecim, qui germanisée avait donné « Auschwitz ». C'était en prenant ce train que je m'étais rendue compte du retard qu'avait pris les pays sous influence communiste sur les pays occidentaux : la machine était digne du Poudlard Express, la magie en moins. Rien de la modernité des trains britanniques. De plus, la marche avait été si haute qu'Alexandre avait dû me porter pour que j'y grimpe – Melania s'était faite une joie de prendre une photo de l'exploit.

Jaga était restée coite tout le trajet, contemplant les paysages d'un regard indifférent. J'étais presque certaine que dans sa tête, elle s'était refaite le voyage dans les wagons à bestiaux, celui qui pour la première fois l'avait amené de Cracovie à Auschwitz. Personne n'osait lui parler, pas même ma mère qui se contentait de la couver d'un regard inquiet. Elle et moi l'avions aidé à descendre du train et elle s'était accrochée à mon bras sur la route qui conduisait à ce qui était à présent un musée. J'avais senti sa main se refermer comme une serre sur mon avant-bras à mesure que nous avancions, sa respiration se faire de plus en plus haletante alors que nous arrivions devant l'entrée du musée jusqu'à ce qu'enfin tout son corps se relâche devant les grilles qu'elle avait passé pour la première fois à l'âge de quatorze ans.

Jadwiga Liszka fixa les lettres de fer forgé qui surplombait la grille, la respiration si lourde qu'elle emplissait mon espace auditif. Une inscription en allemand que je ne parvins pas à traduire, découvris-je en levant la tête. Ma mère, qui avait étudié cette langue dans le secondaire, poussa un grognement de dépit.

-Quel culot ...

-Qu'est-ce que ça veut dire ? demanda Melania, handicapée comme moi par la paresse que donnait la magie.

-Arbeit marcht frei, lut mon père avec un profond mépris. « Le travail rend libre » ...

Melania pinça des lèvres. Alexandre et moi avions passé la soirée de la veille à l'informer sur Auschwitz. Ayant fait Etude des Moldus à Poudlard et ayant beaucoup lu, elle avait déjà une très bonne base concernant les événements mais apprendre les détails l'avait horrifié au delà des mots. Elle jeta un regard révérencieux à ma grand-mère qui restait silencieuse, le cou dévissé pour fixer l'inscription de ses yeux sombres. Ce ne fut que lorsqu'elle le décida que nous nous ébrouâmes pour suivre le chemin de terre battu entre les bâtiments de brique.

La visite se en silence : les panneaux explicatifs en polonais et en anglais nous suffisaient. Il faisait beau : le soleil brillait, les oiseaux chantaient et j'entendais même des enfants rires. Je leur jetai un regard de coin, consciente qu'il serait injuste de ma part de targuer leur insouciance d'indécence dans un tel endroit. Malgré les fils barbelés et les explications morbides, difficile de croire que cet endroit était l'Enfer incarné. La place figée avait presque quelque chose de joli, de poétique. Cela expliquait sans doute pourquoi Jaga paraissait plus détendue et que sa main s'était décrispée sur mon bras.

Mais très vite, même le soleil ternit et l'atrocité nous sauta à la gorge. Etait-ce à cause de toutes ses chaussures, des centaines, de milliers, disposées de part et d'autre d'un baraquement ? Celles d'homme, de femme et même une chaussure d'enfant placée en évidence ? Les longues mèches de cheveux exhibées pareillement en touffes plus haute que moi, écrasante dans leur quantité et qui correspondait pourtant qu'aux derniers jours et dont les tresses et les coiffures étaient encore discernables ? Ou le passage dans le baraquement 11, la prison dans la prison avec ses cellules où étroites munies d'une trappe en bas où quatre prisonniers devaient passer la nuit debout, ou cette geôle d'étouffement avec sa toute petite fenêtre où un prêtre catholique y était mort en martyr ? Je ne sus dire, mais l'insouciance passa vite, l'illusion vite balayée par l'Histoire écrasante du lieu, par le mal et l'horreur qu'il incarnait. Mon père s'était signé plusieurs fois, avait prié devant la cellule du prêtre et Alexandre avait quitté la pièce des cheveux d'un grand pas furieux.

