Douloureuse Vérité

La semaine qui suivit les morts d'Hélène et de Marie-Antoinette fut insupportable pour de nombreuses personnes.

Luna se terrait dans sa chambre en silence, les seuls sons qui s'échappaient de la pièce étaient des bruits d'orchestre, la musique classique étant l'une des rares choses lui permettant de s'apaiser. Parfois, Damian et Gauthier lui rendaient visite pour la nourrir ou la convaincre de prendre soin d'elle. Malgré le fait qu'elle sache pertinemment que sa mère n'aurait pas voulu la voir dans cet état, elle ne pouvait s'empêcher de céder à la tristesse. Elle avait l'impression que son monde venait de disparaitre sans raisons. Cela lui était insupportable. Elle aurait donné n'importe quoi pour que tout redevienne normal.

Ophélie n'était pas mieux, à la différence près qu'elle ne s'enfermait que rarement. Elle errait dans la maison en reproduisant les mêmes activités jour après jour. Elle semblait normale, comme si elle essayait de se convaincre que tout allait bien, mais à quelques rares occasions, il était possible de voir à quel point son esprit était détruit. Elle pouvait être concentrée sur un dessin ou en train de regarder quelque chose, puis se dire qu'elle aimerait le montrer à sa mère avant de se rendre compte que cette dernière ne pouvait plus rien voir. Ses yeux semblaient alors pleins de désespoir, et elle semblait faire un effort surhumain pour retenir ses pleurs. Wolf était inquiet pour elle, se demandant combien de temps cela durerait, si elle allait finir par commettre des actions répréhensibles, envers elle-même ou quelqu'un d'autre... Mais à chaque fois qu'on lui demandait, elle allait bien et offrait un grand sourire teinté de tristesse.

La maison semblait d'un coup plus vide, Arsenic n'hurlait plus de rire à chaque fois qu'elle ratait quelque chose, Night disparaissait pour des journées entières et ne revenait qu'en de très rares occasions, probablement prise par son nouveau poste de dirigeante, Elsa avait cessé d'emmerder tout le monde et se terrait dans une forme de haine contre le monde, Lucius se faisait aussi discret que Gauthier ou Victoria, et Seth passait son temps à peindre ou dessiner la tristesse, au point où la partie du salon où il avait élu domicile était recouverte de toutes sortes de peintures ou de dessins tristes. Cela avait même inquiété sa mère, qui était habituée à des travaux plus hétéroclites de la part du démon.

Depuis la visite de Crow, Elsa avait tendance à éviter ses sœurs, malgré la proximité qu'elle avait avec Arsenic. Cette dernière le supportait de plus en plus mal. Elle repensait également énormément à Despair. Depuis qu'elle savait ce qui était arrivé à Amber, elle se demandait s'il avait fait la même chose à d'autres adolescents. En y réfléchissant, cela ne l'aurait pas étonné que ce soit le cas. Il était totalement du genre à se créer sa propre armée pour régler ce genre de conflits personnels.

Lorsqu'elle se leva, ce matin-là, elle avait le cœur lourd. Elle était réveillée tôt, ce qui était étonnant venant d'elle, et s'était dépêchée de vérifier si sa petite sœur était réveillée. Cette dernière dormait encore. Arsenic prit la démone dans ses bras et sortit de la maison, s'envolant avec elle.

Quelques minutes plus tard, la rouquine atterrit dans ce qui semblait être une vieille cabane. En y entrant, cependant, la pièce ressemblait à un petit salon gothique plutôt simple, comportant deux canapés, une table basse, une armoire et ce qui semblait être un comptoir juste à côté de la porte. Il y avait également une petite bibliothèque pleine de vieux grimoires. L'endroit était propre, montrant qu'il devait être fréquenté régulièrement. Elsa dormait encore. Sa sœur l'installa sur le canapé et ouvrit l'armoire pour mettre des vêtements propres. Après cela, elle prépara le petit-déjeuner.

La benjamine des de Cyanure fut surprise de ne pas reconnaitre l'endroit où elle s'était endormie, mais fut énervée de voir sa grande sœur lui offrir un grand sourire en guise de bonjour.

-Ça va ma grande ?

La plus jeune grogna, retomba sur le canapé et se retourna pour faire face au dossier de ce dernier et grogna :

-On est où ?

-Dans le pied-à-terre de Lucius. Paumé au milieu de nulle part, si tu préfères.

-Et qu'est-ce-qu'on y fait ?

-Faut qu'on parle.

Elsa se retourna et lui offrit un grand sourire sarcastique:

-Oh, madame daigne enfin me parler ?! Il était temps ! J'ai cru que j'allais devoir attendre encore quelques dizaines d'années de plus !

