I - Chapitre 25 : Dette de sang


Vous avez de la chance que je sois faible et que j'ai énormément besoin de me changer les idées ahah DONC VOILA LE CHAPITRE. Bon, c'est pas un cadeau, c'est le gros chapitre horrible que j'ai peur de poster depuis que je l'ai écris, vous me direz ce que vous en pensez ! 

Pour les rares qui lisent ma fanfiction Percy Jackson La Cour des Miracles : J'ai mis un gros coup de coller et mon objectif c'est de la finir avant l'été donc je vais trop tarder à reposter des chapitres DONC je ne serais que trop vous conseiller de la relire ahah. 

Bonne lecture, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ! 

(Désolée, j'ai pas répondu à vos commentaires du précédent chapitre, mais j'ai pas de wifi et d'électricité là où je suis et surtout j'ai eu une semaine mouvementée ...) 

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En fait, il n'y a que trois dénouements possibles - n'est-ce pas? - pour une histoire : la vengeance, la tragédie ou le pardon. C'est tout. Les histoires se dénouent toutes ainsi. 

- Jeanette Winterson

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Chapitre 25 : Dette de sang.

-Enervatum.

Le mot était murmuré, d'une voix si faible que j'étais persuadée qu'il était l'effet de mon imagination. Pourtant l'effet se disperser dans chaque fibre de mon corps, les ondes magiques s'infiltrer dans mon sang, parcourir mes nerfs de synapses en synapses, toucher mes terminaisons nerveuses, remontrer jusque mon cœur et mon cerveau pour m'adresser un unique message : « réveille-toi ».

Mes paupières s'ouvrirent d'un coup, et que la faible lumière qu'il y avait m'agressa la rétine. Paniquée, incapable de savoir où j'étais, qui j'étais, je tentai de me redresser. Mais des liens au niveau de l'abdomen et des mains me maintinrent fermement plaquée contre quelque chose de dur. Désorientée, je me débattis vainement, tirant sur mes mains, les liens m'entaillant méchamment la peau des poignets. Mes jambes moulinaient dans un amas de feuilles et de brindilles, et mon cœur cognait si fort contre ma poitrine que son battement emplissait tout mon espace auditif. J'aurais voulu hurler, crier à m'en écorcher la voix, mais le cri restait coincé dans ma gorge. Quelque chose effleura ma jambe, et je m'immobilisai net, paniquée.

-Calme-toi. T'agiter ne servira à rien.

La voix m'était familière. Affreusement familière. Malgré mes sens qui me hurlaient de me débattre, d'arracher les liens et courir, je pris plusieurs grandes inspirations pour me calmer. Remplir mes poumons d'air, inhaler cette d'odeur d'humus et de danger inexplicable, et tout exhaler en retour toute mon angoisse et mon incompréhension fut ma seule mission dans les minutes qui suivirent. Peu à peu, mon rythme cardiaque ralentit et mes idées se firent plus claires. Mes yeux s'habituaient à la faible luminosité ambiante. Ce fut ainsi que je pus constater que j'étais à la lisière de la forêt interdite, non loin de la cabane de Hagrid. Terriblement vide, et vide de vie. Je recommençai à m'agiter, la panique me reprenant soudainement quand une voix sourde cingla :

-Arrête ! Tu m'empêches de réfléchir.

Je braquai les yeux sur la voix familière. Une petite silhouette était assise en tailleur face à moi. Une silhouette féminine, à la longue natte de cheveux sombre et aux yeux brillants. Et à l'accent indéniablement étranger. Un accent affreusement familier, mais qui m'évoquait pourtant de bons souvenirs. Les piérogis chaud, le rire éraillé d'une personne âgée, la peau parcheminée effleurant ma joue avec tendresse. Ce fut cela, bien plus que mes séances de respiration saccadées, qui m'apaisa. Je me laissai aller contre le tronc de l'arbre auquel j'étais attachée.

-Kamila.

-Bien joué. Maintenant, tais-toi, et tiens-toi tranquille. Sinon, je te stupéfixies à nouveau.

-C'est difficile de rester tranquille quand on ne comprend pas ...

Ma voix était tenue, méconnaissable, et gardait les traces du cri qui avait refusé de sortir à mon réveil. De fait, même maintenant que mes idées étaient éclaircies, que j'avais conscience de mon identité et de mon environnement, la incertitude restait intacte – tout comme les cordes qui me lacéraient les poignets. Dans une tentative désespérée d'arracher une miette d'information à Kamila, j'essuyai un rire étranglé.

-Alors c'est ça ? Finalement, toi aussi tu détestes les gens comme moi ?

-Tais-toi !

Des éclats durs et courroucés transperçaient la voix de Kamila et elle vrilla sur moi un regard où brûlait un feu qui la consumait depuis que j'avais parlé de Grindelwald, avec elle. Elle avait replié ses genoux contre sa poitrine, et détourna sèchement le regard, comme pour garder contenance.

-Comment tu peux oser, murmura-t-elle, son souffle allant se perdre dans la nuit. Toi, m'accuser de pareilles vices ... Comment oses-tu ?

-Je suppose qu'être stupéfixiée, et attachée à un arbre, c'est suffisant pour oser.

Mon audace venue du fin fond de moi-même me valut d'être mise en joue par la baguette de Kamila. Je louchai sur sa pointe, me pressant contre l'écorce de l'arbre pour mettre le plus de distance entre moi, et sa baguette.

-Si tu voulais que je me taise, il fallait me garder stupéfixiée, poursuivis-je malgré l'éclat presque dangereux dans les prunelles de Kamila. Mais tu m'as réveillée alors je ne sais pas ce que tout ça veut dire, mais je suis persuadée que tu ne veux pas que je me taise.

Kamila maintint sa baguette devant mon visage, le bras tendu, les paupières plissées. J'aurais voulu lire quelque chose sur son visage, le moindre indice, la moindre réponse. Mais je ne vis que ses traits ravagés par la colère, et une indécision poignante qui se lisait dans le tremblement qui agitait la main qui tenait sa baguette. Elle finit par baisser celle-ci d'un centimètre, puis comme je ne disais rien, elle la rengaina. De toute manière, je ne pouvais aller nul part. Crier ? Qui m'entendrait ? Tous étaient regroupés au stade où les champions subissaient la dernière tâche.

Seigneur, Cédric.

-Ecoute, lançai-je, la voix toujours rendue rauque par l'étau qui compressait ma gorge. Bientôt, la tâche s'achèvera. Les champions sortiront du labyrinthe, et peu importe qui aura gagné, qui sortira victorieux, tout le monde remontra vers le château. Je te jure que si je n'ai pas d'explication d'ici là, je hurlerais. Vas-y, stupéfixies-moi ! l'enjoignis-je en la voyant lever la baguette. Oubliette-moi, tue-moi, fais ce que tu veux ! Je n'ai même pas l'impression que tu saches toi-même ce que tu veux !

Et de fait, tout dans sa position repliée et son regard fuyant indiquait que toute duelliste de génie qu'elle était, Kamila était perdue. Alors j'ajoutai :

-Miles va s'apercevoir de mon absence, et si ce n'est pas lui, ce sera Simon, Emily ou Cédric. Qu'est-ce qui se passera après, Kamila ? Quand ils lanceront l'alerte, et que Dumbledore se mettra à me chercher ...

-Dumbledore ne viendra pas ... Il ne s'inquiétera pas d'une petite menteuse comme toi.

-Dumbledore sait que j'ai eu des problèmes cette année, répliquai-je avec plus d'assurance que je n'en ressentais. Dès qu'il verra que c'est moi, il s'inquiétera.

-Des problèmes, ricana amèrement Kamila en rejetant sa tête en arrière. Das vitania...

Un rire éraillé secoua sa poitrine, étouffé comme si les sons s'écroulaient pour retourner dans sa gorge.

-Ah cette école, cracha-t-elle, les yeux levés au ciel. Ce n'est pas pire que Beauxbâtons, mais ils vous maternent tellement que vous laisser l'administration régler vos problèmes à votre place ... J'avais espéré que tu serais un peu plus indépendante que ça, Victoria.

-Comment ça ?

La façon dont elle avait parlé, comme si elle connaissait parfaitement la nature de mes problèmes et qu'elle avait toutes les cartes en main, m'avait interloqué. Plus que ça, en réalité. Mon intuition fut confirmée quand elle tourna le visage vers moi, un rictus sinistre aux lèvres.

-Tu n'as pas compris ? Je t'ai isolée, stupéfixiée, et attachée à un arbre et tu n'as pas pas compris ?

-Que mes problèmes ... c'était toi ?

Son rictus s'élargit, prenant un accent de dépit qui m'embrouillait presque autant que ce que je venais de découvrir. Je n'en croyais tout simplement pas mes oreilles parce que ça n'avait aucun sens. Strictement aucun.

-Les messages sur le cinq novembre ? La potion dans mon sac ? C'était toi ? réalisai-je avec une incrédulité qui frisait l'horreur.

