Chapitre 5

Il se trouvait que Tiago était assez loin de l'image qu'il renvoyait en général. Il ne possédait par exemple pas autant d'assurance qu'il en donnait l'impression et, le plus souvent lorsque personne ne pouvait en être témoin, il démontrait une véritable tendresse envers Valentina. Elle s'en moquait à chaque fois en lui rappelant que ça ne le rendrait pas plus faible de la prendre dans ses bras en public. Pour autant, elle ne lui en tenait pas rigueur.

Cela lui plaisait de disposer de sa propre version de l'adolescent. Parfois cependant, elle se demandait lequel des deux Tiago était le vrai.

Cet après-midi, alors que Mathias était parti chez leur père le matin, Valentina préférait éviter de rester seule avec sa mère. Elle avait donc rejoint Tiago et son petit groupe d'amis dans le parc Anne Frank, non loin du lycée. Elle connaissait déjà Albane, qui avait été en seconde dans sa classe l'année précédente. Elle ne l'avait pas fréquentée bien longtemps, puisqu'elle avait ensuite été envoyée à Saint-Joseph. Une grande blonde, élancée, pour ne pas dire maigre. Elle était toujours en seconde cette année. Il y avait aussi Thaïs. Lui était un ami de Tiago depuis l'école primaire. Pour n'importe qui de l'extérieur ne les connaissant pas très bien – et c'était le cas de Valentina – ces deux-là auraient pu être jumeaux. Certes Thaïs était blond aux yeux bleus, alors que Tiago était brun aux yeux noisette, mais ce détail mis à part, ils avaient beaucoup trop de points communs. Même taille, même corpulence, même visage carré au menton pointu, même style casual chic avec jeans et veste ouverte sur un t-shirt ajusté. Ils allaient jusqu'à partager le même tic de fourrer toujours une main dans la poche de leur pantalon.

Le dernier à les rejoindre fut Colbert. Valentina avait décrété que ses parents devaient le détester pour l'affubler d'un prénom démodé depuis mille ans, lorsque Tiago les avait présentés, quelques jours plus tôt.

Colb, puisque personne ne l'appelait jamais par son prénom en entier, arriva avec un sac de sport en bandoulière et un vieux jogging dont le pantalon était si vieux que la forme de ses genoux étaient incrustées dans le tissu.

— Tu sors de l'entraînement ? demanda Albane en déposant un baiser sur ses lèvres.

Valentina masqua sa surprise comme elle le put. Ces deux-là ne se parlaient quasiment pas au lycée.

— Ouais ! répondit Colb d'un ton détaché. J'étais trop pressé de te voir, alors je ne suis pas passé par la maison.

— T'aurais quand même pu prendre une douche ou je sais pas, grimaça Albane sans que ça ne l'empêche de fourrer sa langue dans la bouche de son petit ami.

— Oh ! Sérieux, les gars ! s'écria Thaïs. Prenez une chambre, je sais pas.

Lorsque les deux tourtereaux se détachèrent l'un de l'autre, Valentina détailla un peu le visage de Colbert. Il avait une rougeur étrange sur la pommette gauche. Le genre de trace qui correspondait à un coup. Elle avisa ensuite son sac et demanda ce qu'il pratiquait comme sport.

— Je fais de la boxe, répondit-il lorsqu'elle lui posa la question.

— Anglaise, j'imagine ? demanda-t-elle soudain très intéressée par ce Colbert.

— Ouais !

— Et ça te dirait de te battre avec moi ?

Il y eut un court silence. Colb, ainsi que les deux autres garçons lui décochèrent des regards éberlués, mais Valentina n'en tint pas compte. Elle resta braquée sur le boxeur.

— Euh... hésita-t-il.

— Valentina fait du karaté, je crois, intervint Albane.

— Sérieux ? s'étonna Tiago. Genre comme Bruce Lee ?

Valentina leva les yeux au ciel.

— Bruce Lee faisait du Jeet Kun Do, corrigea Valentina. Moi, je fais du Wushu. Pour faire simple, c'est un autre genre de kung-fu.

— Comme Jackie Chan, alors ? proposa Thaïs.

Valentina sourit.

— Si tu veux.

— Et tu veux te battre avec Colb ? renchérit Tiago. Il va t'éclater. Je veux pas qu'il abime ton joli visage.