-Ton sarcasme agresse mes oreilles. Plus sérieusement, une fois qu'on aura mangé, je vais te dire tout ce que je pourrais à propos de Despair.

-Oh, mais je croyais que tes promesses t'empêchaient de parler !!

Arsenic inspira profondément :

-En effet, mes promesses m'empêchent de parler. C'est pour ça que ça va faire mal. T'es priée de ne pas t'en formaliser, d'ailleurs. Je fais essayer de ne pas en mourir.

-Comment ça ?

La plus grande ne répondit pas et se contenta de prendre une gorgée de jus d'orange. Elle s'assit sur l'autre canapé. Elsa se redressa et alla manger quelque chose vers le comptoir. Elle n'avait pas faim, mais se nourrir semblait être obligatoire si elle voulait en savoir plus sur ce frère qu'on lui cachait depuis longtemps. Après avoir mangé sa part, elle se tourna vers sa sœur en la regardant d'un air agacé :

-Vas-y, je t'écoute.

Arsenic inspira à fond :

-J'espère que t'es prête parce que je vais être contrainte de parler très vite. Et avant que tu me reproches de ne pas l'écrire, ce qui te semblerait plus simple, sache que les effets seront les mêmes, sur moi, que je parle ou que j'écrive. Sachant qu'il est plus rapide de parler que d'écrire...

Elle sourit et se mit à parler rapidement, bien qu'Elsa puisse quand même la comprendre :

-Despair est toujours vivant et je sais où il se cache.

À peine cette phrase terminée, la démone se recroquevilla sur sa poitrine en poussant ce qui semblait être un hurlement de douleur. Elsa fut surprise, mais pas assez pour aller voir si sa sœur allait bien. Cette dernière se laissa retomber en arrière sur le canapé, la respiration haletante. Elle continua, lâchant sa phrase d'une traite :

-Il a disparu dans sa propre dimension le 15 avril 1897.

Elle cria de nouveau en serrant sa poitrine dans ses bras, son cri ressemblant à un gémissement de douleur. Cette fois-ci, Elsa était tétanisée en la regardant. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait. Arsenic avait vraiment l'air de souffrir.

-Il... Il a créé l'association d'Hélène qui lutte contre les anges et...

Nouveau cri, cette fois accompagné de larmes de douleur. La respiration difficile, elle tenta de reprendre contenance, mais était crispée sur sa poitrine. Elsa hésita à se rapprocher d'elle.

-Et... Et il souhaite se venger personnellement du vi-AAAAAAAAAAAAAAAAARGH !!!!!!!

Arsenic était encore pliée en deux. Nouvelles larmes, nouvelles difficultés respiratoires, elle chuta du canapé pour se retrouver plaquée contre le parquet. Son cri se transforma en grognement, puis en légers sanglots. Sa petite sœur se précipita vers elle pour la redresser, inquiète. Elles se regardèrent dans les yeux.

Elsa n'aurait pas pu voir une expression de douleur plus pure que dans les yeux de sa sœur à ce moment-là. Arsenic était insensible à toutes les douleurs qui pouvaient toucher ses bras, ses jambes ou son ventre. Les autres parties de son corps étaient sensibles à la douleur, mais bien moins que la normale. Elsa le savait, elle savait également ce qui était à l'origine de cela. Mais savoir que sa sœur avait mal à ce point... Il y avait de quoi être inquiet.

Arsenic reprit peu à peur une respiration plus normale. Les larmes qui coulaient de ses yeux commençaient à se faire plus rares. Elle sourit à sa petite sœur :

-Je suis désolée... Je ne peux plus rien dire... C'est l'effet négatif des promesses de Despair... Si je me mets à les rompre... Ça me fait mal... Tu comprends... ?

-Oui, bien sûr que je comprends !

Elsa avait quelques remords à savoir que sa plus grande sœur s'était forcée à subir de telles douleurs pour lui apporter la vérité. Arsenic la serra dans ses bras et lui sourit de nouveau :

-Je... Je reprends quelques forces et on rentre, d'accord ?

Quelques minutes plus tard, les deux démones fendaient l'air pour retourner dans la maison de Luna.
Elles furent accueillies par Damian, encore en pyjama qui, après les avoir saluées, est parti rapidement en direction de la chambre de Luna. Comme il était inquiet pour elle...