-Je ne me souviens plus de tout ça, je n'étais pas ici, m'avoua alors Jaga alors que nous tournions de la première chambre à gaz expérimentée et dans laquelle elle avait refusé d'entrer. J'étais à Birkenau, c'est trois kilomètres plus loin ...

-C'est là où les trains arrivaient ?

-La rampe, oui. Ils l'ont faite pour l'arrivée des Hongrois en 1944. Elle n'était même pas finie quand je suis partie ...

Le moment où les chambres à gaz avaient obtenus leur meilleur ratio, me souvins-je sombrement pour l'avoir lu sur un panneau. La Hongrie avait longtemps refusé de livrer ses juifs avant que les nazis, sentant la guerre tourner en leur défaveur, ne les y force. Nous nous étions éloignées de la chambre à gaz expérimentale reconstituée pour les visites et dans laquelle le reste du groupe s'était aventurée.

-C'est Ceslaw, mon frère, qui était là, poursuivit-t-elle alors que nous retournions sur nos pas. D'ailleurs, si je ne me trompe pas il doit être mort ... ici.

Nous étions arrivés à un espace ouvert entre les baraquements 10 et 11. La potence élevée au milieu de laisser que peu de place à la spéculation concernant l'utilité de l'endroit. C'était sans doute un effet d'optique, mais il me semblait presque que les pierres au fond de la cour était encore rougeâtre de sang. Jaga prit une inspiration tremblante mais ne laissa échapper aucune larme alors qu'elle avançait sur les dalles. Je jetai un regard à la ronde avant de sortir ma baguette de mon sac à dos et de l'agiter dans le vide. Une couronne de fleur apparut devant nous et Jaga s'en empara d'une main tremblante pour aller la déposer au pied de la potence. Elle se recueillit quelques minutes et je lui laissai de l'intimité : c'était la première fois qu'elle se retrouvait à l'endroit où avait péri son frère. Quelques touristes nous jetèrent un regard curieux, puis peinés quand ils comprirent et passèrent leur chemin. Jaga finit par revenir vers moi, digne malgré son regard sombre et luisant.

-Merci Perelko, souffla-t-elle en reprenant mon bras. Maintenant allons retrouver tes parents ... Cela serait triste si nous loupions le dernier bus pour Birkenau.

Le bus, oui. Le bus qui devait nous amener dans la partie la plus noire et la plus célèbres d'Auschwitz. Je la reconnus dès que nous tournâmes au détour d'une route, la célèbre façade percée d'une arche qui avait laissé entrer les trains. Ce fut par-là que nous entrâmes, avec pour ma part je l'avouai une certaine réticence. Cette fois, même l'aspect n'avait rien d'idyllique : une longue voie de chemin de fer, un chemin en parallèle qui menait droit aux chambres à gaz et sur notre gauche, les baraquements à perte de vue. Enfin, ce qu'il en restait, constatai-je en voyant qu'en réalité, une minorité était encore debout. Jaga eut un ricanement amer.

-Mais c'est parfait. Pas de fumée, pas de boue, pas de cri, pas d'orchestre, pas de chien ... Et même le paysage est défiguré.

-Donc ça va... ? s'inquiéta ma mère.

Jaga haussa ses frêles épaules et s'avança seule sur le chemin caillouteux.

-J'ai l'impression de visiter un autre endroit. C'est Auschwitz, certes. Je reconnais le bâtiment, je reconnais la façade ... Mais je ne sais pas, c'est comme si on l'avait vidé de toute substance. Déjà, je l'ai dit à Perelko, la rampe n'était pas achevée quand je suis partie. Tous les baraquements étaient debout. Et il manque plein d'élément ... Les odeurs, les sons ... En fait, c'est un Auschwitz aseptisé.

