Chapitre 30

Hervé prit un bon élan dans la ruelle sombre. Il n'avait que cinq pas de recul, mais savait que cela lui suffirait. Il posa le pied droit sur le minuscule rebord de la brique apparente et poussa fort sur sa cuisse en espérant que son orteil ne glisserait pas. Il tint bon et lorsque son deuxième pied se posa un mètre et demi plus haut, il réitéra. Le troisième pas ne fut pas aussi efficace et il s'aida des mains pour pousser et atteindre la minuscule lucarne au bord de laquelle il s'accrocha du bout des doigts.

— Joli, entendit-il en bas.

Valentina l'accompagnait ce soir et, puisque la nuit était tranquille, ils s'étaient lancés différents défis depuis un petit quart d'heures.

Hervé lâcha sa prise et se laissa tomber avec souplesse sur le bitume. Il sentit une vague douleur dans son genou gauche et déclara que c'était son dernier défi.

— Ah ? s'étonna Tina. C'est pas passé finalement ?

Hervé secoua la tête. Il s'était tordu l'articulation lors d'un saut, cinq minutes plus tôt et pensait que la douleur était passée. Puisque ce n'était pas le cas, il préférait éviter de tenter le diable. La dernière fois qu'il avait refusé d'écouter les avertissements que lui envoyait son corps, il avait été immobilisé trois semaines. Il ne commettrait pas cette erreur deux fois de suite.

— Mais il me reste un défi pour toi, si ça te dit.

— Toujours ! C'est où ?

Hervé sourit. C'était ce qu'il préférait avec Tina. Elle était toujours prête à s'amuser. Et par s'amuser, il ne pensait pas à boire ou fumer comme nombre de ses amis. Tina aimait les défis sportifs. Elle aimait se battre aussi et elle excellait dans cet art. Elle l'avait d'ailleurs battu à chaque fois qu'ils avaient tenté un combat. Elle était vive, souple et puissante. Et en plus, elle était belle, drôle et intelligente. Elle avait tout pour plaire, en réalité.

— Suis-moi.

Il l'entraina dans sa rue, la rue Cuvier. Ce soir, ils patrouillaient dans son quartier, le secteur Lafayette. Non loin de son propre immeuble, il y avait une ruelle dont un passage en particulier était si étroit qu'il était impossible de faire tenir trois personnes de front. De chaque côté de ce resserrement se tenaient deux petits immeubles de quatre étages.

— Tu crois que tu pourras grimper là-haut sans prendre appui sur les...

Il hésita. Il y avait des reliefs qui faisaient le tour de l'immeuble du côté droit.

— On va dire que c'est des corniches, décida-t-il. Tu peux grimper sans prendre appui sur les corniches ?

Valentina le regarda avec un sourire en coin. Elle leva ensuite la tête vers le sommet des bâtiments.

— Y a genre vingt mètres ou pas loin là ?

— Sans doute, oui.

Hervé ignorait quelle distance il y avait jusqu'au toit. Mais un immeuble de quatre étages mesurait entre quinze et vingt mètres de haut, en moyenne.

— Si je vais jusqu'en haut, je peux redescendre par un escalier ?

Il haussa les épaules.

— T'es jamais monté là-haut ? s'étonna-t-elle.

— Nope ! Jamais. J'ai vu un mec qui montait dans un parking sur Insta en utilisant des murs avec le même espacement. Je me suis demandé si c'était faisable. Je me suis aussi dit que tu étais la seule que je voyais capable de tenter un truc pareil.

— Tu me trouves suicidaire, peut-être ?

— Non, contra-t-il. Je te trouve super balaise, en fait.

Elle leva un sourcil circonspect et il rigola. La vérité était qu'à leur première sortie ensemble, il avait désespérément tenté de l'impressionner en lui montrant ce dont il était capable de faire en Parkour. Il avait cependant vite compris qu'elle jouait à un tout autre niveau que le sien. Il était doué, il n'en doutait pas. Valentina était bien meilleure, point.

— La flatterie ne me convaincra pas de tenter un truc, tu sais ?

— Non, je ne savais pas, sourit-il. Tu vas le faire ou pas ?

Elle prit le temps de la réflexion, regarda de nouveau chacun des deux immeubles, puis revint à Hervé.