-Qui d'autre ?

-Mais n'importe qui ! (de frustration et d'incompréhension, je tirais sur mes liens et mes poignets crièrent grâce) Quelqu'un qui savait, quelqu'un de malveillant ! Pas toi !

J'avais toujours été assez douée pour jauger les gens, et jamais Kamila ne m'avait paru malveillante. Inquiétante, dure, oui. Mais j'étais persuadée qu'au fond d'elle, elle était une bonne personne.

Et surtout, elle n'était rien censée savoir du cinq novembre.

Kamila resserra sa prise autour de ses jambes, les ramenant un peu plus contre elle.

-C'est facile de savoir, entonna-t-elle avec une certaine satisfaction. Après notre première rencontre, faire une enquête sur toi n'a pas été difficile. Tu es un nom assez connu chez les Serpentards, Gloria Flint s'est faite une joie de me renseigner.

-Mais Gloria ne savait pas ... (je déglutis avec difficulté) C'est Selwyn ...

-Oh lui aussi je lui ai parlé. Mais il était réticent, j'ai dû lui faire boire quelques bièraubeurre et un sortilège de confusion pour lui tirer les vers du nez. Et dieu que ce fut croustillant ... La petite Victoria qui brûle à moitié le visage de son frère ... Et tu viens me parler de malveillance ?

-C'était un accident ! me récriai-je, estomaquée. J'étais une gamine qui entrait dans un nouveau monde, ils m'ont effrayé, ma magie m'a défendue ! C'était totalement accidentel !

Par Merlin, une fois sortie d'ici, je me promettais de mettre la main au collet de Selwyn ... Un futur grand homme comme lui ne devait-il pas se méfier des jolies filles qui voulaient des informations ? Je secouai la tête, tentant de maintenir mes idées en place malgré le malestrom de pensées qui tourbillonnaient en moi.

-En revanche, ce que tu as fait toi ..., soufflai-je en accrochant son regard. Le feu liquide dans mon sac ... ça aurait pu m'arracher le bras, et je doute que c'était accidentel ... ça, c'est de la malveillance.

-Je ne suis pas malveillante, se rebiffa-t-elle. Tu te moquais de moi, je ne pouvais pas te laisser faire ... Il fallait que je trouve quelque chose, je ne pouvais pas ... laisser passer ça.

-Je me moquais de toi ?!

-Arrête de faire l'innocente !

La puissance de mon incompréhension fut balayée par le cri de Kamila, qui sortait de ses gongs si bien qu'elle s'était dressée sur les pieds. Elle me toisait de toute sa hauteur, et une nouvelle fois, je me pressai contre le tronc, comme pour me soustraire à ses yeux brûlant rivés sur moi.

-Arrête de faire l'idiote, je n'en peux plus ! Chaque fois que tu souriais, que tu riais ... Par Merlin, chaque fois je voulais faire disparaître ce sourire ! Tant d'insouciance, tant d'innocence : tu parles ! Le pire c'était quand tu parlais de ta famille moldue – ta famille moldue ! (Elle se plaqua les mains sur le visage). Ta famille moldue das vitaniaquelle ironie !

-Mes parents sont moldus ! assurai-je, pataugeant dans la perplexité. Je ne vois pas quel est le problème ...

-Mais le voilà le problème ! Tu t'obstines dans ça, c'est pathétique ! Te prétendre née-moldue tout en te disant la petite-fille de Miroslav Lizska ? Attends que j'aille dire ça à ma mère ! Elle t'aurait arraché la langue dès la première rencontre !

Je clignai stupidement des yeux, interdite de voir le nom de mon grand-père surgir ainsi dans la conversation. Le nom qu'elle m'avait demandé avant de me stupéfixier, me souvins-je néanmoins. Plus la conversation avançait, moins les liens étaient clairs dans mon esprit. Kamila se mit à faire les cent pas devant moi, de plus en plus agitée.

-Miroslav Lizska, répéta-t-elle, comme une litanie. Si tu savais combien de fois ce nom a été prononcé chez moi ... J'ai grandi avec ce nom. Chaque fois qu'il était prononcé, un membre de la famille devait trouver une torture à lui faire subir. « Miroslav Lizska – les quatre membres attachés à des sombrals qui iront dans des directions différentes ». « Miroslav Lizska – sortilège Doloris jusqu'à la folie ». « Miroslav Lizska – tuer sa femme ... et estropier sa fille ».

Là dessus, elle planta son regard dans mes yeux horrifiés. J'ignorais ce qui m'épouvantait le plus : les menaces de morts accolées au nom de mon grand-père, ou ce que Kamila venait de sous-entendre avec la dernière phrase. « Tuer sa femme ... et estropier sa fille ». La grand-mère et la mère de Kamila. Je fus soudainement prise de nausée.

-Kamila c'est absurde, déclarai-je en essayant d'avoir l'air raisonnable. Mon ... mon grand-père est un moldu, il a fui la Pologne après la fin de la guerre ...

-Non ! Miroslav Liszka était le fils de Marceij Liszka, le Ministre de la Magie de l'époque et bras armé de Grindelwald en Pologne ! Sa sœur, l'héritière de la famille avec toute sa verve et sa cruauté qui manie Doloris comme une reine, est Dominika Liszka et également notre actuelle Ministre de la Magie ! Son frère aîné Stanislas a tué la moitié des prisonniers politiques enfermés à la chute de Grindelwald de sa propre main ! Et le dernier né, le plus jeune, Miroslav qui a disparu après la fin de la guerre ... Par Merlin, par chez nous on le dit mort ... L'assassin de ma grand-mère ... Mais en arrivant sur les rivages de l'Angleterre je découvre que non seulement il vit encore, mais en plus qu'il a poussé le vice à transmettre ses gènes d'assassins.

Elle me contempla avec un tel dégoût, qui n'égalait pas la moitié que celui dont pouvait me gratifier Gloria Flint lorsqu'elle me toisait. J'étais proprement sonnée par chacun des mots qu'elle m'assénait sur le crâne, les uns après les autres, de façon dure, inattendue, douloureuse. Chaque syllabe me tombait directement sur le cœur, lui donnait de l'énergie pour battre plus vite, et pomper l'adrénaline dans mes veines.

-Mon grand-père ... Kamila, tu dois confondre, tentai-je de la convaincre. Il doit avoir un homonyme, ce n'est pas possible ... C'est un moldu, il ne sait rien de la magie – il ne sait même rien de moi ! Moi sorcière, Poudlard, ma baguette, les crapauds, les balais : il ignore tout ça parce que c'est un moldu !

-Il y aurait donc deux Miroslav Liszka qui ont quitté la Pologne après la guerre ? ironisa Kamila en dressant un sourcil.

Ça semblait absurde, effectivement. Mais ça l'était moins que ce qu'elle racontait. Mon grand-père Miro était un homme adorable, l'unique personne en ce bas-monde qui m'avait donné quelque peu confiance en moi. C'était le genre d'homme qui donnait sa monnaie aux sans-abris avec un sourire bienveillant, et qui faisait chaque année des dons à la Croix Rouge. Quand ma cousine Marta criait à cause d'une araignée, il se répugnait à la tuer, et l'enfermer dans un bocal pour lui rendre ensuite sa liberté. C'était le genre d'homme qu'était mon grand-père. Pas un monstre sanguinaire qui tuerait une femme et estropierait une petite fille.

-Tu ne savais vraiment pas, alors ? s'enquit Kamila, les sourcils froncés. Que ton grand-père venait d'une prestigieuse famille d'assassin ? Que c'était un sorcier ?

-Ce n'est pas un sorcier ! répétai-je obstinément avec la foi du désespoir. Seigneur, en quelle langue il faut que je te le dise ? Tu te trompes de cible, Kamila, lourdement !

Troublée au delà des mots, je me remettais à m'agiter, à tirer sur mes liens. Cette fois, des larmes perlaient à mes yeux, mais je les refoulais d'un battement de cil. J'étais presque certaine que mes poignets étaient entaillés à sang, pourtant je continuais à faire jouer les cordes.

-J'en ai assez, libère-moi ! plaidai-je en levant le visage vers Kamila. Quand bien même – par Merlin, quand bien même mon grand-père aurait tué ta grand-mère ça ne me dit pas ce que je fais ici ! Tu vas me tuer à ton tour ? Œil pour œil ? Ma famille aurait contracté une dette de sang à l'égard de la tienne ?

-Quelque chose comme ça, oui.

Elle avait à nouveau levé sa baguette, et pour la première fois je vis l'ombre de la mienne dans sa poche. Je me débattis dans mes cordes, l'esprit complétement perdu quelque part entre la volonté de trouver un sens à tout ça, et la survie. Ma baguette était si proche, si proche ... Pourquoi un sorcier était-il si démuni sans sa baguette ?

-C'est ridicule ... ridicule ...