Le ton neutre qu'elle avait utilisé me glaça, mais je compris en me promenant dans les baraquements, net et propres, ce que Jaga avait voulu dire. Les paillasses par rangée de trois étaient vides, tout au plus poussiéreuse, la longue pièce silencieuse : rien de la réalité qu'avait dû connaître Jaga lors de son internement. C'était la même chose aux latrines où tout était impeccable et dehors où l'air était pur. L'air de Jaga n'avait jamais été pur à Auschwitz. Il avait toujours été empoisonné par le souffre, les cris, les aboiements et la fumée, la fumée qui s'élevait depuis le fond du camp où nous nous dirigions à présent, longeant la voie de chemin de fer comme les juifs hongrois cinquante-deux ans avant nous. Rien des marqueurs sensoriels qui avaient accompagnés sa vie à Auschwitz, réalisai-je, comprenant son sentiment de ne pas reconnaître le lieu. Une place aseptisée de toute son horreur.

-Je travaillais là, m'apprit-t-elle après s'être de nouveau accrochée à mon bras et désignant un baraquement détruit sur notre droite. Avec Rachel, au Kanada ... Tu peux me faire apparaître une nouvelle fleur, Perelko ? Des lys. Rachel adorait les lys ...

J'attendis qu'un groupe de touriste – français, si j'en jugeais l'accent – passe derrière nous pour sortir la baguette de mon sac et faire surgir du vide un magnifique bouquet de fleur blanches, pures et éclatantes. Jaga les attrapa avec un faible sourire et Alexandre l'aida à se rendre jusqu'aux pierres incrustées dans le sol qui délimitaient le contour d'un baraquement détruit.

-Qui était Rachel ? me demanda ma mère avec douceur.

Dans son ton, je sentais également une pointe de jalousie. Elle était la fille de Jaga, pourtant sa mère ne s'était jamais confiée à elle concernant la vie dans ce camp. Ces premières confidences depuis cinquante ans, c'était moi qui les avais reçues à Noël, à l'époque où ma grand-mère tentait de me convaincre de la bonté de mon grand-père. Mais j'avais fini par le comprendre, il y avait autre chose que mon grand-père derrière le récit des plus noires années de sa vie. Je le sentais chaque fois qu'elle tendait la main pour prendre mon bras – le mien, celui de personne d'autre – et qu'elle me le serrait, d'une pression qui faisait résonner en moi les mots qui avaient conclu son récit à Noël.

Ne les laisse pas te faire ce qu'ils nous ont fait.

Je chassai l'idée de mon esprit. Ce camp, ce n'était pas mon histoire, me morigénai-je, vaguement honteuse. C'était celle de ma grand-mère : ses fantômes, sa douleur mais sa rédemption aussi. C'était au cœur de l'enfer qu'elle avait accroché sa lumière, l'homme qui la sortirait des ténèbres et lui donnerait la force de s'élever au-delà de l'ombre et la poussière.

-Rachel, c'était la fille qui travaillait avec elle au Kanada, expliquai-je à ma mère, tout bas car ma grand-mère revenait vers nous. Elle a été tuée par un kapo ...

-Seigneur, souffla mon père en se signant une nouvelle fois. J'ai toujours su que Jadwiga était une femme forte mais ... Je ne sais pas, j'ai l'impression que ce n'est qu'aujourd'hui que je le réalise vraiment.

-Et encore, j'ai l'impression qu'on ne voit pas le pire, renchérit sombrement ma mère. Enfin, on va s'y rapprocher ...

Son regard se perdit au loin, vers les débris que l'on commençait à apercevoir et le mémorial qui se dressait devant. Ma gorge se ferma. On arrivait au cœur de l'horreur ... Inconsciemment, mes doigts agrippèrent ma baguette dans la poche extérieure de mon sac à dos.

Ne les laisse pas te faire ce qu'ils nous ont fait ...

