Chapitre 4-1






C'est un bruit strident et perçant, qui semblait avoir pris mon crâne pour une caisse de résonance, qui me força à ouvrir les yeux. « J'ai dû m'évanouir » fut la première pensée cohérente qui me vint alors qu'un froid terrible s'insinuait en moi et qu'une forte douleur irradiait dans mon cou, m'empêchant de respirer et menaçant de me replonger dans le néant d'une seconde à l'autre. Ma perte de connaissance n'avait pas dû être longue car j'étais toujours au même endroit et dans la même position. C'est-à-dire les bras menottés de la fille toujours autour de mon cou, son poids mort m'étranglant lentement mais sûrement.

Dans un sursaut de lucidité, je tentai de passer mes doigts sous la chainette afin de relâcher un peu la pression sur ma gorge, mais sans succès. En m'évanouissant j'avais dû lui lâcher les mains et le poids de son corps l'entrainant vers l'arrière, maintenait la chaîne contre mon cou. Il fallait à tout prix que je me dégage et très vite, sinon j'allais mourir là, étranglée par accident, par la personne que j'essayais de sauver...pathétique !

Je tentai de changer de position, mais mes forces déjà plus que déclinantes, s'amenuisaient encore du fait du manque d'oxygène. Des points noirs envahissaient mon champ de vision, grignotant les bords et rétrécissant ma vue à une vitesse folle. Les sirènes qui m'avaient réveillé et qui semblaient de plus en plus proches, n'arriveraient probablement pas à temps, arrivai-je encore à penser dans un dernier sursaut de lucidité résignée. Non, je devais tenir bon, m'acharnai-je avec l'énergie du désespoir, en essayant une dernière fois de me libérer, même si mes mouvements de plus en plus faibles, avaient de moins en moins de chance de parvenir à leur fin.

Je sentais mes forces m'abandonner pour de bon quand j'entendis une porte s'ouvrir, ce son ralluma une petite lueur d'espoir en moi, me permettant de tenir le coup quelques secondes supplémentaires. C'est alors que la morsure de la chaîne sur mon cou se relâcha subitement et que je pus aspirer de grandes goulées d'air glacé à plein poumons, mes mains crispées sur ma gorge douloureuse. Je me forçai à ouvrir les yeux pour pouvoir localiser mon sauveur et le remercier, mais mis à part moi et la jeune fille inconsciente...personne. C'est à ce moment que plusieurs véhicules, toutes sirènes hurlantes, tournèrent le coin de la rue et vinrent s'immobiliser brusquement le long du trottoir.

Ils étaient à peine arrêtés, que deux ambulanciers zélés sautèrent de leur véhicule et se mirent à courir vers nous, un peu ralentis par leurs matériels. Avant d'être très vite stoppés par deux policiers en uniforme qui leurs firent signe, assez sèchement, de rester où ils étaient. Puis les deux hommes s'avancèrent vers nous lentement, leurs armes à la main, ne sachant de toute évidence pas à quoi s'attendre exactement. Ce qui ne m'étonnais pas vraiment ! J'imaginais d'ici le tableau que l'on avait dû leur brosser !

Ils continuèrent leur approche précautionneuse en jetant des coups d'œil anxieux autour d'eux, comme s'ils s'attendaient à une embuscade. Il ne fallait pas exagérer, pensai-je tandis que je reprenais lentement mon souffle, nous n'étions quand même pas en zone de guerre ! J'ouvris la bouche pour leur dire qu'il n'y avait pas de danger, mais ne réussis qu'à sortir un borborygme rauque qui m'arracha une grimace de douleur.

— Ces jeunes filles ont besoin d'aide. Laissez-nous faire notre travail bon sang ! cria l'un des secouristes d'une voix excédée en commençant à s'avancer vers nous.

— On vous à dit de rester où vous étiez pour l'instant ! aboya le plus vieux des deux flics en se retournant pour foudroyer l'homme du regard, ce qui ne l'arrêta pas une seconde.

— Franchement je ne vois pas où pourrait bien être le danger, lui rétorqua-t-il en désignant la petite place miteuse d'un geste du bras.

— Le quartier n'est pas sûr...commença le policier.

Mais il n'eut pas le temps de terminer, que les deux secouristes le dépassaient rapidement et venaient s'agenouiller devant nous.

— Ne vous inquiétez pas, on va s'occuper de vous, me dit-il gentiment. Non, n'essayez pas de parler pour l'instant, ajouta-t-il voyant que je tentais de lui expliquer la situation. Il faut d'abord que l'on évalue les dégâts, continua-t-il en commençant à me palper tout doucement la gorge.

Ses gestes, précis et professionnels, étaient doux et aussi léger que possible ce qui ne m'empêcha pas de gémir sous la douleur que son examen rapide et minutieux provoquait. Pendant qu'il m'examinait et que sa collègue faisait de même avec ma compagne, le flic mal luné s'était rapproché en tapant des pieds et en montrant ostensiblement sa désapprobation par des grognements bruyants et répétés.

— Mais qu'est-ce que c'est que ce bazar, tempêta-t-il en s'arrêtant brusquement à quelques centimètres de moi. Qui êtes-vous et que s'est-il passé ici ? me demanda-t-il brutalement, ses petits yeux trop rapprochés allant des mains menottées de ma voisine à ma gorge tuméfiée, pour finir par se planter dans les miens. Encore une blague idiote qui a mal tournée, hein ? continua-t-il à me demander d'un ton de plus en plus agressif, tout en se rapprochant toujours plus, histoire de m'intimider en me dominant de toute sa taille.

