Chapitre 8

Avant d'ouvrir les yeux, Valentina s'étira doucement. Elle aimait prendre son temps, même si son téléphone n'avait aucune envie de la laisser dormir. La musique de son réveil était une de celles par défaut et ne donnait pas du tout envie de se lever. Il faudrait qu'elle la change, se dit-elle pour la millième fois.

Elle remarqua que son matelas était différent de d'habitude, un peu plus dur, puis se souvint qu'elle n'avait pas dormi chez elle. Elle ouvrit les yeux, soudain tout à fait réveillée, lorsqu'elle se souvint qu'elle avait rendu visite au prêtre que lui avait recommandé Virginie.

En repensant à la tête de ce dernier à son arrivée, elle laissa échapper un sourire, puis s'assit dans le lit pour observer la pièce plongée dans la pénombre. Elle ne se souvenait pas d'être venue se coucher, ce qui ne voulait pas dire grand-chose, en réalité. Il lui arrivait parfois d'être si fatiguée au moment de se mettre au lit, qu'elle en oubliait les dernières minutes de la journée. Et la veille avait été chargée en émotions.

Valentina revit, en pensées, la baiser, tendre, qu'avaient échangé cette fille avec Tiago et son cœur se serra. Même si elle se défendait d'être tombée amoureuse de lui, elle n'en restait pas moins meurtrie par cette traitrise.

Elle secoua la tête pour évacuer cette image, puis reprit son inspection des lieux. Sa vision s'était adaptée à l'obscurité et elle pouvait déjà mieux distinguer les objets. Ils étaient peu nombreux. À part le lit sur lequel elle était assise à présent, il y avait une petite armoire, un minuscule bureau qui rappelait les tables de cours au collège, une chaise dans le même genre inconfortable, sur le dossier de laquelle étaient posés ses vêtements, et une commode. Sur cette dernière, son regard fut attiré par un présentoir avec deux sabres japonais de tailles différentes. C'était une décoration étonnante dans ce lieu et cela lui tira un nouveau sourire. Juste devant les katanas, son téléphone clignotait toujours, mais la musique s'était tue depuis quelques secondes déjà. Au pied de la commode, elle découvrit son sac de sport.

Ce n'est qu'à cet instant qu'elle réalisa qu'elle n'aurait d'autre choix que de passer chez elle pour changer de sac et prendre ses affaires de cours. Par chance, elle habitait à cinq minutes à peine du lycée.

Elle se leva, posa ses pieds nus sur le carrelage gelé et fit quelques mouvements d'étirement. Elle était toujours dans sont T-shirt de la veille et en petite culotte. Elle s'était baladée ainsi afin de tester l'inconnu chez qui elle pensait passer la nuit. Son regard sur elle avait été surpris, peut-être choqué, mais aucune trace de perversion ni même de désir n'avait été visible. Il aurait pu être très bon acteur, mais cela avait suffi à Valentina pour se sentir en sécurité. Lorsqu'elle s'était blottit contre lui, il n'avait pas montré de réaction particulière non plus. Aucune accélération de la respiration ni de ce qu'elle put sentir de son rythme cardiaque. Si la situation n'était sans doute pas habituelle pour lui, cela ne le perturbait pas outre mesure.

Valentina vérifia l'heure sur son téléphone, puis attrapa un des sabres pour le soupeser. Elle fut surprise de le trouver plus lourd qu'elle l'avait imaginé. De plus en plus intriguée, elle ôta l'arme de son fourreau et passa un doigt sur le fil de la lame qu'elle trouvait bien plus fin que tous les sabres d'apparat qu'elle avait vu jusqu'ici.

— Oh ! fit-elle à voix basse.

Le katana était bien mieux aiguisé que la plupart des couteaux de sa cuisine, pensa-t-elle en rangeant l'arme. Qu'est-ce qu'un prêtre pouvait bien faire avec des épées aiguisées dans sa chambre ?

Piquée de curiosité, elle entreprit d'ouvrir les tiroirs de la commode pour voir quel secret le religieux pouvait bien cacher. Elle fut surprise de ne rien trouver d'autre que des chaussettes et des caleçons dans le premier tiroir. Dans les deux autres, elle découvrit des sweat-shirts à capuches, une corde à sauter et des pantalons de jogging. Le prêtre était donc un sportif.

— Tu parles d'un secret inavouable, soupira-t-elle avant de se rhabiller.

Empochant son téléphone, elle ouvrit ensuite la porte de la chambre et se dirigea vers la petite cuisine, suivant le son de la vaisselle. Il n'y avait pas de porte dans l'encadrement et elle s'arrêta sur le seuil, observant le prêtre. Il venait de poser un bol de café fumant sur la vieille table sur laquelle elle avait mangé la veille au soir. Lorsque l'odeur du breuvage arriva jusqu'à elle, son corps se mit en mouvement et elle attrapa le bol qu'elle descendit d'un trait sous le regard étonné du prêtre. Sans s'arrêter de boire, elle lui sourit. Une fois le bol vidé, elle le reposa sur la table avec un sourire de satisfaction. Son cerveau sembla s'activer et une énergie nouvelle l'envahit.