-Pas tellement, souffla Kamila en s'approchant de moi d'un pas. Je te le dis, Victoria, j'ai grandi avec le nom de ton grand-père gravé au fer rouge dans mon esprit, souffrant des conséquences de ses actes monstrueux. Vous nous avez enlevé quelqu'un sans en payer les conséquences, mais ce n'est pas ça la justice ! Au bout d'un moment, la justice renait de ses cendres, au moment où tu l'oublies ... Tu sens son souffle sur ta nuque ?

Je compris alors ce qui donnait autant d'intensité au regard de Kamila : un voile de larme embué sa vue, amplifiant les émotions que véhiculaient son regard. Des étincelles jaillissaient par intermittence de la pointe de sa baguette, trahissant son trouble et l'impatience qu'elle avait à agir.

-C'est la solution qui avait prévalu, chez moi. Tuer sa femme. Estropier sa fille. Je n'ai ni l'une, ni l'autre, mais je t'ai toi. La petite-fille de Miro ... contre la petite-fille d'Agata.

-Non, à la merci de la petite-fille d'Agata, rectifiai-je en donnant un coup de pied dans le vide. Tu m'as attachée et privé de baguette. Ta grand-mère au moins a eu la chance de se battre au moins avant de mourir.

Le sortilège fusa si vite que je ressentis la douleur avant même d'avoir conscience d'avoir été touchée. Je tentai de porter ma main à ma joue soudainement brûlante, mais mes liens m'en empêchaient. Je sentis un filet de sang couler de la plaie que le sortilège venait d'ouvrir sur ma peau.

-Tais-toi, haleta Kamila, les yeux lourds de larmes qui menaçaient de couler. Comment oses-tu parler d'elle ...

-Tu as fait coulé mon sang, fis-je remarquer, le souffle rauque. Ça suffit, maintenant ...

-Non ... Non, justice doit être faite ...

-Ce n'est pas de la justice, c'est de la vengeance ! Et si tu tenais réellement à l'accomplir, tu m'aurais tuée dès que tu as su comment s'appelait mon grand-père ! Tu aurais dû me tuer chaque fois que tu me croisais, chaque fois que je souriais puisque ça t'horripilait ! Même maintenant ! Par Merlin si justice doit être faite alors pourquoi je suis encore vivante ?!

Les derniers mots étaient criés à m'en écorcher la voix, mais ils raisonnèrent longuement de façon lugubre dans la forêt, sans âme qui vive pour les entendre. Si ce n'était Kamila, qui avait laissé les larmes couler sur ses joues pour libérer son regard déterminé. Sur mon visage aussi les larmes abondaient, ruisselant sur la plaie fraiche et attisant la douleur, se mêlant au sang pour répandre un goût de sel et de fer dans ma bouche.

-Parce que j'hésitais, avoua Kamila d'une voix morte. Mais je ne dois plus hésiter, à présent, c'est l'honneur de ma famille qui est en jeu ...

-Kamila ... Ne gâche pas ta vie pour des fantômes ...

-Ma vie ne sera pas gâchée. Tu penses que le diplôme de Durmstrang, cette école répugnante m'importe ? Non ... Je te tuerais, et je retournais chez moi. J'irais sur la tombe de ma grand-mère pour lui dire que j'ai rétabli l'équilibre, et que la dette est payée.

Elle resserra sa prise sur sa baguette, et planta son regard sombre dans le mien. Cette fois, je compris que sa décision était prise, et que peu importe les arguments que j'évoquerais, peu importe la vigueur que je mettrais dans mes cris ou l'abondance de larme sur mon visage, elle me tuera. La terreur rendit les choses floues autour de moi – ou bien étaient-ce les larmes qui n'en finissaient plus d'affluer à mes yeux ? Je me débattis mollement, un sanglot coincé dans la gorge, avec l'impression que mon sang avait été remplacé par du plomb. J'aurais voulu la regarder, affronter cette mort toute absurde qu'elle était, mais j'en étais incapable, incapable de faire autre chose que détourner les yeux et pleurer, priant silencieusement que quelqu'un, quelque chose – un centaure, la forêt, ma magie – agisse et empêche Kamila de jeter le sort fatal. J'attendis, pressée contre mon tronc, les yeux clos, avec en tête cette unique pensée qui emplissait mon esprit avec tant de force que j'en étais étourdie.

Par pitié ... je ne veux pas mourir ... Seigneur, ayez pitié ...

-Qu'est-ce que c'est ?

Déboussolée, je tournai vivement le visage vers Kamila. Occupée que je l'étais à me soustraire psychologiquement de ma mort prochaine, je m'étais coupée de tout son extérieur ... Mais maintenant que je tendais l'oreille, un grognement sourd qui paraissait venir de partout et nul part. Kamila fronça les sourcils, et tenta de reporter son attention sur moi, quand une immense masse noire surgit par derrière la maison de Hagrid. Peu importe ce qu'était la chose, mais elle avait des crocs qui luirent sous le rayon de lune avant de se refermer sur le bras de Kamila. La jeune fille poussa un cri strident qui couvrit les grognements de rage de la créature, et lâcha par automatisme sa baguette qui alla rouler jusque mes pieds. Malgré la brume dans laquelle était baignée mon cerveau, je ne perdis pas une seconde pour ramener maladroitement la baguette vers moi à l'aide de mes jambes. Je me tordis pour m'attraper de mes doigts, entamant plus douloureusement encore mes poignets et surveillant du coin de l'œil la lutte entre Kamila, et la créature. Enfin et avec un soulagement infini, mes doigts se refermèrent sur la baguette.

-Merci mon dieu, soupirai-je en ramenant tant bien que mal la pointe sur les cordes. Diffindo.

Je pleurais en sentant les liens glisser sur mes poignets et mon corps et relâcher toute la pression qu'ils exerçaient. Sans perdre un instant, je me dressai sur mes pieds, et pointai la baguette de Kamila sur celle-ci, encore aux prises avec la créature qui avait fermement refermé sa mâchoire sur son bras, si bien que le cri de la jeune fille ne discontinuait pas. Mais maintenant, il allait prendre fin. Tout ce cauchemar allait prendre fin.

-Stupéfix !

L'éclair rouge jaillit et alla frapper Kamila au milieu des omoplates. La polonaise s'écroula, tel un pantin auquel on aurait coupé les fils, et elle s'écrasa sur le sol face contre terre avec un bruit sourd. Je restai un long moment la baguette brandie devant moi, la respiration laborieuse, fixant Kamila sans ressentir la moindre émotion. La créature avait lâché son bras, et se contentait à présent de grogner face à elle avec férocité. Finalement, je trouvai la force de faire un pas, puis un autre en direction de Kamila, et me baissai pour récupérer ma baguette qui dépassait de sa poche arrière. Un rire absurde me secoua.

-Quelle idiote ... Maugrey l'aurait tué de la voir mettre une baguette dans sa poche arrière ...

Prononcer ces quelques mots firent craquer un barrage en moi, comme s'ils constituaient mes restes d'adrénaline et qu'avec eux, l'adrénaline quittait mes veines. Alors je ressentis tout avec plus de force : les douleurs cuisantes à la joue et aux poignets, l'incompréhension la plus totale, la rage, la colère, les vestiges de la terreur pure qui m'avait habitée alors que je m'étais tenue à la merci de sa baguette ... Toute ses émotions me firent tomber à genoux, épuisée moralement et physiquement, meurtrie. Sans penser à aller chercher de l'aide, je versais quelques larmes supplémentaires, jusqu'à qu'une truffe mouillée vienne m'effleurer la main. Avec un sursaut, je me retrouvai nez à nez avec la créature qui avait été mon sauveur. Un immense chien noir qui m'asséna un coup de langue sur la main.

-Crockdur ?

Le chien releva la tête pour la pencher sur le côté, la langue pendante entre ses crocs couverts du sang de Kamila. Non, songeai-je en l'examinant à la lueur de la lune. Ce n'est pas Crockdur. Le molosse de Hagrid était à peine plus actif qu'une limace, il n'aurait pas été capable de se jeter avec tant de vigueur sur Kamila ... Mais surtout il n'avait pas cette incroyable lueur de vive intelligence qui brillait au fond de son regard, un regard presque humain qui semblait s'inquiéter de mon état. Il effleura ma joue blessée du bout de la truffe en poussant un petit gémissement, et je le rassurai d'une caresse entre les deux oreilles.

-Ecoute, je ne sais pas qui tu es, entonnai-je d'une voix rendue rauque par mes pleurs. Mais merci ... Par tout les dieux de ce monde, merci ...

Le chien balaya mes excuses d'un coup de langue sur mon nez, qui m'arracha un petit rire. Alors que je trouvai enfin la force de me lever, et de faire un état de lieux de mes blessures, des voix que je n'espérais plus entendre s'élevèrent en contre-bas :

-Vic' ! Vic', tu es passée où ?

