Chapitre 36-2


Lorsque une main se referma durement sur mon bras, sans réfléchir j'attrapai l'arme par son manche et dans un mouvement fluide dont je ne me savais pas capable, me dégageai et pointai la lame sur la poitrine de mon agresseur.

— Rose, qu'est-ce qu'il vous prend ? C'est moi l'inspecteur Storm !

La voix familière, bien que légèrement altérée par une pointe de surprise et de stress, me sortit de ma transe et je baissai instantanément mon arme à la seconde où je pris conscience de ce que j'étais en train de faire.

— Baissez vos armes ! ordonna l'inspecteur d'un ton sec, me faisant sursauter.

Ce dernier ordre ne s'adressait pas à moi, mais aux deux soldats qui braquaient leurs fusils d'assaut sur ma tête encore quelques secondes auparavant. Mais que venait-il de m'arriver pour que je ne me rende même pas compte d'un danger aussi immédiat et radical ? D'où venait cette sorte de voix dans ma tête ? Mon subconscient qui me jouait des tours, intuition ou...autre chose ? Quoique cela ait pu être, j'avais du mal à m'en remettre. J'avais conscience de l'endroit où je me trouvais et la raison pour laquelle j'y étais venue, mais tout le reste était flou comme si mon cerveau avait du mal à se reconnecter au reste de mon corps.

— Rose, vous m'entendez ? Venez, on ne peut pas rester là ! me pressa Storm en me poussant légèrement dans le dos pour me faire avancer jusqu'à la porte.

Les deux gardes nous regardèrent sortir, le regard suspicieux et le doigt sur la gâchette. Un simple geste de travers aurait suffi à déclencher l'apocalypse. Nous sortîmes malgré tout sans incident et j'entendis l'inspecteur relâcher le souffle qu'il devait retenir depuis longtemps à l'instant où la porte se referma derrière nous.

— Que vient-il de se passer dans cette pièce Rose ? me demanda-t-il sans ménagement d'un ton dur et inquisiteur.

— Rien, lui répondis-je sans réfléchir.

— Rien ! C'est l'euphémisme du siècle ça ! Votre regard absent, vos yeux qui change de couleurs et...cet espèce de...d'aura, champ de force ou je ne sais quoi qui vous a entouré pendant plusieurs dizaines de secondes, c'est cela que vous qualifiez de rien ?

Merde ! Mais de quoi il parlait, je ne m'étais rendu compte de rien ! Comment cela était-ce possible ? C'était une pré-transformation ? Autre chose ? Toutes les questions qui se bousculaient dans ma tête me firent comme un électrochoc...Nicolas ! L'arme étrange que je tenais toujours dans ma main droite sembla soudain peser une tonne, alors que je me ruais vers la salle où il se trouvait, sans prendre de temps de répondre à l'inspecteur.

Je l'entendis jurer derrière moi tandis qu'il m'emboîtait le pas et manquait de justesse de se faire assommer par le battant de la porte que je lui envoyai en pleine figure, tout à ma hâte de rejoindre Nicolas.

Cooper, toujours à genoux, arborait un masque de colère et de désespoir sur ses traits tirés tandis qu'il maintenait ses mains couvertes de sang appliquées sur les blessures de Nicolas.

— J'espère que vous me rapportez de quoi faire un miracle !

En me voyant courir vers lui, une dague à la main, il écarquilla les yeux et se serait certainement reculé si ses instincts de médecin n'avaient pas pris le dessus.

— Eh, c'est quoi ça ! s'exclama-t-il lorsque je lançai l'arme, qui atterri de l'autre côté du corps de Nicolas dans un tintement sourd.

— La cause de ses blessures, lui répondis-je en m'agenouillant sur le sol visqueux. Vous savez en quoi elle est faite ?

— Hein ? De quoi vous me parlez ? De l'arme ? Mais comment je le saurais ?

— Vous êtes interne en médecine, non ! Vous êtes donc sensé avoir fait des études scientifiques ? Ce métal est différent des autres, je pensais que vous sauriez peut-être ce que c'était.

Avec réticence il jeta un coup d'œil à la lame qui gisait à un mètre de lui.

— Franchement aucune idée. Il faudrait l'analyser pour le savoir. De toute façon, en quoi cela peut l'aider de connaître la composition exacte de la lame de ce couteau ?

— A en contrer les effets ! lui rétorquai-je en me relevant pour aller fouiller dans la trousse de secours se trouvant derrière-lui.

