II - Chapitre 12 : Rencontre et retrouvailles

JE SUIS FAIBLE

Maaaais j'ai 18 chapitres d'avance, j'ai bientôt fini d'écrire la partie 2 (qui fera 31 chapitre et PRESQUE 500 PAGES je ne sais pas comment j'ai fait, trop d'intrigues, trop de chapitres trop long, trop de bla-bla, je n'en sais rien. Je pense que je vais tenter de réduire dans la 3e. Mais le tome 5 est vraiment hyper intéressant à explorer, ça doit être pour ça, je m'y suis perdue. D'ailleurs en parlant du tome 5 vous pouvez aller lire la fic' de @exquismots sur Susan Bones, c'est sympa !) 

=> DU COUP avant que je ne m'y attelle, vous attendez des choses particulière en rapport avec le tome 6 pour la partie 3? 

En plus ce chapitre devait de base être un chapitre de transition avec THE BIG CHAPTER SAUF QUE me demandez pas comment à la fin quand j'ai compté il faisait 17 pages, mais genre 17 pages de vide absolu quoi, je ne sais pas comment j'ai fait ça (je le vends bien le chapitre, avouez vous avez envie de le lire?).

Donc voilà, vu son manque certain d'intérêt je le case vite pour vous livrer dans deux semaines THE BIG CHAPTER (vous allez vite comprendre de quoi je veux parler).

BONNE LECTURE et à dans deux semaines ! 

Chapitre 12 : Rencontre et retrouvailles.

Décembre passa à une vitesse affolante et il nous fallut bientôt préparer mes bagages pour retourner à Terre-en-Landes. Mes sentiments à l'idée de rentrer chez moi étaient ambivalents : j'avais hâte de retrouver mes parents et Alexandre, de jouer au foot sur le terrain gelé avec Chloé et d'initier les plus jeunes à l'art de vivre en bande dans le village. Mais ces réjouissances avaient un autre côté bien moins plaisant : la rencontre entre Alexandre et Miles que j'appréhendais quelque peu, et la perceptive de confronter mon grand-père qui m'angoissait carrément.

-Mais il faut que tu le fasses, avait insisté Simon la dernière fois que j'en avais parlé. Ça va te bouffer toute ta vie si tu ne crèves pas l'abcès et ça va te gâcher ton noël si tu ne le fais pas au plus tôt. Alors première semaine des vacances tu vas lui parler, même s'il faut que je t'emmène à Bristol moi-même.

Et j'avais bien peur de l'état dans lequel Simon m'amènerait à Bristol si jamais je songeais à me débattre, aussi m'étais-je résigné à rendre de plein gré visite à mon grand-père. Mais cela attendrait que je présente Miles à Alexandre et Susan m'avait grandement rassuré en me promettant d'être présente, pour cadrer à la fois mon frère et le sien. En contrepartie, j'avais exigé de voir la fameuse Mel, la petite-amie d'Alexandre, mais la jeune femme paraissait avoir un agenda de ministre pendant les vacances.

Octavia et moi avions travaillé toute une soirée à la bibliothèque pour définir les prémisses de notre sujet et Simon en nous croisant avait lâché qu'il n'avait rien vu d'aussi effrayant et son ex-petite-amie et moi associées ensemble. Octavia l'avait alors gratifié d'un sourire carnassier et Simon s'était dépêché de fuir, si bien que je m'étais sérieusement demandé ce que pouvait bien savoir Octavia concernant Simon que je pouvais ignorer. J'en avais profité pour demander des nouvelles de Cho mais la Serdaigle s'était fendu d'un haussement d'épaule indifférent. De toute manière, me dit-t-elle, avec le départ précipité de Harry dans le sillage des Weasley, elle n'avait pas dû avoir le temps de le revoir.

J'avais moi été profondément stupéfaite d'apprendre que la famille Weasley dans son ensemble avait quitté Poudlard une semaine avant la fin des cours. Angelina avait été la seule à avoir des nouvelles provenant de George, qui lui apprenait que leur père avait été victime d'un accident et qu'ils se trouvaient à présent à son chevet. Il était tiré d'affaire, mais Dumbledore avait préféré les laisser rentrer plus tôt, à la grande rage d'Ombrage. La Grande Inquisitrice parcourait les couloirs avec un air de fureur froide peint sur le visage. Je l'avais vu coller un élève de première année qui avait malencontreusement fait tomber son crapaud dans son sac, retirer des points à un couple qui s'embrassait, tapi à l'ombre d'une statue et obliger tout un groupe de Serdaigle à refaire leur nœud de cravate au moins trois fois, jusqu'à qu'il soit parfait à ses yeux. J'ignorais si c'était le simple fait que les Weasley – et surtout Harry Potter – soient hors de sa portée, ou si c'était parce que cela s'était fait dans son dos qui la mettait hors d'elle, mais elle compensait l'euphorie des vacances par une discipline stricte qui donnait à Poudlard une ambiance nauséabonde.

Le jour du départ arriva enfin, au plus grand soulagement de la plupart des élèves. Cette année, personne à Poufsouffle ne restaient pendant les vacances – un fait assez rare pour être souligné.

-Tu te souviens l'année dernière ? me souffla Emily alors que nous contemplions la liste vide. Tout le monde restait pour le bal de noël ... et cette année, tout le monde fuit Poudlard comme la peste.

-Qui aurait envie de passer noël avec elle ? fis-je sombrement remarquer.

Emily m'accorda ce point en inclinant la tête. Mais elle avait elle aussi raison : le contraste avec l'année dernière était criant. Cependant, me concernant, les dernières de vacances de noël avaient été exceptionnelles, et j'avais souffert de passer un si long moment loin de chez moi. Au bout d'un moment, le temps devenait long à Poudlard et ma famille commençait à me manquer. C'était le cas à présent, et malgré les échéances, j'éprouvais plus que jamais l'envie de prendre ma valise et de retourner chez moi.

-C'est dingue comment cette bonne femme a réussi à retirer toute joie dans l'école, songea Emily avec une certaine amertume. J'étais prête à défendre l'initiative du Ministère, je comprenais qu'ils veuillent avoir un œil sur Dumbledore ... (elle me jeta un regard oblique mais je restais coite. Cela ne servait à rien d'animer à nouveau la polémique). Mais là trop c'est trop. Elle dénature complétement Poudlard.

-Et ce n'est que le début, enchéris-je tristement. On est qu'à un tiers de l'année et Dumbledore tient toujours ...

Ce qui était pour moi une excellente nouvelle, même si cette lutte intestine devait épuiser le pauvre directeur. Il devait avoir des choses autrement plus importantes à faire que de perdre des forces dans cette lutte de pouvoir complétement inutile. Emily poussa un soupir à fendre l'âme.

-Enfin, au moins on aura les vacances pour l'oublier. Allez viens, on va finir les valises ... et attraper ce fichu train.

Je la suivis jusque notre chambre aux tentures moutarde et aux teintes cuivre rassurantes. Les jumelles avaient déjà descendu toutes leurs affaires et ne restaient que les vêtements épars d'Emily et mes parchemins contenant mes recherches d'Histoire de la Magie que j'avais travaillé ce matin même. Je rassemblai le tout d'un coup de baguette et les entassai soigneusement dans mon sac. Simon finit par nous rejoindre au moment où Emily bouclait enfin sa valise.

-Vous en mettez un temps, observa-t-il en dressant un sourcil. On peut y aller ?

-Pourquoi, Bones, tu as peur de t'aventurer dans les couloirs tout seul ? me moquai-je. Et Seigneur, retire-moi ce bonnet !

Simon leva les yeux au ciel et tâta son bonnet orange, comme pour vérifier qu'il était toujours là. Nous le suivîmes jusque la Salle Commune, traversée par un flot interrompu d'élève trainant valises et cages à hiboux. Le professeur Chourave supervisait les opérations et nous gratifia d'un claironnant « bonnes fêtes de fin d'année » quand nous passâmes la porte et Helga Poufsouffle nous sourit depuis son cadre.

-Ce que ça va être pénible ce noël, râla Emily alors que nous sortions du château. Je suis obligée de le passer avec ma famille au grand complet – avec Gillian ! Ça va être sourire de façade, discussion polie, avant qu'un idiot ne mette un sujet explosif sur la table et la BOUM !

-Réjouissant, murmurai-je.

-Enfin bref. Vous prévoyez quoi, vous pour noël ?

Des explications, songeai-je, le ventre tordu. Mais c'était quelque chose qu'Emily ignorait – que tout le monde ignorait, si l'on exceptait Dumbledore et Simon.

-Oh, comme d'habitude, un noël familial. Il faut que j'essaie de convaincre mon frère de ramener sa copine, il ne s'en sortira pas des vacances de plus sans me la présenter.

-Tu es une petite sœur tyrannique, non ?

-Pardon ? C'est lui le grand frère indigne ! Vois-tu, il y a deux genres de grands frères : ceux comme Simon, qui s'inquiètent pour leur petite sœur, la protège du monde qui l'entoure et la conseille de manière à ce qu'elle s'en sorte dans la vie, et il y a Alexandre. Alexandre c'est plus ... première clope à quinze ans, première cuite à seize et l'apprentissage de l'art de faire enrager les parents. Alors je peux bien me venger en exigeant de voir sa copine.

Simon éclata de rire devant mon résumé qui reflétait la stricte réalité de ma relation avec mon frère. J'avais certes un peu grossi le trait : Alexandre était protecteur envers moi, à sa manière et je n'avais jamais adhéré à la façon dont il traitait nos parents. Mais je voyais mal Simon proposer de l'alcool à sa sœur tout comme je voyais mal Alexandre s'indigner que j'aie un petit-ami. Il s'était d'ailleurs plus indigné que je le lui cache.

-C'est tellement vrai, s'esclaffa Simon, les yeux pétillants.

-Première clope à quinze ans ? s'étonna Emily. Tu fumes, Vic' ?

-Pas en temps normal, maugréai-je avant de lorgner la couche de neige qui m'empêchait de progresser vers les diligences. Bones, tu veux bien te rendre utile ?

