Chapitre 45
Je ne quittai pas la course louvoyante et rapide de Nicolas, qui nous suivait sous sa forme animal, ombre furtive et silencieuse. Ivory nous entraînait toujours plus loin au cœur des bois, évitant les troncs et sautant les obstacles comme s'ils n'existaient même pas. Quel était son but et où nous emmenait-il ? Avait-il un plan ? Des complices qui l'attendaient ? Où était-il simplement en fuite ? L'hypothèse la plus inquiétante était bien évidemment la dernière, car s'il était en fuite...il n'avait plus rien à perdre ! Je devais trouver une solution pour me dégager de là et le ralentir pour permettre à Nicolas, qui ne devait certainement pas être seul, de le neutraliser en attendant que les renforts arrivent. Mais comment réaliser tout cela alors que je sentais mes forces m'abandonner au même rythme que les élancements pulsatiles provenant de ma jambes qui inondaient mon dos de sueurs froides et me donnaient la nausée...c'est alors que je compris ce que j'avais à faire !
Avec détermination et en mobilisant toute ma volonté, je recommençai à m'agiter sur l'épaule d'Ivory, qui réagit exactement comme je m'y attendais en faisant tourner vicieusement la lame dans ma chair. La douleur me terrassa et un horrible haut-le-cœur que je ne cherchais pas à endiguer me traversa, me faisant déverser mes tripes sur le dos du loup garou, qui hurla d'indignation et s'arrêta net avant de me balancer rudement sur le sol. Le choc m'arracha un cri et je dus lutter pour ne pas m'évanouir, mais j'avais réussi ! jubilai-je en roulant in-extrémis pour éviter le coup de pied vicieux qu'Ivory venait de m'envoyer en me traitant de tous les noms tout en commençant à ôter sa chemise avec des gestes dégoutés.
Il venait juste de la jeter par terre lorsque Nicolas, que j'avais perdu de vue depuis ma chute, attaqua. Il se jeta sur ses jambes dans un grondement sourd et furieux, attrapant l'une de ses chevilles dans sa puissante mâchoire. Un « crac » sonore et écœurant retentit lorsque l'os se brisa, noyé sous le rugissement de rage et de douleur d'Ivory qui tomba lourdement au sol. Les deux loups-garou roulèrent soudain sur le sol de la forêt en un entremêlement de griffes et de crocs.
Encore groggy mais poussée par l'urgence de la situation, je me redressai puis sans réfléchir et d'un geste vif, je retirai la lame de ma chair. Un long frisson désagréable me parcourut mais je serrai les dents et commençai à tenter de me relever. C'est alors, qu'à ma plus grande horreur, Ivory prit soudain le dessus et dans un grand mouvement tournoyant, envoya le corps de Nicolas se fracasser contre un arbre. Le loup poussa un glapissement avant que son corps ne retombe, inerte, au pied du sapin qu'il venait de percuter.
J'allais me précipiter vers lui, quand une poigne de fer me saisit par le bras et me tira en arrière.
— Pas si vite petite louve ! Tu croyais t'en tirer si facilement ? Je savais qu'il nous suivait depuis le début ! Maintenant arrête de me résister où je l'achève devant tes yeux !
— Mais que voulez-vous de moi ? m'exclamai-je dans un sanglot en me tournant vers lui, ma rage prenant le pas sur mon bon sens.
— Ce que je veux, petite gourde ? Mais toi, évidemment ! Cela fait plusieurs siècle que j'attends une femelle pour pouvoir me reproduire. Je ne vais pas te laisser filer si facilement !
Les images que ses paroles évoquèrent à mon cerveau, faillirent me faire de nouveau rendre mon déjeuner.
— ça c'est totalement hors de question ! m'exclamai-je en libérant mon bras d'un geste sec qui le surpris et l'obligea à lâcher prise.
Je n'eus pour autant pas le loisir de savourer ma demi-victoire que son poing s'abattait avec force sur ma tête et que tout devint noir.
***
La première chose que j'entendis lorsque je repris conscience, fut un bruit diffus et assourdissant. Pourtant nous nous trouvions toujours dans la forêt, l'odeur d'humus et les brindilles que je sentais sous mon corps, me l'affirmait. J'ouvris prudemment les yeux et ne vis...que des troncs et des fougères. J'étais couchée à même le sol, les mains et les pieds entravés grossièrement à l'aide de morceaux de tissus nauséabonds, certainement des lambeaux de la chemise d'Ivory. Malgré ma situation précaire, je décidai d'essayer de m'assoir lentement.
Ma tête m'élançait douloureusement mais je parvins quand même à redresser un peu le buste, suffisamment pour apercevoir Ivory debout à quelques mètres de moi. Le bruit sourd qui saturait mes oreilles ultrasensibles, provenait d'une chute d'eau, dont j'apercevais les embruns du coin de l'œil. Je me rallongeai avec précaution et me mis aussitôt sur le ventre avant de commencer à ramper le plus rapidement possible dans la direction opposée à Ivory. J'espérai que le bruit de l'eau couvrirait ma pitoyable tentative d'évasion. Je n'avais pas fait deux mètres, que je sentis une main se poser sur mon bras. Je me figeai, m'attendant me prendre un coup assortit d'un sarcasme ou d'une insulte, au lieu de quoi, je sentis une lame se glisser précautionneusement entre ma peau et mes lien avant de les trancher d'un geste vif.