— Mais qu'est-ce que vous cherchez ! Ne fouillez pas là-dedans, vous...Quoi ? Rose, lâchez- ça, s'écria-t-il lorsque je me relevai, un scalpel rutilant à la main.

— Je n'ai pas du tout l'intention de m'en servir, lui dis-je en me saisissant de son poignet avant de lui coller le bistouri dans la main. C'est pour vous, il faut drainer ses blessures.

— Comment ça ?

— Enlever les chairs autours des coupures.

—Vous plaisantez ! s'écrièrent les deux hommes à l'unissons.

— Non, malheureusement. C'est ça où il est mort, affirmai-je d'une voix froide et assurée qui ne me ressemblait pas. Soit vous le faite, soit c'est moi. Ce qui est certain c'est que je ne le laisserai pas mourir devant moi sans rien faire.

— Mais je ne peux pas faire ça ici, sans pièce stérile, sans anesthésie, ni...

— Aucun problème pour ça, le coupai-je précipitamment, sentant l'horreur de ce que je lui demandai de faire tenter de dépasser mes défenses et l'assurance évidente et obscure d'avoir raison.

— Vous êtes certaine...

— Oui, lui affirmai-je. Il ne risque pas de mourir d'une infection, quant à la douleur...on n'a pas le temps de s'en soucier. J'espère juste qu'il restera inconscient.

Je le vis hésiter. Il me prenait clairement pour une dingue, cela se voyait à son regard. Mais il doutait assez pour s'interroger. Ayant été tenue à l'écart des évènements de la « grande révélation » comme les humains appelaient cela, j'ignorai l'étendue de leurs connaissances. La main de Nicolas remua faiblement, tandis qu'il ouvrait brièvement les yeux en cherchant mon regard. Ce que j'y vis raffermi ma conviction et l'urgence de la situation.

— J'en suis sûre et certaine, faites-le maintenant ! lui ordonnai-je d'une voix désespérée.

Il prit une grande inspiration, puis avisant Storm, toujours debout non loin de nous, lui fit signe de 'approcher d'un signe de tête.

— Inspecteur, vous allez devoir l'immobiliser, prenez la place de Rose et maintenez ses épaules au sol...

— Non, je vais le faire, dis-je à l'inspecteur. Tenez-lui les jambes plutôt.

— Non, vous n'aurez pas assez de force pour...

— J'en aurais bien assez croyez-moi ! interrompis-je Cooper, en lui lançant un regard qui lui ôta toutes envie de discuter.

Je ne savais pas ce qu'il m'arrivait mais je me sentais plus forte, plus sûre de moi et...je savais que je ne devais pas laisser l'inspecteur s'approcher trop près de la tête de Nicolas. Sous l'effet de la douleur, on ne pouvait pas prévoir sa réaction et s'il le mordait, il s'en voudrait toute sa vie.

Les deux hommes ne discutèrent pas et nous nous mîmes tous en position. Le regard de Storm ne me quittait pas et même s'il ne disait rien pour le moment, je ne couperai pas à l'interrogatoire, c'était certain. Il serait bien temps de s'en préoccuper lorsque Nicolas serait tiré d'affaire.

Cette nouvelle confiance en moi s'estompa bien vite, dès que Cooper commença à inciser. Nicolas faisait tout son possible pour rester stoïque mais sa mâchoire contractée, ses plaintes intermittentes et ses mouvements involontaires et puissants trahissaient sa souffrance. J'eu besoin de toutes ma force physique et psychique pour continuer de le maintenir au sol tout en exhortant Cooper à continuer sa chirurgie sauvage...tout au moins au début.

— C'est...c'est incroyable ! s'exclama ce dernier dans un murmure émerveillé en voyant les chaires reprendre intensément une couleur plus saine, autour de la profonde entaille qu'il venait de pratiquer.

— Vous vous extasierez plus tard ! le rappelai-je à l'ordre d'un ton acide. Il n'est pas encore tiré d'affaire.

Une bonne demi-heure plus tard, la pièce ressemblait à un champ de batailles et nous à quatre rescapés d'un massacre. Nicolas gisait au milieu d'une mare de sang, enfin inconscient, un bandage immaculé recouvrant sa poitrine. Je vérifiai une dernière fois son pouls qui était désormais lent et régulier et relâchai enfin la pression que j'exerçai sur ses épaules.

C'est alors que l'énormité de ce que nous venions de faire, de ce que je les avais poussés à faire, me percuta de plein fouet alors que je m'écroulai sur le sol terrassée par ma fatigue et ma détresse, autant physique que nerveuse. 

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