-Et c'est quoi, la formule magique ?

Pour toute réponse, je me baissai pour prendre une poignée de neige et la lui envoyai dans la figure. Malheureusement, il s'était fait trop réactif et d'un coup de baguette, les flocons furent transformés en confetti qui allèrent joncher le sol immaculé. Mais sa prouesse l'empêcha de remarquer que je m'étais réarmé et il se prit une volée de neige dans le visage.

-Tu vas manger la neige si ça continue, me menaça-t-il en levant sa baguette.

-Les gars, soupira Emily, une main sur la tempe. Est-ce que vous pouvez juste ... (elle fit de vague signe en notre direction, puis en celle de la neige, incapable d'argumenter) voilà ?

-C'est limpide.

-Rôh, Simon, contente-toi de nous frayer un chemin dans la neige ! S'il te plait ?

Les beaux yeux désespérés d'Emily finirent par faire plier Simon, qui donna un coup de baguette sec en direction du chemin qui menait aux diligences. Un vent chaud se mit à souffler et la neige à fondre sur notre passage, dévoilant une route praticable dans laquelle nous nous engouffrâmes. Mais j'avais à peine fait quelques pas que Simon me poussa entre les omoplates. Déséquilibrée, je titubai jusqu'à trébucher dans la neige, m'y enfonçant profondément. Déboussolée, je me redressai et dardai un regard furieux sur Simon qui venait de passer devant moi en sifflotant sans même m'accorder la moindre attention.

-Bones ! hurlai-je sans prendre la peine de me relever. Je vais ...

-... m'arracher les yeux ?

Pour toute réponse, je lui jetai une boule de neige qui s'écrasa contre sa nuque. Cette fois, Simon prit la peine de se retourner, sortant sa baguette d'un geste souple. Paniquée, je l'imitai mais avant que le moindre sort ne puisse jaillir, Emily se plaça entre nous et agita la main en direction du château.

-Salut Bletchley ! Tu ferais bien de te dépêcher, j'ai l'impression qu'une guerre va éclater ici.

-Tu n'y es pas, la guerre a éclaté il y a dix-sept ans, marmonnai-je en lorgnant vers Miles.

Il traversait le chemin creusé par Simon, un sac sur l'épaule et une valise trainant derrière lui. Emily me tendit la main, le sourcil relevé d'un air entendu et je la saisis pour me relever avec Miles n'arrive à notre hauteur. Ses yeux pétillaient d'amusement, et je fus rassurée de voir que Simon avait rangé sa baguette.

-Je vois ça, lança-t-il en époussetant la neige dans mes cheveux. Qui a commencé ?

-Lui.

Simon leva les yeux au ciel et reprit la marche en avant jusqu'aux diligences. Je tremblais de froid dans ma cape à présent gorgée d'eau, mais Miles me réchauffa durant tout le trajet jusque Pré-au-Lard. Je frottai passivement mes yeux, épuisée. Les professeurs avaient profité de la dernière semaine à leur merci pour nous accabler de devoir et je rêvais de rentrer chez moi, et de plonger dans mon lit, d'allumer la petite télévision de ma chambre – que j'avais pu voler à mon frère quand il avait emménagé – et de sombrer dans un coma qui durerait dix jours. Je me rendis à peine compte que je fermais les yeux quand Miles me secoua en m'annonçant qu'on était arrivé à la gare de Pré-au-Lard. Comme toujours, la locomotive écarlate nous attendait baignée dans un panache de fumée blanche.

-Tu fais le trajet avec nous ? s'enquit Emily à Miles. J'en ai marre d'être toute seule pour les séparer ...

-Comme si elle réussirait, chuchotai-je à l'adresse de Simon, ce qui lui arracha un petit rire. Au fait ! (je lui agrippai le bras avec un sourire). Qui vient nous chercher, cette fois ? Ton père ou ta mère ?

-Peut-être personne, répondit Simon avec un froncement de sourcil. On est majeur, Vicky. On peut transplaner avec nos bagages et Susie ...

Je papillonnais stupidement des yeux, me sentant idiote de ne pas y avoir songé plus tôt. Simon disait vrai, nous étions entrés dans le monde merveilleux des adultes. Il était inutile qu'un adulte vienne nous chercher, puisque nous l'étions nous-même. Mais la constatation me causa tout de même un pincement au cœur : les retrouvailles sur le quai de gare faisaient parti du charme du trajet, et le fait de ne pas y avoir le droit sous prétexte que j'avais passé dix-sept ans me rendait mélancolique.

-Donc personne ?

-Je n'en sais rien, en fait, avoua Simon en haussant les épaules. Dans sa dernière lettre, ma mère disait que si au bout de cinq minutes personnes n'était là, alors on pourrait transplaner.

-C'est triste devenir des adultes.

Un sourire retroussa les lèvres de Simon et il me tapota la tête avec une certaine condescendance. Je grimpai dans le Poudlard Express à sa suite, et m'écroulai sur la banquette du compartiment alors que Miles faisait galamment léviter mes bagages. Dehors, les nuages crachaient leurs flocons sur l'Ecosse et je me mis à espérer qu'il y ait de la neige plus au sud.

-Je ne suis pas mécontent de rentrer, fit Simon, le regard plongé par la fenêtre. Ça commençait à devenir long ...

-Combien de décret Ombrage va-t-elle faire passer le temps des vacances ? ricana Emily.

-Oh ne parle pas de malheur, déjà qu'elle a failli nous retirer le Quidditch, pas vrai Vic' ? Vic' ?

Je sentis Miles effleurer doucement ma joue de son index, mais je n'avais pas la moindre envie d'ouvrir les yeux que j'avais clos une fois ma tête posée contre la fenêtre. Ce fut Simon qui me sauva d'un « laisse-la tranquille, elle avait une tête à faire peur », et Miles se contenta de me couvrir de sa cape. Je sentis un léger sourire retrousser mes lèvres et m'emmitouflai dans le tissu sans demander mon reste.

Je passai l'ensemble du trajet dans le brouillard, me réveillant par à-coup lorsque Susan vint nous rejoindre, ou quand Cora et Isabel passèrent rafler des friandises. La cabine fut relativement silencieuse, ce que je compris en remarquant qu'Emily lisait et que Miles et Simon étaient diamétralement opposé l'un à l'autre. Mais le silence me permit de dormir presque d'une traite sur la seconde partie du trajet, et je fus simplement réveillée en sursaut par une main qui me secouait délicatement l'épaule.

-Vicky ?

J'ouvris un œil que je plantai sur Simon. Il s'était assis sur le bord de la banquette sur laquelle j'avais fini par m'allonger. Miles n'était pas là, Emily lisait, et Susan dormait également appuyée contre la fenêtre. Je frottai mes yeux de mon poing, l'esprit complétement paralysé par les restes de sommeil.

-J'espère qu'on est arrivé ...

-Pas encore, mais bientôt. Tu me donnes de l'argent pour les bonbons ?

Malgré le brouillard qui envahissait toujours mon cerveau, je souris. La tradition que j'avais instaurée de ramener des friandises sorcières aux enfants du village à chaque vacance avait fini par s'implanter même chez Simon.

-Dans ma cape.

-OK. Essaie de te réveiller, on arrive.

Il tapota doucement mon bras, empocha l'argent et disparut un instant plus tard. Je me redressai, une main sur la tempe pour stabiliser mon monde. Le train commençait déjà à ralentir et je remarquai avec un certain déplaisir que Londres était totalement dépourvue de neige. Il était dix-huit heures passées, et la nuit était complétement tombée sur la ville. Miles revint un instant plus tard et me gratifia d'un sourire.

-Réveillée ?

-Encore dans le brouillard mais ça va passer. Ça te dérange de me descendre mes bagages ?

-Madame profite de son influence, se moqua Emily en refermant son grimoire.

Mais cela ne parut pas offusquer Miles, qui s'exécuta. Je jetai une œillade supérieure à Emily et réveillai Susan avec douceur. Simon revint les poches pleines de friandises et me rendis une pauvre noise de bronze devant laquelle je soupirais, et enfin, le Poudlard Express s'immobilisa. Alors que Susan se précipitait sur le quai, suivie de Simon et d'Emily, je retins Miles par le bras et je ramenai à l'intérieur de la cabine. Il me jeta un regard perplexe et j'eus un sourire penaud.

-C'est juste ... euh. C'est toujours d'accord pour demain ? Pour chez Alex ?

-J'ai noté l'adresse, j'ai prévenu mes parents que je ne serais pas là demain soir, et j'ai déjà dit trois fois non à Cora quand elle m'a demandé si elle pouvait m'accompagner, résuma Miles avec amusement. Donc oui, je pense qu'on peut dire que c'est toujours d'accord.

Il se pencha sur moi pour cueillir mes lèvres et je le laissai faire, enroulant mes doigts à l'arrière de sa nuque pour incliner son visage vers le lien et approfondir le baiser. Ce serait vraisemblablement le seul moment d'intimité que nous aurions avant longtemps : le travail m'avait empêché de le voir librement ces dernières semaines et nous serions sans doute occupés dans nos familles respectives pendant les vacances. Alors je profitais pleinement de la sensation de ses lèvres sur les miennes, de ses bras qui avaient fini par m'enlacer, passant dans mon dos pour me presser un peu plus contre lui, de ses cheveux sous mes doigts et son souffle qui se mélangeait au mien. J'étais haletante lorsque je me dégageai de l'étreinte, mon cœur cognant dans ma poitrine tel un oiseau terrifié qui souhaitait sortir de sa cage. En posant ma main sur celle de Miles, j'observai que c'était aussi son cas et un sourire effleura mes lèvres.

-Bon, bien ... à demain alors.

-A demain, répéta Miles d'une voix rauque.

Je me dressai sur la pointe des pieds pour l'embrasser une dernière fois, et nous sortîmes du train en trainant nos bagages. J'eus à peine le temps de poser un pied sur le quai que Susan m'attrapait le bras pour me tirer vers la barrière. Malgré la brusquerie du mouvement, je ne pus m'empêcher de remarquer que ses yeux luisaient d'inquiétude.

