Chapitre 31
La dernière fois que Franck s'était absenté pendant quelques jours, même pas une semaine, en réalité, il avait retrouvé une impressionnante couche de poussière sur le sol de la nef. L'ancien bâtiment au haut plafond avec ses pierres apparentes et ses poutres vieilles de deux siècles en générait beaucoup. De retour de son petit séjour chez Gaël, cette fois, Franck eu l'agréable surprise de ne pas trouver de changement dans l'état de la grande salle de l'église.
Afin de valider son impression première, il passa un doigt sur l'assise d'un banc, juste après s'être signé. En l'examinant, il ne trouva aucune trace ni sur la pulpe de son index ni sur le banc. Les travaux de rénovation avaient eu pour conséquence de réduire la production de particules dans l'air. Franck leva un visage souriant vers la statue de Jésus, au fond de la nef, derrière l'autel. Après une petite seconde, il prit la direction de ses quartiers en passant par la petite porte qui reliait le lieu de vie à celui de la messe.
Dès qu'il franchit la porte, il nota que quelque chose n'allait pas et se figea. Une vague odeur de parfum flottait dans l'air. Il n'en portait pas et cette odeur ne lui était pas familière. Il pensa d'abord que Valentina était peut-être passée ou était encore sur place, mais il se ravisa vite. Il était possible que la jeune femme aux cheveux désormais verts soit venue, même en son absence. En revanche, la fragrance lui parut masculine. Ce fut ce qui le maintint en alerte un moment.
Sans bouger de sa place, il jeta un œil à la porte d'entrée qui donnait sur l'extérieur. Elle était déverrouillée. Quelqu'un avait donc belle et bien envahit son espace vital en son absence. Il retira délicatement son sac à dos en évitant de faire du bruit. Si l'intrus était toujours là, ce dont il ne doutait pas, Franck voulait éviter de l'alarmer. L'envahisseur n'avait sans doute pas encore remarqué sa présence.
Franck avait revêtu sa tenue de prêtre et ne portait donc aucune arme sur lui. Ni lame, ni shuriken, ni pistolet, même s'il n'utilisait plus ces derniers depuis des années. Il tendit ses muscles, prêt à bondir ou à frapper lorsque soudain...
— Surprise ! s'écrièrent en chœur Hervé, Léo et Valentina qui apparurent dans l'encadrement de la porte absente qui menait à la cuisine.
Ils arboraient tous trois un grand sourire et Franck soupira de soulagement. Il lui fallut une seconde supplémentaire avant de se détendre.
— Vous m'avez fait peur, soupira-t-il en exagérant un peu son soulagement.
— J'ai vu ça, rigola Hervé, hilare.
— Joyeux anniversaire ! s'écria Valentina, suivie des deux autres.
Franck resta coi. Était-ce son anniversaire ? Comment pouvaient-ils le savoir ?
Non, ce n'était pas son anniversaire. Félix martin, l'homme dont Franck avait modifié l'identité pour usurper son titre, était né en automne, en octobre, lui semblait-il se souvenir. Et lui... Il avait oublié depuis longtemps, comme tant de choses de son ancienne vie.
— Je crois qu'il a bugué, déclara Hervé en avançant avec les deux autres.
Valentina lui déposa un baiser sur la joue, ce qui eut pour effet de ramener Franck à la réalité.
— C'est pas mon anniversaire, réussit-il à dire.
— Le truc, intervint Léo, c'est qu'on ignore quand est ton anniversaire.
— Tu ne nous dis jamais rien sur toi, insista Valentina avec une moue boudeuse. Le moindre renseignement personnel, il faut aller te le soutirer. Et on a réalisé qu'on ne t'avait jamais souhaité ton anniversaire.
— Alors on a décidé de te le souhaiter aujourd'hui, conclut Hervé.
— On est peut-être en avance ou peut-être en retard, mais c'est pas grave ! reprit Valentina. Ça t'apprendra à être aussi secret avec nous.
Franck eut du mal à trouver quoi répondre à ça. Une forte émotion le submergea soudain. À tel point qu'après dix secondes de silence, il ne savait toujours pas comment réagir. Léo fit une remarque sur sa tendance à buguer et Valentina éclata de rire.
— C'est l'âge, se moqua Valentina.
Franck se ressaisit et adressa un sourire à ses amis.
— Merci, dit-il. Je ne m'y attendais pas du tout, je dois bien l'avouer.
