Chapitre 11-2
Nicolas ne répondit pas, bien qu'ayant visiblement du mal à respirer et se contenta de le regarder fixement dans les yeux, sans ciller. Je n'avais pas bougé d'un centimètre depuis le début de cette horrible confrontation et ni l'un ni l'autre ne s'étaient aperçu de ma présence. Si bien que j'étais la spectatrice involontaire du drame qui était en train de se produire sous mes yeux, sans avoir la moindre idée de comment réagir. Mais au moment où je vis le corps d'Aaron se raidir juste avant qu'il ne frappe, je sus que je ne pourrai pas le regarder faire sans réagir.
— Non arrêtez ! Ne lui faites pas de mal à cause de moi, criai-je en m'avançant de quelques pas avant de m'arrêter les bras ballants et le souffle court à environ un mètre d'eux.
Le regard des deux hommes se riva sur moi, en une fraction de seconde. Aaron relâcha légèrement sa prise sur la gorge de Nicolas, le reposant au sol dans le même mouvement, sans pour autant le libérer de son emprise.
— Non seulement tu as l'audace de l'amener ici. Mais en plus, tu la laisses se balader partout comme ça lui chante, rugit-il tout en reportant son attention et toute sa colère sur Nicolas, qui semblait avoir de plus en plus de mal à trouver son souffle.
J'ouvris la bouche et la refermai presque aussitôt, n'ayant aucune idée de ce que j'aurais pu dire pour stopper ce fou furieux sans aggraver la situation.
— Maintenant tu n'as plus aucune excuse à m'opposer, scanda-t-il en secouant Nicolas à chaque mot qu'il prononçait d'une voix de stentor.
Je vis de l'acceptation et du regret, quand le regard de ce dernier croisa le mien. Aaron dût surprendre notre échange muet, car il lui assena une gifle pour que celui-ci lui accorde à nouveau toute son attention.
— Tu savais qu'elle était là à nous espionner ? Tu la protégeais encore ?
— Non il ne savait pas, répondis-je spontanément avant que mon cerveau n'ait le temps de me dire que c'était sans doute une très mauvaise idée. Il n'y est pour rien...
— Ça suffit ! aboya-t-il. Il n'a pas besoin que vous le défendiez. Vous êtes là à nous espionner depuis longtemps ? me demanda-t-il en me fixant de ses yeux gris.
— Depuis votre entrée fracassante, lui dis-je en me redressant et en essayant de prendre une voix assurée.
Quitte à faire quelque chose de stupide, autant essayer de le faire avec un minimum de dignité.
— Voilà qui règle notre différent de manière efficace, tu ne crois pas Nick ? lui dit-il, en le relâchant doucement. Allant même jusqu'à le soutenir pour ne pas qu'il s'écroule au sol, ses jambes refusant visiblement de le porter.
Son geste attentionné et manifestement instinctif, me surpris. Il venait presque de le tuer sous mes yeux et maintenant il prenait soin de lui comme s'il était en sucre ! Le mot qui me vint spontanément à l'esprit était...déconcertant. Une fois qu'il fût en sécurité au sol, il se retourna et commença à avancer vers moi. Instinctivement je reculai, pas question que je laisse une brute pareille m'approcher. Malheureusement je n'allais pas loin, car ma retraite fut très vite stoppée par le mur.
— Arrête Aaron, ne fais pas ça. Tu sais qu'elle peut nous aider, essaya de le raisonner Nicolas du mieux qu'il le pût, malgré sa gorge douloureuse.
Il s'arrêta à environ un mètre de moi, pencha la tête sur son épaule droite et me fixa d'un regard de prédateur salivant devant sa proie en se demandant par quel morceau il allait bien pouvoir commencer. Je me mis à trembler de tous mes membres et me laissai glisser le long du mur, où je me recroquevillai le plus possible, les bras levés au-dessus de ma tête pour me protéger. C'était une réaction instinctive, mais complètement inutile. Malheureusement, je n'avais rien d'autre en réserve.
— Ah, enfin une réaction cohérente à votre nature. J'ai cru, pendant un instant, que vous étiez assez bête pour ne pas avoir peur de nous.