-Si c'est une blague elle n'est pas drôle, Victoria Bennett !

J'exhalai un petit soupir de soulagement en reconnaissant les voix de Miles et d'Emily. Le chien parut comprendre mon émoi car il étendit le cou pour pousser un aboiement sonore. Les bruits de pas s'arrêtèrent nets.

-Je suis là !

Il y avait la moitié d'un sanglot dans mon cri, et ce fut sans doute pour cela qu'Emily poussa un petit couinement en se précipitant à ma rencontre. Elle se jeta dans mes bras et me serra à me rompre les os.

-Par Merlin, où étais-tu passée ? Mais ... (Elle referma ses bras sur moi en constatant que je m'étais totalement effondrée sur elle, en larme). Vic', tu pleures ?

-Et tu saignes ! remarqua Miles en désignant les poignets que j'avais croisé dans le dos d'Emily. Vic', qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Emily me repoussa avec douceur pour me prendre à bout de bras, un air de profonde confusion peint sur le visage. Puis elle étouffa un cri en remarquant la plaie qui barrait ma joue.

-Mon dieu ! Victoria enfin, parle, raconte-nous, comment tu as pu te trouver dans un état pareil ?

-C'est effectivement une question des plus importantes, Fawley.

Nous sursautâmes tous quand cette voix caverneuse retentit derrière nous. Se découpant à peine dans la nuit noire, Severus Rogue s'était approché sans un bruit, et s'avança vers moi pour me prendre le menton sans délicatesse. Ses yeux aussi noirs que l'entrée glaciale d'un tunnel effleurèrent ma joue et il y pointa sa baguette. Je sentis les chaires se refermer autour de la plaie et ne pus retenir un soupir d'aise. Rogue me lâcha aussi vite qu'il m'avait saisi, et se précipita vers Kamila derrière moi. Il la retourna d'un mouvement sec, révélant son visage aux autres, sous les grognements courroucés du chien, qui en quelques bonds retourna dans la forêt. Miles se passa une main sur le visage.

-Par les chaussettes de Merlin ... C'est Kamila ?

-Oui, répondis-je dans un filet de voix.

-Qu'est-ce qu'elle t'a fait ? s'enquit Emily d'une voix aigue.

-La bonne question, Fawley, serait de savoir ce que Bennett a fait, répliqua durement Rogue, qui venait de soigner le bras lacéré de Kamila. Nous allons avoir une petite discussion. Bletchley, je vous saurais gré d'aller chercher le directeur Karkaroff pour le prévenir que l'une de ses élèves a été blessée. Bennett ... (il fit un geste vague vers la cabane de Hagrid). Là dedans.

Pendant un affreux instant, ni Miles ni Emily n'acceptèrent de bouger. Puis contre son gré, avec des gestes lents, comme si une force invisible l'arrachait à moi, Miles lâcha mes épaules et s'éloigna d'un pas. Après un dernier regard à mon égard où brillait l'inquiétude, il fit volte-face et se mit à trottiner jusqu'au stade. Rogue nous dépassa souplement, et d'un geste sec de la baguette, ouvrit la porte de la maison de Hagrid. Il nous fit sèchement le signe d'y entrer. Emily pressa mon bras, et m'y mena silencieusement, ses yeux furieux fixés sur Rogue. L'intérieur était sinistre sans Hagrid et le feu qui brûlait dans la cheminé. Le silence pensant qui s'était installé était entrecoupé des ronflements sonores de Crockdur, qui avait été vraisemblablement imperméables aux événements de dehors. Je le fixai, lui, et la bave qui mouillait abondement le fauteuil dans lequel il était affalé et l'image du chien qui m'avait sauvé de Kamila se superposa à lui. Je repliai mes bras sur moi.

-Asseyez, nous enjoignis Rogue sans aucune délicatesse.

Et il repartit dehors, sa cape sombre flottant derrière lui telle les ailes décharnées d'une chauve-souris. Emily jeta un dernier regard féroce au maître des potions avant de me forcer à m'asseoir sur l'une des chaises branlantes de Hagrid. Elle prit mes mains entre les siennes et planta ses yeux dans les miens.

-Comment tu te sens ? Je sais que c'est idiot comme question, ajouta-t-elle quand je levai le regard sur elle. Mais Vic', j'ai besoin de savoir ...

-Je n'en sais rien, répondis-je en toute sincérité. Je veux juste ...

Je voulais dire que j'aurais voulu aller dans mon lit, prendre une potion de sommeil, et dormir jusqu'aux vacances, mais le Tournoi s'imposa à mon esprit, ainsi que l'image d'un Cédric se défendant face à d'immense Scrout à Pétard, le trophée des Trois Sorciers brillants à côté de lui. Je crispai si forts mes doigts sur ceux d'Emily qu'elle en grimaça.

-Cédric, m'enquis-je précipitamment. Il est sorti du labyrinthe ?

-Personne n'est sorti, Vic', on est parti bien avant ... Miles est venu nous voir en disant que tu étais partie avec Kamila, qu'il ne te trouvait plus ... Simon s'est mis à flipper – et je le comprends, qu'est-ce qu'il t'a pris de partir seule comme ça ? Je lui ai dit de rester, d'attendre Cédric et Miles et moi on est parti à ta recherche ... Par Merlin, il doit avoir rongé les ongles de la main de sa sœur à l'heure qu'il est ...

La remarque m'arracha un rire étranglé, et Emily raffermit sa prise sur mes mains. Ses yeux bleus luisaient sous l'éclat froid de la lune.

-Mais ce n'est pas l'important, ici. Qu'est-ce qu'il s'est passé, Vic' ? Avec Kamila ... ?

Je me mordis la lèvre inférieure, mon cœur cognant contre ma cage thoracique, tentant de rassembler mes esprits pour expliquer l'absurde réaction de Kamila. Mais avant que je ne puisse faire le tri dans mes pensées, Rogue revint dans la pièce, le corps inanimé de la jeune fille flottant derrière lui. Il l'installa dans le lit de Hagrid, et acheva de soigner son avant bras avant de se tourner vers nous. Son regard glacial m'arracha un frisson.

-Je vous écoute, Bennett. Puis-je savoir ce qu'il s'est passé ?

Devoir raconter à Rogue ce qu'il s'était passé ce soir fut sans aucun doute l'une des pires expériences qu'il m'était donnée de faire dans ma vie. Certains mots refusaient de franchir mes lèvres : les affreusetés qu'elle avait pu dire sur mon grand-père, la dette de sang qu'aurait contracté ma famille envers la sienne ... Mon récit fut alors éludé – et bien moins crédibles. Mais la confusion était trop vive en moi pour que je parle des suppositions invraisemblables de Kamila. A la fin de mon récit, durant lequel Emily n'avait pas lâché ma main, Rogue se contenta de me renvoyer un visage impassible.

-Donc une élève de Durmstrang vous a agressé ce soir après vous avoir envoyé des messages sinistres et mis une potion de feu liquide dans votre sac, résuma Rogue avec une pointe de cynisme. Le tout sans raison réellement valable, c'est cela ?

-Victoria est née-moldue, répliqua farouchement Emily. Pour certaine personne de cette école, cela suffit pour être agressé.

-Je ne vous ai pas adressé la parole, Fawley, taisez-vous !

Emily se mordit la lèvre, le regard brûlant. Rogue ramena ses yeux froids sur moi :

-Et c'est un immense chien noir qui vous a sorti de ce faux-pas ?

-C'est ça.

-Un Sinistros, peut-être ?

L'ironie dans la voix de Rogue était subtile, mais Emily la saisit, si bien que je fus un instant persuadée qu'elle allait se jeter sur lui toute griffe dehors. Pour éviter cela, je pressai sa main des deux miennes pour la rassurer.

-Prions donc que personne ne meurt ce soir, murmura Rogue, la commissure des lèvres relevée.

-Professeur, Victoria est blessée, et elle n'est visiblement pas bien. Arrêtez de la questionner et laissez-moi l'emmener à l'infirmerie.

Là dessus, elle jeta un coup d'œil inquiet à mes poignets dont la chaire était à vif et à sang.

-Ce sera fait Fawley, mais avant ça nous allons attendre le professeur Karkaroff. Ah tiens ...

Des pas furieux se faisaient entendre de dehors, et la porte de la maison s'ouvrit à la volée pour faire entrer Igor Karkaroff. Son visage était si dur que ses traits semblaient être gravé au couteau.

-Qu'est-ce que ça signifie, Severus ? entonna-t-il sèchement. Pourquoi venir me déranger en pleine tâche alors que ...

Il suspendit sa phrase, nous lorgnant Emily et moi d'un air suspicieux. Je fus surprise de l'emploi du prénom de Rogue par Karkaroff, et encore du déplaisir que laissa transparaitre le maître des potions quand il l'entendit.

-L'une de vos élèves a été agressée, directeur, rétorqua-t-il de manière plus froide. Je pensais que vous voudriez être au courant.

