Chapitre 44

Nolan était réveillé, il ne pouvait pas bouger ses jambes comme il le voulait, mais il était vivant et le docteur avait beau rester prudent, il était persuadé que le jeune homme était tiré d'affaire. Il allait sans doute passer par des moments très difficiles, surtout s'il ne pouvait plus marcher, mais sa vie n'était plus menacée, c'était le principal.

Bien sûr, c'était ce que se répétait Valentina. Dans la solitude de sa chambre, lorsqu'elle rentra pour enfin se reposer, son inquiétude reprit pourtant le dessus. Elle eut bien du mal à s'endormir. Déjà parce qu'il faisait jour et ses rideaux, bien qu'épais, n'occultaient pas assez la lumière. Par ailleurs, son esprit tournait à plein régime. Entre son inquiétude galopante pour Nolan et cette étrange scène avec Francky à l'hôpital.

Elle lui avait envoyé un message en quittant la chambre de Nolan pour rentrer chez elle, mais il ne lui avait pas répondu. Il n'y avait rien d'anormal là-dedans. Francky n'était pas Hervé, accroché à son téléphone en permanence. Pour autant, lorsqu'elle se réveilla de sa petite sieste, Valentina vérifia son téléphone et n'y trouva aucun message du prêtre.

Hervé lui avait indiqué qu'il comptait passer voir Nolan plus tard dans la journée, après les cours, en revanche. Elle avait aussi un appel en absence, mais ne connaissait pas le numéro et il n'y avait aucun message, alors elle ne rappela pas.

Elle décida plutôt de rendre une petite visite au faux prêtre.

— Tu vas déjà à l'hôpital ? demanda sa mère en la voyant se préparer à sortir.

Valentina sursauta.

— Je savais pas que t'étais là.

Mathilde Carasco sourit avec bienveillance.

— Je suis allée au bureau ce matin pour récupérer un ordinateur portable et travailler d'ici. Je ne voulais pas te laisser seule.

Valentina sentit une boule dans sa poitrine. Elle devait avoir un problème hormonal ou quelque chose dans le genre, ses émotions devenaient incontrôlables depuis quelques jours.

— T'étais pas...

Valentina s'arrêta. La boule avait foncé vers sa gorge à toute vitesse et lui bloquait la voix. Ses yeux la piquaient maintenant et elle se sentit désemparée. Pourquoi ? Que lui arrivait-il ?

Sa mère se leva de la table du salon et vint la prendre dans ses bras sans un mot. Valentina lâcha sa veste sur le sol et passa ses bras autour de la taille de sa mère. Elle laissa ensuite couler les larmes en silence. Il fallait qu'elle évacue la pression. Elle ignorait d'où venait cette pression au juste, mais elle devait sortir.

— Il va s'en sortir, Tina, chuchota sa mère en passant une main dans ses cheveux blonds. Ça va aller.

— C'est pas sûr, maman. Il remarchera peut-être plus.

— Il est en vie, corrigea sa mère. C'est ça le principal. Quant à marcher, si j'ai bien compris, il n'a pas perdu toutes les sensations, donc tu ne dois pas perdre tout espoir non plus. Il aura besoin que tu croies qu'il en est capable pour l'aider au mieux, tu sais.

Valentina pouffa. Sa mère en psy, c'était nouveau.

— Je suis désolée, m'man.

Elle avait parlé si bas qu'elle n'était pas sûre que sa mère avait entendu. Peut-être bien qu'elle n'avait pas vraiment envie que sa mère entende.

— De quoi ?

C'était la question qu'elle redoutait. Bien entendu, elle savait ce qu'elle avait à se faire pardonner. Le formuler à voix haute était une tout autre affaire.

Verbaliser.

— Lorsque tu es capable de dire les choses, tu peux passer à l'étape suivante, ne cessait de répéter Virginie.

C'était l'occasion. Aucun doute.

— J'ai été...

Quel mot correspondrait le mieux ?

— Je sais pas, une garce, avec toi depuis...longtemps.

Les mots ne venaient pas facilement et sa mère ne semblait pas décidée à lui faciliter les choses. Elle restait silencieuse, attendant manifestement une suite. Valentina s'extirpa du cocon rassurant des bras de sa mère pour faire un pas en arrière et planta son regard dans le sien pour poursuivre. Elle eut la surprise de découvrir sa mère en larmes. Elle tenta de sourire pour chasser les siennes, mais ce fut un nouvel échec.

— Tu ne méritais pas que je sois si dure avec toi, reprit-elle avec difficulté. Papa a été un connard avec toi et plutôt que de te soutenir, j'ai passé mes nerfs sur toi. C'était injuste. Je le sais. Je l'ai toujours su. Mais c'était plus facile de m'en prendre à toi, parce que je sais que tu m'aimes. Que tu seras toujours là pour moi. Parce que lui...