Et sur ses mots très réconfortant, il recommença à s'avancer vers moi, lentement. Ne sachant pas quoi faire d'autre, je me roulais en boule, et attendis qu'il frappe.
— Cat est peut-être un cheval de Troie ! lâcha Nicolas d'une voix désespéré, toujours affalé, là où il était tombé.
— Qu'as-tu dis ? articula exagérément Aaron d'une voix grondante, tout en se retournant vers lui.
— Apparemment on aurait fait des expériences sur Cat. Elle avait peur d'avoir était infectée...par quelque chose et que ce soit contagieux.
— Pourquoi ne me l'as-tu pas dit plus tôt ? rugit-il, ayant visiblement du mal à contrôler sa rage.
— Je suis venu te prévenir dès que je l'ai appris, mais tu m'as sauté à la gorge !
— Merde...Tu es sûr de toi ? Comment l'as-tu appris ?
Il ne répondit pas. Mais le coup d'œil involontaire qu'il me porta ne passa pas inaperçu aux yeux d'Aaron, qui reporta une fois de plus son intérêt sur moi.
— Nous ne pouvons pas nous fier à sa parole...et d'où pourrait-elle bien tenir une telle information ?
— De la bouche même de Cat, avoua Nicolas d'un ton signifiant qu'il avait abattu toutes ses cartes et que pour le reste, nous n'avions plus qu'à nous en remettre au destin.
— Je ne crois pas qu'ils aient commencé les examens. Ils devaient attendre qu'elle se réveille. Il n'est peut-être pas encore trop tard pour vérifier si tu as raison ou non, dit-il en se précipitant à grandes enjambées vers la porte défoncée par laquelle il était arrivé.
— Ne crois pas que nous en resterons là pour autant. Il vaudrait mieux pour toi, qu'elle soit encore là à mon retour, ordonna-t-il en nous toisant tour à tour, d'un regard meurtrier. Puis il s'en fut.
A la seconde où il disparut par l'ouverture, je me redressai et reportai presque immédiatement mon attention sur Nicolas. Après tout, si j'étais encore en un seul morceau, c'était grâce à lui. Il ne semblait pas avoir bougé, cela étant sans doute trop douloureux et était toujours affalé sur le sol, au milieu des éclats de verres et des échardes de bois.
Je me relevai et m'autorisai enfin à le regarder vraiment, ce que je n'avais pas encore osé faire, depuis le début de la bagarre. Enfin bagarre étant un bien grand mot. Il fallait bien dire ce qui était, il s'était pris une raclée et il faisait peine à voir ! Il avait le visage couvert de sang provenant principalement d'une vilaine blessure au-dessus de son œil gauche, mais aussi de diverses petites coupures et estafilades dues aux éclats de verres parsemant son front et son cuir chevelu. Celles-ci s'étendaient également à ses avant-bras, découverts par les manches courtes de son tee-shirt, qui avait dû être blanc à l'origine mais qui maintenant arborait une écœurante teinte grise teintée de rouille. Quant à ses mains, elles paraissaient tellement abimées, qu'un simple coup d'œil avait suffit à me donner la nausée. Raison pour laquelle, je me concentrais sur son visage, tandis que je m'approchais de lui pour finir par m'accroupir à ses côtés.
— Vous auriez dû vous enfuir...puisque vous étiez arrivée jusque-là. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
— Je ne sais pas, lui répondis-je avec franchise tout en tendant machinalement la main vers son visage pour enlever un petit éclat de verre fiché dans sa joue.
Il saisit mon poignet dans un geste apparemment machinal pour arrêter mon bras avant que je n''ai eu le temps d'aller jusqu'au bout de mon mouvement. Nous grimaçâmes tous les deux à l'instant où il me toucha. Les morceaux de verres incrustés dans la paume de sa main s'étaient enfoncés plus profondément dans sa chair au moment où il m'avait saisi le poignet, me blessant au passage. Il s'empressa de me lâcher et moi de me relever avant de m'éloigner de lui. Il ne voulait pas que je l'aide ! Très bien pas de problèmes, qu'il se débrouille tout seul.