Je tentai de me lever me sentant trop vulnérable, affalée comme ça sur les trois marches en béton de l'immeuble crasseux devant lequel nous nous trouvions. Sans compter que c'était loin d'être confortable ! Mais j'avais à peine amorcé mon mouvement que je fus prise de violents tremblements qui me forcèrent à rester là où j'étais, dominée par l'ombre menaçante de plus d'un mètre quatre-vingt du policier en colère.

Le secouriste ferma les yeux quelques secondes, sûrement pour se calmer, puis tout en secouant la tête d'un air à la fois résigné et exaspéré, se releva et commença à se retourner lentement vers le flic irascible. Bien que n'ayant, heureusement pour moi, pas beaucoup d'expérience avec les forces de l'ordre, quelque chose me disait que nous n'étions pas tombées sur la crème du commissariat. Ce que me confirma la réaction du secouriste, qui lui avait l'air habitué à ce genre de situation.

— Écoutez agent Clark, ces jeunes filles sont blessées et ont besoin de soins...commença-t-il d'un ton mesuré comme s'il parlait à un enfant ou à une personne un peu lente. Apparemment elles ne risquent pas de se sauver dans l'immédiat. Vous pouvez donc attendre que nous soyons tous au chaud et au sec à l'hôpital, pour poser vos questions.

L'agent Clark resta un instant interdit, avant que la colère ne commence à déformer ses traits et que son visage ne prenne une jolie teinte cramoisie. Mais avant qu'il n'ait eu le temps d'émettre le moindre son, un nouveau véhicule vint se stationner derrière les autres, détournant son attention. La portière s'ouvrit calmement et un homme en costume, armé d'un parapluie, en sortit. Il embrassa la scène du regard en quelques secondes et se dirigea vers nous d'une démarche assurée.

C'était un homme d'une bonne cinquantaine d'années, qui avait su garder la ligne malgré le poids des années. Son visage était marqué sans être dur et il se dégageait de lui une sorte d'assurance tranquille. L'agent Clark sembla se dégonfler comme un vieux pneu, lorsque le nouveau venu s'arrêta devant lui, et riva son regard calme au sien. Le patrouilleur ne chercha même pas à le soutenir et, dans un mouvement d'humeur, tourna les talons en beuglant à son collègue resté en retrait.

— La cavalerie est arrivée ! On a plus besoin de nous ici...on se casse ! Puis, sur ces mots très distingués, il remonta dans sa voiture en claquant bruyamment la portière.

Je ne pus m'empêcher de pousser un faible soupir de soulagement, à l'instant où la voiture disparut à l'angle de la rue. À partir du moment où l'agent n'avait plus été un obstacle, les deux secouristes s'étaient remis à s'activer autour de nous. Se concentrant particulièrement sur ma compagne, toujours inconsciente et dont j'ignorais toujours le nom, en essayant de la mettre sur une civière. L'homme au parapluie arriva à notre hauteur, au moment où ils allaient l'emmener jusqu'à l'ambulance.

— Vous tombez à pic Jack...Il va être temps qu'il prenne sa retraite, commenta le secouriste d'un air entendu à l'autre homme, tout en commençant à pousser le brancard.

Celui-ci lui répondit par un demi-sourire et un petit signe de tête qui me firent penser qu'il devait lui aussi être de la police. Ce qui me fut confirmé à la minute où il ouvrit la bouche pour s'adresser à l'ambulancier.

— Ca va aller ? lui demanda-t-il d'une voix grave et posée, qui correspondait bien à son physique, après avoir jeté un coup d'œil rapide, mais averti, sur nous deux.

— Elle ne semble pas en danger immédiat, bien que l'on n'arrive pas à la réveiller, lui répondit-il, avec un petit signe de tête en direction du brancard. On en saura plus une fois à l'hôpital. D'ailleurs on a déjà trop tardé, termina-t-il vivement.

— Il n'y a qu'une ambulance ? demanda le dénommer Jack d'un air surpris.

— Et oui, c'est Halloween ce soir, tous les cinglés sont de sortie ! Sans compter les blagues qui tournent mal. Le standard est débordé et nous aussi, finit-il avec un air las tout en aidant sa collègue à faire entrer le brancard dans l'ambulance.

Pendant qu'il discutait, moi j'étais toujours assise sur mes marches, me demandant si je devais me manifester d'une manière ou d'une autre ou rester là à jouer les spectatrices oubliées. J'avais de plus en plus la sensation désagréable d'être invisible. Ma gorge me faisait toujours souffrir, mais le choc était passé et après tout je n'avais rien de cassé, je pouvais me lever, me dis-je. A peine avais-je amorcé mon mouvement, qu'un étourdissement me saisit me faisant retomber sur ma main blessée. Amenant tous les protagonistes présents à se souvenir de mon existence, lorsque je poussais un gémissement instinctif de détresse.

— Vous avez de la place, pour elle, dans l'ambulance ? demanda Jack.

— Oui, mais si vous nous suivez à l'hôpital, elle sera sûrement mieux installée dans votre voiture, lui répondit-il tout en l'interrogeant du regard.

J'avais vraiment l'impression d'être insignifiante. Ce qui, bêtement, me faisait de la peine et surtout me mettait en rogne. J'avais failli mourir à la fin ! Pour sauver une fille que je ne connaissais même pas. J'aurais dû mériter un minimum de considération...non ? J'eus honte de mes pensées, à la seconde où celles-ci inondèrent mon cerveau traumatisé. Non mais à quoi je pensais ?

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