Chapitre 35

La journée du lendemain ne fut pas plus sereine pour Valentina. Cette dispute, même si en réalité c'était surtout elle qui s'était énervée, l'avait travaillé une partie de la nuit et déconcentrée toute la matinée. Les travaux pratiques de l'après-midi avaient réussi à lui sortir Nolan de la tête, mais elle eut de nouveau du mal à se concentrer sur ses devoirs, une fois de retour chez elle. Cette-fois pourtant, elle savait que se rendre à l'église ne l'aiderait pas. Ce n'était ni sa mère ni son frère qui faisait trop de bruit, c'était son cerveau. Alors elle abandonna l'idée de travailler et quitta sa chambre pour rejoindre sa mère en cuisine.

— Tu veux que je t'aide à faire quelque chose ? demanda-t-elle.

Sa mère lui décocha un regard surpris, puis suspicieux.

— Quoi ? se froissa Valentina. J'ai dit quelque chose de mal ?

Sa mère sourit enfin avant de se tourner de nouveau vers les aubergines qu'elle était en train de découper. Elle posa son couteau et se lava les mains avant de se tourner vers Valentina.

— Tu vas bien ?

Valentina hésita une seconde.

— Euh... Bah oui, pourquoi ?

— Pour être sûre, répondit-elle avec un sourire. Si tu veux m'aider, tu peux continuer de découper les aubergines. Des tranches les plus fines possibles et régulières.

— D'accord.

Comme les travaux pratiques de l'après-midi, se concentrer sur une activité manuelle aida Valentina à penser à autre chose. Au bout de quelques minutes de silence, sa mère la questionna sur l'école et ses camarades. Une discussion détendue qui fit du bien à la jeune femme. Après le repas, Valentina prétendit qu'elle allait passer la nuit chez le prêtre. Puisqu'elle avait mangé à la maison et, en plus, aidé à préparer le repas, elle ne s'attendait pas à ce que sa mère s'y oppose.

Elle ne l'empêcha pas de rejoindre Francky, en effet, mais fit remarquer, comme souvent, que si Valentina continuait de considérer la maison comme un hôtel, elle allait lui faire payer un loyer. Peut-être parce qu'il n'y avait eu ni cri ni sarcasme de toute la soirée, Valentina ne répondit rien et se contenta d'un au revoir calme avant de quitter les lieux.

Ce soir, Valentina allait patrouiller. Seule contrairement à la veille. Elle passa d'abord par l'église, pour y déposer son petit sac, car elle comptait dormir là-bas après sa patrouille. Francky et elle discutèrent du repas de la veille, bien sûr. Elle s'excusa, tout d'abord, d'être partie si vite et sans prendre le temps de lui dire au revoir. Francky ne lui en tint pas rigueur et précisa même que grâce à cette mise au point, il avait ensuite pu orienter la conversation dans une tout autre direction avec Nolan. Il avait par exemple tenté de faire comprendre à la future recrue que Valentina ne se mettait pas en colère sans raison, mais qu'elle n'avait peut-être pas assez confiance en lui pour lui en dire plus.

— Tu lui as dit que je ne pouvais pas lui faire confiance ? s'étonna-t-elle, reprenant ce ton de colère.

— Oui, admit-il sans que cela ne semble lui poser de problème. C'est la vérité de toute façon. Tant qu'il ne pourra pas admettre qu'au fond de lui, ce qu'il veut, c'est être un héros, il sera un Maxim en puissance. Pire encore, car Maxim le savait, lui. Mais si je me contente de le lui dire, il réfutera.

— Et en quoi y a un rapport avec moi qui lui fais pas confiance ? s'impatienta Valentina.

— Dès lors qu'il admettra ce qu'il veut vraiment, on n'aura qu'à lui parler de nos activités nocturnes et tu n'auras plus rien à lui cacher. Vous serez libres et tu n'auras plus de secrets pour lui.

— Tu lui as dit ça comme ça ?

— À peu près, oui, grimaça le prêtre en réfléchissant.

— Non mais t'es pas bien dans ta tête, Francky ? Des secrets pour lui... Tu voulais pas écrire traitresse sur mon front ou alors me mettre un écriteau aussi, tant que tu y étais ? Et je suis censée faire quoi moi, maintenant avec lui ? Il va s'imaginer des trucs de ouf ! s'emporta-t-elle pour de bon cette fois.

— Tu n'es pas censée faire quoi que ce soit, Tina, c'est juste...

Francky s'arrêta en fixant un point derrière Valentina.

— Je vous dérange ? demanda la voix de Nolan. J'étais venu montrer à Léa mon travail chez vous, Mon Père.