-Allez viens, Vic', il faut qu'on se dépêche ...

-Qu'est-ce qui se passe ? m'enquis-je, rendue inquiète par le ton d'urgence de Susan.

-Oh c'est pas vrai, jura Miles d'une voix qui ressemblait plus à un grognement.

Il regardait la direction opposée que celle où me tirait Susan et je fis volte-face pour voir ce qui provoquait cette agitation. Mon sang se glaça dans mes veines. Simon était resté un peu plus loin, adossé à la locomotive et dardant un regard ardent sur un homme qui attendait à quelques mètres. Un homme dont la moitié de visage calcinée m'était bien trop familière et dont le regard gris parcourait la foule, comme à la recherche de quelqu'un.

-Non mais qu'est-ce qu'il fait là, lui ? glapis-je, incrédule.

-Aucune idée, il est peut-être venu chercher sa petite sœur et que ça n'a rien à voir avec toi, tenta de me rassurer Miles avec une main apaisante au creux de mon dos.

Mais Susan le gratifia d'un regard dédaigneux. Sa main glissa jusque la mienne et elle la serra avant de m'emmener dans la direction opposée.

-C'est possible, mais j'aimerais éviter de tenter le démon, marmonna Susan entre ses dents. Simon reste le temps d'être sûr qu'il ne te suive pas ...

Je hochai la tête et pivotai une dernière fois pour apercevoir Nestor Selwyn prendre les bagages de sa jeune sœur, Enoboria. A quelques mètres, Ulysse semblait moins enclin à rejoindre son frère aîné et je le vis transplaner avec ses bagages sans demander son reste. Malgré la réception de sa petite sœur, les yeux de Nestor continuaient de scruter la foule et mon cœur dévala ma poitrine. Puis je croisai le regard de Simon, qui me fit sèchement le signe de partir et décidai qu'il serait plus sage d'obéir. Détournant mes yeux du garçon auquel j'avais brûlé le visage, je suivis Susan dans la foule. Miles nous abandonna rapidement en remarquant son père flanqué de ses deux petites sœurs, qui lui adressa un sourire radieux. J'étais encore en train de me demander ce qu'il pouvait bien clocher chez cet homme quand Miles m'embrassa sur la tempe, avant de me glisser à l'oreille.

-Peut-être que Susan a raison alors ... rentre vite et bien. A demain.

Puis avec un dernier sourire, quelque peu crispé, il s'en retourna vers sa famille. Je vis distinctement son père river son regard sur moi, et je compris à ses yeux pétillants et à la façon dont il se pencha vers Miles quand il arriva qu'il devait avoir deviner que son fils lui cachait des choses. Mais je n'eus pas le temps de voir sa réaction, car Susan m'imposait un rythme effréné jusqu'au bout du quai de la voie 9¾. Nous nous apprêtions à passer la barrière qui nous ramènerait dans le monde des moldus quand une voix sonore fendit la foule :

-Susan, Victoria ! Par ici !

Nous fîmes prestement volte-face pour faire face à George Bones, qui nous faisait de grands signes à côté de la locomotive donc l'éclat écarlate ne rendait sa barbe qu'encore plus rousse, aux côtés de ...

-Papa ?!

Mon père me servit un immense sourire, et redressa ses lunettes sur son nez. Voir mon père, ce Pasteur respecté en polo et jean au milieu des enfants qui portaient leurs crapauds, leurs balais et aux adultes portant des chapeaux pointus me désarçonnait totalement. Il leur jetait par ailleurs un regard intrigué qui n'avait rien d'infamant avant que ses yeux gris dont j'avais hérité ne se posent sur moi.

-Surprise ?

-Je ..., bredouillai-je avec un coup d'œil pour George. Je ne savais même pas que les moldus pouvaient passer la barrière ...

-Seulement quand ils y sont autorisés par un sorcier, m'apprit George avec un doux sourire. Et Edward a tant insisté pour m'accompagner ...

Je fronçai les sourcils en remarquant qu'il appelait mon père par son prénom et échangeai un regard perplexe avec Susan. Mais son air désorienté m'indiquait qu'elle ne comprenait rien au soudain rapprochement de nos pères, qui malgré les années de voisinages n'avaient jamais réellement créer de liens. Passant outre mon étonnement, et touchée que mon père ait voulu venir me chercher dans ce lieu sorcier dans lequel il devait être si perdu, je me précipitai vers lui et l'embrassai sur la joue. Sans que je ne le remarque, un sourire était né sur mon visage.

-C'est vrai ? Tu as insisté ?

-C'est ta dernière année d'étude, c'était le moment ou jamais, répondit mon père, les yeux brillants. Et je dois avouer que c'est moins dépaysant que je ne le pensais : ce n'est qu'un train un peu vieillot, certes et ... des gens disparaissent et des bagages volent, et il y a des hiboux partout – mais après la chouette qui est entrée chez nous l'année dernière, plus rien ne m'étonne. Tu peux faire ça ?

Il pointait du doigt une mère qui venait de récupérer sa fille de deuxième ou troisième année, et nettoyait d'un coup de baguette toute les traces de chocolat sur sa belle robe de sorcier pour ensuite réparer le trou dans son pull. J'opinai du chef et la commissure de ses lèvres se releva en un fin sourire.

-Ce qui veut dire que tu pourras raccommoder toutes les chaussettes trouées de la maison ?

-Seigneur, papa ..., gémis-je, vaguement amusée. La magie offre des possibilités presque infinies et c'est à ça que tu penses ?

Malgré tout, le fait qu'il évoque la simple possibilité que je répare les chaussettes me remplissait de joie. C'était simple, certes. Mais ça voulait dire qu'il acceptait. Et que dans une certaine mesure, le temps où je faisais de la magie de façon clandestine au sein de ma propre maison était révolu.

-Où est Simon ? finit par demander George à Susan.

-Euh ..., hésita-t-elle en me jetant un bref coup d'œil. Il y avait un Selwyn sauvage sur le quai de gare, on va dire.

Le visage de George s'assombrit immédiatement. Chourave avait prévenu tous les Bones de ma mésaventure avec Nestor Selwyn, pour qu'ils puissent réagir si jamais il cherchait à se venger – ce que les messages que j'avais reçus l'année dernière, bien que finalement venant de Kamila, laissaient présager. Sans répondre à sa fille, il s'engouffra dans la foule sous le regard perplexe de mon père.

-Il y a un problème ?

-Non, le rassurai-je précipitamment. Non, ça va ... ne t'inquiète pas.

Mon père ne parut pas convaincu, mais n'eut pas le temps de s'interroger plus car George revenait, tenant à la base du cou un Simon qui ne cessait de jeter des coups d'œil par-dessus son épaule. Il cessa quand il aperçut mon père et un immense sourire fendit son visage, chassant l'alerte dans ses yeux.

-Je n'aurais jamais pensé vous voir ici, révérant.

-Je n'aurais jamais songé y être aussi, admit mon père en me prenant par les épaules. Il faudrait peut-être y aller ? Ta mère nous attend ...

-Edward supporte assez bien le transplanage, précisa George en remarquant que je regardais de tout côté, comme pour chercher comment partir. Alors si tu te sens prête pour le faire transplaner quelqu'un avec toi ...

-C'est tout de même l'expérience la plus étrange que je n'ai jamais tenté. Je me demande comme ça marche ...

J'eus un sourire, attendrie par la profonde réflexion que laissait transparaitre le regard de mon père, un éclat identique qui brillait dans ses yeux lorsqu'il tentait de réfléchir aux dessins divins. Mon père tentait réellement d'intégrer et de comprendre mon monde.

-Ça ne s'explique pas c'est juste ... magique. Prêt à tenter avec moi ?

Je levai la main avec un sourire en coin. Mon père riva de nouveau son regard sur moi, et la prit sans même hésiter. Alors je tournai d'un quart de tour, mes doigts noués à ceux de mon père et la magie nous transporta tout deux des néants jusqu'à Terre-en-Landes.

***

-Maman, arrête !

-Ta chambre est une véritable porcherie ! Je ne sais pas comment Mel fait pour entrer là-dedans, c'est un manque total de respect pour elle que de laisser des caleçons ...

-Laisse mes caleçons tranquilles, c'est notre problème pas le tien !

-Je t'ai aidé à payer cet appartement mon garçon : c'est aussi mon problème !

Mon père poussa un profond soupir en rangeant les courses qu'il avait faites avec nous. Sur l'étroit canapé d'Alexandre, Simon et Susan échangeaient des regards à la fois gênés et amusés. L'appartement était un modeste trois pièces au dernier étage d'un immeuble de Bristol, sur la route qui menait à Portishead où habitaient nos grands-parents maternels. La décoration était neutre, et l'ameublement un mélange de récupération entre les vieilles affaires familiales et de mobilier de bric et de broc trouvé à bas-prix. Le tout donnait un ensemble assez disharmonieux mais qui caractérisait assez Alexandre, entre les poufs colorés qui garnissaient le petit salon, et le canapé-lit à velours qu'il occupait quand il travaillait dans le garage. Ça avait un côté familier qui m'avait immédiatement fait sourire en entrant. Le soir tombait sur Bristol, et mes parents avaient tenus à nous conduire – en voiture, cela allait de soit – chez Alexandre pour le visiter. Mon frère avait été fort désappointé lorsqu'il s'était avéré que mes parents nous accompagnaient, et que mère s'était au bout de dix minutes précipitée dans sa chambre pour être certaine qu'Alexandre recevait bien sa petite-amie.

-En fait, vous m'avez menti quand vous avez dit que ça allait mieux entre maman et Alex, tançai-je mon père en rangeant les œufs frais dans le frigo.

Ils avaient tenu à approvisionner leur fils en produits sains – principalement des légumes venant de notre propre potager ou des œufs que nous offrait le voisin, qui possédait des poules. Et ils avaient raison, songeai-je en ouvrant le frigo d'Alexandre, où ne subsistait qu'une bouteille de lait à moitié vide, quelques plats surgelés, et les restes de nouilles chinoises à emporter. Quelques bières, également et un fond de jus de Cranberry.

