Flash-back 02 : Première rencontre.

Flash-Back 02 : Première rencontre.


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Pov : Ivy Smith

10 ans plus tôt

Samedi – Monaco


J'ai croisé les doigts toute la semaine pour qu'un orage éclate, pour que les températures étouffantes d'août baissent, mais le thermomètre affiche déjà 35 °C et la canicule fait des ravages sur la côte. Nous ne sommes qu'au début de l'après-midi, et ça risque de grimper encore. J'ai la peau moite et une seule envie : aller piquer une tête dans la piscine la plus proche après avoir mangé une bonne glace. Mais mon père a d'autres projets.

Cela fait un moment qu'il cherche à me faire piloter lors d'une session de karting contre un certain Miles Di Laurenti. Une étoile montante en termes de sport mécanique, récemment annoncé en Formule 1 pour la saison prochaine alors qu'il domine clairement cette saison en Formule 2. Et rares sont les choses qu'Andrew Smith n'obtient pas, c'est pourquoi nous nous dirigeons vers la piste de karting et non vers une piscine.

Quoi de mieux que d'enfiler une combinaison de course sous 35 °C ?

Je n'arrive même pas à croire que ça va vraiment se faire. En fait, j'ai toujours l'espoir que le dirigeant du karting ne sera pas stupide et ne nous laissera pas courir sous de telles températures, ou même que ce soit Miles qui refuse.

– On est arrivé, me sort de mes pensées mon père alors que sa voiture ralentit.

Je lève la tête vers la fenêtre afin de voir la piste à travers la grille de sécurité. Je ne la découvre pas, j'y ai déjà passé de nombreuses heures sous l'étroite surveillance de mon père, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il fasse aussi chaud.

– Ne me déçois pas, Ivy, me dit-il avec un grand sérieux avant de sortir de la voiture en premier.

J'ai envie de lui rire au nez, de lui crier d'ouvrir les yeux. Il veut que je gagne, il veut que je sois en tête. Mais je suis face à un putain de pilote, pas à un débutant, mais à quelqu'un qui a une carrière prometteuse, peut-être même un futur champion du monde de F1. Comment veut-il que moi, je gagne ?

Il sait parfaitement que je n'ai pas ça, que malgré les championnats que j'ai pu parvenir à gagner plus jeune sous ses menaces, je ne suis pas celle qu'il veut. Peut-être croit-il que j'aurai un déclic face à Miles ? Que je vais reprendre les championnats, que je vais gravir les échelons même si j'ai déjà 16 ans ?

– Ivy ! m'appelle-t-il autoritairement depuis l'extérieur de la voiture.

Je soupire, grimace en sentant le cuir se décoller de ma peau lorsque je sors de l'habitacle. Puis je le rejoins à l'intérieur du bâtiment où nous attend Antoine Ross, le propriétaire.

– Bonjour ! s'exclame ce dernier en serrant fermement la main de mon père, puis la mienne.

– Bonjour, dis-je poliment en déglutissant.

– Ivy, tu connais les lieux, tu peux aller te préparer ! me dit le Monégasque. Les autres sont déjà prêts dehors.

Je déglutis tout en acquiesçant.

Mon cœur bat fort dans ma poitrine tandis que j'enfile une combinaison à ma taille. Je prends le temps de boire une grande bouteille d'eau afin d'être bien hydratée et, casque sous le bras, je rejoins tout le monde à l'extérieur. Avec surprise, je découvre non pas un seul pilote prêt, mais trois. Je les connais tous de nom, mais pas personnellement. Il y a bien évidemment Miles, le plus âgé, mais aussi le plus confiant, ensuite il y a son frère, Arlo, qui suit le même chemin professionnel, et enfin, je reconnais Sienna Ross, la fille du propriétaire.

– Ivy, voici tes trois concurrents pour cet après-midi, commence mon père en souriant. Miles Di Laurenti, me montre-t-il ce dernier d'un signe de la main. Son frère Arlo, ajoute-t-il en dirigeant sa main vers lui. Et enfin, Sienna Ross, la fille d'Antoine, termine-t-il en la montrant elle.

Je souris timidement alors que chacun d'entre eux me fait un petit signe lorsqu'ils sont cités.

– Je compte sur toi, me dit-il alors que monsieur Ross nous fait signe de le suivre.