Je profitai que l'endroit soit vide pour faire apparaitre une nouvelle gerbe de fleur et chaque membre de ma famille s'en saisit en silence, même Melania dont le visage n'avait cessé de s'assombrir. Son appareil photo dont on ne pouvait faire taire le cliquetis depuis le début du voyage pendait inutilement sur sa poitrine. Une fois revenue, Jaga s'arrima de nouveau à mon bras et nous poursuivîmes notre descente vers le point culminant de l'horreur. D'abord le mémorial, toutes ces pierres sombres disposées comme des ruines et les plaques traduites en plus d'une dizaine de langue et qui scandaient toutes le même message :

Que ce lieu où les nazis ont assassiné un million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants, en majorité des Juifs de divers pays d'Europe, soit à jamais pour l'humanité un cri de désespoir et un avertissement.

Auschwitz - Birkenau 1940 – 1945

-Mille gorgones, laissa échapper Melania à côté de moi. Et nous ... Nous, qu'est-ce qu'on a fait ... ?

-Je sais que Grindelwald s'est intéressé de près aux plans d'Hitler, avouai-je, provoquant son regard incrédule. C'est pour ça que mon grand-père a été envoyé ici ...

Mes yeux glissèrent vers l'endroit où ma grand-mère venait de déposer des fleurs, qui avait certes vu Rachel mourir, mais également l'amour naître entre Miro et Jaga. Et je voulais me soustraire au regard de Melania dont je sentais la brûlure. Sans la regarder, je pouvais suivre le cheminement de ses pensées et cela ne manqua pas :

-Si Grindelwald s'est intéressé au système concentrationnaire, tu es consciente qu'on peut s'imager ... ?

-... Que Voldemort s'y est intéressé aussi ? achevai-je avec un pauvre sourire. Oui, j'en ai conscience. Alors je ne sais pas qui a été élu Ministre de la Magie, mais j'espère que ce sera plus un Churchill qu'un Chamberlain.

Melania fronça du nez. Les élections express provoquées par la mise en minorité de Cornelius Fudge au Mangemagot s'étaient tenues hier, mais notre éloignement nous maintenait dans l'ignorance. A dire vrai, avec la mort d'Amelia, je doutais qu'il reste beaucoup de candidat crédible. J'avais cessé de m'y intéresser dès que j'avais su la nouvelle : en plus de ma propre perte car j'admirais énormément cette femme, j'avais dû gérer la peine de Simon et Seigneur que c'était un travail à plein temps. Melania posa une main sur mon épaule.

-Pas de besoin de Ministre. On a déjà notre Churchill, Victoria, et il s'appelle Albus Dumbledore.

Le nom provoqua autant d'espoir de que gêne en moi et je me contentai d'un sourire d'approbation. Bien sûr que le directeur de Poudlard était le sorcier le plus puissant en Europe. Bien sûr qu'il était le seul à effrayer Voldemort, et qu'il avait été le seul l'année dernière au moment où le Ministère s'aveuglait à agir contre son pouvoir. Bien sûr que j'avais plus confiance en lui qu'en nos dirigeants. Mais cet espoir rimait avec danger : pour lutter, il fallait se découvrir. Et quand bien même j'étais certaine de mon choix, je refusais de faire part de cette décision à qui que ce soit.

Si Dumbledore était Churchill, alors j'étais en passe de devenir le soldat qui s'engageait bénévolement dans l'armée pour combattre les nazis en France. Et mon Dieu que c'était effrayant de prendre le bateau.

Melania tapota ma main et partit rejoindre Alexandre qui passa un bras autour de ses épaules. Tous deux portaient une rose blanche que j'avais fait apparaître et je serais la mienne entre mes doigts, passant le pouce sur l'une de ses épines. La douleur me ramena à la réalité et je les suivis jusqu'aux ruines, laissées en état après le départ précipité des SS. Ils avaient tenté de supprimer toute trace de leur crime et avait dynamité les quatre bâtiments mais seuls les négationnistes étaient dupes. Au contraire, je trouvais ces tas de gravas était le plus poignant des aveux : le mal absolu avait été en ce lieu, si incompréhensible que personne ne devait savoir. C'était l'humanité qui était engloutie sous ces pierres : celle qu'ils avaient détruite, celle à laquelle il avait renoncé.

