Chapitre 29

— Nouvelle couleur ? demanda le prêtre en la voyant arriver.

Valentina sourit et passa la main dans ses cheveux. C'était son nouveau geste préféré. Entre la décoloration en blonde, puis la recoloration en vert, ses cheveux étaient devenus plu fins. Si sa mère n'avait pu s'empêcher de faire remarquer que c'était parce qu'elle les détruisait petit à petit, elle n'avait cependant pas fait de commentaire négatif sur sa couleur. Elle avait même été jusqu'à admettre que c'était une jolie couleur.

Valentina trouvait ce vert trop clair, mais devait attendre quelques semaines avant de poser une nouvelle couche de produits chimiques, selon sa coiffeuse. En attendant, elle aurait les cheveux vert pomme. Un vert un peu flashy, plus clair que ses yeux.

Elle s'approcha du prêtre, dans la cour derrière l'église, occupé à arracher des planches pourries à la palissade. Depuis qu'elle le connaissait, elle entendait Franck dire qu'il voulait s'occuper de cette barrière pour lui redonner une seconde vie. Il semblait que le moment était venu. Elle déposa un baiser sur la joue de Francky.

— Ouais ! se contenta-t-elle de répondre.

— Il y a une raison ou bien c'est juste une crise de couleur, plaisanta-t-il.

— J'ai plusieurs raisons, pour être exacte, sourit Valentina. La première, c'est que j'en avais envie depuis quelques temps, mais ma mère disait que j'allais me faire virer du lycée avec les cheveux verts.

Francky acquiesça discrètement. Il était souvent d'accord avec la mère de Valentina et ça avait le don de l'agacer.

— Du coup, puisque maintenant l'année est finie et que je suis sûre de ne pas aller au rattrapage, j'ai sauté le pas.

— Ça ne fait qu'une seule raison, ça, Tina.

Elle rit.

— Oh, mais attends une seconde ! réagit-il enfin. Tu ne vas pas au rattrapage, tu as dit ?

— Affirmatif !

— Pourquoi t'as pas commencé par ça, fit-il en reculant de la palissade, abandonnant la planche pourrie pour se rapprocher de Valentina.

Il s'épousseta de quelques tapes sur son t-shirt dont les manches longues étaient remontées sur ses avant-bras. Il devait y avoir quelque chose dans la bible qui interdisait de porter des t-shirts à manches courtes, car jamais Valentina ne l'avait vu avec ce genre de vêtement.

— Félicitations ! déclara-t-il en la prenant dans ses bras.

— Merci, Francky, fit-elle, le sourire jusqu'aux oreilles. C'est ma deuxième raison. La troisième, c'est que mon dossier est enfin accepté de façon définitive dans mon école.

— Tu veux dire ton premier choix ? insista Francky.

— Yes !

— On a donc de bonnes raisons de faire la fête, si je comprends bien. Par contre, les cheveux verts dans cette école, c'est pas un problème ?

— C'est une école de design et de mode, Francky. Crois-moi, c'est quasiment normal, là-bas. J'ai vu des élèves se balader avec des tenues et des coupes de cheveux que même chez Lagerfeld, ça ferait scandale.

Francky laissa échapper un petit rire et prit la direction de la petite maison adossée à l'église. Il était encore trop tôt pour passer à table, mais il lui proposa de commander une bonne pizza et de faire venir Hervé pour fêter tout ça. Elle accepta avec grand plaisir et attrapa un RedBull dans le frigo avant d'en proposer un au prêtre qui accepta. Ils trinquèrent pendant que Valentina envoyait une invitation à Hervé.

— Tu me ferais l'honneur de m'accompagner en patrouille ce soir, aussi ?

Francky se rembrunit.

Tout allait pour le mieux en ce moment dans la vie de la future étudiante. Elle avait obtenu son bac avec une mention « assez bien » ; l'école de son choix l'avait acceptée pour la rentrée prochaine ; sa relation avec sa mère, sans s'être améliorée, ne s'était pas détériorée non plus ; son frère entrait au lycée et, par un miracle quelconque s'était nettement assagit ; malgré ses nombreuses sorties en tant que patrouilleuse, elle n'avait toujours connu aucun incident, pas plus qu'Hervé d'ailleurs. Oui : tout allait pour le mieux, à l'exception d'une chose. Francky continuait de ne pas sortir.

Il éludait toujours le sujet et prétendait toujours avoir quelque chose de mieux à faire. Il continuait pourtant de dispenser ses conseils et de gérer l'emploi du temps des sorties. Il était tout aussi impliqué qu'au premier jour, en vérité.

— Tina... commença-t-il en soupirant.

— Non, pas de Tina, Francky. Tu ne sors plus depuis des mois. Ça doit même faire un an maintenant.

Elle le regarda droit dans les yeux, espérant qu'il réagisse et lui explique enfin. Mais sa réaction fut la même qu'à chaque fois qu'elle bordait le sujet, il restait évasif ou silencieux.

