Chapitre 28
Depuis le début de la soirée, c'était déjà la troisième fois que Valentina se demandait ce qu'elle faisait là. La maison était belle et grande, avec un minuscule jardin envahi par les adolescents. Valentina se trouvait dans la cuisine. Peut-être pas tout à fait dedans, en réalité. Elle était assise sur la fenêtre avec une jambe à l'intérieur et une autre à l'extérieur, son verre de jus d'ananas à la main. De temps en temps, elle trempait ses lèvres, mais elle n'y trouvait pas plus de plaisir qu'au reste de la soirée.
Elle avait suivi Yoko et Juliana. Elles étaient désormais les meilleures amies du monde et, à présent, Valentina se sentait comme la pièce rapportée, alors que c'était elle qui les avait présentées l'une à l'autre. Passer son temps entre les patrouilles et l'église l'avait peu à peu coupée de la vie de lycéenne. La plupart du temps, elle en était satisfaite, mais de temps en temps, comme ce soir, cela lui pesait un peu plus qu'elle ne l'aurait cru possible.
C'était l'anniversaire de Charlotte. Elle ignorait tout de cette fille, à part qu'elle était en première dans son lycée. Considérant la taille et le style de la maison, Valentina avait eu du mal à croire que cette fille fréquentait Paul Éluard. Elle l'aurait plutôt imaginée dans un lycée privé et mieux cotté.
Yoko, qui était la seule des trois à avoir été invitée, lui avait expliqué que les parents de Charlotte tenaient à ce qu'elle ne soit pas trop privilégiée. Elle allait donc à Paul Éluard et devait rapporter les meilleures notes de sa classe. Un stress permanent pour la jeune femme qui compensait de temps en temps en organisant des soirées dignes de films américains. Elle avait poussé le mimétisme jusqu'à servir les boissons dans des gobelets bleus et rouges.
Valentina s'ennuyait à tel point qu'elle décida de sortir son téléphone portable pour échanger avec Hervé. Ce soir, il était de sortie, mais il était rare qu'il s'y mette de si bonne heure. Lorsqu'il lui répondit, à peine trente secondes plus tard, il lui apprit qu'il regardait un film.
« Un vieux Jackie Chan »
« Oh ! La chance, lequel ? »
« Le cri de la hyène »
« Il est marrant celui-là ! C'est celui avec des costumes ridicules, non ? »
« Et des chorégraphies de combat en stop motion lol »
Valentina pouffa. En effet dans certains de ces vieux films, si les combats étaient impressionnants, les acteurs avaient tendance à faire des pauses à chaque coup. C'était très étranges, mais amusant.
Hervé demanda ce qu'elle faisait et elle lui expliqua qu'elle était à la fête d'anniversaire d'une fille de son lycée qu'elle ne connaissait pas et commençait à s'ennuyer sérieusement. Elle précisa que ses deux copines avaient enchaîné les verres de bières dès leur arrivée et était passé à la vodka. Associé à l'herbe qui circulait en quantité dans cette soirée, elles étaient toutes les deux hors d'état de quoi que ce soit.
« T'as qu'à te torcher toi aussi ! »
« Non, ça va, merci. Je tiens à vivre au-delà de soixante ans et avec tous mes neurones... »
Selon Hervé, les neurones qu'elle possédait en ce moment seraient tous morts d'ici sa retraite, quoi qu'elle fasse, mais cela ne la convainquit pas.
« Tu peux aussi te trouver un mec pour la soirée. Il paraît que ça occupe XD »
De nouveau, Valentina rit à son téléphone.
« Bonne idée... Attends... »
Elle tourna la tête dans toutes les directions, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ce n'est qu'à ce moment qu'elle remarqua que la musique n'était pas la même des deux côtés de la fenêtre et elle ne put s'empêcher de penser « deux salles, deux ambiances » avec un sourire.
Elle remarqua, enfin, un garçon, un peu à l'écart. Il semblait observer les autres depuis le fond du jardin. Il était appuyé contre une petite cabane que Valentina supposait être un abri pour les outils. C'était de cette même petite cahute que sortait la longue guirlande qui faisait le tour du jardin et illuminait les lieux.
Valentina fixa son attention sur ce garçon qu'elle ne connaissait pas. Il n'était pas du lycée, de ça elle était certaine. Certes, elle ne pouvait pas connaître tout le monde, mais lui, elle l'aurait remarqué.