— Oh putain... souffla Valentina.

Elle portait sa tenue de patrouille et Nolan ne pouvait pas ne pas faire le lien. Pourtant, ce qui fit bondir le cœur de Valentina, ce fut la main de Léa dans celle de Nolan. Étaient-ils ensemble ? La jeune femme se décomposa, incapable de réagir d'une manière ou d'une autre. Franck répondit à ses visiteurs en les invitant à entrer. Il était ravi de rencontrer Léa, dont il avait beaucoup entendu parler, précisa-t-il. Nolan, tout aussi gêné que Valentina, à première vue, entraîna Léa dans la cour pour lui montrer son œuvre. C'était la raison de sa présence, expliqua-t-il en disparaissant avec sa compagne. Soudain, ce fut comme si quelqu'un avait remis le cerveau de Valentina en marche.

— Qu'est-ce qu'on va faire, Francky ? paniqua Valentina une fois qu'ils furent hors de portée.

— Tu vas te calmer, pour commencer, répliqua Francky maître de lui-même. Tu vas aller lui parler pour t'assurer qu'il n'interprète pas n'importe quoi et qu'il n'en parle surtout pas à Léa. Et si tu t'en sens capable, tu feras ta patrouille normalement.

— Et tu crois qu'il va se contenter de ça, lui ?

— Je pense que s'il avait dû faire un scandale, ça serait en cours, sourit-il. Et je ne suis pas sûr que cette révélation ne soit pas une bonne chose, en fin de compte.

— On voit que tu as la foi, toi.

— Et toi, de l'humour. Va lui parler.

— D'accord, chef !

Valentina avait tenté de prendre un ton sûr, mais à l'intérieur, elle était dévastée. Francky l'accompagna jusqu'à la fresque et Valentina le suivit en mode pilote automatique. Elle essayait de construire un discours sensé à présenter à Nolan. Lorsqu'elle arriva à portée de voix du couple, toute son assurance se mua en colère. Aucun doute n'était plus possible : elle était jalouse de cette Léa. Il fallait dire qu'elle était jolie. Brune aux yeux noisette, le visage fin et souriant, fine et bien proportionnée, c'était une véritable princesse qui se tenait bien droit. En comparaison, et encore plus dans sa tenue de justicière, Valentina avait l'air d'une pouilleuse.

Ce fut Francky qui commença à parler.

— C'est chouette ce qu'il fait, dit-il pour signaler sa présence.

Nolan et sa copine se retournèrent et Léa sourit.

— C'est bien plus que chouette, rétorqua-t-elle. J'étais en train d'essayer de le convaincre de louer une galerie.

— Tu travailles dans l'art ? attaqua Valentina.

— Mon père est photographe et expose un peu partout.

Cette fille avait donc tous les atouts en main, pensa Valentina en se mordant la langue pour ne pas dire une bêtise.

— Je peux te piquer ton petit ami, deux minutes ? finit-elle par demander.

Sans attendre de réponse, elle attrapa le bras de Nolan et l'attira à l'écart, à une dizaine de mètres de là.

— Qu'est-ce que c'est que cette tenue ? chuchota Nolan en tirant sur la capuche de Valentina.

— Tu sais très bien ce que c'est, non ? dit-elle en roulant les yeux dans ses orbites.

— Donc tu étais au courant depuis le début ! Tu t'es bien foutue de ma gueule avec tes « j'ai entendu dire que ceci... » ! C'est qui les autres ?

Ils avaient en effet discuté des justiciers qui se baladaient en ville après que Nolan avait été témoin d'une intervention d'Hervé, sans savoir qu'il s'agissait de lui, bien sûr. Valentina avait alors prétendu avoir entendu des rumeurs.

— Déjà, calme-toi et baisse d'un ton, s'il te plaît, se défendit-elle. Je ne me suis pas foutue de toi. Je ne pouvais pas juste débarquer et te dire « Salut ! J'm'appelle Tina et la nuit je rôde en ville avec des potes pour aider les victimes d'agression ! ». Sois sérieux, deux secondes.

— Bien sûr que tu aurais pu me le dire !

— Et tu aurais pas cru, à ce moment, que je me foutais de ta gueule ? Toi qui venais de sortir de deux semaines d'hosto pour avoir sauvé cette fille ?

— Elle s'appelle Léa.

— Je sais, on s'en fout !

— Et Justices alors ? C'est quoi ? Un entraînement ?

— Plutôt un entretien d'embauche, en fait.

— Hein ?