— Ça va mieux avec un bon café ! déclara-t-elle tout sourire. Bonjour. Tu m'as portée jusqu'au lit ou j'étais tellement dans les vapes que je me souviens pas y être allée toute seule ?

Le prêtre sourit à son tour en la dévisageant avec curiosité. Valentina se souvint qu'elle ne s'était pas coiffée et devait avoir une sale tête. Elle passa les mains dans ses cheveux pour tenter de les discipliner. Sans miroir, le résultat ne devait pas être extraordinaire, mais ce serait sans doute mieux, conclut-elle.

— Je t'ai portée, répondit enfin le prêtre.

— Oh... Merci... père. C'est comme ça qu'on dit ?

— On dit « Mon Père », corrigea-t-il. Mais tu peux m'appeler Franck.

Valentina soupira. Elle se savait tout à fait incapable de suivre le protocole, de toute façon.

— Cool. Merci, Francky.

Le prêtre leva un sourcil, mais ne prononça pas un mot.

— Je voudrais quand même prévenir ta mère pour qu'elle ne s'inquiète pas, déclara-t-il en se servant un nouveau bol de café. J'ai bien compris qu'il ne fallait pas parler de ton père.

— Elle ne s'inquiète pas. C'est pas vraiment son genre, répondit Valentina sans tenir compte de la remarque sur son paternel.

— Ça m'étonnerait, contra Franck. Toutes les mères s'inquiètent pour leurs enfants.

Valentina n'aurait pas été aussi catégorique. Ni toutes les mères ni tous leurs enfants.

— Bah... pas la mienne !

— Donne-moi son numéro, s'il te plaît. Je serais un très mauvais prêtre si je te laissais coucher ici sans en dire un mot à tes parents.

Valentina grimaça.

— T'as été sympa jusque-là, grommela-t-elle sans faire d'effort pour qu'il l'entende.

Peut-être comprit-il ce qu'elle avait dit, mais il ne répondit pas et se contenta de se rendre vers le téléphone fixe accroché au mur, près de la porte absente. Lorsqu'il eut attrapé le combiné, il attendit avec un regard interrogateur. Valentina lui dicta le numéro de sa mère.

— Il y a du pain là et du beurre dans le frigo, si tu veux. Les couverts sont dans les tiroirs, là.

Valentina attrapa ce dont elle avait besoin, puis s'installa à la table en gardant son attention dirigée vers le prêtre. Franck se présenta dans le combiné, précisant que Valentina avait passé la nuit dans l'église. Il y eut un bref silence, pendant lequel la mère de Valentina dut répondre au prêtre. Franck crut bon d'ajouter qu'il avait rencontré Valentina lors d'une intervention au centre Saint-Joseph et qu'il l'avait invitée à venir lui rendre visite quand elle le souhaitait. La conversation ne s'éternisa pas et le prêtre raccrocha bien vite.

— Bah dis donc, fit Valentina la bouche pleine de pain beurré. Tu as menti à ma mère pour me couvrir. T'es un drôle de prêtre.

— T'as pas idée, confirma-t-il avec un clin d'œil. Dépêche-toi maintenant, je ne voudrais pas que tu sois en retard à cause de moi du coup. Il est loin ton lycée ?

— Je dirais un quart d'heure en bus. Mais je commence à dix heures, je suis largement dans les temps. T'inquiète, Francky !

Elle prit donc son temps pour finir de petit déjeuner en compagnie du prêtre. Le Père Francky. Ils échangèrent peu. Francky voulut en savoir un peu plus sur son passage à Saint-Joseph et elle lui parla de Virginie, surtout. C'était une femme bien qui avait vraiment à cœur de venir en aide aux pensionnaires de l'institut, déclara-t-elle.

— Pas comme les gardiens, grogna-t-elle ensuite.

— Leur travail à eux n'est pas de vous faire évoluer, juste de vous contraindre entre les murs du centre, répliqua Francky.

— C'est pas une raison pour être désagréable à tous bouts de champ. Bref !

Elle refusa de parler plus longtemps de cet endroit qu'elle espérait ne plus jamais revoir de sa vie. Elle ne traîna pas non plus à l'église, expliquant qu'elle devait aussi passer chez elle pour prendre ses affaires de cours.

— Et puis, je vais en profiter pour me laver et passer des vêtements propres, ajouta-t-elle avec un clin d'œil. Merci pour la nuit, Francky. Enfin...