-Je crois que ce soir on se commandera des pizzas, maugréai-je en refermant le frigo.

-Vous pouvez toujours vous faire des œufs brouillés, me rassura mon père avant de me tendre les tomates et les courgettes. Essaie de mettre ça dans un endroit pas trop contaminé ...

-Hum ...

Je sortis discrètement ma baguette pour la pointer sur les bacs à légume, ruisselant de traces de bières ou de fromage.

-Recurvite.

Toutes les saletés se volatilisèrent et je pus mettre les légumes dans les bacs en toute quiétude. Cela dit, mis à part le frigo douteux et la chambre qui continuait de faire vociférer ma mère, je trouvais l'appartement d'une remarquable propreté qui pouvait étonner quand on connaissait Alexandre. Susan s'était avachie dans un pouf pour s'y lover tel un chat, regardant autour d'elle avec curiosité.

-C'est cool n'empêche. Il est bien installé.

-Ça nous a pris plusieurs jours, mais oui, rit mon père avant de lever une tasse. Quelqu'un veut un café ?

-Moi ! rugit ma mère depuis la chambre d'Alexandre. Que je trouve la puissance pour ranger tout ça !

-Mais bon sang tu n'as pas à le faire, ce n'est pas chez toi !

Simon accepta également alors que Susan se contentait d'un thé. Il fallut encore un quart d'heure de cri de l'autre côté du mur avant que ma mère et Alexandre ne réapparaissent, chacun de très mauvaise humeur pour s'installer à des places diamétralement opposées. Ma mère avait relevé ses épaisses boucles brunes en un chignon vague et sirotait son café en regardant dehors. Il n'y avait pas neigé dans cette partie de l'Angleterre, que la mer protégeait assez du froid polaire que pouvait connaître les parties les plus continentales. En revanche, un vent glacé parcourait les rues et mordait la peau des passants.

-Donc vous rentrez ce soir ? demanda ma mère d'un ton prudent. Sans voiture ?

-On a nos propres moyens de se déplacer, la rassura Simon. Ne vous en faites pas, on sera rentré plus vite qu'en voiture.

Ma mère blêmit quelque peu, et je posai une main discrète sur la tempe, anticipant la suite et l'indignation maternelle. Fort heureusement, je vis mon père poser sur elle un regard qui n'était pas trop agressif mais assez insistant pour que ma mère ravale tous ses commentaires. Elle lâcha tout de même d'une voix inquiète :

-Mais sinon ... on pourrait rester un peu plus chez mes parents pour vous attendre, ça ne les dérangera pas ...

-Maman, la coupa Alexandre. Victoria est une grande fille, elle va se débrouiller.

-Elle est encore mineure, protesta ma mère.

-Et alors ? Elle est en âge de se gérer toute seule, elle est grande et si tu continues de la voir comme une petite fille tu vas tomber des nues quand tu apprendras qu'elle fait des choses pas catholiques avec les garçons ?

-Non mais qu'est-ce que ça va vient faire là, ça ? glapis-je alors que Simon recrachait une gorgée de café. Et bon sang ce n'est pas ce qui arrive ! ajoutai-je précipitamment face au regard inquisiteur de mes parents.

Je lorgnai mon frère l'air mauvais, les joues d'un rouge soutenu. Si mon père détourna vite les yeux pour vider sa tasse de café, malgré une gêne manifeste, ma mère continua de me fixer, paupières plissées en un regard assez scrutateur. Je me frottai le visage pour en faire disparaître le feu qui le consumait, et fus soulagée d'entendre mon père rappeler en s'extirpant de son fauteuil :

-On devrait y aller, Marian. Tes parents vont nous attendre ... Simon te l'a dit, ils ont leur propre moyen de rentrer et c'est sécurisé, ne t'en fais pas.

Ma mère parut dubitative, mais se leva à son tour. Je fus obligée de les raccompagner car Alexandre, encore agacé par l'attitude de ma mère, s'était contenté d'un vague salut. Mon père m'embrassa sur la joue en me souhaitant une bonne soirée et je refermai la porte derrière eux. Aussitôt fait, j'attrapai le coussin le plus proche pour l'asséner sur le crâne de mon frère, lui arrachant un cri de surprise :

-Mais quoi ?

-Tu ne m'insinues plus dans tes disputes avec maman ! Qu'est-ce qu'il t'a pris de sortir un truc pareil ?

Mais Alexandre se contenta d'une œillade amusée et entendue qui enflamma de nouveau mes joues. C'était un beau garçon – plus beau que je n'étais belle – avec le nez fin des Bennett, un sourire provocateur qui pouvait donner envie de relever n'importe quel défi et qui creusait une fossette sur sa joue droite. Bien que nous ayons au commun nos yeux gris et nos cheveux d'un brun sombre proche de l'ébène, nous avions des physionomies radicalement différentes qui nous dissociaient assez : il avait hérité de la grande taille et des traits fins des Bennett quand ma grand-mère Jaga m'avait légué sa petite taille et ses lignes plus courbes et rebondies des slaves.

-Tu es le pire grand frère du monde, marmonnai-je.

-Fais attention à tes paroles Tory, me prévint Alexandre avec un sourire narquois. Parce que si tu trouves que je suis le pire grand frère du monde, je peux me transformer en le pire grand frère du monde – seulement une fois que monsieur le sorcier aura passé cette porte. Quand est-ce qu'il arrive d'ailleurs, monsieur le sorcier ?

-Bientôt, évaluai-je en consultant ma montre. Je vais aller l'attendre en bas, je pense ...

Le sourire d'Alexandre s'élargit et il se frotta les mains tel le frère préparant mentalement ses questions diaboliques. Je grondai sourdement, frustrée de ne pas avoir pu ouvrir la marche avec Mel, et me détournai pour attraper ses clefs et ouvrir la porte. Susan sauta de son pouf pour m'accompagner, mais je n'étais pas d'avantage rassurée de laisser Alexandre seul avec toutes les informations que pouvait posséder Simon. Je jetai un regard d'avertissement à ce dernier, pointant mes yeux pour ensuite fixer deux doigts sur lui et refermai derrière Susan.

-Tu n'appréhendes pas trop ? m'interrogea-t-elle alors que j'appelais l'ascenseur.

-Ça dépendra dans quel sens Alexandre prendra la rencontre. S'il la prend comme un vrai frère ou juste pour s'amuser.

-Moi en tout cas j'ai briefé Simon.

J'eus un sourire attendri, apaisée par le calme que dégageait Susan. Nous sortîmes de l'immeuble, en bord de route, et nous installâmes sur une barrière bancale, mais qui semblait tenir sous nos poids respectifs. J'observai Susan à la dérobée, sa natte cuivre qui lui retombait sur l'épaule, ses joues rebondies rosies par le froid et son nez retroussé. C'était la première fois que l'on se retrouvait seule toutes les deux depuis une éternité.

-Ça a été pour toi, le début d'année ? m'enquis-je d'un ton guilleret.

-Un peu stressant, admit-t-elle en se mordant la lèvre inférieure. Avec les BUSEs, Ombrage ... j'ai trouvé le climat plutôt lourd. Je suis assez contente d'être rentrée à la maison.

-Ça s'est vu. Je veux dire, j'ai l'impression que tu t'es un peu renfermée.

Les joues de Susan rougirent de façon adorable, et elle repoussa une mèche de cheveux qui retombait sur ses yeux verts – les magnifiques yeux des Bones, ce vert d'eau au sein duquel le soleil faisait scintiller mille éclats d'or et que la nuit rendait d'un émeraude profond et envoûtant.

-Oui, euh ... Je sais, je suis désolée. Mais avec les BUSEs, je travaille énormément. Hannah, Ernie et moi on essaie de s'organiser, de se répartir les cours, de faire des fiches ... Et je te dis, ce qu'Ombrage fait peser, ça donne presque peur de ... parler, tu vois ce que je veux dire ?

J'acquiesçai silencieusement, enfonçant mes mains dans mon manteau d'hiver – bien moldu et bien chaud. En un sens, je comprenais ce que voulait dire Susan : la présence de la Grande Inquisitrice était si imposante, si omniprésente, de ses décrets largement affichés dans nos salles communes à ses règles qui régissaient nos vies que nous avions l'impression qu'elle pouvait épier nos faits et gestes. Et le fait qu'elle avait reçu le soutien plein et entier de Rusard et de son abominable chatte n'aidait pas.

-Je vois, dis-je avec douceur, mes mots se perdant dans l'air en une brume blanchâtre qui se dissipa vite. C'est tout ce qu'il y a donc, les BUSEs et Ombrage ? Pas de problème avec Sullivan Fawley, ou avec d'autres élèves ou encore avec ... un garçon quelconque ?

Je m'attendais à la voir rougir comme une pivoine, mais elle se contenta de me gratifier d'un regard éberlué, comme si elle peinait à comprendre où je voulais en venir. Puis le lien se fit dans son esprit car elle esquissa un petit sourire qui me parut presque triste.

-Un garçon, vraiment ?

-Ça va bien finir par t'arriver, plaisantai-je.

Mais le sourire de Susan se fit quelque peu amer quand elle protesta d'une voix basse :

-Non, Vic', pas à moi.

Ce fut à mon tour de la contempler, interdite. Elle avait détourné le regard pour le fixer sur les voitures qui passaient, les prunelles luisant d'un mélange de tristesse et une pointe de détresse que je ne lui avais jamais vu.

-Mais enfin, qu'est-ce que tu racontes ? Bien sûr que ça peut t'arriver, Susie ...

-Ah bon ? douta-t-elle avec un ricanement. Franchement, réfléchis, comment ça pourrait arriver ? J'ai du mal à parler aux gens que je ne connais pas, tellement que dans mes premières années d'études j'étais plus avec toi et Simon qu'avec les personnes de mon âge ... Je suis transparente, pas la fille qu'on remarque d'un prime abord ; et quand on le fait, c'est parce qu'elle est rousse ou ... parce qu'elle est grosse.