-Agressée ? Par elles ?

Le ton incrédule de Karakaroff était presque vexatoire. Emily rongeait ses ongles pour tromper la frustration et ne pas sortir la baguette.

-Il semblerait que ce soit ton élève qui ait agressé miss Bennett, précisa Rogue d'une voix doucereuse. Et avec l'aide d'un chien, Bennett a stupéfixié ton élève.

Il me désigna du menton, et les yeux de Karkaroff se dardèrent sur moi. Un rictus retroussa ses lèvres, découvrant des dents d'un jaune peu ragoûtant. Puis il jeta enfin un œil sur la silhouette assommée de son élève, et ses yeux s'écarquillèrent.

-Tokarsky ? s'étonna-t-il, interdit. Impossible. Ma meilleure duelliste ne se serait pas faite pitoyablement stupéfixiée par ...

-Par ? l'incita Emily d'un ton féroce. Allez-y, dites le mot !

-Fawley !

-Aucun sens, marmonna Karkaroff, ses yeux nerveux fixés sur moi. Tokarsky est une sorte de pacifiste, peu importe qu'elle soit ... (il me désigna d'un geste vague) ce qu'elle est.

-Née-moldue. C'est le terme.

Les yeux de Karkaroff se rivèrent sur moi, un éclat froid au fond du regard. Malgré tout, le directeur de Durmstrang restait nerveux : il tordait ses doigts noueux en un geste qui devait être douloureux, et ses yeux se portèrent vite sur Rogue de façon presque insistante.

-Je dois retourner au labyrinthe, marmonna-t-il en s'élançant vers la porte. Je te laisse juger si elles méritent sanction, et en parler à Dumbledore ...

-Et miss Tokarsky ?

Tous nos regards se portèrent sur la silhouette toujours inanimée de Kamila. Un grognement sourd aux accents étranglés sortit de la gorge de Karkaroff, et il jura en russe.

-Je m'occuperais de son cas plus tard, quand Viktor serait sorti de ce labyrinthe. En attendant, laisse-la stupéfixiée, peu m'importe.

Autant de dureté me révolta, quand bien même elle concernait la fille qui venait d'essayer de me tuer. Un frisson d'horreur me parcourut l'échine et mes poiles s'hérissèrent sur mes bras. Emily le remarqua et les frotta rigoureusement. Rogue avait plissé les yeux avec une certaine désapprobation, avant de hausser les épaules.

-A ta guise. Bennett, je parlerais de cela au directeur, attendez-vous à être convoquée dans les jours qui ...

La fin de la phrase de Rogue alla se perdre dans un grognement qu'il tenta de réprimer, et dans un cri de surprise que poussa Karkaroff. Ils firent un mouvement identique : prendre vivement leur avant-bras gauche, une grimace déformant leur lèvres. Ils s'étaient fixés l'un l'autre, sans un mot, comme s'ils partageaient quelque chose. Emily eut un sursaut d'étonnement, et tenta de capter mon regard. Mais moi, je l'avais dardé sur l'avant-bras que tenait Karkaroff, et dans l'incrédulité qui frisait l'horreur qui dominait son regard.

-Non ..., souffla-t-il, la panique gagnant ses traits. Non, non, non ...

A chaque mot qu'il prononçait, il retroussait un peu plus sa manche dans des gestes fébriles et précipités, sous les yeux perdus d'Emily. Rogue s'était figé sur sa chaise, la main crispée sur son avant-bras, l'air de se désintéresser totalement de la situation. Son visage n'était qu'un masque d'impassibilité et son regard déterminé se darda de façon sévère sur Karkaroff.

-Calme-toi.

-Me calmer ? se récria Karkaroff, les yeux exorbités. Me calmer ?! Regarde, Severus, regarde !

Il avança d'un grand pas vers Rogue et lui tendit son avant-bras, paume relevée vers le haut. Emily était dos à lui, et se contenta de hausser les sourcils, abasourdie, mais moi je la vis. Un haut-le-cœur me prit, et je plaquai ma main contre ma bouche. Sur la peau pâle de Karkaroff se détacha un tatouage, si vivant qu'il paraissait être en relief, d'un noir d'encre qui semblait aspirer la lumière. Le dessin me donna la nausée. Je ne l'avais vu que sur des livres d'Histoire – et en une de La Gazette du Sorciercet été.

La Marque des Ténèbres.

A la fois fascinée et épouvantée, je n'arrivais à en détacher mon regard. Sous les veines saillantes et les tremblements du bras de Karkaroff, il me semblait presque que le serpent de la marque bougeait, et aspirer l'énergie vitale du directeur de Durmstrang. Rogue recula d'un pas, dégoûté.

-Cache ça !

-Je te l'avais dit ! Je te l'avais dit ! Il reprenait des forces, et maintenant il est revenu !

-Tais-toi ! lui intima Rogue en nous jetant un bref regard. Dehors !

Là dessus, il lui prit vivement le bras, et le poussa vers la porte. Avant de sortir, il nous jeta un regard pénétrant. Pour la première fois, l'émotion habitait les prunelles froide de Rogue, mais j'étais incapable d'identifier ce que pouvait ressentir notre maître des Potions.

-Restez ici, nous ordonna-t-il sèchement avant de refermer la porte.

Elle claqua sourdement, et assez violemment pour faire trembler la bâtisse. Les sourcils d'Emily avaient grimpés, et elle fixait la porte, proprement désorientée.

-Je me doutais que Karkaroff était perché, mais là ... Vic', je peux savoir ce que tu fais ?

J'avais bondi de ma chaise, m'avançant vers la fenêtre de Hagrid. Mon pouls battait à mes tempes, si fort qu'il m'étourdissait, et mon cœur pompait à nouveau de l'adrénaline dans mes veines. La Marque ... Les mots de Karkaroff ... Les signes ... Tout cela me nouait douloureusement les entrailles. Il fallait que j'en aie le cœur net. J'actionnais le loquet pour entrebâiller légèrement la fenêtre et jetai un discret coup d'œil à l'extérieur. Karkaroff et Rogue s'étaient approché de la forêt, et si je tendais l'oreille, j'arrivais à entendre l'écho de leurs voix. Emily poussa un petit cri.

-Vic' ! Par le caleçon de Merlin, si Rogue te voit, il va te tuer !

-Chut !

Je venais de louper la dernière phrase de Rogue, tant notre professeur parlait bas. Mais ce n'était pas le cas de Karkaroff. Il était devenu complétement hystérique et s'exclamait en gesticulant :

-Il nous a appelé ! Ça faisait quatorze ans que je n'avais pas senti la brûlure ... J'ignore comment il l'a fait, mais il l'a fait ! Il est revenu ! Il faut qu'on parte !

-Pars si tu veux, répliqua Rogue. Je dois rester.

-Il te tuera, Severus ! Tu es devenu le chien de Dumbledore (il cracha de dépit à ses pieds) il ne te laissera pas en vie, après ça.

-Eh bien que la mort vienne. Je ne suis pas un lâche, Igor.

L'insulte força Karkaroff à reculer d'un pas, sonné. Il avait l'air d'un animal pris au piège qui cherchait à se draper des miettes de dignité qu'il lui restait. Je portai une main à ma bouche pour retenir le cri d'effroi qui menaçait de s'échapper.

C'était impossible. Je n'étais pas en train d'entendre ce que j'entendais.

-Tu oses me traiter de lâche ? Toi qui va te cacher dans les jupes de Dumbledore ? Tu penses que ça va te sauver ? Tu es fou ! Il te débusquera, il te torturera, il te tuera ! Tu l'as côtoyé comme moi, Severus, tu le connais ! La traque l'amuse, et il n'oublie jamais, surtout pas la trahison ... Notre seule chance, c'est de partir maintenant.

-Si ce ça n'avait pas été lui, ça aurait été un de ses Mangemorts fidèles, rétorqua Rogue, les mains croisées dans son dos. Un jour, quelqu'un t'aurait fait payé d'avoir trahis tant des leurs. N'est-ce pas pour cela que tu t'es enfuis à Durmstrang après ta libération, et que tu t'es arrangé pour en être nommé Directeur ? Ne pensais-tu pas que ta notoriété, ta place et ton école te protégeraient d'eux ?

-D'eux peut-être mais pas de lui ! Ne trainons pas, Severus, qui sait où il peut déjà être ...

-La lâcheté te rendrait-elle sourd ? Il me semblait t'avoir dit que je restais. Toi, pars. Cours jusqu'aux grilles – mais Dumbledore aura sans doute prit soin de les fermer, alors je ne saurais que trop te conseiller de passer par la forêt. Enfin peu m'importe. Pars, et attire la rage du Seigneur des Ténèbres loin de cette école. Pars loin, et ne reviens jamais.