Elle déglutit avec peine et essuya son visage, trempé.

— Lui, je sais qu'il ne m'aime pas et quoi que je fasse, ça lui fera rien.

Silence.

La mère de Valentina la dévisageait en pleurant silencieusement. Elle était là, debout devant sa fille, les bras ballants et la tête penchée sur le côté.

— C'était pas juste et je suis désolée, m'man.

Sans le moindre coup de semonce, et avec une rapidité qu'elle ne lui connaissait pas, sa mère l'attira à elle et la serra très fort contre son cœur.

— Je ne t'en veux pas, soupira-t-elle. On gère nos drames comme on peut, ma chérie. Tu as raison sur un point...

— C'était pas juste ? coupa Valentina.

— Non. Je t'aime.

— Moi aussi.

Les doigts de Mathilde Carasco s'enfoncèrent un peu plus dans le dos de sa fille et Valentina en éprouva une étrange satisfaction.

Verbaliser qu'elle disait.

Se sentait-elle mieux ? Pas du tout. Mais elle avait dit ce qu'elle trainait depuis bien trop longtemps. Ce n'était pas si facile avec les personnes qui comptaient vraiment, comprit-elle enfin.

Les deux Carasco restèrent dans les bras l'une de l'autre, en silence, pendant encore un moment. Puis Valentina se détacha de sa mère.

— Je vais à l'église, avant d'aller à l'hôpital, dit-elle enfin. Je m'inquiète pour Francky, il ne me répond pas.

— Il est peut-être tout aussi fatigué que toi, tu sais.

— Je veux quand même aller le voir, histoire d'être sûre.

— Tu veux que je t'accompagne ?

— Non, c'est bon, merci. Travaille plutôt.

Elle lui adressa un clin d'œil et un sourire histoire qu'elle comprenne qu'elle n'était pas insolente, pour une fois, puis fit volteface pour quitter l'appartement.

À peine fut-elle dehors que son téléphone vibra. De nouveau ce numéro inconnu. Elle décrocha cette fois.

— Mademoiselle Valentina Carasco ?

Elle acquiesça avant de se reprendre pour répondre à voix haute.

— Inspecteur Blainville, police criminelle. J'espère que je ne vous dérange pas.

À l'évocation du nom du service, Valentina eut une légère crispation généralisée. Puis, elle se souvint qu'elle avait déjà vu ce policier à l'hôpital. Leur agression était une affaire criminelle.

L'inspecteur voulait cependant lui poser de nouveau des questions et lui demanda quand il pourrait la rencontrer, seule. Ou du moins sans Nolan.

— Au commissariat, vous voulez dire ? s'étonna-t-elle.

— Dans un lieu de votre choix, en réalité. Si vous préférez, on peut se rencontrer à l'hôpital, il y a de nombreuses salles où nous serons tranquilles pour discuter.

Discuter ?

Valentina était peut-être trop marquée par les films qu'elle regardait, mais ce terme ne lui disait rien qui vaille. Elle accepta cependant de le retrouver à l'hôpital d'ici une heure et demi. Cela lui laissait le temps de rendre une courte visite à Francky d'abord.

Lorsqu'elle arriva à l'église, elle eut d'abord la surprise de ne pas voir la voiture du faux prêtre. Lorsqu'elle s'approcha de la grille, elle la trouva fermée à clé. Ce devait être la deuxième fois qu'elle voyait cette grille fermée depuis que Francky était entré dans sa vie.

Elle jeta un œil de chaque côté de la rue avant d'escalader le portail et de se retrouver sur le parking gravillonné. Quelques secondes plus tard, le cœur battant à toute vitesse et le souffle court, elle glissait la clé de secours dans la serrure et entrait dans la maison. Elle était vide.

Bien entendu, elle se doutait que Francky n'était pas là, mais il n'y avait plus rien d'autres. Aucun papier, le frigo était ouvert et débranché, de même avec le micro-ondes. Valentina courut dans la salle de bain, inquiète d'y trouver du sang, comme la dernière fois. Le spectacle fut cependant presque pire : il n'y avait plus rien non plus. Aucun produit d'entretien ou d'hygiène. Même constat dans la chambre. Les deux lits étaient présents, mais aucun drap dessus. Tous les placards avaient été vidés, ne restait qu'un peu de vaisselle.

— Qu'est-ce que tu as fait, Francky ? chuchota Valentina, de nouveau des larmes dans les yeux.