— Ça me tente bien en fait, sourit-elle. C'est juste que je ne suis pas certaine d'arriver là-haut. Du coup, ça fait haut pour juste me laisser tomber.

— C'est vrai, mais j'ai trouvé nulle part plus petit.

— OK !

Et sans prévenir, Valentina s'élança à toute vitesse contre le mur de droite. Comme Hervé plutôt, lorsqu'il avait cherché à atteindre la lucarne, elle courut à la verticale sur un peu plus de deux mètres, puis se propulsa de l'autre côté de la ruelle contre l'autre bâtiment. Ce faisant, elle gagna au moins un mètre de haut et courut deux pas de plus sur le mur avant de rechanger. Elle répéta l'opération deux fois avant de hurler.

— J'y arriverai pas !

Elle criait, mais il n'y avait aucune panique dans sa voix. Hervé, en revanche, sentit son rythme cardiaque s'affoler. Que pouvait-il faire pour l'aider ? Rien !

— Je redescends ! Sois prêt !

— D'acc !

Prêt pour quoi ? Elle avait dépassé la mi-hauteur, même s'il l'attrapait en bas, ils se briseraient tous les deux les os. Il ne pouvait pas lui dire ça. Elle semblait encore en pleine possession de ses moyens, ce n'était donc pas le moment de la faire paniquer.

Hervé était juste sous elle et la vit glisser sur deux mètres avant de repousser le mur pour basculer sur l'autre et glisser encore de quelques mètres. Elle répéta l'opération, freinant sa chute en se laissant glisser sur le mur avant de sauter sur celui d'en face en reprenant un tout petit peu de hauteur. Sa technique était parfaite. Elle ne restait jamais assez longtemps sur les parois pour vraiment tomber et le fait de reprendre un peu d'altitude à chaque changement, la ralentissait. Assez pour qu'elle n'arrive pas trop vite, en tout cas.

Au bout de quelques secondes insoutenables, Elle finit par atterrir au sol et tomba dans les bras d'Hervé.

— T'es complètement folle, Tina ! Mais t'es trop balèze !

— Il serait temps que tu le remarques, gamin ! Par contre, je me suis éclaté les doigts...

Elle tendit les paumes vers lui et il découvrit l'étendu des dégâts. L'index de sa main droite était couvert de sang alors que les autres doigts, pouces exceptés, étaient tous abîmés à des degrés divers.

— Viens, on va chez moi !

— Hein ? pourquoi ?

Hervé sourit.

— T'inquiète, je vais pas abuser de toi. Y a une pharmacie chez moi, on va désinfecter et mettre un bandage sur celui-là au moins, précisa-t-il en désignant son index droit.

— Oh !

— Ouais, comme tu dis, sourit-il en ouvrant la voie. Francky est pas là et je voudrais pas qu'il croie que je ne m'occupe pas bien de sa protégée en son absence.

Francky était partie en vacances. Il était très rare qu'il quitte l'église plus d'une journée et cette fois, il avait prévu une semaine d'absence.

— Je lui dirais que c'est pas de ta faute, plaisanta Valentina. D'ailleurs, tu sais où il est parti ? Il ne m'a rien dit à moi.

— Non, moi non plus, il ne m'a rien dit. Il doit vouloir être tranquille un peu. Je ne sais pas.

En à peine quelques minutes, ils furent au pied de l'immeuble d'Hervé.

— La dernière fois qu'il est parti, t'étais pas encore là, il est revenu blessé.

— Sérieux ?

Hervé composa le code de son immeuble et poussa la porte pour la laisser passer la première.

— Il n'a jamais voulu me dire ce qu'il s'était passé, mais il était à peu près aussi mal en point que le jour où tu l'as retrouvé à l'hosto.

— Tu veux dire qu'il avait pris un coup de couteau ?

— Je sais pas, j'ai pas vu, soupira-t-il en chuchotant avant d'entrer dans l'ascenseur.

Il était près d'une heure du matin, la plupart des résidents devaient dormir.

— Tu crois qu'il fait des patrouilles pendant ses vacances ? demanda Valentina à voix basse elle aussi.