— Et tu vas nous dire c'est quand ton vrai anniversaire ? demanda Valentina.
Franck hésita. Il ne pouvait pas dire qu'il l'ignorait, cela soulèverait beaucoup trop de questions. Mais pouvait-il inventer une date ?
— En octobre, souffla-t-il enfin, incapable de se souvenir du jour exact.
Il regarderait sur ses papiers d'identité dès que possible, car Valentina ne manquerait pas d'insister sur ce sujet.
— On n'est pas si loin, sourit Hervé.
— Ouais ! À deux mois près, on était parfaits, sourit Léo.
— Pourquoi tu ne nous as jamais dit que c'était ton anniversaire ? interrogea tout de même Valentina.
— Je n'avais pas de raison de le faire, en fait, répondit-il d'un air aussi naturel que possible.
— Juste qu'on puisse faire la fête ensemble, répliqua Hervé. T'aimes pas les cadeaux ou quoi ?
— Vous m'avez acheté un cadeau ? demanda-t-il dans l'espoir de détourner la conversation.
— Évidemment ! gronda Hervé.
— Change pas de sujet, tempéra Valentina sans se départir de son sourire. Tu ne fêtes pas ton anniversaire, Francky ? Pourquoi tu ne nous as jamais invité ?
Il allait devoir répondre, car il sentait bien que Valentina ne le laisserait pas s'en tirer avec une simple pirouette. Pour une raison ou une autre, ce sujet lui tenait à cœur.
— Non, répondit-il l'air grave. Je ne fête pas mon anniversaire. Le dernier que j'ai fêté, je devais avoir cinq ans. Depuis, plus jamais. Raison pour laquelle je ne vous en ai jamais parlé ni ne vous ai jamais invité. Et si tu veux tout savoir, je ne me souviens même pas de ma date de naissance sans regarder sur mes papiers.
Silence.
Les trois paires d'yeux se posèrent sur lui et le scrutèrent avec intensité. Franck se prit à espérer avoir suffisamment refroidi l'ambiance pour éviter d'autres questions. C'était compter sans Valentina.
— Pourquoi ? demanda-t-elle. Pourquoi un gamin de cinq ans arrêterait de fêter son anniversaire ?
Franck hésita de nouveau un instant et opta pour une demi vérité.
— C'est l'âge auquel j'ai perdu mes parents, avoua-t-il en la fixant dans ses yeux verts. Après ça, ma vie a pris un tournant un peu particulier.
C'était le moins que l'on pouvait dire, mais il se refusait toujours à leur raconter son passé. Un jour, peut-être, trouverait-il le courage de s'exprimer à ce sujet. Pour le moment, ils devraient se contenter de ça.
— J'imagine que t'as pas l'intention de m'en dire plus ? demanda Valentina comme un écho à ses propres pensées.
Il lui sourit et hocha la tête de haut en bas.
— C'est une histoire bien trop triste, Tina. Si j'ai bien compris, aujourd'hui, on fait la fête, non ?
— Si ! intervint Hervé. On a des cadeaux, de la pizza et un gâteau, alors pas moyen de faire ta Cosette.
Franck lui sourit et demanda un instant pour aller déposer ses affaires. Ce qu'il fit.
À son retour, il découvrit les trois invités surprise, chacun un paquet à la main, sourires aux lèvres. Il était encore un peu tôt pour manger, décréta Léo en lui tendant le premier son cadeau.
Franck le déballa sans chercher à deviner ce que c'était. Il découvrit un grand livre à couverture rigide. « Guide du Parkour, comment apprendre et progresser sans se blesser ». Franck ne put retenir un sourire.
— Comme ça, avec un peu de temps, tu pourras nous suivre dans nos délires.
Valentina éclata de rire, très vite suivie d'Hervé. La vérité était que Franck pouvait les suivre. Il avait cependant déclaré à Léo, lors de leur première sortie ensemble, qu'il n'était pas à l'aise dans ce domaine. Cela avait été une façon pour lui de se couvrir et de masquer l'étendue de ses capacités. Depuis, il avait fait en sorte de ne jamais trop en faire sur le terrain, en leur présence, pour confirmer ce premier mensonge. Il se contentait de bondir de toit en toit, mais il ne s'adonnait pas aux acrobaties qu'adoraient tant le trio en face de lui.
— Merci, dit-il, un peu gêné.
Ses compagnons pourraient penser que cette gêne était liée au fait de recevoir un cadeau, alors il ne s'en cacha pas plus que nécessaire.