« J'ai trouvé ! »
« Ça aura pas été long, dis donc... »
« Non, je confirme. C'est un beau brun, assez grand quand même. Plus que toi. Peut-être un peu plus vieux que nous aussi, mais pas de beaucoup. Il a un joli visage avec des grands yeux et une mâchoire carrée. Rasé de tellement près que je me demande s'il ne s'épile pas. »
« Ça va, Emma Green, je te dérange pas ? Tu vas me raconter comment tu veux qu'il t'embrasse aussi ? »
Valentina sourit. Il avait cherché et l'avait trouvée. Elle était surprise qu'Hervé connaisse Emma Green, mais ne releva pas. Elle-même ne connaissait que parce que sa mère avait lu deux livres de cette autrice, coup sur coup. Valentina n'était pas vraiment portée sur la lecture et encore moins sur les romances.
« C'est toi qui m'as proposé de me faire un mec pour la soirée, je te signale ! »
« D'accord, mais j'ai pas besoin des détails, tu sais... »
Elle savait.
« Je te laisse poursuivre toute seule du coup, salut ! »
Ce qu'elle n'avait pas anticipé était la réaction d'Hervé. Il semblait contrarié.
Soudain Valentina se sentit gênée. Ce pouvait-il qu'Hervé éprouve toujours quelque chose pour elle ? Elle doutait que ce soit de l'amour, mais à tout le moins, une certaine attirance. Elle ne ressentait rien pour lui, de son côté. Non. Pas rien, mais rien de comparable. Pour elle, c'était un bon copain. Probablement son meilleur ami, en réalité. Elle passait presque plus de temps avec Hervé qu'avec Juliana et Yoko, comprit-elle.
Hervé avait tout pour plaire, en réalité. Il était marrant et super gentil. Il avait parfois des accès de galanterie qui renforçaient encore son charme. Lorsqu'il souriait en coin, sa bouche prenait une forme étrange, mais qui adoucissait son visage de boxeur. Il était musclé et même Juliana avait déclarer qu'elle en ferait bien son quatre heures, lorsqu'elle l'avait croisé, quelques mois plus tôt. Malgré tout, pour Valentina, c'était Hervé le patrouilleur. Elle n'arriva pas à imaginer autre chose entre eux que cette amitié. Lorsqu'il avait posé ses lèvres sur les siennes, lors de l'accident de Francky, elle avait trouvé cela agréable, mais n'avait pas ressentit le besoin, ou l'envie, de recommencer. Jusqu'à aujourd'hui, elle s'était imaginée que cette histoire était du passé. Qu'ils avaient tous les deux tourné la page. Peut-être que ce n'était pas le cas, en fin de compte. Pas pour Hervé du moins.
— Salut !
Valentina sursauta et tourna la tête en direction de la voix, toute proche. C'était le fameux garçon. Il avait dû remarquer qu'elle le regardait et il avait pris ça pour une invitation. Elle lui sourit et lui rendit son salut en rangeant son téléphone.
— Je m'appelle Esteban, déclara-t-il en mettant les mains dans les poches. Ça va ?
Comme elle était assise sur le rebord de la fenêtre et que le jardin était très légèrement plus bas que la maison, il devait lever la tête pour s'adresser à elle. Vu d'au-dessus, il était moins impressionnant, mais de près, il était encore plus mignon.
— Euh, ouais, lâcha-t-elle. Je vais pas te mentir, je m'ennuie un peu.
— Pourtant, la musique est sympa. T'aime pas la musique cubaine.
C'était donc ça. De la musique cubaine. Elle ne reconnaissait aucune des chansons, mais devait avouer que le rythme donnait envie de bouger. Seulement, elle avait deux oreilles...
— Le truc, répondit-elle avec une grimace, c'est que de ce côté, j'ai ta musique cubaine et de l'autre, j'ai de l'électro-pop. Du coup, au milieu, c'est moyen.
Esteban sourit.
— Ah je suis désolé, mais je t'avoue que je n'avais pas imaginé que quelqu'un viendrait s'assoir au seul endroit de la maison qui propose les deux sons en même temps.
Valentina tiqua.
— C'est chez toi ? demanda-t-elle en se redressant, ce qui plaça son visage encore plus haut par rapport à celui d'Esteban.