J'inspire et expire lentement avant de tourner le dos à mon père. Nous allons tous nous échauffer un peu tandis qu'Antoine termine de préparer nos karts. Je commence à stresser. Je crois être la seule à avoir un enjeu derrière cette course. L'ambiance entre les trois amis est plus décontractée, et il m'est impossible de tenter ne serait-ce que de m'intégrer un peu. Sincèrement, je trouve ça étrange, de faire une course contre eux trois. Ils sont proches, et je m'incruste clairement dans leur bulle.

Mais j'essaie de me dire que ce n'est que le temps d'une course. De toute façon, je connais assez mon père pour savoir qu'une fois que j'aurai perdu, il s'en ira après m'avoir passé un savon. Le supplice n'aura pas besoin de se reproduire.

– Vous êtes prêts ? nous interroge Antoine au bout de plusieurs minutes.

– Oui ! répondent les deux garçons en même temps.

– Allez-y alors !

Pour une parfaite égalité et contrairement à ce qui peut être fait en temps normal, nous nous retrouvons tous en même temps sur la piste dès le début. On nous autorise un tour de chauffe, comme si nous étions dans une course de Formule 1. Puis, nous sommes tous sur la ligne de départ.

Miles et moi partons sur la dernière ligne, sous la demande de mon père, tandis qu'Arlo et Sienna sont sur la première ligne.

La course n'a même pas commencé que j'ai déjà très chaud. Les combinaisons sont noires, tout comme les karts. C'est comme si nous aspirions les rayons chauds du soleil. Ma respiration est pourtant calme, maîtrisée.

C'est mon père qui annonce le départ. On part pour une petite vingtaine de tours. Ma concentration est à son maximum parce que, même si je sais que jamais je ne battrai Miles, j'ai espoir de parvenir à rivaliser avec lui pour rendre mon père un peu fier.

Sans grande surprise, Miles détient le meilleur temps de réaction. Il passe ainsi devant son frère et leur amie, tandis que je ne parviens qu'à dépasser Sienna.

Les tours s'enchaînent assez vite, et c'est encore pire que ce que j'aurais pu imaginer. Bien que Sienna soit loin derrière nous, je peine à rivaliser avec Arlo. Ce dernier ne lâche pas sa deuxième position pendant les quinze premiers tours, jusqu'à ce que je le dépasse enfin. Il a eu un moment d'inattention ou je ne sais quoi qui m'a permis de le prendre de vitesse à l'extérieur d'un virage, ce qui n'est pas simple. Hélas, lui comme moi avons perdu un certain temps dans notre bataille, ce qui a permis à Miles de s'envoler devant nous. Les quatre derniers tours ne sont clairement pas suffisants pour que je le rattrape. Alors, je me contente de m'assurer qu'Arlo reste derrière, enchaînant les tours, le souffle de plus en plus difficile à cause de la chaleur qui me donne l'impression de ralentir dans mes mouvements.

Lorsque les quatre karts sont à l'arrêt, je reste plus longtemps que les autres dans le mien. Alors qu'ils dézippent déjà le haut de leur combinaison pour la nouer autour de leur taille, je suis toujours assise, essayant de contrôler ma respiration qui s'accélère tandis qu'un goût de peur désagréable chatouille ma gorge.

Je m'y attendais, alors pourquoi est-ce que j'ai si peur ?

Il va me tuer, il en serait capable, je crois... Merde.

Lorsque enfin je trouve le courage de sortir, mes membres me semblent lourds. Sortir du kart me demande un effort pathétique. Je tourne la tête en direction du trio qu'ils forment. Ils se tapent dans les mains et se félicitent. Je crois entendre Miles charrier Sienna pour sa défaite cuisante, mais mes oreilles bourdonnent.

– Ivy ? J'entends l'un des deux garçons m'appeler. Je crois que c'est Arlo.

Sans vraiment savoir pourquoi, j'amorce un pas dans leur direction. Je ne les connais pas, je n'ai pas grand-chose à leur dire, mais si ça peut me permettre de repousser le moment fatidique...

Mais je n'ai pas le temps de les rejoindre. La voix forte et glaciale de mon père transperce l'air comme un avion de chasse.

– Ivy ! m'appelle-t-il comme on appellerait un chien en fuite.

Je tourne la tête dans sa direction et un frisson parcourt mon échine. Je serre mes poings encore gantés et dévie ma trajectoire dans sa direction, sentant, à chaque nouveau pas, ma gorge se serre un peu plus.