Karkaroff dévisagea Rogue, paniqué et étourdi. Puis avec un cri de rage et de frustration, sans même un adieu ou un geste pour l'homme inflexible en face de lui, Karkaroff cracha à terre et fit volte-face pour s'enfoncer dans la forêt. Rogue resta un instant seul et immobile, face à l'immensité des arbres. Il leva le visage vers le ciel, ses traits baignant dans la lueur glaciale de la lune, avant de pousser un profond soupir et de se remettre en marche. Je me laissai lourdement tombée sur ma chaise, complètement sonnée, l'esprit tourbillonnant de mille pensées différentes qui se heurtaient les une les autres pour former un cri de détresse. Il tenta de passer mes lèvres, mais une nouvelle fois je plaquais ma main contre ma bouche pour le retenir. Les mots de Karkaroff tournaient en boucle dans ma tête, autour de la marque noire qui était gravée sur son bras.

Il est revenu.

Il ?

Il ?!

-Vic' ? Qu'est-ce qui se passe, ça ne va pas ?

Je levai les yeux sur Emily, qui me toisait, soucieuse. J'ouvris la bouche pour tenter de lui expliquer, mais je me rendis compte que j'étais incapable de parler sans me mettre à hurler. De toute manière, Rogue tua ma tentative dans l'œuf en revenant dans la maison. Il traversa la pièce pour jeter un bref coup d'œil à Kamila, avant de s'adresser à nous :

-Le directeur a dû s'absenter. Gardez un œil sur elle, il faut que je retourne à la troisième tâche.

-Mais nous aussi ! s'écria Emily en bondissant sur ses pieds. Cédric va sortir de ce labyrinthe d'une minute à l'autre, on doit être là professeur !

-Fawley ! l'interrompit Rogue d'une voix qui n'admettait aucune réplique. Je vous ordonne de rester ici jusque nouvel ordre, compris ? Et ça vaut surtout pour vous, Bennett !

Ses yeux sombres se posèrent une demi seconde sur moi, avant qu'il ne fasse volte-face et ressorte dans la nuit, glissant sans un bruit tel une ombre. Il laissait derrière lui une Emily fulminante qui s'empara de la première chose qu'elle trouva – une tasse – pour la lancer rageusement sur la porte. Je sursautai en entendant la porcelaine se briser contre le panneau de bois.

-Em' ..., murmurai-je. Emily, arrête ...

-Quel abominable personnage ! pesta-t-elle en donnant un coup de pied à sa chaise. Nous enfermer ici dans ce coin puant alors que tu as besoin de soin, et qu'on doit attendre Cédric ... Quel imbécile fini !

-Emily ... Je crois que Tu-Sais-Qui est revenu.

Emily se figea en plein geste, ce qui lui donna une posture assez comique – qui fut aggravé par son air de profonde hébétude. Ses lèvres s'arrondirent en un « o » parfait, avant qu'elle ne secoue la tête en un grognement.

-Enfin Vic', ne dis pas des choses pareilles – pas pendant la troisième tâche alors que tu as été attaquée par une folle qui en avait après ton sang ! On a assez de drame comme ça pour qu'on y ajoute des hypothèses absurdes.

-Ce n'est pas une hypothèse absurde, protestai-je d'une voix qui partait dans les aigus. Tu as entendu Karkaroff, tu as vu comment il a réagi avec Rogue ... Il l'a dit ! « Il est revenu » !

-Si tu te bases sur les divagations d'un directeur qui n'a visiblement pas toute sa tête ...

-Mais enfin Emily, réfléchis ! Karkaroff était un Mangemort – et Rogue aussi visiblement. Ils ont senti la même brûlure au bras, tu as bien vu, tu étais là ! Karkaroff a montré une marque sur sa peau – c'était la Marque des Ténèbres, Emily, je te jure ! Elle était noire, plus noire que tu ne peux te l'imaginer ... Par Merlin, écoute-moi !

Mais Emily secouait obstinément la tête, levant les yeux au ciel comme si elle me trouvait aussi folle que Karkaroff. Elle se laissa aller sur sa chaise avec autant de lourdeur et de lassitude que moi, un instant plus tôt, et se passa la main sur le visage.

-Vic', je ne saurais pas te dire ce qui s'est passé. J'ai vu Karkaroff flipper, et montrer son bras à Rogue mais de là à en déduire que Tu-Sais-Qui est revenu ... Il me semblait que tu savais tes cinq exceptions à la loi de Gamp ? On ne peut pas créer la vie, et Tu-Sais-Qui est mort.

-Je ne te dis pas le pourquoi du comment, Em'. Je te dis juste que j'ai entendu ce qu'ils se sont dits dehors, et qu'ils ont clairement dit que Tu-Sais-Qui était revenu. Karkaroff est même en train de s'enfuir, j'ai l'impression qu'il a peur des représailles ...

-Victoria, arrête !

Je me tus, à la fois surprise et blessée par le ton péremptoire qu'avait pris Emily. Elle s'était repliée sur elle-même et m'avait jeté un petit regard craintif. Ce fut cet air effrayé qui acheva de me briser le cœur, et je décidai de garder le silence. Quoiqu'il en fût, Emily Fawley n'était pas prête à l'entendre.

-Victoria, on a assez de problème comme ça, murmura-t-elle, une main dans les cheveux. Attendons que Cédric revienne, que le Tournoi se termine et ... on ne reparlera peut-être.

-D'accord, laissai-je échapper dans un filet de voix.

Et alors nous attendîmes, dans un silence de cathédrale brisé par les ronflements d'un chien que la situation rendait bien sinistres. Rien, même pas l'éclat de nos voix, n'avait réveillé ce vaillant Crockdur. Emily avait fini par se lever, et à tourner comme un lion dans sa cage, jetant parfois un regard écœuré à Kamila, toujours stupéfixiée dans le lit. Moi j'avais fini par m'asseoir en tailleur à même le sol, la tête entre les mains, me repassant sans cesse les événements cauchemardesques de la soirée. J'ignorais ce qui résonnait le plus fort en moi : le retour de Tu-Sais-Qui, ou les accusations de Kamila concernant mon grand-père. En tout cas, la première hypothèse me paraissait avoir plus de sens, et semblait infiniment plus logique que la seconde, alors ce fut sur elle que je me concentrais. Je laissai ma tête aller vers l'arrière et rencontrer les murs de chaume de la maison.

Si Tu-Sais-Qui était de retour, qu'est-ce que ça allait signifier pour moi ?

Par Merlin, Bones, où es-tu quand j'ai besoin de toi ?

-Qu'est-ce que c'est ?

La voix d'Emily me fit perdre le fil de mes pensées, et je tendis l'oreille pour entendre ce qui l'avait interloqué. Des bruits de pas par dizaines s'approchaient de la maison, et les échos de leurs voix parvenaient jusque nous.

-Les élèves de Beauxbâtons, reconnus-je en identifiant leur accent français. Le carrosse est juste à côté ...

-Ah Merlin ! (Un immense sourire fendit le visage d'Emily et elle bondit sur ses pieds). S'ils sont revenus c'est que la tâche est terminée ! Vic', le Tournoi est fini !

J'exhalai un léger soupir, mes épaules se détendant pour la première fois de la soirée. Emily avait raison. Le Tournoi était fini – et Seigneur, quel soulagement c'était.

-Et ce n'est pas Beauxbâtons qui l'a gagné, enchéris-je, le fantôme d'un sourire effleurant mes lèvres malgré moi. Je crois que j'entends des pleurs ...

-Une de moins ! Qu'est-ce que tu en dis ? On y va ?

Je n'hésitais qu'une demi-seconde avant de saisir la main que me tendait Emily. Il était clair que ni l'une, ni l'autre ne pouvions attendre que Rogue nous autorise à sortir alors que les informations étaient proches, si proches ... Emily fut la première à atteindre la porte, et l'ouvrit à la volée pour bondir dans la nuit. Je la suivis, courant presque à perdre haleine jusqu'au carrosse de Beauxbâtons. Des dizaines d'élèves se massaient devant, à l'ombre d'une Madame Maxime qui tentait tant bien que mal de maintenir de l'ordre dans les rangs. Sa voix à l'accent français éraillé peinait pourtant à couvrir les rumeurs des conversations de ses élèves. Emily attrapa la première française à sa portée : il s'agissait de Louise, la jeune fille râleuse qui avait joué au Quidditch avec nous pendant les vacances.

-Alors ? s'enquit Emily sans prendre le temps de la saluer, ni de se présenter. Qu'est-ce qui s'est passé, qui a gagné ?

-Mais d'où tu sors, toi ? s'étonna Louise, choquée.

A ma plus grande surprise, des larmes lui montèrent aux yeux et elle jeta des regards furtifs et paniqués aux alentours. Aussitôt, mes entrailles se nouèrent : se pourraient-ils que les élèves de Beauxbâtons aient eu écho du retour possible de Tu-Sais-Qui ? Emily agrippa impatiemment le bras de Louise.

-Qui est sorti du labyrinthe en premier ? Qui a gagné ?