Elle réalisa que sa phrase pouvait être mal interprétée, mais le sourire moqueur de Francky la rassura.

— Ma porte est toujours ouverte, assura-t-il enfin avant qu'elle passe la porte donnant sur la cour de l'église.

***

La journée au lycée fut compliquée. Non pas à cause des cours en eux-mêmes. Ce fut surtout difficile à cause de Tiago. Il réclama à lui parler à plusieurs reprises, mais elle l'envoya promener à chaque nouvelle tentative. En cours de physique-chimie, là où ils étaient à côté, Valentina proposa à Lorna de changer de place avec elle. Trop contente de cette opportunité, la blonde accepta sans même poser de questions. Valentina se retrouva à faire équipe avec Bastien qui ne comprenait rien au cours. Une véritable punition.

Cependant, même si elle parvint à repousser Tiago ou à l'esquiver, elle ne put tenir Juliana à distance. La métisse aux tresses longues jusqu'aux fesses la pressa de questions à chaque fois que c'était possible. Pourquoi ? C'était celle qui revenait le plus souvent. Valentina, prise d'un excès d'orgueil, sans doute, eut bien du mal à avouer à son amie que Tiago l'avait trompée.

— En fait, ce qui me tue le plus, fit-elle remarquer en fin de journée, après s'être torturé l'esprit pendant la moitié des cours, c'est que si ça se trouve, il l'a trompée elle avec moi.

— Ça change pas grand-chose au problème, non ? s'étonna Juliana.

— Non, admit Valentina. Ça change rien du tout, même. Mais j'aimerai quand même savoir.

— C'est une fille du lycée ? demanda Juliana.

— Je crois pas, mais en fait, je ne l'ai juste jamais vue.

— Si elle est pas du lycée, ça sera un peu plus difficile de savoir, mais t'inquiète, j'en fais mon affaire.

Valentina sourit. Juliana adorait fouiner. Elle avait même mené sa propre enquête lors des meurtres de l'année passée. Sans aucun succès, bien sûr. Le fait d'aimer fouiller un peu partout ne suffisait pas à faire une bonne enquêtrice, après tout.

Ce fut sur cette décision que les filles se quittèrent. Valentina hésita à retourner à l'église voir Francky. Elle aimait bien ce type. Il avait quelque chose d'étrange pour un prêtre, mais il était sympa. Et même si elle n'avait pas apprécié, sur le coup, qu'il insiste pour appeler sa mère, à la réflexion, c'était une preuve de sérieux. Cela lui aurait presque donné envie de s'intéresser un peu plus à la religion.

Presque !

En débarquant chez elle, Valentina eut la surprise de trouver son frère devant la télévision du salon. Il jouait à la console. Puisqu'il n'y avait qu'une seule télé dans l'appartement, il ne pouvait en profiter aussi souvent qu'il le souhaitait.

— T'as séché les cours ? demanda-t-elle d'un ton un peu trop agressif.

— N'importe quoi ! répliqua-t-il sans quitter l'écran des yeux. Madame Darbouin était absente, j'ai fini deux heures plus tôt du coup.

— C'est ta prof de français, elle ?

— Ouais !

Valentina sourit. Elle parvenait enfin à retenir quelques noms des enseignants de son frère. Elle n'ajouta pas un mot et se dirigea vers la cuisine pour se servir un verre de jus d'orange. Elle garda un œil en direction de Mathias un instant.

Elle aurait voulu échanger quelques mots avec lui, mais ne savait plus comment s'adresser à lui. Ils avaient été proches à une époque. Autant que pouvaient l'être un frère et une sœur avec trois ans d'écart en tout cas. Depuis son retour de Saint-Joseph, en revanche, ils étaient presque devenus des étrangers. Sans compter que Mathias adorait son père. Un père qui ne lui montrait pourtant pas beaucoup d'intérêt, mais elle se refusait de lui dire, de peur de briser son petit cœur.

Pourtant, Mathias savait que c'était sa mère qui avait fait pression sur son père pour qu'il accepte la garde alternée. Pour le jeune homme, c'était une preuve de bonne foi de la part de son père.

— Il sait qu'il est pas capable d'élever un gamin, avait déclaré Mathias, lorsque Valentina avait tenté d'argumenter.

Valentina n'avait pas insisté et était passée à autre chose.

Lorsqu'ils se parlaient, tout allait bien entre eux. Le problème était de trouver comment lancer la conversation. Pour le moment, il était sur sa console, ce n'était pas le bon moment. Inutile de se creuser la tête pour trouver comment démarrer une conversation.

Valentina alla s'enfermer dans sa chambre pour réviser en vue de son évaluation d'anglais du lendemain. Pour être sûre d'être efficace, elle éteignit son téléphone et le balança sur le lit. Le temps passa vite et ce ne fut que lorsque sa mère toqua, puis ouvrit la porte de sa chambre qu'elle réalisa qu'il était déjà presque vingt heures.

