Chapitre 6-2
L'inspecteur bondit de sa chaise en plastique inconfortable et se rua en direction de la chambre de l'homme qui braillait toujours, son portable déjà à l'oreille. J'hésitai à le suivre, tiraillée entre mon instinct et ma raison, quand une infirmière poussant un fauteuil roulant pénétra dans le box. Eh bien, mon petit mouvement d'humeur avait porté ses fruits, me dis-je. Je n'avais pas eu à attendre très longtemps cette fois-ci. Comme par hasard, la seule fois de la soirée où cela m'aurait arrangé. J'évitai néanmoins d'en rajouter et ne pouvant rien faire d'autre, m'assis docilement dans le fauteuil, sachant que c'était la procédure classique dans les hôpitaux.
La jeune fille me conduisit au travers d'un dédale de couloirs tous identiques, pour finalement me laisser dans une petite salle carrée, sans fenêtre, meublée en tout et pour tout d'une table d'examen recouverte du traditionnel morceau de papier blanc et d'un chariot en métal inoxydé, recouvert de tout un tas de matériel nécessaire aux points de sutures en tout genre.
— Installez-vous. L'interne arrive tout de suite, m'informa-t-elle d'une voix pressée mais tout de même amicale, avant de sortir de la pièce.
Un interne, il ne manquait plus que ça ! me dis-je en faisant quelques pas dans la pièce froide et aseptisée. Il ne manquerait plus qu'il me loupe ! Avec ma chance légendaire d'aujourd'hui, c'était tout à fait dans l'ordre du possible et clôturerait en beauté cette journée pourrie. Avec un soupir, autant de lassitude que de résignation, je finis par m'asseoir sur le bord de la table et j'attendis...encore.
J'avais froid, j'étais épuisée et le silence feutré de la salle vide me tapait sur les nerfs après le brouhaha incessant des urgences. Des bruits assourdis de conversations me parvinrent soudain du couloir et je me redressai machinalement lorsque j'entendis la porte s'ouvrir. Un jeune homme blond avec des cheveux en bataille et une blouse mal boutonnée entra dans la pièce. Il leva vers moi son visage fatigué, qui sembla s'éclairait un peu lorsqu'il m'aperçut. Se pourrait-il que nous nous connaissions ? me demandai-je un peu dérouté par sa réaction. Non, un mec avec d'aussi beaux yeux bleus et qui plus est étudiant en médecine je m'en serais souvenue...quoi que, ces derniers temps, mon cerveau avait plutôt été aux abonnés absents.
— Bonsoir, bonjour, enfin...je ne sais plus trop à vrai dire, commença-t-il d'une agréable voix grave, en posant le dossier qu'il avait en main non loin de moi sur la table d'examen. Oh, excusez-moi pour ma tenue débraillée, s'exclama-t-il en commençant à reboutonner correctement sa blouse et en tentant de lisser ses cheveux avec ses mains. J'étais en train de dormir quand on m'a bipé, ajouta-t-il avec un sourire d'excuse en s'approchant du charriot à instruments pour y prendre une paire de gants qu'il enfila.
Après tous ces gens pressés, stressés et énervés, son comportement amical et décontracté était...déroutant. Il avait beau paraître plus gaie et plus sympa que ses collègues, sa bonne humeur contagieuse était un peu forcée et ne masquait pas complètement sa fatigue, qui lui faisait des ombres sur les joues et des poches sous les yeux. Mais c'était quand même agréable de croiser quelqu'un, qui ne me traitait pas d'emblée comme une victime ou une suspecte.
— Alors, j'ai vu sur votre dossier que vous aviez besoin de points de sutures ? Montrez-moi ce qu'il faut que je répare ? me demanda-t-il gentiment tout en prenant avec douceur ma main dans les siennes, avant de l'ouvrir délicatement.
Il ne dit rien et avec des gestes très professionnels commença à nettoyer une nouvelle fois la plaie.
— Attention, cela risque de piquer un peu, me prévint-il tandis qu'il appliquait sur ma paume une compresse stérile imbibée d'une solution mousseuse.
Je pris une grande inspiration et serrai les dents, le regardant passer et repasser la compresse sur la plaie avec des gestes doux et précautionneux.
— On doit être certain que la plaie est bien propre avent de recoudre, m'expliqua-t-il en jetant la compresse souillée dans un bac à déchet biologique, avant de se saisir du matériel de suture. Vous vous êtes fait ça comment ? me demanda-t-il en approchant l'aiguille courbée de ma paume.
— En tombant sur une bouteille, lui répondis-je d'une voix tendue, sans entrer dans les détails, mon regard rivé malgré moi sur ma main abîmée.
— Ah oui ? s'étonna-t-il en levant son regard azur vers moi. Il avait l'air surpris. Vous devriez peut-être regarder ailleurs, me prévint-il alors qu'il faisait le premier point.