-C'est ... C'est Harry Potter, je crois ... Mais ...

-Rah ! râla Emily, une moue déçue aux lèvres. Potter ...

-Victoria ?

Je fis prestement volte-face, et croisai le regard bleu et embué de Fleur Delacour. Elle était dans un état déplorable : sa queue-de-cheval était complétement défaite, son tee-shirt déchiré par endroit, et elle était couverte de boue et d'égratignures. Elle se précipita rapidement vers moi, et m'attrapa par les épaules dans un geste tremblant.

-Mon dieu, oui c'est toi ! Victoria, si tu savais comme je suis désolée ...

-Ce n'est rien, répondis-je, déconcertée par les larmes qui perlaient aux yeux de la championne de Beauxbâtons. Au moins, c'est Poudlard qui a gagné, même si ce n'est pas Cédric ...

Le regard épouvanté que Fleur me renvoya étouffa la fin de ma phrase dans ma gorge. Sa bouche s'était ouverte, puis refermée, avant qu'elle ne la couvre de sa main. Elle échangea un regard avec Louise, qui écarta les bras, impuissante.

-Je ne crois pas qu'elles sachent ...

-Qu'elles sachent ? répéta Emily, son sourire se fanant sur ses lèvres. Savoir quoi ?

-Je ... (Fleur Delacour semblait avoir perdu toute superbe) Je ne suis pas sûre que je sois ...

Elle continua de me dévisager, l'air proprement effarée. Une larme roula sur sa joue, y creusant un sillon rosé qui chassa la crasse et la poussière. Sa main glissa jusque la mienne et elle prit une profonde inspiration. J'avais l'impression que mon cœur allait exploser.

-Ecoute, il ... il y a eu un accident, entonna-t-elle d'une voix prudente, une nouvelle larme dévalant sa joue. Je ne sais pas ce qui s'est passé, c'est totalement insensé ...

-Un accident ? se récria Emily, brusquement affolée. C'est-à-dire ? Comment va Cédric ?

Mais je l'avais compris. Je l'avais compris dès l'instant où Fleur m'avait fixé, les yeux brillants de larmes, le regard emplit de douleur et de compassion. Mécaniquement, je serrais la main de la française, si fort que je fus surprise de ne pas la voir grimacer. Ça concernait Cédric. Cédric avait eu un accident. Par Merlin, faites que ça aille ... C'est un cauchemar, ce n'est pas possible ... Ça va se finir, je vais me réveiller ... C'est un cauchemar ... Fleur ouvrit la bouche pour répondre, mais seul un gémissement étranglé s'échappa, et elle plaqua à nouveau sa main contre ses lèvres. Je ramenai mon poing contre ma gorge où venait de se former une boule douloureuse chauffée à blanc. Un film de larme vint m'obscurcir la vue.

-Il ... Il est ... ?

Incapable de prononcer le moindre mot, Fleur se contenta d'opiner d'un hochement tête qui lui était comme arraché. A côté de moi, Emily poussa un cri qu'elle étouffa en amenant ses mains devant sa bouche. Les mains de Fleur étaient si crispées sur les miennes – et les miennes sur les siennes – que je n'avais plus aucune sensibilité aux doigts. Je n'avais d'ailleurs aucune sensibilité nul part. J'avais l'impression qu'avec toutes les émotions de la soirées, tous les troubles, les bouleversements, les émois qui m'avaient traversé, je n'étais plus capable de ressentir la moindre chose. Comme si j'étais totalement aseptisée, vidée de toutes émotions humaine. La seule chose dont j'avais envie était de m'enfuir – courir loin, courir sans savoir où aller, simplement m'en allait, fuir la réalité, m'envoler loin. Voler par Merlin.

Je ne pouvais pas voler. En revanche, je pouvais courir. Alors ce fut ce que je fis.

J'arracha mes mains à celles de Fleur, et m'élançai dans la nuit, sous le regard bienveillant de la lune. J'entendis le cri assourdi d'Emily, et celui puissant de Fleur. Ce dernier faillit me faire faire demi-tour, tant l'appel s'infiltra dans mon esprit et s'ancra en moi. Mais je me défis de son emprise pour poursuivre mon chemin. J'arrivais complétement épuisée près d'un terrain de Quidditch qui baignait dans un silence de mort. La foule avait quitté l'enceinte, avec elle l'animation et la vie. Le labyrinthe était plongé dans le noir et il me semblait que les haies commençaient à se rétracter sur lui-même, s'écouler lentement avec un silencieux cri d'agonie. Pendant ma course, mes yeux fouillèrent les alentours, et tombèrent ce qui était inratable. Mon cœur s'en arrêta de battre. L'immense silhouette de Hagrid sortait du terrain de Quidditch, les épaules voutées, la barbe frémissante.

Tenant dans un bras quelque chose de longiligne, enveloppé dans un linceul blanc.

-NON !

Je me rendis à peine compte que j'hurlai, un cri venu de mes trippes, en ligne droite de mon cœur. J'accélérais le pas, titubant presque, déséquilibrée par la douleur qui me prenait d'assaut. Je tentais de garder l'esprit fixé sur le linceul blanc que portait Hagrid. Je vacillai totalement, me rattrapant à des attaches invisibles pour ne pas sombrer.

Cédric avait été mon attache. Il avait été mon rock, durant des années. Il ne pouvait pas être dans ce linceul ...

-Victoria ?

Mon nom dans la voix de Hagrid était mouillé de pleurs. Je me dépêchai de les atteindre, sans réellement savoir si je le voulais, le cœur au bord des lèvres.

-Cédric ! croassai-je, des sanglots paniqués dans la voix. Cédric, Hagrid par Merlin, dites-moi ... Je vous en supplie, dites-moi ...

Mais la seule chose que pus me répondre Hagrid, ce fut quelques sanglots que mes plaintes lui avaient arrachés. Il serra le linceul contre lui, le berçant comme un enfant. Un linceul affreusement inanimé.

J'allais exploser. Le cauchemar devait continuer, c'était impossible. Des pleurs étouffés jaillirent de ma poitrine sans que je ne puisse les en empêcher.

-Montrez-le-moi, le suppliai-je, les larmes dévalant mes joues sans discontinuer. S'il vous plait, je vous en supplie ... Montrez-le-moi, il faut que je sache ... S'il vous plait ...

-Non ... Non, je ne peux pas ... je-je dois le ramener à-à Dumbledore pour ... pour qu'il puisse le rendre à ... à sa famille ...

-Je suis aussi sa famille ! hurlai-je, la gorge lacérée par mes cris. On est de la même Maison, le Choixpeau nous a tout les deux envoyé à Poufsouffle ! Je suis sa famille de Poudlard ! Laissez-moi le voir, je vous en supplie, Hagrid ...

-Laissez-la, Hagrid.

La voix était affreusement étouffée, assourdie par des sanglots et la souffrance. Je croisai alors le regard dévasté de Flavia Diggory. Elle se tenait derrière Hagrid, les bras enserrant sa maigre silhouette. Elle semblait si fragile, si ravagée ... Un coup de vent aurait pu l'emporter. Derrière elle, le professeur Chourave consolait un Amos Diggory dont les pleurs me parvenaient, sourds et déchirants. Une main vint crisper mon bras, et je tournais le visage avec l'impression que ma tête pesait des tonnes. Emily m'avait suivi, et se tenait à mes côtés, à bout de souffle, les yeux et le visage humide, le regard rivé sur le linceul que portait Hagrid. Avec des gestes lents, non-contrôlés et secoué par les sanglots réprimés, le garde-chasse posa sa charge sur l'herbe rendue humide par la nuit. Je tombai à genoux en concert, et comme les gros doigts de Hagrid peinaient à dénouer le linceul, je le fis à sa place. Je repoussai les draps avec douleur, et un rayon de lune éclaira le visage blafard de Cédric.

-Oh mon dieu ...

La plainte d'Emily fut suivie d'un sanglot, puis d'un autre, et encore d'un autre. Elle s'effondra dans l'herbe à côté de moi, ses doigts s'enfonçant dans la terre, et ses larmes s'écrasant sur la main découverte de Cédric. Maintenant que son visage était découvert, mon esprit était retourné dans le même mode « off » que lorsque j'étais face à Fleur. J'étais incapable de ressentir la moindre émotion, comme si j'étais déjà à saturation. Mes larmes se figèrent sur mes joues, suspendues par le temps et l'instant. Les yeux gris de Cédric étaient ouverts sur le vide, reflétant l'éclat de la lune, fixant un point qui n'était pas dans le même monde de nous. Ses traits étaient figés en une expression de surprise qui n'était absolument pas naturelle. Et sa peau pâle, si pâle ... J'effleurai sa main de la mienne. Sa peau avait la froideur de la mort. Soudainement, quelque chose d'humide tomba sur mes doigts, sa chaleur tranchant douloureusement avec la froideur de Cédric. Emily gémissait, prononçait sans cesse le prénom de Cédric, tremblante et se balançant d'avant en arrière. Sa détresse repoussa la douleur que je pouvais d'éprouver, et je me détournai de Cédric pour l'enlacer. Elle s'agrippa à moi, ses ongles s'enfonçant dans mon bras, ses cris retentissant à mes oreilles. Je caressai mécaniquement ses cheveux, la serrant contre moi pour atténuer ses tremblements. Une main douce se posa sur mon épaule.

