Chapitre 23
4e partie
Ce soir, c'était à Bastien d'aller patrouiller et Valentina n'avait rien de prévu. Ainsi décida-t-elle d'aller passer la nuit chez Francky.
À vrai dire, c'était à cause de son père qu'elle avait pris cette décision. Ce bon à rien avait décidé de partir en vacances en Espagne pour une semaine, au printemps. Sympa comme il était, il avait expliqué à Mathias qu'il ne voulait pas de lui. Bien entendu, il n'avait pas été capable de le lui dire en face et avait procédé par texto interposé.
Mathias avait été dévasté. L'Espagne ne représentait rien de spécial pour lui, certes, mais il avait imaginé passer une semaine de relâche au soleil. Ça avait été sans compter sur l'extrême bienveillance de son paternel.
Pendant toute la fin de l'après-midi, le frère de Valentina avait été sur les nerfs et sa mère avait tenté de lui faire croire que leur père ne pensait pas à mal. Qu'il avait des obligations qui ne lui aurait pas permis de rester avec son fils pour en profiter au mieux. Tout le monde savait que c'était un mensonge, Mathilde Carasco plus que quiconque. Pourtant, elle avait défendu son ex devant son fils et Valentina n'avait pas pu tenir devant tant de mauvaise foi. Elle avait quitté le domicile familial avant de voir si son frère allait avaler cette couleuvre.
Valentina avait eu le temps du trajet à pied entre chez elle et l'église pour se calmer, mais cela n'avait pas suffi. Lorsqu'elle passa la grille qui donnait sur le parking, elle lâcha un long soupir pour tenter de se détendre, sans grand succès. Francky était à l'extérieur, il passait le râteau pour aplanir la surface gravillonnée.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda le prêtre en la voyant débarquer.
— Je veux pas en parler, Francky. C'est justement pour ça que je suis là : pas en parler !
Sa voix avait très légèrement tremblé en prononçant les derniers mots et elle espéra qu'il n'allait pas l'interroger. Francky la regarda deux secondes en silence avant de lui sourire.
— OK !
Valentina posa son sac au pied de la bâtisse et avança vers le prêtre sans vraiment savoir ce qu'elle allait faire. Lorsque Francky ouvrit les bras, elle se blottit contre lui sans la moindre hésitation. Elle resta là, à retenir ses larmes, en silence et sans bouger. Francky ne dit pas un mot et n'esquissa pas le moindre mouvement. La tête contre sa poitrine, elle sentait autant qu'elle entendait les battements paisibles du cœur du prêtre. Cela finit par la rasséréner.
Elle recula doucement, puis adressa un sourire qu'elle espérait convainquant à son ami.
— Je peux dormir là, ce soir ? demanda-t-elle.
— Tu es ici chez toi, répondit-il.
— Fais gaffe, sourit-elle, je pourrais te prendre au mot et rappliquer avec des valises.
— Même pas peur !
Valentina rigola et fila ensuite poser ses affaires à l'intérieur. En passant par la cuisine, elle découvrit des papiers de l'hôpital. Des factures qu'elle examina d'un œil distrait. Francky s'était fait retirer ses fils le matin, il allait donc pouvoir sortir pour la première patrouille de Maxim, prévue le lendemain.
— Ça a été ce matin ? demanda-t-elle en attrapant un second râteau pour donner un coup de main au prêtre. Tu vas pouvoir sortir demain ?
— Aucun problème, confirma, Francky.
— Le docteur t'as prescrit de la crème pour mettre sur ta cicatrice ?
— Non. Pourquoi je mettrais de la crème ?
Valentina soupira.
— Pour aider à ce que ta cicatrice guérisse plus vite, pour commencer, répondit-elle comme le faisaient les professeurs excédés de son lycée. Et puis en plus, elle sera plus jolie.
Francky éclata d'un rire bref. Il prétendit se moquer de la forme ou de l'allure de la marque sur sa peau.
— Je peux voir ?
— Quoi donc ? s'étonna Francky.
— Ta cicatrice, évidemment ! Quoi d'autre ?