-Quelqu'un t'a dit qu'il te trouvait grosse ? me scandalisai-je, outrée.

Susan n'avait certaine pas la physionomie longiligne de Simon : bien que plus grande que moi, elle avait quelques rondeurs, mais de jolies courbes qui soulignaient et emplissaient agréablement ses traits. La maigreur l'enlaidirait, à mon sens, et quand bien même elle n'était pas mince, jamais il ne m'était venu à l'idée de la qualifier de grosse. Susan rentra sa tête dans ses épaules et répondit dans un filet de voix :

-Non, personne ... mais j'ai des yeux pour le voir.

-Enfin, Susan, soupirai-je, désœuvrée devant le désarroi évident de la jeune fille. Tu dois voir dans un miroir déformé ... Tu es loin d'être grosse, et je te trouve très jolie ...

-Mais je ne suis pas comme toi, ou comme Emily ...

-Alors là tu prends de très mauvais exemples, l'arrêtai-je immédiatement en levant une main. Emily est une fille qu'on peut qualifier de « parfaite » comme il en existe peu et ça fait très mal de se comparer à elle. Et moi je suis en sous-poids, ma grande et crois-moi je préférerais avoir tes formes que les miennes.

Ce qui était la stricte vérité. Au moins, on remarquait d'un simple coup d'œil que Susan était une fille et une femme en devenir : elle en avait les courbes, la poitrine et l'apparence. Alors que moi, je faisais toujours plus jeune que mon âge, faite d'angles et de plat qui me faisait presque paraître masculine – et surtout, enfantine. Et c'était d'autant plus gênant que je sentais à ce stade de notre relation que Miles commençait à chercher des yeux et des mains les formes féminines de mon corps, assez inexistantes. C'était une avancée qui ne me déplaisait pas dans l'idée, mais qui me complexait assez sur ma physionomie : j'avais assez peur de ce que Miles pourrait penser de ce qu'il trouverait derrière le soutien-gorge rembourré. Le copain de Susan, lui, n'aurait aucune peine.

Cette fois, le visage de Susan s'empourpra.

-Tu dis ça pour ...

-... Parce que c'est la vérité Susie, achevai-je d'une voix suave. On a tous des complexes sur notre corps et notre façon de vivre la féminité : je me trouve plate et « garçon manqué », et que ça me rendait invisible aux yeux des garçons ... Pourtant, Miles m'a vue. Et ça n'efface pas tout ce que je peux penser sur mon corps, je continue de penser que j'ai le corps d'une enfant et ce n'est pas ce qu'il y a de plus sexy mais ... Je sais que même avec ce physique, on peut poser les yeux sur moi, alors que même si je ne l'aime pas ... il ne peut pas m'empêcher d'être heureuse. Il faut juste s'adapter à lui pour vivre pleinement sa féminité.

Susan garda un moment le silence, le nez baissé et les yeux ombragés par sa franche de cheveux roux qui lui tombaient sur son front. Discrètement, je la vis frotter ses cuisses, comme si cela pouvait gratter la cellulite qu'elle trouvait de trop.

-Un jour, peut-être que j'arriverais à voir comme toi, et à me dire que ce n'est pas trop grave si j'ai des kilos en trop ... Mais pour l'instant, je n'y arrive pas, et rien ne m'a prouvé que c'était négligeable alors ... Ce soir, évitez de me gaver de chips, d'accord ?

-Non mais je rêve, lâchai-je, incrédule. Faire attention à son poids, à ton âge ... Susie, tu as le temps avant de penser à ses conneries. Profite un peu ...

-C'est facile quand on peut ingurgiter des quantités phénoménales de chocolat sans prendre un gramme, railla Susan, toutefois sans méchanceté.

J'aurais voulu lui répondre, lui répéter que je trouvais sincèrement qu'elle n'avait pas à faire attention et qu'elle était une fille adorable, mignonne et intelligente que chaque garçon sain d'esprit pourrait apprécier. Mais avant que je ne puisse ne serait-ce que songer à ouvrir la bouche, un « crac » sonore se fit entendre dans l'allée voisine, souvent quasi-déserte et que j'avais indiqué à Miles pour transplaner. Je sautai sur mes pieds, le cœur battant la chamade et Susan esquissa un sourire amusé.

-Que le spectacle commence ...

***

Miles parut nerveux lorsqu'Alexandre ouvrit la porte, un sourire tordu aux lèvres et le toisant de toute sa hauteur. J'avais toujours su que mon frère était plus grand que Miles, mais c'était à présent que je les voyais face à face que je réalisai à quel point c'était vrai. Et mon petit-ami aussi, vraisemblablement. Il tendit une main d'un geste raide qui manquait de naturel, mais qui avait le mérite d'être déterminée.

-Alexandre, je suppose ? (Il me lorgna d'un air gêné). On se serre bien la main, chez vous ?

Les yeux de mon frère étincelèrent et je songeai vaguement à lui écraser les orteils de mon talon, quitte à en subir les conséquences, mais il me surprit en serrant sobrement la main de Miles.

-Ouaip, et tu peux m'appeler Alex – les gens qui m'appellent Alexandre sont aussi rares que ceux qui appellent Tory Victoria. Nos parents avaient un faible pour les noms longs qu'on a la flemme de prononcer.

-Tory ?

Je levai une main et Miles dressa un sourcil surpris. Alexandre pointa cette fois un index exagérément accusateur sur mon petit-ami.

-C'est mon surnom personnel, à moi. Personne d'autre ne ...

-Ça va Alex, on a compris, soupirai-je en le poussant vers l'intérieur de la pièce. Rentre là-dedans et j'espère que tu as sorti les chips.

-J'ai sorti les chips, précisa Simon d'un air bougon. Salut.

Il leva vaguement la main à l'adresse de Miles. Effectivement, quelques bols contenant différentes chips et noix de cajous jonchaient la table, et des verres avaient été disposés sur la table basse. Simon était installé sur un pouf, les yeux rivés sur la télé qui détaillaient les informations de la journée.

-Vous n'avez plus de problème avec les irlandais ? constata-t-il avec l'ombre d'un sourire.

-Il y a eu un cessez-le-feu en août avec l'IRA, expliquai-je en prenant une bouteille alignée sous la petite table. C'est toi qui as ramené de la bièraubeurre ?

-Il faut bien que je pense à ta place ... (il extirpa une bouteille de verre au liquide ambrée). Tu veux du whisky Pur-Feu, peut-être ?

-Simon, ne commence pas ! l'arrêta Susan en refermant la porte derrière elle.

Miles me lança un regard interrogatif auquel je répondis par un haussement d'épaule. Je n'allais certainement pas lui dire qu'à chaque soirée, Simon tentait de me faire boire jusqu'à que je sois capable de chanter sur une table basse ... Il observa discrètement l'environnement, de la télé qui crachait toujours ses informations au lampadaire électrique en passant par la radio – un modèle bien plus avancé que celui dont se servait les sorciers – et le téléphone.

-C'est moins pire que ce à quoi je m'attendais, me souffla-t-il en se détournant de la petite cuisine d'Alexandre. Je veux dire, c'est différent mais ... pas tellement. Du coup c'est ça une télévision ?

Il pointa l'appareil du doigt et j'acquiesçai avec un sourire, ravie de l'étincelle curieuse qui éclairait le regard de Miles. Je tentai de lui expliquer comment fonctionnait la télévision et l'usage qu'on en faisait pendant que Susan aidait Alexandre à déterminer quelles pizzas on commanderait.

-Pas d'allergie, pas de goût étrange ? demanda Alexandre à Miles, la carte de la pizzeria du coin à la main.

C'était sa façon de commencer son interrogatoire, compris-je en observant son sourire se tordre. Miles s'était assis de façon raide dans le sofa, et il leva un regard torve sur Alexandre.

-Non, ça va. Prenez ce que vous voulez.

-Très bien, parfait.

Il s'éloigna avec le combiné pour prendre la commande, sous l'œil effaré de Miles, qui tentait visiblement de comprendre comment il pouvait communiquer via ce boitier d'apparence anodine.

-D'accord, là ça devient étrange.

-C'est un téléphone, expliquai-je patiemment alors que Simon levait les yeux au ciel. Ça permet de parler à quelqu'un qui lui aussi a un téléphone, peu importe où il se trouve.

-Mais comment vous arrivez à faire ça sans magie ?

-On a notre propre magie et ça s'appelle l'électricité. Et détends-toi, Alex ne va pas te manger.

Un sourire crispé fleurit sur les lèvres de Miles. Alexandre revint un instant plus tard et commença de façon posée en nous demandant comment avait été le début de notre année. Après avoir copieusement – et chacun d'entre nous – cracher sur Dolores Ombrage, Miles parut se tranquilliser et s'installa plus confortablement dans le fauteuil, une bièraubeurre à la main. Alexandre avait goûté la mienne, puis grimacé en décrétant que c'était trop sucré et pas assez fort, « un alcool pour les bébés ». Il prit des nouvelles d'Isabel MacDougal, l'autre petite sorcière de Terre-en-Landes, et s'enquit sur mon premier match de Quidditch.

-Bah je l'ai gagné, lançai-je sur le ton de l'évidence, moqueuse. Ce n'était pas facile et j'ai cru que j'allais tuer un de mes joueurs, mais on a fini par gagner.

-Et toi ? enchérit Alexandre en se tournant vers Miles. Tory m'a dit que tu jouais au Quidditch aussi – gardien comme elle ? Tu es aussi capitaine ?

Miles parut se rembrunir un instant, mais ce fut d'une voix aimable qu'il répondit :

-Je ne suis pas capitaine, c'est quelqu'un de ma classe qui l'est, mais oui, je suis gardien. Mais nous on a perdu contre Gryffondor – la faute à notre attrapeur, comme tous les ans ... (il rougit légèrement). Enfin, je ne sais pas si tu vois ce que c'est un attrapeur ou Gryffondor d'ailleurs ...