Jaga laissa échapper sa première larme en s'approchant du gouffre, une vaste pièce ouverte à ses pieds, tombeau dans lequel s'était engouffré son père Jakob cinquante-quatre ans plus tôt. Pourtant, elle se dégagea lorsque ma mère voulu la prendre dans ses bras ou que mon père lui proposa le sien pour avancer. Dignement, elle s'avança au bord du vide et laissa tomber la rose. Sa blancheur trancha avec la pierre, sa beauté avec l'horreur qu'elle refermait. Celle de ma mère suivit, puis celle de mon père, avalanche d'hommage et de pureté pour ceux qui avaient perdu la vie pour des idées qui ne devraient jamais être. Melania avait sorti sa baguette pour les démultiplier et jeta presque une centaine de roses dans le gouffre.

Nous nous retrouvâmes tous les six alignés face à l'horreur et au deuil. Mon père s'était agenouillé en toute humilité, l'air prêt à racheter les pêchers de ces hommes. Ma mère pleurait pour la première fois cette famille qu'elle n'avait jamais connu, pas même en souvenir : enfin, son histoire la prenait à la gorge. Melania et Alexandre fixaient les fleurs pour ne pas voir le reste. Et moi je m'avançais vers ma grand-mère dont les yeux sombres et brillants parcouraient la moindre pierre, la moindre rose, comme si elle espérait voir les traces de son père.

-Je ne sais même pas si je saurais retourner au baraquement où est morte ma mère, souffla-t-elle d'une voix éteinte. Je ... Je ne reconnais plus rien ... Même ça, je ne reconnais plus ... C'était encore debout quand je suis partie ... Enfin, pas le quatre ... (Elle pointa l'une des ruines d'un geste vague). Des Sonderkommando se sont rebellés et l'ont fait exploser ... J'avais un ami ... Ils sont tous morts ...

Jaga prit une grande inspiration pour faire passer son émotivité à ce souvenir et je compris que les souvenirs de l'explosion affluaient à sa mémoire. Puis elle reporta son attention sur la chambre devant laquelle nous nous trouvions et acheva dans un filet de voix :

-Je sais juste que mon père est quelque part. Partout et nulle part, si on veut ... Mais j'aurais voulu revoir ma mère ...

Helen Stern. Je me souvins de ses boucles et de son regard sombre, si semblable à celle de Jaga ... Je passai une main dans mes propres cheveux que je savais tenir de cette femme, morte du typhus quelque part dans ce camp. Jaga aurait pu la rejoindre immédiatement après dans la tombe ... Mais Miro l'avait sauvé. De toutes les manières que l'on pouvait sauver quelqu'un. Ma grand-mère serra mon bras.

-Perelko ... Est-ce que je pourrais avoir une rose rouge, s'il te plait ?

-Bien sûr ... C'est pour ta mère ? devinai-je en sortant discrètement ma baguette.

Jaga hocha distraitement la tête et prit la fleur que je venais de faire surgir du néant, sans même sourciller. Elle ramassa difficilement une rose blanche qui n'était pas tombée dans le gouffre et la noua à la rouge, reconstituant floralement le couple qu'avait formé ses parents, avant de les lâcher et de les laisser se rejoindre dans la mort. Elle s'enferma ensuite dans un long mutisme et je la laissai à son recueillement, la gorge nouée. Je fis quelques pas pour m'éloigner de ces fosses, le cœur au bord des lèvres et ce faisant, je me rapprochais d'un groupe guidé par un homme d'un certain âge qui parlait anglais avec un fort accent slave. Les touristes, américains si j'en jugeais leur accent, l'écoutait religieusement, la mine grave. Ils étaient campés devant une marre d'eau grisâtre à l'écart des chambres et le guide fit un grand mouvement vers elle. Je parvins à capter ces derniers mots :

-... pouvez l'observer, l'étang est encore gris des cendres que les nazis récoltaient des crématoires ... Parfois, ils les jetaient simplement là... Maintenant, si vous voulez bien me suivre jusqu'au mémorial ...