Je me crispai, mais mis à part une légère piqure et une sensation de tiraillement, je ne sentis rien.
— La solution désinfectante que je vous ai appliqué, était combinée à un léger anesthésique local, m'expliqua-t-il avec un petit sourire, bien qu'il soit concentré sur sa tâche. Vous avez eu de la chance que le morceau de verre ne fasse que vous effleurer, sinon les dégâts auraient été beaucoup plus important.
Je le fixai un instant sans comprendre. Cette écharde de verre m'avait presque traversé la main ! Ce qu'il disait n'avait aucun sens.
— Au fait, je suis désolé si mon style direct vous a surpris, me dit-il avec un petit sourire contrit, interrompant mes pensées et m'empêchant de le détromper. Mais cela m'a fait tellement plaisir de voir quelqu'un de "normal" par cette nuit de fou, que ça m'a tout de suite remis de bonne humeur, ajouta-t-il gentiment tandis qu'il effectuait le dernier point et me gratifiait d'un nouveau sourire.
— Il n'y a qu'à vous que j'ai fait cet effet-là apparemment, essayai-je à mon tour de plaisanter, mais sans grands résultats.
Je n'avais jamais été très douée pour ça. J'étais plutôt du genre franche et spontanée, si bien que lorsque je m'essayais à ces petits jeux sociaux, cela tombait souvent à plat. Quand ça ne se retournait pas carrément contre moi.
— Ils sont tous fou ici, me répondit-il néanmoins, entrant dans mon jeu mais sans en rajouter se rendant manifestement compte que je n'étais pas très à l'aise pour le babillage social de base.
Pendant que je m'interrogeais toujours sur sa remarque étrange à propos de ma blessure, il recouvrit ma paume de Bétadine, avant d'apposer un grand pansement blanc pour protéger son travail.
— Voilà c'est terminé, me dit-il quelques minutes plus tard. Il faudra revenir dans une semaine pour que l'on vous retire les fils. Demandez le docteur Cooper, c'est moi. Enfin...si vous avez envie que je finisse ce que j'ai commencé, me dit-il avec un sourire un peu plus naturel.
Il récupéra mon dossier et me fit signer le feuillet comme quoi j'étais libre de quitter l'hôpital et de rentrer chez moi. Un silence un peu gêné s'instaura entre nous, heureusement brisé par son bipper qui se mit à sonner au moment opportun.
— Désolé, je dois y aller, me dit-il en consultant l'appareil. Une infirmière va arriver pour vous conduire à l'accueil...à bientôt, me dit-il d'une manière un peu gauche avant de partir sourire à d'autres patients qui devaient en avoir bien besoin.
Je restai quelques minutes assise à repenser à cet étrange rencontre, puis décidais que je pouvais très bien me passer de fauteuil roulant. Je descendis donc de la table, me sentant bien mieux depuis que ma main ne pulsait plus d'une douleur sourde, et décidais de regagner la sortie par mes propres moyens, ce ne devrait tout de même pas être si compliqué ? Une fois dans le couloir, j'hésitai...et si l'inspecteur attendait mon retour ? Non, il devait être occupé à rechercher la jeune fille et nous devions nous revoir dans quelques heures au commissariat de toute façon, réfléchis-je rapidement pour moi-même avant de m'engager sans remord dans les coursives.
Sauf qu'au bout de trois virages et trois couloirs identiques, j'étais complètement perdue. Je m'arrêtai quelques instants pour me repérer et remarquai le plan accroché au mur, un peu plus loin. Je m'empressai donc d'aller le consulter, pour pouvoir quitter cet enfer blanc au plus vite. Ayant enfin repéré où je me trouvais, je me dirigeai vers les ascenseurs les plus proches, recommençant à croiser du monde maintenant que je me rapprochais du centre névralgique de l'hôpital.
J'attendais, avec une petite dizaine d'autres personnes, que les cabines arrivent, laissant mon esprit dériver et écoutant presque machinalement les conversations venant du bureau d'accueil juste derrière moi.
— Bonsoir. Je suis à la recherche de ma fille. On m'a dit qu'elle avait eu un accident et avait été transférée ici. Pourriez-vous m'indiquer dans quel service ?
À l'entente de cette voix froide, impersonnelle et dénuée de toute émotion, un frisson glacé me traversa de la tête au pied. Mais ce n'était pas l'étrangeté du ton employé par cet homme et qui ne cadrait pas avec le sujet grave qu'il abordait qui me fit dresser les cheveux sur la tête, non...c'était sa voix en elle-même. Celle de l'un des deux hommes du terrain vague, celui qui avait tiré sur le chat. Et si lui était là, j'étais prête à parier que son comparse l'était également, et certainement pas pour la raison qu'il venait de donner à l'infirmière.
Ou plutôt si, ils cherchaient bien une fille...mais certainement pas la leur.
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