-Mais si, Tory m'a tout expliqué, assura Alexandre avec un geste de la main. L'attrapeur attrape la balle qui vaut plein de point et met fin au match. Et Gryffondor c'est la Maison des courageux, en gros. Pour les trucs sorciers, je suis au taquet – même si vous avez des alcools de bébé mais ça encore ... Bien ! (il eut un immense sourire en tapant du poing sur la table). Je me suis tenu vingt minutes, ce que je considère d'ors et déjà comme un exploit : passons à la vitesse supérieure ! Je veux tout savoir de toi, mon gars – y compris des trucs que Tory ne sait pas encore, et s'il faut que je mette Simon et Susan sur le balcon se sera avec plaisir.

-Ne te donne pas cette peine, maugréa Simon alors que Miles blêmissait.

Je fusillai Alexandre du regard, mais ça ne parut pas un seul instant modérer son enthousiasme. Il commença par la famille – les deux sœurs de Miles, des parents qui avaient été eux aussi à Serpentard, un grand-père éleveur de chouette. Le moment concernant la profession des parents de Miles fut pénible et je ne pus m'empêcher de remarquer qu'il jetait des regards à la dérobée en direction des Bones, dont la famille était prestigieuse en raison de leurs membres hauts-placés au département de la Justice Magique, notamment. En comparaison, le père de Miles était secrétaire dans une branche peu connue du Ministère et sa mère s'était toujours occupée de ses enfants. Bien sûr, Alexandre ne prêtait aucunement attention à ce genre de détail et ils étaient même ceux qui l'intéressaient le moins, mais le complexe d'infériorité dont souffrait Miles me semblait criant. Mais il fut écarté par l'embarras quand Alexandre finit par lui demander combien de petite-amie il avait eu avant moi, et Miles faillit s'étrangler dans sa bièraubeurre. Je fronçai les sourcils, me rendant soudainement compte que c'était une information que je n'avais pas, et jetai un regard curieux à Miles.

-Alors ? insistai-je malicieusement. Promis, je m'en fiche.

-Une, finit-il par répondre, les joues écarlates. Camilla Farley, en cinquième année, et ça a duré deux mois. (Ses yeux pétillèrent soudainement et il posa les yeux sur moi). A ton tour ?

Je haussai les épaules, nullement gênée. La réponse serait rapide.

-Aucun.

-Vraiment Tory ? s'étonna Alexandre, les paupières plissés. Même pas un petit bisou quelconque à quelqu'un ?

Je secouai négativement la tête, un petit sourire aux lèvres. Globalement, les garçons m'avaient assez peu intéressé et mon manque s'expérience ne m'embarrassait pas dans la situation présente – ce serait différent une fois seule avec Miles, bien sûr, mais je n'avais aucune honte à avouer que je n'avais jamais eu personne avant lui. Alexandre se tourna alors vers Simon, qui écarquilla les yeux d'horreur. Il pointa un doigt sur Miles.

-C'est lui qu'on cuisine, pas moi !

-Je suis l'hôte, je décide. Balance tout mon petit crapaud, combien de filles ont fait céder tes beaux yeux ?

Susan pouffa dans son coin et son frère la foudroya du regard, indigné qu'elle le lâche si facilement. Discrètement, je fis signe à mon frère de ne pas interroger la jeune fille et il m'indiqua d'un geste de la tête qu'il avait compris. Miles parut rassuré de ne pas être la seule cible des interrogations d'Alexandre et moi-même j'attendais la réponse de Simon avec amusement.

-Il y a eu Octavia pendant quelques mois, comptai-je en levant un doigt.

-Un des plus grands mystères de Poudlard, commenta Miles à mi-voix, s'attirant le regard noir de Simon. Non, je suis désolé, mais Octavia et toi ... à l'époque, on va dire que ce n'était pas intuitif.

Simon leva les yeux au ciel et pour toute réponse, il vida sa bouteille de bièraubeurre, puis se leva pour se servir dans le frigo. Alexandre rivait un regard intrigué sur sa nuque, et poursuivit :

-Mais du coup à part cette fille, personne ?

-Non, répondit-t-il à contrecœur en revenant avec une bouteille de bière. Et si la prochaine question c'est « est-ce que tu as quelqu'un en vue », la réponse est la même.

-Vous êtes pas drôle, se plaignit Alexandre. Quoi, pas d'histoire croustillante à raconter ? (Il se pencha sur Susan). Je sais que tu sais tout et que tu vois tout, Susie-jolie. Vas-y, balance à tonton Alex.

Mais Susan demeura coite, un sourire énigmatique aux lèvres et Alexandre dut s'incliner. Elle était peut-être celle qui devait avoir le panel le plus large d'information, car il était facile de se confier à elle et surtout, elle était d'une loyauté à toute épreuve. Celui qui pouvait arracher un secret à Susan Bones n'était pas né. Alexandre voulut lui proposer une bière – sans doute dans l'espoir que l'alcool la ferait parler, mais Simon protesta vertement sans laisser le temps à sa sœur de répondre. Alexandre poussa un soupir à fendre l'âme et s'appropria la bière.

-Entre nous, de grand frère à grand frère, tu n'es pas dans le bon. Je veux dire, c'est naturel de vouloir protéger une fille aussi adorable et innocente que Susie-jolie, mais si elle voit que tu désapprouves toute expérience, elle les fera dans ton dos et tu seras incapable de la protéger, et de la gérer. Pourquoi tu crois que j'ai voulu être là quand Vicky et toi avez pris votre première cuite ?

-Excuse-moi, qu'est-ce que tu as gérer ce jour-là ? répliquai-je, mutine. Parce que si je me souviens bien, j'ai dû vous ramener tous les deux parce que j'étais la plus lucide !

-Je n'avais pas prévu que tu tiennes si bien, admit Alexandre en haussant les épaules. Surtout avec ta corpulence ...

-Qu'elle tienne ? se récria Simon, incrédule. Il lui faut deux bières pour partir !

J'attrapai un coussin pour lui jeter à la figure, renversant au passage une bouteille vide qui teinta contre le parquet avant de rouler jusqu'au mur. Simon voulut me renvoyer le coussin mais Alexandre l'attrapa, sans doute pour éviter des dégâts dans son appartement.

-Ravi que ce soit toujours la guerre entre vous, mais je ne tiens pas à passer la nuit à ranger. Et oui, Simon, elle tient et beaucoup mieux que toi : d'accord, elle est très vite joyeuse, mais elle reste très longtemps au stade de joyeuse quand toi tu passes par toutes les étapes. Ce qui fait qu'on quantité d'alcool équivalentes, tu seras malade et pas elle. Au fait ! (il pivota vers Miles, resté silencieux). Première cuite ?

Miles fronçait les sourcils, et je remarquai qu'il nous jetait des regards déroutés et incrédules.

-Euh. Jamais ?

-Non ! intervins-je alors que le sourire d'Alexandre s'agrandissait. Non, non, tu le laisses tranquille !

Fort heureusement, le son de la sonnette sauva Miles, et lorsqu'Alexandre descendit chercher les pizzas, je me précipitai pour ranger les bouteilles d'alcool fort dans le frigo avant qu'il ne vienne à l'idée de mon frère de faire boire mon petit-ami. Miles me suivit jusque dans la cuisine et je lui adressai un sourire tenu.

-Ça va encore, ou il est vraiment pénible ?

-On va dire que ça va parce que j'ai l'impression qu'il est pénible avec tout le monde, répondit Miles. Tu t'es vraiment déjà retrouvée bourrée ?

Mon sourire se fit gêné et je rangeai la vodka qu'un Alexandre optimiste avait sortie.

-Il y a plein de chose que tu ignores sur moi. Mais du coup, oui.

-Je n'aurais jamais pensé, avoua Miles, surpris. Je veux dire, tu fais ... « fille sage », si on veut, c'est difficile de croire que tu puisses boire de l'alcool.

-Et ça te dérange ?

Miles haussa les épaules sans répondre, et je n'insistai pas d'avantage. Il était vrai que je me laissai plus aller chez moi qu'à Poudlard, et qu'il n'avait pu qu'observer la fille studieuse dont les pires méfaits étaient d'aller piller les cuisines : il ne connaissait pas la gamine de Terre-en-Landes qui avait lancé des œufs sur l'épicerie de Mrs. Fisher ou qui avait fumé sa première cigarette en cachette derrière l'église Saint-Edward après l'office. J'ignorais si je voulais qu'il connaisse un jour cette fille, mais ce que je comprenais, maintenant que je le voyais si gêné à l'idée que je puisse boire, c'était que lui n'était pas prêt à la connaître. Ça ne me dérangeait pas, dans la mesure où cette fille appartenait à Terre-en-Landes et qu'il aurait étrange qu'elle apparaisse devant Miles, aussi la Victoria de Poudlard sourit-t-elle à son petit-ami et se dressa sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue.

-C'est gentil d'être venu. Je sais que ce n'est pas facile parce que tu es dans un environnement inconnu et qu'Alex est .... Alex, mais ... c'est gentil.

-Humm, marmonna Miles en passant un bras autour de ma taille pour m'attirer à lui. J'avoue que j'ai du mal à comprendre vos relations. Pour le coup, je suis plutôt comme Bones : si je peux éviter à Cora et Felicity de boire de l'alcool, je le ferais.

-C'est Alex. Il n'est pas parfait, mais c'est mon frère. Mes parents sont plus classiques.

-Mais ils n'aiment pas la magie. Ta famille est compliquée.

Mais pour atténuer la remarque, il m'embrassa sur le sommet du crâne, mais s'écarta d'un bond quand Alexandre revint, levant par-dessus sa tête des pizzas triomphantes. Nous nous installâmes à même le sol, avec pour seules assiettes les serviettes que mon père avait ramenées et comme couverts nos dix petits doigts. Sa curiosité satisfaite, Alexandre revint à des sujets plus classiques : il nous parla de sa relation avec Mel, qui se passait si bien qu'ils envisageaient d'emménager ensemble (je faillis me précipiter sur lui pour l'étrangler) et qu'elle viendrait sans doute à Noël (je m'étranglais d'indignation et avalai de travers un morceau de poulet). Son travail se passait bien, et il était ravi de pouvoir bénéficier d'une augmentation pour janvier prochain. Le climat s'était apaisé avec les sujets brûlants, et les boite de pizza étaient vides. Susan parlait même de ses révisions pour ses BUSEs avec Miles quand Alexandre s'approcha de moi et de Simon pour mettre une question sur la table à laquelle je ne m'attendais pas. Son visage était d'une gravité inhabituelle.