Les touristes le suivirent docilement, non sans lancer à la marre un regard révérencieux, parfois dégoûté. Alors que leur départ découvrait l'étendue d'eau à ma vue, je restais figée par l'horreur, hypnotisée par les quelques vagues que formaient la brise sur la surface sombre. Grisâtre, donc, grise des cendres, grises des morts ... Une véritable urne funéraire creusée dans la nature. C'était étrangement le symbole le plus tangible que j'avais eu des crimes qui avaient été perpétrer dans ce lieu car je visualisais très bien cette couleur grise, grise des cendres, grises des morts brûlés dans les crématoires ... Je tombais à genoux devant l'étendue d'eau, la poitrine compressée, et sans même vérifier si un touriste passait derrière moi, je pointai ma baguette sur les bords de la marre. Quelques fleurs jaillirent, rouges, jaunes, mauves, tranchant avec le gris de l'eau. J'avais eu ce besoin compulsif, trivial, de faire sortir la vie de la mort, des cendres, comme un phénix.

Un phénix.

La solennité de l'enjeu me fit serrer les poings et empêchèrent les larmes de couler. Cet endroit, cette marre grise de cendre, ces ruines derrières moi, cela représentait tout ce pourquoi j'avais pris mon engagement. Ce qui était arrivé en Europe chez les moldus pouvait parfaitement se reproduire en Angleterre chez les sorciers. Et je ne comptais laisser docilement faire Voldemort alors qu'il menaçait de réduire ma famille à néant.

J'avais choisi le phénix pour espérer que mon monde ne finisse pas en cendre et poussière. 


Voilà. C'est peut-être un chapitre un peu pesant mais j'avais à coeur de commencer par là. J'ai hésité jusqu'au bout à écrire cette visite d'Auschwitz mais je tenais quand même à mettre des mots sur les sentiments que j'ai moi-même ressenti en y entrant. Pour le coup, Victoria est vraiment ma voix. Pour les réactions de Jaga, notamment sur le côté aseptisée, je me suis inspirée du témoignage d'une survivante. 

Bon, plus joyeusement, je vous enjoins vraiment - quand la situation sanitaire le permettra - à aller à Cracovie qui est une ville merveilleuse : vivante, dynamique, historique. Les mines de sels sont plus qu'impressionnantes, la ville très agréable à visiter et l'histoire est imposante ...  Et surtout qu'est-ce qu'on y mange bien, j'ai envie d'y retourner juste pour manger des pierogis. 

Enfin, je vais en profiter pour livrer mes créations de la semaine, des arbres généalogiques (pas ceux qu'on a fait avec Anna' ahah je les ai fait toutes seule !). 

Voilà, l'arbre de Simon parce que j'ai cru comprendre que certains avaient des difficultés à comprendre les liens familiaux dans le bonus. Je n'ai pas pu tout mettre, j'ai été à l'essentiel, j'espère que ça vous aidera à y voir plus clair. D'ailleurs concernant Simon, j'ai changé ses images sur l'aes, l'ancienne ne m'avait jamais été j'en ai trouvé une mieux. 

Puis je me suis rendue compte que je n'avais fait que ceux de Simon comme arbre et ça m'a rendue triste pour ma petite Victoria alors j'ai voulu lui rendre justice : 

Plus complexe parce que j'ai réussi à caser tous les arrières-grands parents pour elle ! On ne va pas chipoter et se dire que généalogiquement elle est la petite fille de Miro ... Par ailleurs, j'ai modifié les dates de naissance de Miro et Jaga pour les vieillir un peu (avec les dates de base, Leonidas avait genre un an de moins que Jaga et ça m'a fait très bizarre et pour des raisons de cohérence avec Anna' je ne pouvais pas bouger Leonidas). 

Vous avez une idée d'où je pourrais les caser? 

Allez, sur cette longue conclusion, à dans deux semaines pour la suite des vacances à Cracovie ! 


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