Chapitre 19-2


— Encore !

L'exclamation était sortie de ma bouche de manière spontanée, me surprenant presque autant que les deux métamorphes présents dans la pièce. Surtout Nicolas, qui s'était figé à quelques mètres de moi, la main toujours tendue dans ma direction. À l'évidence, il devait avoir l'habitude qu'on lui obéisse sans poser de question ! Hé bien ce n'était plus mon cas !

— Je n'irais nulle-part ! J'en ai plus que marre que l'on me transbahute d'une pièce à l'autre comme un meuble encombrant. Terminé ! m'exclamai-je laissant s'exprimer enfin toute mon incompréhension, ma colère et ma lassitude face à toute cette histoire de fou.

— Vous ne voulez plus rentrer chez vous ? me balança Nicolas d'un ton sec, me laissant sans voix.

— Aaron a donné son accord ? s'étonna Spéra, en jetant à Nicolas un regard suspicieux et inquiet.

Il ne lui répondit pas et se contenta de lui rendre son regard en s'avançant de quelques pas supplémentaires vers moi.

— Vous êtes sérieux ? lui demandai-je en me levant de ma chaise.

— Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ? me répondit-il d'un ton agacé et nerveux en tendant une nouvelle fois sa main vers moi.

Malgré mon intense envie de le croire sur parole, j'hésitais. Il m'avait prouvé à plusieurs reprises que je pouvais lui faire confiance et il me proposait enfin de me ramener chez moi...Alors pourquoi cela me paraissait-il trop beau pour être vrai ? La réaction de Spéra et le fait qu'il ne lui ai pas répondu ? À moins que ce ne soit le bon sens, tout simplement ! Ma petite discussion presque normale avec Esperanza, m'avait permis de me calmer et de réfléchir plus posément. Je me retrouvai au milieu d'un truc qui me dépassait complètement mais qui surtout semblait avoir pris des proportions énormes. Même sans cela, que trouverais-je en retournant chez Madame Perkins ? La police et des questions auxquelles, pour la plupart, je ne pourrais pas répondre. Mon trouble dû se lire sur mon visage car je vis les regards de Nicolas et d'Esperanza changer, un soupçon de pitié et de compassion semblant s'y être tout à coup mêlé.

— Même Rose vient de réaliser que ce que tu proposes est hautement improbable, dit soudain Spéra en se tournant vers Nicolas. Du moins dans l'immédiat, ajouta-t-elle presque aussitôt à mon intention, pour rendre ses paroles moins dures à entendre. Alors pourquoi nous mens-tu ? Ça ne te ressemble pas.

— Pour ne pas l'effrayer et pour te protéger ! lui répondit-il d'une voix sourde et courroucée. J'aurais pu m'abstenir de cet effort apparemment ! ajouta-t-il d'un ton cynique avant de faire deux grands pas en avant et de m'attraper par le poignet. Rose, il faut venir, maintenant !

— Si vous ne me dites pas où et pourquoi, c'est hors de question ! lui rétorquai-je en tirant sur mon bras pour me dégager de sa prise, sans succès.

— Akshay faisait partie de la réunion ! dit-il à Esperanza d'un ton lourd de sous-entendus que je ne compris pas.

Un éclair de peur et de panique traversa le regard de Spéra tandis qu'elle fixait sur Nicolas un regard incrédule.

— Non ! Aaron ne ferait pas ça, affirma-t-elle après quelques secondes d'intense réflexion. Pas après que...

— Aaron est un leader entraîné dans un truc qui le dépasse ! Il va devoir jouer son rôle et prendre des décisions dures et compliquées pour le bien de tous. Toujours prêtes à prendre le risque ? Moi non, lui rétorqua-t-il en essayant une nouvelle fois de m'entraîner derrière lui.

— Qu'est-ce que Akshay vient faire là-dedans...

— Mais de quoi tu parles ? s'exclama Spéra à l'intention de Nicolas, me coupant la parole au passage sans tenir compte de ma question.

— Tu es au courant pour la vidéo ? lui demanda-t-il d'une voix pressante. On vient d'apprendre que c'était volontaire !

Une exclamation de surprise sortie de la bouche de Spéra qu'elle s'empressa de couvrir de sa main pour étouffer le son.

— Aaron vient de recevoir un appel d'un des membres du clan de Khyn. Ils viennent d'échapper de justesse à un commando militaire venu pour les tuer. Une branche secrète de l'armée serait au courant de notre existence et aurait décider de tous nous éliminer, clan après clan ! balança-t-il soudain d'une voix rageuse et impuissante.

Le choc, la peur, l'incompréhension défilèrent sur le visage d'Esperanza tandis qu'elle se rasseyait lentement sur la chaise qu'elle venait de quitter, visiblement sonnée par ces révélations chocs auxquelles, hormis leurs gravités évidentes, je ne comprenais pas grand-chose.

— Cette vidéo était un coup de poker tenté par Iph...la reine des dindes ! se reprit-il de justesse en me jetant un petit coup d'œil réflexe. D'après elle, si notre existence devenait publique, ils ne pourraient plus se permettre de nous éliminer discrètement en nous traquant comme des animaux ! Enfin, c'était l'idée de départ.

— Tu...tu plaisantes là ?

— Crois-moi, j'aimerais bien ! C'est un véritable ouragan que plus rien ne peut arrêter. Tous les chefs de clan qui ne sont pas morts sont sur le pied de guerre, en fuite ou paniqués et ne savent plus ce qu'ils doivent faire ! Se terrer comme des rats, riposter ou faciliter la diffusion de la vidéo pour tenter une cohabitation au grand jour avec les humains ?