Le paquet d'Hervé était bien moins géométrique et bien moins bien réalisé. Il était plus léger aussi et Franck le déballa avec précaution.
— C'est pas fragile, t'inquiète, déclara l'étudiant.
Et, en effet, la paire de Tabi qu'il découvrit pouvait résister à un déballage un peu violent.
— Je ne savais pas qu'on pouvait trouver ça dans la région, s'étonna Franck, sourire aux lèvres.
— On peut tout trouver, si on se donne la peine de chercher, prétend un de mes profs...
— C'est quoi ? demanda Valentina en se penchant pour mieux voir les chaussures ?
— Des shoes de ninja, rétorqua Hervé.
Franck glissa une main dans les chaussures ultra souples de manière à ce que Valentina et Léo puisse constater que la pointe était divisée en deux de manière à ce que le gros orteil soit séparé des autres doigts de pieds.
— Oh ! s'exclama Valentina. Ça existe vraiment des chaussures comme ça ? Je croyais qu'il fallait être une tortue, moi... La classe !
— Il fallait au moins ça, pour un prêtre ninja, confirma Hervé avec un clin d'œil.
Franck ôta ses tennis et ses chaussettes pour essayer les tabis. La pointure était parfaite, déclara-t-il après quelques pas et petits sauts.
— Merci, ça me fait super plaisir.
Hervé ne répondit que par un sourire et Valentina tendit son cadeau à son tour.
— Après ça, mon cadeau va avoir l'air tout pourri, mais tant pis, déclara-t-elle avec une rougeur anormale sur les joues.
Le paquet n'était pas bien grand non plus, tout mou, mais particulièrement soigné. Valentina la rassura : ce n'était pas fragile non plus. Franck l'ouvrit et découvrit un t-shirt de couleur bleu. Il commença à le déplier lorsque Valentina précisa :
— J'ai remarqué que tu ne mettais que des t-shirts à manches longue, alors j'ai suivi tes habitudes.
En effet, les manches lui couvriraient sans doute les mains. Lorsqu'il observa l'inscription sous forme de graffiti, il lui fallut une seconde pour la décrypter. Soudain, son cœur se serra et une boule énorme vint obstruer sa gorge. Il eut du mal à avaler sa salive, mais parvint tout de même à retenir ses larmes.
— Viens-là, déclara-t-il, la voix encore faible.
Il tendit les bras et Valentina courut presque pour s'y blottir. Elle le serra très fort et il eut l'impression que leurs deux cœurs battaient à l'unisson et à toute vitesse. Il déposa un baiser sur sa chevelure verte tandis qu'il sentait de l'humidité imprégner sa chemise au niveau du visage de la jeune femme.
— Merci, chuchota-t-il. Je crois que c'est le plus beau cadeau de toute ma vie.
Il n'avait pas eu beaucoup de cadeaux, mais celui-ci resterait sans aucun doute son préféré.
— Ça vous dérange pas qu'on soit là ? intervint Hervé après quelques secondes de silence. On peut le voir ce t-shirt ?
Valentina renifla un coup, puis recula en essuyant ses joues. Franck déplia le vêtement devant lui avant de le tourner pour montrer à ses compagnons l'inscription sur la face avant. C'était un t-shirt de compression qui allait lui coller au corps et qui semblait très confortable. Le bleu électrique contrastait de façon élégante avec le graffiti dont la couleur principale était le jaune. Il était écrit « père de l'année ». En découvrant l'inscription, les deux garçons sourirent.
— Joli double sens, acquiesça Léo. Bien joué.
Valentina n'ajouta pas un mot pendant encore quelques minutes. Sans ôter sa chemise, Franck passa le t-shirt. La taille était bonne, même si pour le moment, avec un autre vêtement en-dessous, il était un peu serré.
— Bon, on va manger maintenant ? demanda Hervé.
Léo approuva et ils se rendirent vers la cuisine. En rejoignant la pièce, Franck passa un bras autour des épaules de Valentina et la remercia à nouveau pour son cadeau. Elle se blottit contre lui sans arrêter d'avancer et ne le quitta que pour s'installer à la vieille table.
Cette nuit, Léo aurait dû sortir, mais tout le monde resta si longtemps à l'église, à rigoler en se racontant des anecdotes de patrouilles, que celle de ce soir fut annulée. Franck ne voulait pas risquer de gâcher une si belle soirée.
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