Cette fois, Nolan avait crié et Valentina le fusilla du regard. Elle lui rappela que Léa était là et que sa nouvelle petite amie ne devait pas être au courant. Personne ne le devait.

— C'est pas ma petite amie !

— On s'en fout ! Elle ne doit pas savoir quand même. La voilà...

— Ça va, vous deux ? demanda Léa de sa voix de princesse.

— Ouais, sourit Valentina de toutes ses dents. Je viens de lui annoncer que je ne pourrai pas faire les corvées de Francky demain et ça lui plaît pas tellement, mais c'est pas bien grave.

Valentina était fière d'elle. Elle avait réussi à concocter un mensonge presque crédible tout en gardant un air naturel. Du moins l'espérait-elle. Le silence qui suivit la fit douter. Léa la scruta, puis porta son attention sur Nolan, avant de lui sourire.

— Il est temps que je rentre, déclara-t-elle. Tu peux rester si tu veux...

— Sûrement pas ! Je te raccompagne.

— Je passe te voir plus tard, chuchota Valentina le cœur battant à tout rompre, avant de l'abandonner.

Une fois auprès de Francky, elle lâcha un long soupire. Elle était encore incapable de dire comment allait réagir Nolan, mais le plus dur était passé.

— Va courir et sauter dans tous les coins, ça te fera du bien, déclara Francky.

Pour toute réponse, Valentina tendit une main tremblante devant elle et Francky la rassura, tout allait s'arranger très vite, selon lui.

Elle n'était pas aussi catégorique, mais elle ne pouvait plus faire grand-chose pour le moment de toute façon. Elle embrassa Francky avant de quitter l'église pour sa ronde.

Cette nuit, elle allait arpenter le secteur botanique, la direction opposée à celle qu'avaient prise Nolan et sa copine.

Sa copine.

Cette éventualité lui donna la chair de poule et elle se maudit intérieurement. Au premier regard, elle avait été attirée par le garçon. Pourtant, elle avait joué le jeu lorsque Francky lui avait demandé d'insister pour qu'il reprenne contact avec la fille qu'il avait sauvé et s'en fasse une amie. Valentina avait tout de suite imaginé qu'ils finiraient ensemble. C'était le cas dans presque tous les films. La victime tombait toujours sous le charme de son sauveur. Cela n'avait pas dérangé Valentina. Elle avait été attirée, certes, mais elle n'avait aucun sentiment pour lui. Aussi fut-elle la première surprise lorsque les premières manifestations de jalousie se firent sentir. Et plus elle repoussait l'idée d'une relation entre eux, plus cette idée lui plaisait.

Maintenant, il lui en voulait de lui avoir caché ses activités nocturnes et il tenait Léa par la main. Il était clair que ça n'irait pas plus loin entre eux. Aucun doute n'était plus permis. Valentina qui avait toujours vécu ses relations amoureuses avec détachement se surprenait elle-même à être aussi touchée alors qu'il n'y avait rien du tout entre eux.

Par chance, cette soirée fut calme et elle n'eut aucune intervention. Cela ne l'aida pas à passer à autre chose, mais elle préférait toujours ça plutôt que de se lancer dans une bagarre avec la tête ailleurs.

Lorsque le moment fut venu d'interrompre sa patrouille, elle fit un détour avant de rejoindre Nolan comme elle le lui avait promis. Elle avait faim et si Nolan l'avait attendue, peut-être lui aussi aurait besoin de se remplir l'estomac. Elle connaissait un Kebab ouvert non-stop. Elle y passait souvent après ses rondes. Si souvent, en réalité, qu'elle avait fini par se demander si Omar, celui qui était de service la nuit, avait fait le rapprochement entre elle et le soi-disant super-héros qui rôdait la nuit. Elle avait beau enlever sa capuche et son cache-nez, se balader en sweat gris quelle que soit la saison, c'était louche, à ses yeux.

Une fois ses sandwichs achetés, elle fila chez Nolan qui la reçut assez froidement, comme elle aurait dû s'y attendre. Cependant, il accepta le doner kebab et ils mangèrent ensemble en discutant. En réalité, elle répondit à un véritable interrogatoire.

Elle commença par lui confirmer qu'elle faisait en effet partie de ce club de justiciers. Ils n'avaient pas de nom et avaient pour but de venir en aide au public. Le problème était qu'ils n'avaient pas de matériel ultra avancé pour savoir où et quand intervenir, alors ils faisaient des rondes dans les différents quartiers de la ville. Raison pour laquelle ils n'étaient pas toujours au bon endroit au bon moment.