— Tu penses qu'il va opter pour quelle solution ? lui demanda-t-elle d'une voix blanche, son regard hébété fixant Nicolas sans vraiment le voir.

Même si je ne comprenais pas exactement tous les enjeux qui se jouaient à l'instant précis, je croyais bien comprendre ce que ressentait Esperanza. Tout son monde était en train de s'écrouler devant ses yeux sans qu'elle ne puisse rien faire pour le stopper. Sans avoir aucune prise, ni aucune idée de l'avenir plus qu'incertain qui s'ouvrait maintenant devant elle. Dans un élan de compassion j'étendis mon bras au-dessus du plateau de chêne et lui pressai doucement la main.

— Quelle que soit la décision qu'il prendra, tu sais que je...qu'elle ne peut pas rester là. C'est trop risqué, pour Rose comme pour moi. Nous devons partir...maintenant, ajouta-t-il en fixant intensément Esperanza droit dans les yeux.

À l'entente de mon prénom je m'étais redressée comme un ressort, ma main quittant celle de Spéra un peu comme à regret quand elle la retint quelques secondes dans la sienne.

— Tu comptes aller où ? lui demanda-t-elle en se levant rapidement avant de se diriger vers un placard qu'elle ouvrit d'un geste vif.

— Il vaut mieux pour toi que tu ne le sache pas, lui répondit-il. Comme tu sais très bien que je n'avais pas le droit de te dire ça, alors...

— Je serais discrète, ne t'inquiètes pas ! lui répondit-elle tandis qu'elle s'empressait d'empaqueter de la nourriture dans un torchon noué, qu'elle me tendit. Désolée, je n'ai pas de sac à dos sous la main ! Tu pensais passer par où...

— Alors ça, non ! Il ne partira nulle-part, résonna soudain la voix acide et revancharde d'Eva, alors qu'elle pénétrait dans la pièce, le canon d'un révolver braqué sur la tête de Nicolas, nous clouant tous les trois sur place.

— Eva mais tu es folle ! Baisse cette arme immédiatement ! lui ordonna Esperanza d'une voix dure et autoritaire qui emplit la pièce. Tes petits jeux de dominances ne nous amusent plus...

— Oh mais on est plus là, hein Eva ? la coupa Nicolas dans un petit rire sardonique, tandis qu'il se tournait lentement vers elle.

— Tu viens de me donner l'occasion que j'attendais depuis si longtemps, répondit-elle dans un ricanement suffisant. Tu ne devrais pas être là, Aaron n'aurait jamais dû te recueillir ! Mais faire de toi son second...c'est inadmissible ! lui cracha-t-elle en le fixant d'un regard haineux, l'arme toujours pointée sur son front.

— Je suppose que tu estimes que cette place te revient ? Dans ce cas tu dois la gagner et la mériter et tu le sais. Sauf que tu n'as jamais eu le courage de m'affronter à la loyale ! lui répondit-il avec agressivité, apparemment pas effrayé par l'arme qui le menaçait.

— Tu n'es pas l'un des nôtres, tu ne l'as jamais été et tu le prouve enfin en t'enfuyant avec cette humaine inutile, comme le traitre que tu as toujours été ! Et Aaron le comprendra quand je lui amènerai ton corps.

Le cliquetis sinistre que fit la sécurité de l'arme quand elle la débraya résonna comme un coup de tonnerre dans la pièce silencieuse.

— Eva, mais tu...

Un rugissement terrible s'éleva en même temps que la détonation tonitruante du révolver tandis que Nicolas se jetait sur Eva au moment où le coup partait, un éclat meurtrier dans le regard.

Pétrifiée, je ne pus que le regarder projeter le corps de la métamorphe à travers la pièce d'un simple revers de la main. L'arme fut éjectée dans les airs tandis qu'Eva atterrissait avec une violence inouïe sur l'îlot central de la cuisine dans un craquement terrifiant et sinistre, couvrant le bruit métallique de l'arme qui retombait sur les dalles.

Je crois que je ne compris que l'on me secouait qu'avec un bon temps de retard tellement j'étais choquée.

— Rose, vite, il faut partir ! me disait Spéra en essayant de m'entraîner derrière elle, pendant que Nicolas ramassait l'arme et s'assurait qu'Eva n'était plus une menace.

Je me mis en marche comme une automate, tandis qu'Esperanza me faisait traverser la cuisine au pas de course jusqu'à une porte discrète qu'elle ouvrit. Nicolas s'y engouffra m'attrapant le poignet au passage avant de m'entraîner derrière lui.

— ca va aller ? demanda-t-il à Esperanza d'une voix inquiète et essoufflée.

— Oui ne t'en fait pas pour moi, mais dépêchez-vous.

Il me fit traverser le cellier dans lequel nous venions de déboucher et m'entraînait déjà vers une nouvelle porte quand un bruit de course se fit s'entendre. Il stoppa net et sans hésiter, bifurqua vers une lucarne située dans le mur de gauche.

— Vite, il faut passer par là ! m'ordonna-t-il en me faisant signe de grimper sur la machine à laver, avant de m'y suivre et de débloquer le battant de la lucarne d'un petit coup sec.

Je m'apprêtai à m'y engouffrer quand l'une des portes s'ouvrit à la volée. Je n'eus pas le temps de comprendre ce qu'il se passait exactement que Nicolas avait posé ses deux mains sur mes fesses et me poussait violemment à travers l'ouverture. 

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