— Tu sais que c'est pas de ta faute s'il est mort ?

— Oui, tu n'arrêtes pas de me le dire, sourit le prêtre.

— Alors pourquoi tu ne sors plus ? Léo n'a pas le temps et il ne reste qu'Hervé et moi. C'est pas assez, conclut-elle. Si tu ne sors pas, laisse-nous au moins recruter des nouveaux.

Elle avait compris depuis bien longtemps qu'elle ne forcerait pas Francky, elle avait donc changé d'approche pour essayer de recruter un ou plusieurs nouveaux membres dans l'équipe. Ça aussi, il refusait.

— Tu sais, tenta-t-elle comme un argument ultime. Un jour, moi aussi je vais arrêter de patrouiller, Francky.

Il resta à l'observer sans réaction visible, mais il l'écoutait, elle le savait.

— Je vais avoir un tas de nouvelles matière l'année prochaine et même s'ils m'ont acceptée, on m'a clairement fait comprendre que mon dossier était limite. Donc il va falloir que je bosse dur pour prouver que je suis capable. Je n'aurais peut-être pas le temps.

— Je ne force personne à patrouiller, tu le sais, Tina, contra-t-il.

— Je le sais, mais je trouve que ce qu'on fait c'est bien. Ça rend service, c'est utile. C'est bien, Francky. Il faut continuer. C'est juste que je ne suis pas sûre de pouvoir, tu vois.

— Je vois et je comprends. Et si tu arrêtais, quelle qu'en soit la raison, d'ailleurs, je ne t'en voudrais pas plus que j'en ai voulu à tous les autres qui ont arrêté avant toi. C'est juste que...

Il s'interrompit un instant et Valentina aurait juré voir des larmes se former dans ses yeux. Ce fut bref et un battement de paupière plus tard, il n'y avait déjà plus trace d'humidité. Pourtant, lorsqu'il reprit la parole, sa voix lui sembla plus faible.

— Même si tu ne patrouilles plus, je crois que j'aimerais que tu continues de venir me voir.

Le cœur de Valentina éclata dans sa poitrine et cette fois, ce furent ses yeux qui s'embrumèrent.

— T'es con...

Pour cacher ses larmes, elle s'écrasa contre la poitrine du prêtre et le serra de toutes ses forces contre elle. Comment pouvait-il imaginer qu'elle arrêterait de venir le voir ? Elle avait même du mal à envisager une journée sans lui parler.

Valentina sentit la main de Francky dans ses cheveux et un frisson lui parcourut le dos. Les gestes de tendresse de sa part étaient rares. Elle supposait que c'était pour maintenir une certaine distance entre eux. En particulier vis-à-vis de l'extérieur, des autres. Un prêtre et une jeune étudiante, il y avait de quoi faire jaser. Francky avait arrêté de travailler avec Saint-Joseph depuis peu, elle était donc la seule fille à le fréquenter. Pourtant, même lorsqu'ils n'étaient que tous les deux, c'était toujours elle qui se blottissait contre lui. Il ne la touchait que rarement de son propre chef.

— Tu crois qu'un jour tu me le diras ? demanda-t-elle en reculant de deux pas après avoir essuyé ses joues d'un revers de la main.

— Quoi donc ?

Il la regardait sans comprendre et elle lui sourit.

— Que tu m'aimes, pouffa-t-elle avant de renifler pour ravaler ses dernières larmes.

— Qui te dit que c'est le cas, jeune fille ? éluda-t-il en souriant.

— C'est parce que je suis adorable, c'est tout. Mais je note que tu ne réponds pas à la question. Tant pis.

Qui ne dit mot consent, se souvint-elle et cela lui suffisait pour le moment. Elle aurait voulu qu'il prononce ces mots pour elle. Il y avait trop longtemps qu'elle ne les avait pas entendus. La dernière fois que sa mère les avait prononcés, c'était des années plus tôt. Son frère ne risquait pas de dire quelque chose dans ce genre, c'était un ado en pleine puberté. Selon sa mère, son père l'aimait, c'était ce qu'elle avait prétendu, quelques mois plus tôt, lorsqu'elle avait de nouveau tenté de convaincre Valentina d'aller le voir. Un père qui aime sa fille décroche son téléphone pour lui parler. Au pire, il lui envoie un texto à son anniversaire. Depuis qu'elle avait décidé de refuser la garde alternée, presque dix ans plus tôt, il ne lui avait plus jamais parlé. Il ne l'aimait pas, c'était impossible. Et elle s'en moquait, à vrai dire.

En revanche, elle avait besoin d'être aimée. Elle s'en était rendu compte peu de temps auparavant. C'était ce qu'il manquait dans sa vie pour qu'elle soit heureuse. Vraiment heureuse. C'était sans doute pour cette raison qu'elle s'accrochait autant à Francky. C'était le seul qui donnait l'impression de l'aimer. Il ne lui restait plus qu'à le formuler.

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