-Mais au fait. Euh. On en est où avec Vol-de-machin ? Je veux dire, il ...

-Chut ! le coupa précipitamment Simon.

Mes yeux s'écarquillèrent et je jetais un regard furtif à Miles, qui discutait toujours avec Susan.

-On en parlera après, lui promis-je avec un sourire crispé. C'est assez compliqué ...

Alexandre fronça les sourcils, l'air surpris et lorgna à son tour Miles et Susan, comme s'il comprenait que le problème se situait par là. Il se leva d'un bond, prit quelque chose dans son tiroir et l'agita sous mon nez. Je soupirai en passant une main sur mon visage.

-Non, pas envie ...

-Moi, si, rétorqua Alexandre en plantant une cigarette au coin de sa bouche. Et je déteste fumer seul, alors hop ! On se lève et on m'accompagne sur le balcon – oui mon petit crapaud, toi aussi.

J'échangeai un regard avec Simon et nous finîmes par nous extirper de nos fauteuils respectifs pour suivre Alexandre dehors. Son balcon était petit, étroit et pouvait à peine nous contenir tous les trois mais avait le mérite d'exister et de nous couper du reste de l'appartement une fois la baie-vitrée fermée. Alexandre alluma l'extrémité de sa cigarette, en tira une bouffé et recracha le nuage de fumée qui alla de se perdre dans les méandres de la ville.

-Bon alors, pourquoi c'est compliqué ?

Ce fut fastidieux, mais nous parvînmes à lui faire comprendre la position du Ministère concernant le retour de Voldemort, position qui influençait l'immense majorité des sorciers de Grande-Bretagne. Alexandre nous écouta sans un mot et sa cigarette était à moitié consumée quand il lâcha d'une voix neutre :

-Et donc Miles n'y crois pas ?

-C'est ça, conclus-je, mortifiée. Mais c'est le cas d'énormément de personne dans l'école, tu sais et ...

-Attends. Ton meilleur ami a été tué par ce gars, et tu laisses ton copain nier son retour ?

Le regard gris d'Alexandre flamboyait quelque peu d'un éclat menaçant. L'été dernier, je ne lui avais rien caché du retour de Voldemort et de sa nature – comment mon monde risquait de changer si jamais il prenait le pouvoir et appliquer ses mesures contre des gens comme moi. Cela ne me surprenait absolument pas que compte tenu des dangers que j'encourrais avec la présence d'un tel sorcier, il soit indigné que Miles ne fasse rien contre cela. Mais je ne m'attendais pas à cet argument, et j'eus l'impression qu'un poing invisible me heurtait l'estomac.

-Je t'ai bien soutenue toute ma vie alors que tu étais infect avec les parents, répliquai-je néanmoins. Et j'ai soutenu maman alors qu'elle était parfois injuste avec toi ...

-Ce n'est pas ...

-Si, Alex, c'est pareil ! Chaque fois, c'est une question du fait que je ne veux pas voir mon monde éclater sous prétexte qu'il y a des conflits auxquels je ne peux strictement rien ! J'ai essayé de maintenir la paix entre toi et maman, mais chaque fois que je passais l'un d'entre vous ruiniez tous mes efforts, alors la seule chose que je pouvais faire pour maintenir l'équilibre c'était d'être là pour l'un comme pour l'autre et de vous gérer individuellement – si je prenais parti, je déchirais la famille. C'est pareil ici. J'aurais beau hurlé à Miles que Voldemort est de retour ... – Simon, remets-toi tu es ridicule, soupirai-je quand il sursauta au nom du Mage Noir. Bref il ne m'écoutera pas. Tant que rien ne le prouvera, sa position ne bougera pas et la mienne ne bougera pas. Alors pourquoi je m'échinerais ? J'ai autre chose à faire de mon énergie que de me battre contre Miles.

-Alors pourquoi tu ne le quittes pas ? Qu'on se le dise : il a l'air sympa, je n'ai rien contre lui et de ce que j'ai pu constater il a l'air de bien de traiter, ce qui est pour moi le principal. Mais ... Si tu n'as pas d'énergie à perdre avec ça, alors pourquoi tu te l'infliges ?

Je me mordis la lèvre, indécise sur les mots à employer. Le regard gris d'Alexandre était rivé sur moi, moins agressif, plus intrigué, et Simon s'était accoudé silencieusement à la rambarde, les yeux perdus dans la nuit. Je m'adossai à la baie vitrée avec un soupir.

-Parce que préfère garder mon monde intact plutôt que de ne battre bec et ongle, avouai-je en haussant les épaules. Parce que Voldemort m'a déjà arraché Cédric et ... je n'ai pas envie qu'il ne prenne Miles non plus.

Alexandre me contempla longuement, sans un mot, les restes calcinés de sa cigarette au coin de la bouche. Le mégot rougeoya une dernière fois avant qu'il ne l'écrase contre la rambarde et ne le jette dans la nuit. Il en sortit une nouvelle qu'il alluma prestement pour cracher un nouveau panache de fumée malodorante.

-Et toi, Sim' ? Tu en penses quoi ?

Simon eut un vague mouvement d'épaule, les yeux fixés sur les voitures qui défilaient en contre-bas. Il resta un long moment coi, comme s'il pesait ses mots soigneusement, avant d'entonner d'un ton neutre :

-Je pense que Vicky a toujours été d'une patience incommensurable qui me dépassera toute ma vie – et elle a eu besoin pour supporter votre famille. De toute manière, un jour, Tommy – le Mage Noir – se montrera, et ce jour-là, elle aura encore Miles et pourra se pavaner pendant des semaines parce qu'elle aura eu raison et pas lui. Donc si elle sait gérer ça ... elle le gère comme elle veut.

-Ce ne sera pas une gloire d'avoir eu raison, protestai-je vertement. Le jour où Tommy fera son apparition, je pense que j'aurais d'autres motifs d'inquiétude que de me « pavaner » devant Miles ...

Simon inclina la tête, comme pour me donner raison. Ses traits s'étaient figés à la mention du moment où Voldemort se promènerait en plein jour. Alexandre parut sentir sa tension car il tendit sa cigarette à Simon, qui refusa d'un signe de main. Faute de quoi, il pivota vers moi, un sourcil dressé. Maugréant contre ma faiblesse, je pris le mégot entre mes doigts et en tirer une bouffé qui me brûla mes poumons, mais qui une fois la fumée répandue dans la nuit, détendit mes muscles et apaisa les battements effrénés de mon cœur.

-On va dire que je comprends, céda Alexandre en récupérant sa cigarette. Mais qu'est-ce qu'il attend, votre Mage Noir, pour se montrer au grand jour ?

-De recouvrer ses forces, évalua sombrement Simon. De réactiver tous ses réseaux, de rassembler ses alliés et d'être sûr d'avoir une puissance nécessaire pour faire face au Ministère ... et à Dumbledore.

-Notre directeur, explicitai-je à Alexandre. Un grand sorcier, même s'il est vieillissant.

Je pinçai des lèvres, gênée par les éléments que Simon venait d'énumérer. N'y tenant plus, je pris la cigarette des doigts de mon frère et ignorant ses protestations, je la portais à mes lèvres pour en aspirer les vapeurs brûlantes.

-Ses alliés, répétai-je, songeuse. Les Mangemorts, donc ? Mais ... ils ne sont pas tous à Azkaban ? La prison des sorciers, précisai-je à mon frère.

Simon secoua la tête et ses lèvres se déformèrent en un pli amer.

-Pas tous, non. Certain ont su passer entre les mailles du filet – tu te souviens de Karkaroff, par exemple ? Et puis il y a tout ceux qui ont plaidé le fait d'avoir été ensorceler et qui ont persuadé le Ministère qu'ils avaient été soumis à l'Imperium – le père Malefoy est du lot.

-Mais ceux-là il les a sous la main, insistai-je en laissant tomber quelques cendres dans la nuit. Et il ne se montre pas. C'est qu'il attend les autres, non ? Ceux qui sont allés à Azkaban pour lui, et qui sont gardés par les Détraqueurs.

Simon parut enfin comprendre où je voulais en venir, car je le vis pâlir sous ses tâches de rousseurs. Cela avait été l'un des premiers avertissements de Dumbledore : les Détraqueurs étaient des créatures d'obscurité, et par conséquent des alliés naturels de Voldemort. Que se passerait-il si un jour elles ralliaient véritablement le camp du Mage Noir ? Qu'adviendrait-il de tous les prisonniers sous leur responsabilité – et de tous ses Mangemorts ? Sirius Black, l'un d'entre eux, avait bien réussi à leur glisser entre les doigts alors même qu'il était recherché par une horde de Détraqueurs, mais si ceux-ci désertaient leur poste ...

-Fudge est le pire est imbécile, jura Simon, livide. S'il laisse Azkaban sans surveillance ...

Il laissa sa phrase en suspend et le reste de son souffle alla de perdre dans l'immensité de la ville, se cristallisant un panache de fumée blanche. Il régnait dehors un froid glacial qui semblait s'intensifiait alors qu'on parlait de ses créatures, et je resserrais mes bras sur moi pour garder ma chaleur corporelle. Je tirai une nouvelle bouffée de la cigarette avant de la rendre à Alexandre, et m'efforçai de lui sourire.

-Mais ne t'inquiète pas, je te tiendrais au courant. Tant que je suis à Poudlard, tout ira bien.

Alexandre eut une moue inquiète, et continua de me fixer sans un mot. Puis il soupira profondément et scruta la nuit sans l'ombre d'un sourire sur le visage. Sa cigarette n'était pas finie, pourtant il l'écrasa sur la rambarde et la jeta par-dessus le balcon.