— Je suis le frère de Charlotte, précisa-t-il avec un nouveau sourire, charmeur cette fois. Je suis un peu le garant du bon déroulé de la soirée, tu vois.
Valentina sauta aux pieds d'Esteban en rigolant.
— T'es le videur, en fait !
— Plutôt un genre de chaperon, mais t'as saisi l'idée.
— Et toute cette fumette, ça te dérange pas ?
Elle pointa du menton un groupe sur sa droite qui partageait trois joints. Esteban pouffa.
— Tant qu'ils restent dans le jardin, non, ç a me gène pas, répondit-il.
— Et t'es certain qu'ils respectent tes consignes ?
— Disons que s'ils en veulent d'autres, ils ont plutôt intérêt, c'est moi qui fournis ici.
Valentina resta interdite un instant.
— Tu en veux ? demanda-t-il en se penchant un peu vers elle. Tu me plais bien, je t'en offre un, si tu veux. C'est juste de l'herbe, rien de bien méchant, rassure-toi, tu vas pas devenir accroc avec un joint.
C'était très prévenant de sa part de la rassurer !
— Non, ça va, merci ! Faut que je rentre, j'ai laissé un truc sur le feu.
Sans un mot de plus, elle prit la direction de la sortie. À présent qu'elle était dehors, elle pouvait mieux profiter de la musique et elle constata qu'en effet, elle aimait bien ces rythmes. Elle aimait bien Esteban aussi. Jusqu'à ce qu'il lui propose son herbe. Sa mère avait raison, elle n'attirait que les mauvais garçons. Cette fois pourtant, même pour un soir, elle ne voulait pas succomber. Quoi qu'en pensent Yoko et Juliana, elle n'était pas en manque et n'avait pas besoin d'un homme dans sa vie. En tout cas, pas ce genre-là.
En quittant la maison, elle sortit son téléphone portable pour envoyer un message sur le groupe qu'elles avaient constitué avec Yoko et Juliana.
« Je rentre, les filles, pas la peine de me chercher »
Elle ajouta ensuite un emoji clin d'œil, puis rangea son téléphone.
Elle ne voulait pas rentrer chez elle et se dirigea dans la direction de l'église en faisant un point sur sa vie. Pourquoi maintenant ? Elle l'ignorait, mais son cerveau avait décidé que c'était le bon moment. Quitter une fête qui venait de commencer devait jouer en faveur de cette initiative cérébrale.
En quelques secondes de réflexion, elle en vint à la conclusion qu'elle avait perdu ses deux amies. En revanche, alors qu'elle aurait pu s'attendre à ressentir une certaine tristesse, cette constatation la libéra. Elle avait changé. Ou alors c'était ses amies qui avaient évolué ?
Non, c'était elle !
Avoir fréquenté cette psy à Saint-Joseph, pendant quatorze mois, avait eu un impact sur elle, en fin de compte. C'était à cause d'elle qu'elle était allé trouver Francky. Elle ne le regrettait pas. Elle aimait ce type.
Elle pouffa, au milieu de la rue, en comprenant sa situation. Elle passait son temps avec deux garçons. Le premier avait son âge et était attiré par elle. Elle, en revanche n'avait aucun désir pour lui et elle le voyait comme un ami, rien de plus. D'un autre côté, elle dormait chez un autre homme pour qui elle se rendait compte qu'elle développait un attachement déraisonnable. Elle n'était pas amoureuse, non. Rien à voir. D'ailleurs, il était trop vieux pour elle. Elle avait beau lutter de toutes ses forces, elle le considérait comme un père. Tout ça était pathétique.
Pourquoi s'accrochait-elle à ce point à lui ? Est-ce que Virginie avait raison : il lui fallait une figure paternelle ? Si c'était le cas et puisqu'elle l'avait trouvée en la personne de Francky, pourquoi ne se sentait-elle pas plus heureuse que ça ?
Une vague de mélancolie la submergea tout à coup et elle décida qu'il fallait qu'elle arrête de se prendre la tête. Elle sortit de nouveau son téléphone portable et envoya un message à Hervé. Elle lui proposa de lui tenir compagnie dans sa patrouille. Il répondit en quelques secondes qu'il s'apprêtait justement à partir et qu'il acceptait sa proposition avec plaisir.
« J'arrive ! »
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