Luna dormait encore, ce qui était rare ces derniers temps. Elle avait tendance à passer ses nuits à pleurer jusqu'à l'épuisement, et ne dormait pas plus de 2 heures par nuit. Lorsqu'elle se réveillait, elle ne bougeait pas de sa chambre. Mais Damian le sentait. Il sentait sa conscience se réveiller beaucoup trop tôt pour qu'elle ait pu bien dormir. Il s'inquiétait pour elle. Si elle laissait le chagrin la consumer, elle allait y laisser la santé.

Il ouvrit la porte de la chambre en bazar. L'odeur de renfermé qui y régnait était difficile à supporter pour ses narines. Il résista à la tentation d'ouvrir la fenêtre, ne souhaitant pas la réveiller. Les ombres étant son élément, il put voir le laisser-aller qui régnait dans la pièce. Il entendit un morceau de piano mélancolique se jouer sur l'ordinateur. De toutes évidences, elle avait laissé tomber les compositions grandioses pour quelque chose de plus intimiste.

Luna était endormie au travers de son lit, serrant sa couverture comme si sa vie en dépendait. Même dans le sommeil, elle ne pouvait avoir l'air sereine. Il s'en inquiétait.

Caressant sa joue au moment où il s'assit à côté d'elle, il tenta de la soulager d'une partie de sa douleur. Il pouvait lire les pensées, pourquoi ne pouvait-il pas tenter d'en extraire quelques-unes ? Cela lui ferait plus de mal que de bien... En y réfléchissant, il comptait lui offrir un moyen de se vider la tête.

Luna ouvrit ses grands yeux gris sur le visage de l'Ombre. Elle battit des paupières et fixa son visage pendant un instant. Elle tenta un sourire qui fut noyé sous une pluie de larmes. Il la prit dans ses bras et la serra le plus fort possible pour la rassurer. Elle mit du temps à se calmer, mais la présence de Damian l'aidait à se sentir mieux.

"Tu devrais prendre soin de toi, ça me désole de te voir ainsi..."

-Je... Pardon, je suis...

"Je sais ce que tu ressens. J'ai vu ma mère mourir sous mes yeux. J'ai mis du temps à m'en remettre, moi aussi. Mon autre maman... Enfin, Arsenic m'y a aidé. Et tu sais quoi ? Aujourd'hui on va faire pareil."

Luna lui offrit un semblant de sourire.

"Va prendre une douche et habille-toi, je t'emmène en ville."

-M-mais Maman a dit...

"Chhhh... Ne pleures pas. Je sais ce que ta mère a dit, mais ce ne sera l'affaire de quelques heures, d'accord ? Je ne laisserai aucun mal t'arriver, tu as ma parole."

Pas plus d'une heure plus tard, Luna ressemblait de nouveau à celle qu'elle était lorsque sa mère était encore en vie. Ou du moins, si cela n'était pas le cas, elle s'en rapprochait. Elle avait l'air plus détendue. Damian l'avait emmené se promener dans un parc, puis dans une librairie. Il préférait rester dans des lieux peuplés plutôt que de chercher des coins isolés, il craignait une attaque de décapités.

Il avait l'impression qu'elle pouvait enfin se vider la tête, se permettre d'aller mieux. Elle avait réussi à retenir ses pleurs en évoquant sa mère, pour la première fois depuis une semaine. Elle gardait constamment un sourire au visage, plus pour la façade qu'autre chose. Mais il réussit l'exploit de lui faire pousser un éclat de rire.

Il rentrèrent durant l'après-midi, après qu'il lui ait offert un déjeuner dans un petit restaurant et quelques autres balades un peu partout.

Le sourire de l'adolescente, au moment où elle passa le pas de la porte, n'était plus qu'une façade. Cela réchauffa le cœur de l'Ombre. Elle était si belle quand elle souriait...

Il s'était laissé tomber sur le canapé, Luna à ses côtés, et avait mis un film dans le lecteur DVD. Seth les avait vu passer et observait la scène sous tous les angles, avant de faire quelques croquis dans un coin de la pièce. Damian en rit silencieusement. Luna soupira et resta accrochée au bras de l'Ombre. Elle murmura :

-Dis ?

"Hm ?"

-Merci...

"Pour quoi ?"

-Pour m'avoir aidé à aller mieux... C'était super aujourd'hui, merci.

"Je t'en prie, c'est normal."

Nouveau silence entre eux. Les seuls bruits régnant dans la pièce étaient ceux de la télévision et celui, plus ténu, du crayon de Seth contre le papier. Luna fixait discrètement Damian, puis soupira et murmura de nouveau :

-Damian ?

"Qu'y-a-t-il ?"

-Je... Je t'aime.

Ses joues étaient plus rouges qu'une framboise mûre. L'Ombre lui sourit gentiment, les joues rougies et la serra un peu plus contre lui :

"Je sais, je t'aime aussi."

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