— Ça va ? demanda sa mère.

Surprise par la question autant que par la présence de sa mère dans sa chambre, Valentina hocha la tête.

— C'est quoi cette histoire de prêtre ? poursuivit Mathilde Carasco. Tu as passé la nuit à l'église ? Depuis quand tu es croyante ?

Valentina sourit. Il y avait bien trop de questions et le ton était bien trop pressant.

— Je ne suis pas croyante, soupira-t-elle. Du moins, pas que je sache. Le Père Franck est le prêtre qui intervenait à Saint-Joseph parfois, tu sais.

— Je croyais que tu ne participais pas à ses animations, coupa sa mère.

— J'ai fait la première, en vérité, corrigea-t-elle. C'est pour ça que j'ai refusé d'en faire plus.

La véritable raison était qu'elle voulait terminer ses projets de couture en cours plutôt que d'en commencer d'autres qu'elle n'aurait pas le temps de finir, mais sa mère n'avait pas besoin de tout ça de détails.

— Alors pourquoi tu es allée dormir là-bas cette nuit, du coup ? Un prêtre, ma chérie...

Valentina pinça les lèvres. Ce « ma chérie » ne trouverait donc jamais sa place dans une phrase qui ne sonnait pas comme un reproche ?

— Je ne sais pas, avoua Valentina. Virginie m'avait conseillée d'aller le voir, du coup j'y suis allé hier. Rien de plus.

— Je croyais que tu devais dormir chez ton petit copain ?

— J'ai changé d'avis, asséna Valentina avec un regard dur.

— Et cette Virginie, c'est qui ?

— La psy de Saint-Joseph.

— Ah, celle que tu aimais bien ?

Valentina s'étonna que sa mère s'en souvienne, mais acquiesça. Virginie était en effet la seule psychologue qu'elle appréciait.

Il y eut un court silence durant lequel sa mère observa Valentina avec beaucoup d'intérêt. Il était rare qu'elle ait ce genre d'attitude et Valentina ne sut comment réagir. Elle s'abstint donc de tout commentaire.

— J'imagine que si tu es allée rencontrer ce prêtre, c'est que tu avais des choses à lui dire, reprit Mathilde Carasco après un instant. Tu sais que je suis là, moi aussi. Tu peux me parler. Je peux écouter aussi bien qu'un prêtre et je te comprendrais sans doute mieux qu'un inconnu.

Valentina doutait fort de cette dernière déclaration. Pourtant, ce ne fut pas sur ce terrain qu'elle répondit.

— Non, je ne peux pas te parler, lâcha-t-elle avec calme. Tu me prends pour une délinquante parce que je suis allée à Saint-Joseph. Non seulement tu ne me comprends pas, mais de toute façon, je ne sais pas t'expliquer pour que tu comprennes. C'est un peu comme si on parlait pas la même langue des fois.

Valentina n'en revenait pas d'avoir réussi à balancer ça à sa mère. Virginie lui avait dit qu'elle devrait en passer par là pour avancer. Verbaliser...

— Il suffit de parler pour que ça change, Valentina, répondit sa mère avec une pointe de tristesse dans la voix.

— Non, il ne suffit pas de parler, contra valentina en insistant sur le verbe. C'est pas si simple. À chaque fois, tu pars au quart de tour et ça tourne au cauchemar.

— Oh n'exagère pas, s'il te plaît. Je suis quand même loin d'être une tortionnaire. Que ce soit avec toi ou ton frère, je pense me montrer plus que permissive.

— C'est vrai, oui, admit Valentina. N'empêche que toutes nos conversations virent à la dispute en quelques secondes.

La mère de Valentina sourit.

— Pas celle-là, on dirait.

La vérité était que Valentina sentait ses nerfs s'échauffer depuis quelques secondes maintenant. Et le ton était déjà monté d'un niveau.

— Alors il est temps de s'arrêter là pour ne pas tenter le diable, déclara-t-elle en se retournant vers son livre d'anglais.

Toute son attention était focalisée sur ses mains tremblantes. Elle les garda bien devant elle de façon à ce que, de la porte, sa mère ne voie rien. Elle attendit ensuite que la porte se referme. Il fallut près de trente secondes avant que Mathilde Carasco se décide à quitter la pièce. Là seulement, Valentina s'autorisa un long soupire.

Leur conversation ne s'était en effet pas terminée par une dispute et c'était une petite victoire, en un sens. Mieux encore, Valentina avait réussi à délivrer une information à sa mère. Elle avait verbalisé. Virginie aurait sans doute été fière d'elle.

Maintenant, il ne lui restait plus qu'à se calmer d'ici l'heure du dîner pour ne pas transformer ce dernier en ring de boxe. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top