Chapitre 23-2


Enfin, c'est ce que je croyais, car la suite m'apprit rapidement que je n'avais encore rien vu. Nicolas, qui hormis ses yeux, était toujours lui-même planta son regard incandescent dans le mien tandis qu'un grondement sourd et continu commençait à sortir de sa gorge.

— Surtout, ne fuis pas, parvint-il à articuler d'une voix grave et rauque.

Je me contentai d'un petit signe de tête timide, mes yeux écarquillés braqués sur lui tandis que mon cœur s'emballait dans ma poitrine. J'entendis sa respiration s'accélérer et devenir plus lourde et rocailleuse tandis qu'il se voutait petit à petit jusqu'à finir à genoux sur le sol. Il posa pesamment ses mains par terre alors qu'une longue plainte sortait de sa bouche. Un son douloureux et perturbant qui me déclencha instantanément des sueurs froides.

Malgré ma faiblesse et ma respiration laborieuse, mon premier réflexe fut de vouloir descendre du lit pour m'éloigner le plus possible de la chose gémissante recroquevillée sur le parquet.

— Nous sentons ta peur, dit soudain Nicolas d'une voix méconnaissable et grinçante qui m'arracha un petit cri. Contrôle-toi ! rugit-il en redressant soudain la tête dans ma direction.

Ce que je vis finit de me faire paniquer et même si je savais que je ne devais pas fuir, ni montrer ma peur, ce fut plus fort que moi. Son visage qui avait commencé à s'allonger était méconnaissable. Une véritable vision de film d'horreur ! Avec des mouvements gauches et désordonnés, j'essayai de sortir du lit, qui me paraissait être l'endroit idéal où être prise au piège. Mais j'étais maladroites et mes membres sans force ne me facilitaient pas la tâche.

Un horrible craquement mouillé se fit soudain entendre, assortit à un cri lugubre de douleur et de rage. Je me démenai pour repousser mes draps, métamorphosée par la terreur sourde qui s'était emparée de moi. Mes jambes affaiblies s'emmêlèrent dans les couvertures et je tombai lourdement sur le sol dans un gémissement de douleur. Je tentai de me lever quand un nouveau bruit écœurant d'os qui se brise me parvint, tandis qu'une odeur étrange envahissait la pièce.

C'était une fragrance brut et sauvage que je n'aurais su décrire exactement. Les bruits écœurants et les plaintes ourdes continuèrent augmentant ma peur et me poussant, malgré mes jambes bloquées, à essayer de ramper sous le lit. C'est alors que j'y était presque, qu'il apparût, stoppant net mon mouvement.

Sa transformation était achevée et un loup se tenait devant moi. Un vrai loup, pas une créature de cauchemar moitié humaine, comme on peut en voir dans les films. Il était immense, au moins un mètre vingt de haut, mais sans être gigantesque. Ses muscles bien dessinés le rendaient puissant et impressionnant, il était à la fois intimidant et...magnifique. Le plus remarquable était la couleur de son pelage, je ne savais pas qu'un loup pouvait-être roux. Il avait presque les mêmes nuances de robe qu'un renard. Seules ses oreilles et sa queue était noires. Il ne bougeait pas, se contentant de me fixer de son regard doré et troublant. Je sentis ma terreur refluer doucement et tandis qu'il m'observait entrepris de libérer mes jambes du drap entortillé avec des gestes lents. Même si j'avais moins peur, je tenais à être libre de mes mouvements.

Il commença à s'approcher de moi et sans prévenir mon instinct de survie prit le dessus, m'inondant d'adrénaline. Instantanément le loup montra les crocs et commença à gronder en se ramassant sur lui-même. Dans un cri inarticulé, je me précipitai sous le lit au moment où l'animal se jetait sur moi. Je réussi à me faufiler in-extrémis sous le meuble à l'instant où il en percutait le montant avec violence, s'assommant à moitié et me laissant ainsi le temps de passer de l'autre côté.

J'étais terriblement affaiblie et il me sembla mettre des heures à me redresser. Mes jambes ressemblaient à du caoutchouc et chaque inspiration était douloureuse pour mon corps malade. Ma seule et unique issue étant la porte je m'y dirigeai, alors que le loup m'observait en grondant, prêt à bondir. Fut-ce dû au fait que je ne courus pas, faute d'en être capable, mais il me laissa arriver jusqu'au battant sans bouger. Peut-être que Nicolas était toujours là, quelque part et qu'il me laissait une chance de m'enfuir, me dis-je tandis que je poussai de toutes mes maigres forces sur le panneau de bois, qui ne bougea pas d'un pouce.

— Rose, il sent ta peur, me dit Tomas sa voix étouffée par l'épaisseur du bois qui nous séparait. Tu dois le laisser t'approcher.

— Je...je ne peux pas, murmurai-je en sanglotant, la joue collée contre la porte. Laissez-moi sortir.