Elle composa presque sans s'en rendre compte le numéro de Francky et tomba de nouveau sur la messagerie. Une messagerie standard, sans la moindre personnalisation. Elle ne laissa pas de message. Si elle refusait de l'admettre, elle savait que Francky avait mis les voiles. Elle ne le reverrait plus jamais.

Elle ne voyait qu'une seule explication à cela : il avait rempli sa dernière case !

Il l'avait dit à Nolan, la veille.

— Ne t'en fais pas pour le type au couteau. Il ne fera plus de mal à personne, avait-il glissé à l'oreille de Nolan qui lui avait répété ensuite.

Voilà ce que cela signifiait.

Voilà pourquoi il avait fini par lui dire qu'il l'aimait. Cela avait été ses derniers mots pour elle.

« Je t'aime, Tina »

Le cœur lourd, elle quitta l'église et se dirigea vers l'hôpital.

Vingt minutes plus tard, elle entrait dans l'hôpital et repéra les voitures de la police. Pour une simple discussion, elle imaginait qu'il y en avait bien trop. Pourtant, comme il le lui avait dit, l'inspecteur Blainville s'entretint en privé avec elle. Ils s'installèrent dans une chambre inoccupée pour le moment.

Le policier lui demanda de lui rappeler les événements comme elle s'en souvenait. Valentina obtempéra. Il lui sembla qu'il était plus facile d'en parler à présent que Nolan était hors de danger et l'inspecteur lui confirma que c'était une impression légitime. C'était d'ailleurs une des raisons qui faisait qu'il avait voulu la réauditionner sur ce sujet.

Cependant, Valentina comprit très vite où l'enquêteur voulait en venir lorsqu'il orienta la discussion vers le Père Franck Martin.

— J'ai cru comprendre que vous passiez beaucoup de temps avec lui ? demanda l'inspecteur Blainville.

Valentina se fit suspicieuse, mais répondit par l'affirmative.

— C'était un peu une sorte de confident.

— Vous êtes très croyante ?

Elle pouffa.

— Non, pas du tout, en fait. Mais comme je l'ai répété à Fr... Au Père Franck, se reprit-elle de justesse, j'aime l'ambiance de l'église pour travailler. C'est calme et j'ai besoin de ça pour me concentrer.

— Est-il exact que vous avez passé plusieurs nuits là-bas ?

— J'ai l'impression que vous connaissez déjà la réponse à cette question, alors pourquoi vous ne me demanderiez-vous pas directement ce que vous voulez savoir ?

Valentina avait haussé le ton malgré elle. Elle savait que c'était une mauvaise idée. D'abord parce que c'était un policier, pas un surveillant ou un prof. Ensuite parce qu'elle n'avait plus l'âge de finir à Saint-Joseph où une gentille psy pourrait lui donner un tas de bons conseils qu'elle mettrait plus de deux ans avant d'appliquer correctement. Elle finirait en taule, point. Et puis, il s'agissait d'une enquête criminelle. Tout ce qu'elle dirait pourrait être retenue contre elle. Elle devait donc vraiment faire attention.

— Que pensez-vous que je veux vous poser comme question ? soupira le flic.

Elle avait tendu le bâton pour se faire battre, comprit-elle avec un peu de retard. Elle était cependant moins bête qu'il le pensait.

— Que c'est un pervers sexuel qui abusait de moi d'une façon ou d'une autre, cracha presque Valentina. Mais c'était un mec bien. Je l'ai déjà dit à ma mère. D'abord, ce n'était pas un pédophile et de toute façon, j'aurais été bien trop vieille pour un pervers de ce genre-là.

— Et il n'a jamais eu de comportement violent en votre présence ? insista le policier.

— Un comportement violent ? répéta-t-elle outrée. C'est un putain de prêtre ! J'avais même pas le droit de dire de gros mots.

— Sinon ?

— Sinon, j'allais aller en enfer !

— Et vous croyez en l'enfer, mademoiselle Carasco ?

Qu'est-ce qu'elle détestait ça, quand l'appelait ainsi.

— Pas plus en l'enfer, qu'au diable ou à Dieu, inspecteur Blainville.

Il sourit. Il comprenait qu'elle se moquait de lui, mais il trouvait ce jeu amusant.

— Très bien, soupira-t-il. Je crois que nous en avons fini pour le moment. J'imagine que vous avez déjà regardé des séries policières, vous vous doutez que je risque de vous recontacter pour vous poser d'autres questions, si besoin.

— Vous allez aussi me dire de ne pas quitter la ville ?

— Tant que vous prenez votre téléphone portable avec vous, ça ne me dérange pas, sourit-il.

— OK !

— Merci, mademoiselle Carasco.

Il lui tendit la main, elle la serra, puis s'en alla rejoindre Nolan dans sa chambre. 

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