— C'est la seule explication que je vois en fait, mais c'est peut-être complètement autre chose.

La porte de l'ascenseur s'ouvrit à son étage et Hervé sorti ses clés de sa poche intérieure zippée.

— Ma mère est là, mais elle dort, alors sois un vrai ninja, s'te plaît.

Valentina ne décrocha pas un mot et fit un salut militaire approximatif. Hervé ouvrit la porte et, de nouveau, laissa Valentina passer devant. Il referma ensuite, l'invita à attendre quelques instants et alla chercher du désinfectant, des compresses et des pansements. Il l'entraina ensuite dans le salon seulement éclairé par la lumière de l'extérieur qui filtrait à travers les fins rideaux. Après avoir fermé la porte avec délicatesse, il alluma la lumière.

— Bon allez, fais voir ça.

Elle tendit les deux mains il les aspergea de produit désinfectant avant d'essuyer aussi délicatement que possible avec une première compresse.

— T'aurais dû faire des études de médecine, se moqua Valentina.

— Tu parles, j'ai bien assez de mal comme ça avec la programmation.

Hervé recommença l'opération, mais bien plus doucement, cette fois, prenant soin de vérifier pour chaque blessure, s'il y avait des saletés incrustées. Valentina grimaça une fois ou deux, mais ne dit rien. Pas à ce sujet, en tout cas.

— Si on en revenait à Francky. Tu crois vraiment qu'il patrouille ailleurs ? Tout seul ?

— Je ne sais pas. Par contre je sais qu'il a au moins une autre équipe loin d'ici.

— Et comment tu sais ça ?

— Parce qu'on n'est pas les seuls sur Justices et un jour je me suis connecté sur une autre map. Un certain Gabriel m'a questionné pour savoir ce que je foutais là et il m'a dit que normalement cette map devrait m'être interdite. Quand j'ai posé la question, Francky est resté évasif, comme d'habitude et le jour-même j'avais plus accès à la map.

— Oh...

Valentina resta pensive un moment, pendant qu'Hervé lui appliquait des pansements sur deux de ses doigts.

— Et voilà, t'es toute neuve ! sourit-il.

Elle observa ses mains d'un air satisfait et remercia Hervé qui jeta une partie du matériel avant d'aller ranger le reste. Il offrit un verre d'eau à son amie et deux minutes plus tard, ils se retrouvaient de nouveau dans la rue.

— Je crois que je suis un peu jalouse, déclara Valentina. Il ne veut pas sortir avec nous, mais il patrouille avec d'autres gens pendant ses congés.

Hervé pouffa.

— T'es amoureuse de lui ?

Elle s'arrêta et le dévisagea un instant. À sa façon de le regarder, Hervé comprit qu'elle tentait de savoir à quel point il était sérieux. Il l'était à 100 %.

— Mais tu vas pas bien dans ta tête, Hervé ! Il est beaucoup trop vieux en plus !

Cette fois, il éclata de rire.

— Je suis sûr qu'on a même pas dix ans d'écart et c'est un beau gosse quand même.

— Je sais pas quel âge il a, mais ça change rien, je suis pas amoureuse de lui ! Je peux être jalouse sans être amoureuse quand même ?

— Oui, c'est vrai, admit-il.

Ils obliquèrent vers l'avenue du Maréchal de Saxe.

— Tu sais quoi ? Je sais pas non plus quel âge il a. Mais le pire, c'est que depuis le temps que je le connais, j'ai jamais fêté son anniv non plus, annonça Hervé.

— Ah ouais, c'est vrai ça !

— Il est tellement secret, qu'il ne nous en a jamais parlé.

— D'un autre côté, j'ai jamais posé la question. Je l'ai invité au mien, mais je lui ai jamais demandé quand était le sien.

— Espèce d'ingrate, siffla Hervé, ajoutant un clin d'œil immédiatement pour qu'elle comprenne le second degré.

— Ça te dit qu'on lui fasse une fête d'anniversaire ?

— Euh... Comment ça ?

— On lui organise une petite fête surprise. On invite Léo et on lui offre des cadeaux, comme un anniversaire normal, en fait.

— Carrément ! Ouais, je suis super partant, même !

— On organise ça demain avec Léo alors ?

— Yes !

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