— Chuut, pas un bruit, me murmura Aaron tout en libérant mes chevilles et en m'aidant à me relever.
Je retins un gémissement lorsque le pied de ma jambe blessée se posa sur le sol et je dus me raccrocher au bras d'Aaron pour ne pas retomber dans les fougères.
— Comment va Nicolas ? lui demandai-je aussitôt dans un chuchotement anxieux, en me laissant entrainer au milieu des arbres.
— Il est amoché mais ça va. C'est lui qui nous a conduit jusqu'à toi.
— Mais comment ? Il était évanoui lorsqu'Ivory m'a assommé.
— Cette blessure a été sa plus grosse erreur, m'expliqua-t-il en désignant mon mollet blessé d'un signe de tête. Ton sang lui a servi de balise.
— Où est-il ?
— Avec Thomas et les autres, ils sont en train d'encercler Ivory.
— Pourquoi n'est-il pas ici avec moi au lieu de risquer une nouvelle fois sa vie ? lui demandai-je soudain suspicieuse.
Je ne voulais pas croire qu'Aaron me mentait, mais peut-être avait-il de bonnes raisons pour cela. Et si Nicolas était mort et qu'il me racontait ça pour éviter toutes réactions disproportionnées de ma part ?
— Parce que ce qui compte le plus pour lui c'est que tu sois en lieu sûr.
— Vous mentez !
— Non je ne mens pas Rose, me dit-il d'une voix implacable en me saisissant par les poignets. Nicolas est vivant et il m'a chargé de t'emmener en lieu sûr pour ne pas qu'Ivory devine que tu t'es enfuie. Si Nicolas fait partie de l'embuscade, il en déduira que tu es toujours là-bas et il se battra au lieu de s'enfuir.
— Pourquoi vous ne l'abattez pas simplement d'une balle en pleine tête ?
— Tu as déjà essayé...tu as vu le résultat !
Un peu honteuse je baissai les yeux et m'arrêtai, gênée par ma jambe et par quelque chose, une intuition, qui me disait de ne pas partir.
— Ivory est un fossile mais il est ultra puissant et rapide ! Seul un combat au corps à corps et une lame en argent pourront en venir à bout.
— Et vous avez laissé Nicolas s'en charger, alors qu'il est lui-même blessé ! C'est du suicide ! m'exclamai-je, bien que toujours en sourdine en foudroyant Aaron du regard, avant de commencer à rebrousser chemin.
— Rose, qu'est-ce que tu fais ?
— Hors de question que je parte sans lui.
— C'est un loup garou puissant. C'est lui qui a la meilleure chance de le vaincre et il n'est pas seul.
— Peu importe, je sens que je dois y aller ! lui rétorquai-je en avançant encore de quelques pas.
Je le vis grimacer d'agacement et tendre la main vers moi, lorsqu'un rugissement de bête blessée retentit soudain dans la forêt, bientôt suivi de cris et de bruits de lutte. Sans réfléchir je me mis à courir en direction des bruits de bagarre et arrivai pile au moment où Ivory projetait l'un de ses assaillant par-dessus le bord de la falaise. Il n'y avait déjà plus que deux hommes debout, Thomas et Nicolas. À sa vue, un intense soulagement m'envahit, mais de courte durée lorsque je vis dans quel état il était.
— Aaron, emmène Rose ! rugit-il en évitant de justesse un coup de griffe.
Ivory, se tourna soudain vers moi, un éclat victorieux dans le regard. Ce petit moment d'inattention lui fut fatale.
— Thomas ! Maintenant ! cria Nicolas au métamorphe loup, alors qu'ils se ruaient tous les deux sur lui, se saisissant chacun de l'un de ses poignets.
Les bras ainsi immobilisés le loup garou était momentanément inoffensif. Dans un ballet horriblement rapide et précis, les deux hommes tournèrent autour du corps d'Ivory, le piégeant dans leur étreinte et lui cassant net les deux bras. Dans un hurlement terrifiant, Ivory tomba à genoux et Nicolas en profita pour l'égorger d'une oreille à l'autre. Ivory écarquilla les yeux, incrédule tandis que son corps maculé de sang basculait lentement dans le vide.
Nicolas, se tourna vers moi un air d'intense soulagement sur le visage, quand soudain il fut brusquement attiré en arrière...et disparu à son tour dans le précipice.
Dans un hurlement je me précipitai vers lui, aussitôt ceinturé par Thomas, qui m'empêcha de sauter du haut de la falaise.
— C'est trop tard, me murmura-t-il d'une voix dévastée par la tristesse, alors que l'homme que j'aimais disparaissait dans le maelström bouillonnant de la cascade, entraîné dans sa chute par le cadavre d'Ivory.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top