— Désolé, c'était un simple réflexe de ma part. Je n'aime pas que l'on me touche le visage...vous ne pouviez pas savoir, dit-il d'une voix faible mais néanmoins neutre et contrôlée, sans doute pour me cacher ses émotions. Je ne vous aie pas blessé au moins ?
— Non, ça va...
Le silence de plomb qui tomba sur la pièce alors que je ne terminais pas ma phrase faute de savoir quoi dire était aussi épais qu'un brouillard Londonien. Mais il ne dura heureusement pas longtemps, car il fut vite remplacé par les bruits résultants des efforts de Nicolas pour se remettre debout tout seul. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela ne semblait pas être une partie de plaisir, tant pis pour lui ! Instinctivement je fis un pas en avant pour aller l'aider, mais me ravisai presque aussitôt. Il avait beau s'être excusé et m'avoir fourni une explication plausible, je n'oserai plus le toucher sans sa permission désormais.
Il dût s'en rendre compte, car il finit de se relever péniblement sans croiser mon regard et sans faire le moindre commentaire sur mon geste interrompu. Il s'adossa doucement au mur en grimaçant et entreprit de retirer les plus gros éclats de verre de ses mains. Puis il s'écarta du mur à la seule force de ses abdos, comme il l'avait fait dans la chambre un peu plus tôt ce soir-là, ce qui devait être un mouvement instinctif chez lui. Sauf que là il était blessé et que cela eut pour seul effet de le faire se plier en deux de douleur.
Bonne résolution ou pas, je me précipitai vers lui pour le soutenir avant qu'il ne s'écroule de nouveau dans le verre pilé. Cette fois-ci il me laissa faire sans se dérober. De toute manière, même s'il l'avait voulu, je crois qu'il n'aurait pas été en état de le faire et je l'aidais à s'éloigner du champ de débris. Je cherchai du regard une chaise, un banc, n'importe quoi pouvant faire office de siège pour qu'il puisse s'assoir et reprendre son souffle, mais rien. Cette pièce était désespérément vide. Je nous dirigeai donc bêtement vers le mur le plus proche, pour qu'il ait au moins quelque chose sur quoi s'appuyer quand Nicolas se raidit brusquement et cessa d'avancer.
— Vous faites quoi là ? demanda-t-il, d'une voix déformée par les efforts qu'il devait faire pour respirer sans trop souffrir. Laissez-moi là et sauvez-vous, continua-t-il en se dégageant, avant d'aller se laisser glisser mollement contre le mur jusqu'au sol.
— En vous laissant vous vider de votre sang sur le carrelage ? Ce n'est pas mon genre, lui répondis-je sans réfléchir.
— Oui, j'avais remarqué, me dit-il avec un petit rire sans joie qui se termina par une quinte de toux douloureuse.
— Que va-t-il vous arriver si je m'enfuis ? l'interrogeai-je d'une petite voix, redoutant déjà sa réponse.
— Croyez-moi, ce qui peut m'arriver est le cadet de vos soucis. J'essaie de vous aider, alors s'il vous plait...partez.
— En vous abandonnant là ? Hors de question. Si je pars, vous venez avec moi.
— C'est impossible et il vaut mieux pour vous que vous ne sachiez pas pourquoi. C'est de ma faute si vous êtes là. J'ai fait ça pour vous sauver, mais finalement je vous aie mise encore plus en danger. Laissez-moi réparer mon erreur et barrez-vous d'ici, finit-il d'un ton coléreux en me foudroyant du regard.
J'hésitai quelques secondes ne sachant qui écouter, ma conscience ou mon instinct de survie, sans pour autant réussir à le quitter des yeux.
— Allez-y...je m'en sortirais, me dit-il gentiment avec une tentative de sourire qui ressemblait plus à une grimace.
Mais c'est son regard, plus désespéré qu'inquiet, qui me décida et je tournai les talons pour me diriger, d'une démarche que j'aurais voulue plus affirmée, vers la pièce d'à côté à la recherche d'une issue. Je n'avais pas fait trois pas, qu'un bruit de course précipitée nous parvint de la porte par laquelle avait disparu Aaron.
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