– Oui ? je lui dis d'une petite voix, probablement étouffée par mon casque encore sur ma tête.

– Suis-moi, ordonne-t-il, prétextant à Antoine un petit débrief post-course « encore à chaud ».

Je me rends compte que mes mains tremblent lorsque je referme la porte des vestiaires derrière moi. Je les noue derrière mon dos tout en me tenant droite.

– Retire-moi ton putain de casque, siffle-t-il en me fusillant du regard.

Je ne bouge pas. Je ne veux pas le retirer, parce que d'une certaine manière, il me protège. Il instaure une barrière entre lui et moi, et je sais qu'aucun coup ne sera porté à mon visage tant qu'il restera ancré sur ma tête.

– Retire-le ou c'est moi qui le fais, me menace-t-il froidement en amorçant un pas vers moi.

Je frissonne, n'ayant plus le choix. Je retire ce qui me semblait être mon dernier rempart, et me voilà complètement vulnérable face à lui.

– Quand Antoine m'a dit que tu ne serais pas que contre Miles, je lui ai ri au nez en disant que tu ne ferais qu'une bouchée des deux autres, commence-t-il en se pinçant l'arête du nez. Mais il t'a fallu quinze putains de tours pour en venir au plus jeune ! hurle-t-il, comme si Arlo n'était rien d'autre qu'un gamin de six ans à battre.

– Je suis désolée, dis-je en baissant la tête.

– Je m'en fiche ! J'ai tellement honte de toi, de la fille que tu es !

J'ouvre la bouche pour lui dire quelque chose, mais aucun son ne sort.

– J'avais de si grands espoirs... marmonne-t-il.

Je regarde partout sauf lui. Je sais que ça aussi, il me le reprochera, mais je suis incapable de poser mes yeux sur lui.

– Tu te rends compte de l'opportunité que je viens de t'offrir ? Tu aurais pu apprendre tellement de cette bataille, mais au lieu de ça, tu as été incapable de te débarrasser de l'autre !

– Arlo, laissé-je son prénom m'échapper lorsque mes yeux se posent sur lui.

– Je me fiche de savoir comment il s'appelle, me répond mon père, si en colère qu'il n'a pas remarqué que mes yeux étaient bloqués sur la silhouette du pilote en question.

Il semble aussi surpris que moi du fait que je l'ai repéré, alors même que c'est lui qui n'a rien à faire là. Comment est-il entré ? Et pourquoi est-ce qu'il reste planté là à regarder mon père m'humilier ? Ne peut-il pas partir comme une personne normale le ferait ?

Je détourne finalement les yeux, priant pour qu'il parte au plus vite.

– Comment peux-tu être si mauvaise après toutes les cartes que j'ai mises entre tes mains ?

– Je ne suis pas faite pour la course... dis-je en me pinçant le bras pour me donner du courage.

– Personne n'est fait pour ça, les gens s'entraînent pour !

– Je n'aime pas ça, je lui réponds, voulant en terminer au plus vite avec cette conversation. Je n'aime pas ça du tout, je ne veux pas en faire mon métier, et tu le sais !

Il avance dangereusement vers moi et mon cœur bat plus fort que jamais. Il attrape mon bras avec violence, me forçant à soutenir son regard.

– Et tu vas faire quoi de ta putain de vie, dans ce cas ? me crache-t-il au visage comme si j'étais une merde.

– De la photographie, affirmé-je.

La gifle part plus vite que je ne l'aurais pensé. Ma tête bascule violemment vers la droite, alors qu'une douleur mordante se propage sur ma joue.

Il y a mis du cœur dans celle-ci, ne puis-je m'empêcher de penser.

Mon père ne frappe jamais avec la paume de sa main, du moins depuis que maman est morte. Il frappe avec le dos et je me prends ses phalanges directement dans les pommettes, provoquant une douleur plus longue qu'une simple gifle. J'ai droit à des bleus parfois et je sais qu'aujourd'hui, ma peau va virer au violet.

– Moi vivant, Ivy, jamais tu ne feras cette merde, me dit-il en me lâchant le bras.

Et je suis soulagée, parce que la discussion s'arrête. Il me contourne et quitte la pièce.

Tout en expirant tout l'air de mes poumons, je lâche mon casque qui tombe dans un bruit sourd au sol.

– T'es toujours là ? je demande de manière neutre en me dirigeant vers l'un des bancs en bois du vestiaire.

– Je suis désolé, dit-il en sortant de l'ombre.