Valentina pouffa. Parfois, il en faisait trop.

— Ça fait longtemps que tu fais du kung-fu ? demanda Colb, prudent.

— Un moment, oui.

— Et tu fais toujours des compétitions ? poursuivit Albane. Tu faisais bien des compétitions ?

Valentina confirma. Cependant, depuis son séjour à Saint-Joseph, elle avait dû arrêter. Puisqu'elle était revenue en milieu d'année, elle ne pouvait participer à aucune compétition pour le moment, mais elle comptait en effet s'y remettre.

— Du coup, reprit Colbert, non. Je veux pas me battre avec toi.

Il avait dit cela avec une petite voix, comme s'excusant.

— J'ai commencé l'année dernière et je sais que j'aurais pas le niveau, se justifia-t-il.

— Dommage.

Valentina aimait affronter des adversaires de différentes disciplines martiales. En l'occurrence, elle s'était déjà retrouvée à affronter des boxeurs à plusieurs reprises. La plupart du temps, elle ne perdait pas.

— Si tu veux, je peux te trouver un type du club qui fait de la compét', renchérit Colbert. Avec un de ces gars-là, le match sera peut-être intéressant. Moi, je sais que je ferai pas le poids.

— C'est bien de connaître ses limites, déclara Valentina en voyant la déception dans le regard de Colbert.

Il y eut un court silence et Colbert ouvrit soudain de grands yeux avec un sourire d'enfant.

— Mais du coup, c'est toi l'espèce de ninja qui rôde dans la ville ?

— Hein ?

Valentina ne comprit pas tout de suite de quoi parlait l'adolescent. Lorsque Tiago lui rappela les rumeurs au sujet d'un justicier anonyme qui se baladait dans les rues à la nuit tombée, elle sourit. Elle se souvint avoir entendu plusieurs histoires au sujet de ce mystérieux héros.

— Ça serait cool, répondit-elle, mais non, c'est pas moi. Entre les cours et ma mère, j'ai bien assez de problèmes comme ça. Si en plus je devais jouer les spider-girl.

— Elle est classe, spider-girl, glissa Tiago avec un regard coquin.

— Peut-être, admit Valentina. Mais si la police m'attrape à ce genre d'activité, je vais direct en taule, cette fois.

— Concrètement, tu les aides, en fait. Il devrait plutôt te remercier et t'inviter à un barbecue.

— OK, Albane... Je leur dirais ça quand ils me passeront les menottes. Excellente idée, pouffa Valentina.

— Sérieusement, insista Albane en se serrant contre son petit ami, c'est un service public que tu rends en faisant ça.

Valentina sourit de plus belle. Albane avait donc décidé que c'était elle qui sillonnait la ville en tenue de camouflage.

— Je suis d'accord, renchérit Thaïs avec un regard complice pour Valentina. Le nombre d'agressions a baissé, il parait, depuis que le justicier fait ses rondes. Les gens sont plus tranquilles. Cette personne, qui que ce soit, devrait avoir une médaille.

— C'est sûr ! Par contre, opposa Tiago, je vous rappelle que Valentina n'était pas là pendant plus d'un an et que capuche a été vu plein de fois pendant ce temps.

— Ah ouais, merde ! soupira Albane. C'est pas toi, alors ?

Valentina éclata de rire.

— Bah non ! J'arrête pas de te le dire.

— Dommage ! Ça aurait été cool d'être copine avec une héroïne.

Valentina pensa que ça aurait été encore plus cool d'être une héroïne, mais elle n'avait rien à voir là-dedans.

— D'un autre côté, j'imagine la pression sur ses épaules à ce capuche...

— Ah ouais ! confirma Colbert. J'avais pas pensé à ça. T'imagines quand y a eu les meurtres ? Il a rien fait. Imagine que c'était parce qu'il avait trop peur.

— N'importe quoi ! corrigea Thaïs. Il devait juste pas être dans le bon quartier au bon moment. C'est le problème de faire des patrouilles, tu ne peux pas être partout en même temps.

— Il lui faudrait des renforts, déduisit Tiago. Y a peut-être encore une place pour toi, en fin de compte.

— Je vais regarder les petites annonces alors, rigola Valentina, très vite suivie des autres. 

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