— Nicolas est très fort, je ressens son contrôle d'ici. Mais si tu fuis, c'est son loup qui prendra les commandes. Tu dois le laisser te mordre.

— Quoi ! m'écriai-je d'une voix suraiguë tandis que la bête sauvage qu'était devenue Nicolas se remettait à grogner, échine hérissée et crocs dénudés.

Je me souvenais bien avoir entendu Nicolas parler de morsure, mais c'était beaucoup plus concret et effrayant de ce côté du décor.

— Mais...il va me déchiqueter vivante...je ne veux pas mourir comme ça ! J'ai peur.

— Vous n'allez pas mourir Rose, faites-lui confiance, m'implora Thomas d'une voix persuasive.

Je frappai encore mollement sur la porte pendant quelques secondes avant de me rendre à l'évidence...ça ne servait à rien. Je devais prendre sur moi et passer outre à mon instinct qui me disait que si je restai face à ce monstre plus longtemps, j'allais mourir. Soyons clair, il y avait un risque non négligeable que j'y reste, mais si je sortais de cette pièce maintenant, je mourrais de toute façon ! Dans un soupir sanglotant et en utilisant les dernières forces de volonté qu'il me restait, je me laissai doucement glisser jusqu'au sol.

— Vas-y, murmurai-je d'une voix cassée et résignée. Fais-le maintenant !

Il fut tellement rapide que je le vis à peine bouger. En un bond puissant il fut sur moi et avant même que je n'ai le temps de réaliser ou de crier, il referma sa mâchoire sur mon bras. La douleur et le choc furent tels qu'ils me paralysèrent et que je ne pus qu'assister, impuissante, à ce qui suivit.

Durant ce qui me parut de longues minutes, il m'attaqua sans relâche, me mordant et me blessant avec ses griffes aiguisées et coupantes. J'essayai de parler, de lui dire d'arrêter mais aucun son ne sortait de ma bouche tandis que je sentais le sang ruisseler sur ma peau et mes larmes rouler sur mes joues. Quand enfin ses crocs se refermèrent sur ma gorge je sus que c'était la fin et qu'il ne tiendrait pas sa promesse...j'allais mourir malgré tout. Je me sentis partir en arrière alors que je plongeais enfin dans un néant calme et apaisant.

***

J'avais chaud, beaucoup trop chaud, pensai-je en tentant, mais sans succès, d'écarter les draps qui collaient à mon corps trempé de sueur. De sueur, vraiment ? pensai-je presque instantanément quand les souvenirs de l'attaque me percutèrent de plein fouet. Je devrais être morte ! Pourquoi n'avais-je mal nulle part ? me demandai-je de nouveau en me mettant à claquer des dents, soudain frigorifiée. J'essayai une nouvelle fois de bouger les bras, sans plus de résultats qu'auparavant. Mes paupières aussi refusèrent de s'ouvrir lorsque je les sollicitais. Que se passait-il ?

— Rose, écoutez-moi ! Vous êtes entravée pour votre sécurité. Arrêtez de vous agiter, me dit soudain Thomas non loin de moi. Le processus est en route, vous devez garder vos forces pour y survivre.

Alors tout ce cauchemar n'était pas encore terminé ! gémis-je intérieurement alors qu'une nouvelle vague de tremblements incontrôlables me traversaient tout le corps, me faisant creuser le dos dans une position peu naturelle et douloureuse.

— Rose, tu ne dois pas lutter. Ce que tu ressens est désagréable, mais normal.

La voix de Nicolas, faible et épuisée, résonna soudain dans la pièce, me rassurant autant qu'elle m'effraya. J'avais conscience de ne plus vouloir me trouver dans la même pièce que lui et en même temps, qu'il était le seul à connaître et comprendre ce qu'il m'arrivait.

— Si tu résistes, tu n'y survivras pas ! souffla-t-il dans une exclamation effrayée et impuissante au moment où un spasme particulièrement violent me tordait le corps, essayant de m'arracher un cri d'agonie qui ne parvint pas à sortir de ma gorge contractée.

— Il faudrait la plonger dans l'inconscience pour faciliter les choses, affirma Thomas que j'entendais marcher dans la pièce d'une démarche agitée.

— C'est impossible. Même s'il ne va pas jusqu'à son terme, le changement a commencé. Les anesthésiques ne seront déjà plus efficaces sur elle.

— Il y a d'autres moyens, intervint une nouvelle voix d'homme qui me sembla vaguement familière alors que des pas énergiques faisaient trembler le sol.

— Non Arrête...

— Désolé Rose, me dit l'homme désormais près de moi en coupant la parole à Nicolas. C'est pour votre bien, ajouta-t-il alors qu'un bref appel d'air soulevait brièvement mes cheveux.

Puis une terrible douleur explosa dans mon crâne, avant que tout ne s'éteigne définitivement. 

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