Ma tête posée contre le mur, je la tourne vers Arlo en ignorant mon envie de hurler, de pleurer et de l'envoyer se faire foutre.

– Écouter aux portes, c'est mal poli, je marmonne.

Je ne pouvais pas juste partir, répond-il en croisant les bras sur son torse tout en m'évitant du regard.

– Et pourquoi pas ? je l'interroge en haussant un sourcil.

– Au cas où... Si ça dégénérait, répond-il d'une voix hésitante.

Je pouffe du nez.

– Rater, je crois ?

– Je m'apprêtais à intervenir, dit-il rapidement. Mais j'ai vu qu'il partait et... je ne voulais pas empirer la situation pour toi, reprend-il en se grattant l'arrière du crâne.

Je laisse un soupir quitter mes lèvres. J'essaie d'agir comme si ça ne me faisait rien, mais la vérité, c'est que je me sens honteuse qu'il ait assisté à cela. Je lui en veux même d'être resté, bien que ça partait sans doute d'une bonne intention.

– En tout cas, c'est fini maintenant, je reprends en l'observant du coin de l'œil.

Il marche en direction de la porte de sortie et ne me regarde que lorsque j'ai terminé ma phrase.

– Vraiment ? demande-t-il avec un ton qui me laisse muette.

Il sort finalement de la pièce et je ne sais pas quoi faire de mon propre corps. Je grimace en frôlant ma joue brûlante sous le coup de mon père.

Je ne pouvais pas juste aimer le karting ? Être bonne à cela et lui plaire ?

Pour ma grande surprise, la porte se rouvre et Arlo revient, une cannette de Coca à la main tout droit sortie du distributeur de l'accueil. Il s'arrête à quelques mètres de moi et me la tend.

– Ça devrait soulager ta joue, me dit-il en m'invitant à prendre la boisson fraîche.

Je me pince les lèvres, hésitante. Mais je finis par accepter sa proposition. L'aluminium froid me soulage directement lorsque je le plaque contre ma joue.

– Merci, lui dis-je.

Il hoche la tête et recule de quelques pas jusqu'à se laisser tomber sur le banc en face de moi.

– Est-ce que ça va aller ? Je veux dire, avec ton père ? m'interroge-t-il avec une inquiétude non dissimulée.

– Oui, affirmé-je tellement rapidement que c'en est presque suspect. Oublie ce que tu as vu.

– Je ne peux pas vraiment, rit-il nerveusement.

– C'est rare qu'il lève la main sur moi, je me sens obligée de préciser.

Ce n'est pas un mensonge, depuis quelques années, c'est devenu plus rare. Mais ce n'est pas parce que lui a changé, c'est parce que je l'ai fait. Si je ne me pliais pas en quatre pour obéir, ça ne se passerait pas aussi bien. Le seul sujet où je n'y échappe pas, c'est mon manque de passion pour le sport automobile. Il ne lâchera jamais l'affaire, tandis que moi, je l'ai lâchée il y a bien longtemps.

– Ça ne devrait pas être rare... Ça devrait être jamais, me dit-il avec une pointe de jugement dans la voix que je n'apprécie pas.

– On ne se connaît pas, dis-je en me redressant légèrement. Tu n'as pas besoin de rester pour te donner bonne conscience ce soir.

– Je ne reste pas pour ça, me contredit-il en fronçant les sourcils.

– Alors pourquoi ?

– Tu m'as bien eu tout à l'heure, change-t-il de sujet sans que je ne m'y attende.

Quoi ? je lui demande perplexe.

Il se repositionne correctement, puis ancre mon regard au sien.

– Je t'ai vue en position de faiblesse, tu ne veux clairement pas en parler – ce que je comprends – et tu essaies d'être froide, distante et légèrement méchante pour me repousser. Pas de chance pour toi, je n'ai pas l'intention de te lâcher, pas après ce que j'ai vu.

Je n'aime pas ce qu'il dit pour deux raisons : il le dit avec trop de confiance, et il a raison.

– Donc, je change de sujet. Après tout, tu ne te limites pas à cette courte scène. J'ai envie d'apprendre à te connaître, Ivy Smith.

J'ouvre la bouche, prête à l'envoyer se faire mettre, mais je reste muette. Rien ne me vient à l'esprit tant je suis troublée. Depuis plus jeune, je me suis habituée à vivre dans l'ombre, celle de mon père particulièrement. Je me suis répétée que je ne valais pas la peine d'être connue. Alors, oui, l'entendre me dire qu'il veut apprendre à me connaître me semble hors norme.