-Bennett, Fawley ... (La voix de Chourave s'efforçait d'être douce mais l'effet était gâché par l'émotion contenue). Il faut que vous retourniez dans la salle Commune ...

-Non, gémit Emily en saisissant la main glaciale de Cédric. Non, non je ne peux pas ... on ne peut pas ... Victoria ...

Les sanglots reprirent de plus belle, et je resserrais ma prise sur elle. Elle enfouit son visage dans mon cou, serrant la main de Cédric à s'en blanchir les jointures. J'échangeai un regard impuissant avec Chourave. Le chagrin visible dans ses yeux dénués de larmes m'indiquait qu'elle était dans le même état que moi : à saturation, pleine de souffrance et de tristesse, mais réduite à devoir rester forte pour les autres. C'était ce qui se passait. Je devais rester forte pour Emily ... puisque Cédric n'était plus là pour être fort pour nous.

-Em', entonnai-je d'une voix écorchée. Emily, viens, il faut qu'on remonte ...

-On ne peut pas le laisser ...

-On ne le laisse pas, promis-je avec toute la douceur dont j'étais capable. Ses parents vont s'occuper de lui ...

Flavia Diggory hocha vivement la tête, des larmes dévalant ses joues. Avec une patience infinie, je dénouai les doigts d'Emily de ceux de Cédric, caressant ses cheveux, lui murmurant des « c'est fini », « ça ira » qui sonnait de façon affreusement dissonantes à mes oreilles. Emily finit par se détacher pour s'effondrer complétement sur moi. Chourave m'aida à la relever pendant que Hagrid recouvrait le corps de Cédric.

-Attendez, hoqueta Emily.

Ravalant ses pleurs, elle se baissa avec révérence et effleura les paupières de Cédric de ses doigts. Avec un hoquet de douleur, elle ferma ses yeux pour toujours, puis revint vers moi pour prendre mon bras. Sa pression était douloureuse, mais elle l'était moins que la perte qui me ravageait intérieurement, sans que je ne puisse réagir. J'entendis à peine Chourave demander à Hagrid de nous ramener au château, qu'elle s'occuperait de Cédric, l'espace visuel emplit par ce linceul blanc, et auditif brisé par les halètements et sanglots d'Emily. Hagrid dût m'arracher à ma morbide contemplation en tirant son mon bras avec des « viens, Victoria, venez ... ». Dans un état second, je suivis Hagrid, rompant le contact visuel avec Cédric que Chourave venait de faire léviter sous les plaintes de ses parents. J'eus à peine conscience du trajet, tout occupée que j'étais à me retourner, à croiser le linceul de mes yeux, à garder Cédric dans mon champ de vision pour le maintenir artificiellement dans ma vie. Mais bientôt, le lien fut coupé, et la seule réalité qui me happa fut les sanglots d'Emily. Je serrai la main de mon amie, fort, si fort ... Sans que je ne sache comment nous étions arrivés là, Hagrid nous avait mené devant notre Salle Commune. Lui aussi reniflait sans cesse, et sa grande main s'abattit sur mon épaule avec une étonnante douceur.

-Je ne connais pas votre mot de passe, je vous laisse ici ... Il va falloir rester forte, les filles. Mais je ne sais que vous l'êtes ... que vous le serez ...

-Merci, Hagrid, murmurai-je par automatisme.

Ce fut par ce même automatisme que je me munie de ma baguette pour tapoter les tonneaux stratégiques. La main de Hagrid se crispa une dernière fois sur mon épaule avant qu'il ne s'éloigne, étouffant ses pleurs dans un mouchoir qui avait la taille d'une nappe.

Même Helga Poufsouffle pleurait dans son cadre au dessus de la cheminée. Des larmes coulaient sur ses joues pâles qu'elle essuyait passivement d'un revers de main. Je ne savais pas ce qui était le pire entre voir la fondatrice de notre Maison, habituellement joyeuse et bienveillante, pleurer, ou constater que la Salle Commune était remplit de plaintes, cris et sanglots. Mathilda se jeta dans les bras d'Emily à l'instant où elle la vit, et je les vis toutes deux s'écrouler dans un fauteuil. Erwin était assis à même le sol, des larmes coulant silencieusement sur ses joues, et Renata fixait le feu dans l'âtre, l'air complétement sonné. Partout je voyais des pleurs, des visages ravagés par la douleur et l'incompréhension, mais pas celui que, depuis que ce cauchemar avait commencé, je brûlais de voir. Puis enfin je croisai le regard de Susan. Elle tenait dans ses bras une Hannah Abott qui gesticulait tout en pleurant, et se mordait la lèvres pour retenir sa peine. D'un mouvement de menton, elle m'indiqua le dortoir des garçons.

Oui. Oui, ça paraissait logique.

Avec l'impression que mes jambes s'étaient soudainement emplit de plombs et ma tête d'hélium, entrainant mon corps dans deux direction opposé qui déchiraient ma chair et mon esprit, je passai la porte du dortoir des garçons, avant de poser la main sur la poignée ronde et cuivrée des sixièmes année. Je laissai aller mon front contre le battant de la porte, incapable de me décider à actionner la poignée, à entrer dans ce dortoir, à voir Cédric partout sans qu'il ne soit nul part ... Finalement ce furent les hoquets de douleur qui me parvenait depuis la chambre qui me décidèrent, et je fis rouler la poigné sur le côté. La porte s'ouvrit avec un grincement qui couvrit tout les sons qui pouvaient émaner de la pièce.

Simon était affalé aux pieds du lit de Cédric, en position fœtal, le visage enfoui dans ses bras. Quand il entendit la porte d'ouvrir, il releva la tête de quelques centimètres, de telle sorte à se que nos regards se croisèrent. Nous nous contemplâmes un long moment, silencieusement. Même les pleurs de Simon s'étaient tus, malgré les larmes qui continuaient à rouler sur ses joues. Il était d'une pâleur cadavérique, si bien que ses tâches de rousseurs paraissaient être des tâches de sang sur sa peau. Je finis par me mettre en mouvement et par le rejoindre aux pieds du lit de Cédric, le cœur battant à tout rompre dans ma cage thoracique. Simon continuait de me lorgner de biais, sans que ses larmes ne cesse de couler ses joues blafardes.

-Tu étais où ?

Je fus presque choquée par le timbre broyé de la voix de Simon, par les accents de petit garçon qu'elle avait, comme si c'était ce qu'il était redevenu Simon entre temps. Touchée, je poussai le vice à caresser ses épis blonds plus ébouriffés que jamais. Mes mains tremblaient.

-Ce n'est pas important, je t'expliquerais plus tard ...

-Tes poignets, réalisa Simon en saisissant mon bras.

Les plaies commençaient à se refermer. En l'absence de soin magique, cela laisserait sans doute des cicatrices, mais je ne sentais même plus la moindre piqure à cet endroit de là. Simon examina mes blessures, et effleura le sang séché du bout du pouce. Ses lèvres se pincèrent, et il retourna ma paume pour y déposer quelque chose de froid, avant de refermer mes doigts dessus. Je ramenai ma main à moi, et ouvrit mes doigts sur ma paume. Le sanglot qui était coincé dans ma gorge depuis que j'avais découvert le corps de Cédric franchit enfin mes lèvres.

C'était ma médaille de baptême.

Saint George n'avait pas suffi à protéger Cédric.

-Il serrait ça dans son poing quand Harry l'a ramené ..., expliqua Simon d'une voix morte. J'ai juste eu le temps de le prendre avant ... avant que ...

Sans attendre la fin, sans réfléchir, uniquement mue par mes larmes et la douleur sourde lui pulsait dans ma poitrine, je me jetai dans les bras de Simon. Il me serra contre lui avec une force surprenante, à m'en rompre les os, pleurant abondement dans mon cou. Les larmes s'écrasèrent sur ma peau, me brûlant comme une coulée d'acide, et j'en resserrais ma prise sur lui, tremblante. J'avais désespérément besoin de me raccrocher à lui, un point d'ancrage pour ne pas me perdre dans toute la folie de ce soir ... Lui qui, malgré les disputes, les cris, la haine et les sarcasmes avaient toujours été l'unique stabilité de mon monde. J'avais besoin de lui si je voulais garder l'équilibre.

Et si j'en jugeais par la puissance de son étreinte, ce besoin était réciproque.

-Il est revenu, souffla-t-il entre deux sanglots. Vicky, il est revenu ... et Cédric est parti. 

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