-De toute façon, qu'est-ce que j'y pourrais moi, contre une baguette magique, fit-t-il remarquer avec amertume. Il aura le temps de faire quoi, votre Vol-de-quelque-chose si je fonce sur lui avec une clef à molette ?

-Alex, soufflai-je en posant une main sur son bras, la gorge serrée. Je t'assure, ça ira.

Je n'étais absolument pas certaine de ce que j'affirmais, mais Alexandre avait malheureusement raison : quoi qu'il advienne, il ne pourrait pas changer les choses, et cela le frustrait tant qu'un muscle tressautait nerveusement sur sa joue, trahissant sa contrariété. Sa bouche se tordit, et il ébouriffa les épis blonds de Simon.

-Bon, on va dire que je te délègue mes pouvoirs, mon crapaud – pour le grand sorcier comme pour le petit assis dans le salon. (Il posa une main sur la poignée et rouvrit la baie vitrée). Vous venez ?

Je voulus lui emboiter le pas, mais Simon me retint soudainement par le bras. Je lui jetai un regard surpris alors qu'il disait à Alexandre :

-Vas-y, on arrive tout de suite.

Alexandre haussa les sourcils, mais rentra sans faire le moindre commentaire, malgré un œil insistant planté sur moi. Je l'entendis crier un claironnant : « Miles, tu veux goûter une vraie bière ? » et avant d'entendre la réponse, je pivotai vers Simon, les sourcils froncés. Il m'avait lâché et s'était à nouveau accoudé à la rambarde, les yeux scrutant l'horizon avec un certain intérêt.

-Quoi ?

-Rien. Je me demandais juste par où il fallait aller pour aller chez tes grands-parents.

Mon visage s'empourpra si fort que je fus ravie d'être dehors pour que la nuit masque ma rougeur et que la brise glaciale rafraichisse mes joues. Je me pris la tête entre les mains et constatant que mon cœur battait à un rythme erratique, je rentrai piller une nouvelle cigarette à mon frère. Rougissant de plus belle devant le regard presque choqué de Miles, je me dépêchai d'empocher le briquet et de ressortir, savourant l'air froid qui vint baisser ma température corporelle.

-Whao, lâcha Simon quand je l'allumais la cigarette que j'avais coincé au coin de ma bouche. Ecoute je sais que ça te stresse mais ... trois clopes en cinq minutes ?

-Ça va j'ai pris deux taffes à Alex, râlai-je en recrachant ma fumée. Et Portishead c'est plus loin, sur la côte. Mon grand-père a toujours voulu vivre en bord de mer.

La phrase était prononcée avec un arrière-goût d'amertume qui emplit ma bouche. Pour le faire passer, je pris une nouvelle bouffée qui fit froncer le nez de Simon.

-On est obligé de parler de ça maintenant ? marmonnai-je avec un soupir.

-Bien, comme je me disais que tu irais demain ...

-Demain ?!

Les lèvres de Simon se tordirent et il noua ses doigts, paume contre paume, en un geste nerveux. Dehors, la lumière des réverbères tremblotait contre les immeubles et jetait un éclairage froid sur les rares passants qui bravaient le froid. Un couple se baladait, et le garçon avait emmitouflé la fille dans un pan de son manteau pour la serrer contre lui.

-Oui, demain. C'est Noël dans quatre jours, Vicky ... Demain, ça en fera plus que trois. Quoi que tu apprennes, je pense que trois jours c'est un temps correct pour l'assimiler, non ?

Je déglutis, rendue silencieuse par sa logique implacable. Il m'était impensable d'aller confronter mon grand-père une veille de fête, et de garder toute ma rancœur et mes ressentiments pendant le repas. Pourtant, je n'avais pas songé que ce jour arriverait si tôt et mes entrailles se nouèrent douloureusement. Je tirais puis recrachai ma fumée sans extirper la cigarette de mes lèvres.

-Mouais. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle.

-Encore une fois heureusement que je suis là pour penser à ta place, soupira Simon en secouant la tête. Comment tu le sens ?

-Euh. Mal ?

Un petit rire secoua Simon et il s'éloigna de la rambarde, les mains y restant agrippée pour étirer son corps.

-Je me doute. Et je vais t'avouer un scoop, il y a de grandes chances que ça se passe mal et que tu apprennes des choses que tu regretteras toute ta vie d'avoir entendue. Mais il faut que tu les entendes, il faut que tu sois certaine sinon ... Tu n'arrêteras jamais de te poser la question, et réfléchir à tous les scénarios possibles ... Tu parlais d'énergie perdue tout à l'heure, et crois-moi, je pense que ce sera épuisant.

-Qu'est-ce que tu en sais ?

Simon me toisa d'un regard oblique, de ses yeux d'un vert que, comme ceux de Susan, la nuit rendait d'émeraude et aspirait toute trace de clarté et de lumière. Mais j'avais en plus l'impression qu'à l'instant, ses prunelles avaient également pris la dureté et la froideur de la pierre et qu'elles étincelaient de la même lueur glaciale et dangereuse.

-Je dis ça pour toi, lâcha-t-il avec raideur. Après si tu veux passer tes fêtes à ruminer et à t'angoisser, ce sera ton problème, mais surtout ne viens me voir après en pleurant.

Je m'étonnai du ton glacial de Simon et je le contemplai, à la fois surprise et vexée. Son visage s'était de nouveau figé en un masque de froide impassibilité. Alors que le silence se faisait entre nous, lourd et gênant, je me rendis compte, penaude, que je m'étais peut-être un peu trop appuyée sur Simon pour me décharger émotionnellement sur cette affaire, comme il était le seul au courant – sans doute un peu trop. Je pouvais parfaitement imaginer que mes confidences et mes peurs permanentes devaient parfois être lourde à porter pour Simon, qui avait ses propres croix. Devoir supporter mes jérémiades pendant les fêtes de noël, où nous étions censés décompressés de toutes les tensions accumulées à l'école, devait être la dernière de ses envies. Je baissai le nez sur les voitures en contre-bas, la cigarette fumant passivement entre mes doigts.

-Désolée, laissai-je échapper, un peu honteuse. Je ne t'embêterais plus avec ça, t'inquiète.

Simon ne réagit pas dans un premier temps, scrutant la nuit sans un mot. Puis il exhala un soupir qui se cristallisa en un panachée blanc et me surprit en passant une main sur mon dos.

-Arrête, Vicky. Je ne dis pas que tu dois arrêter de m'en parler. C'est normal que tu en parles, et je préfère ça au fait que tu intériorises tout et tout me prendre dans la figure à la puissance dix. Mais il faut que tu agisses par Merlin et que tu arrêtes d'angoisser dans ton coin, c'est complétement contre-productif, et ça te ronge plus qu'autre chose. Ce ne sera sans doute pas agréable mais au moins ... Tu sauras. Et tu arrêteras de gamberger – et rien que ça, ce sera un gain incroyable.

La main de Simon s'était figée quelque part au creux de mon dos, rassurante sans être pressante. Sans que je ne le veuille, un filme de larme embua ma vue et levai le visage pour les refouler, battant désespérément des cils. Mon monde était déjà bien assez bousculé, sans dessus-dessous, depuis la tempête qui avait soufflé l'été dernier ses vents assassins. Ma famille avait gardé son équilibre, et l'idée de devoir mettre fin à cette balance précaire me terrorisait. Simon parut percevoir mon trouble car il se rapprocha un peu de moi et je laissai aller ma joue contre son épaule, à bout de souffle. Entre mes doigts, la cigarette avait fini par s'éteindre et une désagréable odeur de tabac froid flottait dans l'air.

-Tu pourras m'accompagner ? demandai-je d'une voix étranglée. Pas complétement ... juste jusque la porte. Histoire d'être sûr que j'arrive à y aller.

Simon ricana et frotta le sommet de mon crâne avec une certaine condescendance qui acheva de m'apaiser.

-Je t'avais prévenu que je t'y amènerais par la peau des fesses s'il le fallait. Il faut croire que ce sera le cas. Maintenant que c'est acté, si on allait retrouver ton copain qui se fait sans doute martyriser par ton psychopathe de frère ?

-Oh, Seigneur, gémis-je avec un rire étouffé. Quelle idée j'ai eue ...

-Ce n'est pas ta meilleure, admit Simon d'un ton plus sarcastique. Mais en temps que spectateur, c'est assez drôle à regarder ...

-Je vais aller mettre sur la table jusqu'où tu as été charnellement avec Octavia McLairds, on va bien voir si tu rigoles longtemps ! me moquai-je avec un semblant de sourire espiègle.

La menace fit mouche, car les joues de Simon devinrent écarlates et il s'écarta de moi d'un bond, les yeux écarquillés par l'horreur.

-Sérieusement ? Mais ... non mais sérieux, est-ce que te pose ce genre de question ?!

-Pourquoi ? Tu veux savoir ?

J'ignorais que Simon était humainement capable de rougir si fort : son visage avait une délicate teinte de cramoisie et je sentais de ma position la chaleur émaner de ses joues. J'étais d'ordinaire réservée sur ses questions, mais je savais qu'elles étaient carrément taboues pour Simon, si bien qu'elles étaient peut-être l'unique moyen de lui rabattre son caquet. Il couvrit ses oreilles de ses paumes, horrifié.

-Mais non ! Jamais, surtout jamais !

-T'es vraiment un bébé.

-Mais toi aussi ! Enfin, je veux dire, dans ma tête, dans ma tête on est encore des enfants, et les enfants ça ... tu ne ... Argh ! (il prit son visage écarlate entre ses mains). Par les chaussettes de Merlin, pourquoi on parle de ça ?

-Ce ne serait pas plutôt par le « caleçon » de Merlin, plutôt ?

-Victoria !

J'éclatai de rire, laissant échapper les dernières traces de tensions dans la nuit, laissant aller mon front contre l'épaule de Simon le temps de me calmer. Puis je le pris par le bras, le forçant à dégager son visage rougi par l'embarras et ouvrit la baie vitrée pour crier à la volée :

-Alex ! Faut qu'on fasse boire Simon pour qu'il parle ! 

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