– Pourquoi ? je lui demande donc.

– Pourquoi pas ? me répond-il.

Je l'observe comme s'il avait un troisième œil à la place du front. Il n'y a pas à dire : ce mec est étrange.

– Je t'ai googlé avant de venir, m'informe-t-il.

– Euh, m'avouer que tu es un psychopathe ne m'aidera pas à me confier, je lui réponds.

– Tu as été la première fille championne de la catégorie junior européenne, ignore-t-il ma réflexion. C'est impressionnant, tu as marqué l'histoire dès ton plus jeune âge.

J'ai dit que j'étais douée plus jeune...

– Dit-il, alors que lui et son frère sont les deux premiers frères à gagner tous les deux ce même championnat, je lui réponds avec un demi-sourire.

Bon, contrairement à lui, je n'ai pas eu besoin de le googler pour savoir qu'ils ont tous deux été champions de la catégorie junior quelques années avant moi. Étant donné qu'ils ont continué leur carrière, c'est déjà moins tombé aux oubliettes que moi.

– C'est différent, me répond-il en hochant la tête négativement. J'ai marqué l'histoire aux côtés de mon frère, tandis que toi, tu l'as fait seule, et même si on parle d'une catégorie junior, ça marque un tournant pour les filles dans tous les sports automobiles.

Je hausse les épaules, essayant au mieux de refouler l'infime sentiment de fierté que je ressens avec ce titre.

– On a seulement un an d'écart, tu sais, on aurait pu se retrouver tous les deux dans un même championnat, me dit-il. Le monde est petit.

– Mais si ça avait été le cas, un seul d'entre nous aurait marqué l'histoire, je lui réponds.

Il sourit et me regarde comme si j'étais la chose la plus intéressante qu'il lui ait été donné de voir jusqu'à présent. Et c'est déroutant.

Je détourne les yeux, fixant un point invisible sur le sol, et inspire profondément.

Il ne devrait pas être là. Il ne devrait pas poser ces questions, s'intéresser à moi. Je ne suis qu'un projet raté aux yeux de mon père, un échec qu'on préfère cacher. Mais lui... lui, il semble voir autre chose. Et ça, je ne sais pas comment le gérer.

– Tu devrais te méfier, tu sais, finis-je par murmurer, ma voix à peine audible. Je ne suis pas quelqu'un d'intéressant.

Il sourit, un sourire en coin qui semble mêler amusement et compassion.

– Je crois que je vais me faire ma propre idée, répond-il simplement.

Je relève les yeux vers lui, un mélange de confusion et de défi dans le regard. Il n'insiste pas davantage, mais il ne recule pas non plus. Ce garçon, qui était il y a quelques heures un inconnu, me trouble plus que je ne veux l'admettre.

Arlo finit par se lever.

– Garde la canette, dit-il en désignant le Coca toujours pressé contre ma joue. Ça a l'air de marcher.

Je hoche la tête sans un mot, le regardant s'éloigner. Il s'arrête une dernière fois près de la porte, se tournant à moitié vers moi.

– Tu n'as pas besoin d'être ce que ton père veut, tu sais. Être toi-même, c'est suffisant. On se revoit bientôt.

Et avec ça, il sort.

Je reste figée sur le banc, sa dernière phrase résonnant dans ma tête. Je ne sais pas pourquoi, mais ces simples mots m'atteignent plus que toutes les insultes ou critiques que mon père a pu me lancer. Peut-être parce que, pour la première fois, quelqu'un me regarde autrement qu'avec des attentes ou des déceptions. Sûrement parce qu'il croit en quelque chose que je n'arrive pas encore à voir en moi.

Et alors que la douleur sur ma joue commence à s'atténuer sous la fraîcheur de la canette, une pensée insensée me traverse l'esprit. Peut-être qu'un jour, je finirai par tomber amoureuse de ce garçon. Pas maintenant, pas dans cet instant chaotique de ma vie, mais un jour. Parce qu'il a vu en moi une Ivy que je n'ai jamais osé être.

Et pour la première fois depuis longtemps, je me surprends à espérer que ce jour vienne. Je ne sais pas ce qu'il voulait dire en disant qu'on se revoyait bientôt, mais faites que ce « bientôt » arrive rapidement...


À suivre...

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