Valentina finit par comprendre qu'en réalité, Nolan était surtout vexé qu'elle ne lui ait pas fait confiance plus tôt et elle trouva ça mignon. Une fois sa frustration passée, il posa encore de nombreuses questions. Valentina lui raconta que le jeu était en réalité la première phase de recrutement et qu'il avait lamentablement échoué. Elle précisa que le chef était Francky, même s'il ne sortait plus beaucoup dernièrement, et qu'Hervé faisait partie du club, lui aussi.

Nolan précisa qu'il avait très envie de les rejoindre, ce dont Valentina ne doutait pas. Cependant elle lui expliqua qu'elle le trouvait immature, pour le moment. Elle lui reparla de son comportement dans le jeu, de sa propension à vouloir se battre à tout prix. Il eut bien du mal à comprendre que pour sauver une victime, se mettre en danger n'était pas la solution. La discussion porta très vite sur les nerfs déjà à vif de Valentina et elle voulut s'en aller.

Lorsque Nolan lui avait demandé de rester encore, son cœur avait chaviré. Elle n'avait pas non plus envie de partir, mais elle ne voulait surtout pas parler de justiciers ou de patrouille. Alors elle proposa qu'il fasse un dessin d'elle dans une posture de Wushu. Nolan trouva l'idée à son goût et ils passèrent l'heure suivante à se raconter leur vie pendant qu'elle posait et qu'il la croquait.

Après cela, vaincue par la fatigue, Valentina s'endormit sur le canapé de Nolan pendant qu'il continuait de travailler sur son dessin.

Au réveil, elle découvrit le dessinateur la tête sur ses cuisses et elle eut bien du mal à se lever sans le réveiller. C'était déjà la deuxième fois qu'ils dormaient ensemble et elle se demanda s'il avait déjà passé une nuit avec Léa. Secouant la tête, elle avait décidé de se faire pardonner de l'avoir empêché de dormir comme il fallait et était descendue chercher des viennoiseries à la boulangerie du coin. Elle n'eut pas besoin de fouiller pour trouver les clés et s'éclipsa en vitesse.

À son retour, puisque Nolan dormait toujours, elle décida de prendre une douche. Puisqu'elle n'avait pas de change, elle attrapa un t-shirt propre au hasard dans un meuble et lorsqu'elle sortit, propre et fraîche, Nolan s'était enfin réveillé. Ils déjeunèrent ensemble et le dessinateur voulut qu'elle lui enseigne le Parkour afin de rejoindre les justiciers. Elle lui rappela que ça ne suffirait pas et que son attitude dans Justices devait évoluer avant d'envisager un recrutement. Elle aurait voulu rester et discuter toute la journée en continuant de le regarder la dessiner, mais elle devait aller en cours. Nolan ne montra pas d'empressement à se débarrasser d'elle et elle hésita à sécher.

C'était une très mauvaise idée, décida-t-elle cependant.

Nolan l'accompagna jusqu'à la porte, ce qui était ridicule, compte tenu de la taille de son studio, mais elle apprécia le geste. Devant la porte, elle se retourna pour l'embrasser. Elle n'y avait pas réfléchi. Bien sûr elle en avait envie, mais ce ne fut pas prémédité. Il n'y eut d'ailleurs aucune sensualité. C'était un simple baiser d'au revoir comme dans n'importe quel couple. Sauf qu'il n'était pas en couple et la surprise dans le regarde de Nolan fit écho à la sienne.

— Oups ! Pardon : réflexe ! dit-elle, le cœur battant à dix mille pulsations par secondes.

Elle éclata de rire, ce qu'elle faisait souvent lorsqu'elle perdait ses moyens.

— T'es sérieuse ? Réflexe ? lui lança Nolan.

— Je sais pas ! Je t'ai vu là, j'ai eu envie, je me suis servie...

Nolan resta là, la bouche à demi ouverte et elle eut farouchement envie de recommencer. Mais il ne fallait pas.

— Fais pas cette tête, s'te plaît, reprit-elle alors qu'il était toujours immobile. Ça peut pas avoir été si mauvais que ça, quand même ?

— En fait, répondit-il en se grattant le menton, je sais pas trop. C'était vraiment trop court pour que je me fasse une idée.

Elle le gratifia d'un uppercut dans l'estomac qu'il sentit bien passé, celui-là.

— Dis-toi que je ne recommencerai pas. Tu ne pourras qu'en rêver la nuit. À plus, minus !

Et elle quitta l'appartement, sourire aux lèvres. Dans la rue, elle résista de toutes ses forces pour ne pas se tourner vers sa fenêtre et vérifier s'il la suivait du regard. Elle ignorait où était sa fenêtre, cela aida aussi. 

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