— Non.
La réponse la surprit. Le ton de Francky n'avait pas été froid ou dur. Néanmoins, il ne souffrait aucune discussion. Ce fut cela qui l'étonna le plus et lui coupa le sifflet. Elle imagina que Francky était particulièrement pudique. Après tout, même s'il n'en avait pas toujours l'air, c'était un prêtre. Ou un diacre, se rappela-t-elle. Cela ne faisait aucune différence pour elle.
Elle n'insista pas et ils poursuivirent d'étaler les graviers en une couche homogène pendant une bonne demi-heure. Lorsqu'ils eurent fini, le soleil était déjà très bas sur l'horizon et la température extérieur était tout juste supportable, même avec un manteau.
Ils rentrèrent et Francky prépara du café. Alors qu'il servait deux mugs, Hervé débarqua, la mine défaite. Valentina comprit tout de suite que quelque chose de grave était arrivé.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.
— Tu devrais t'asseoir, conseilla le jeune homme en s'installant lui-même sur une chaise.
— Ça va bien ? s'inquiéta Francky en s'intéressant un peu plus à ce qui allait se dire.
Valentina, bien plus proche à présent, remarqua les yeux rougis de son ami.
— Moi, ça va, oui. C'est Maxim.
Une larme coula sur la joue du jeune homme et Valentina sentit un nœud se former dans sa gorge. Elle n'avait jamais vu Hervé dans un tel état. Son rythme cardiaque accéléra et elle sentit une tension étrange dans ses membres.
— Apparemment, il n'a pas pu attendre qu'on l'accompagne en sortie. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé exactement mais...
L'étudiant ferma les yeux et s'essuya la joue. Valentina, inquiète comme jamais, se leva pour aller lui passer un bras réconfortant autour des épaules. Hervé se laissa aller un instant et elle posa son front contre la tempe de son ami en lui attrapant une main.
— Il s'est fait planter, lâcha enfin Hervé sans rouvrir les yeux.
Tous les muscles de Valentina se crispèrent d'un coup et elle dut faire un effort surhumain pour ne pas broyer la main qu'elle tenait dans la sienne.
— Est-ce qu'il est vivant ? demanda Francky avec un calme olympien.
Quelques larmes s'écrasèrent sur les genoux d'Hervé et il secoua la tête. Franck se signa et adressa quelques mots en direction de son plafond. Valentina se sentit faible tout à coup et eut le plus grand mal à ne pas tomber à genoux. Hervé se releva et la prit dans ses bras. Chacun tenta de réconforter l'autre et tous deux pleurèrent en silence pendant quelques secondes.
Lorsqu'ils se séparèrent, Valentina sécha les larmes de son ami avec le bout de sa manche. Il se rassit et elle s'installa sur ses genoux pendant que Francky servait un troisième mug.
— Est-ce qu'on sait qui lui a fait ça ? demanda-t-il alors qu'Hervé avalait sa première gorgée de café.
— On l'a juste retrouvé entre la rive et le quai Jules Premier. Je crois qu'il y a une enquête en cours, mais je ne sais rien de plus. J'ai appris ça à l'école en demandant à un de ses potes de cours.
— D'accord, fit le prêtre.
Valentina, les bras autour du cou de son ami, observait Francky avec intérêt. Ce dernier était très calme. Valentina avait une boule dans la gorge qui l'empêchait de parler, mais la vérité était qu'elle était triste pour Hervé. Pas pour Maxim qu'elle ne connaissait pas. C'était la détresse de son ami qui la rendait triste. La mort de Maxim n'avait rien d'anodin, bien entendu, mais même si cela la touchait et qu'elle trouvait cela horrible, c'était pour Hervé qu'elle s'inquiétait.
Elle se serra un peu plus contre lui, caressant son dos pour le réconforter. Il ne but qu'une seule gorgée de sa tasse et de nouvelles larmes coulèrent en silence.
— Tu veux manger ici ? demanda Francky, ce qui fit sursauter Hervé.
— Non, déclara-t-il à mi-voix. Je dois rentrer à la maison, merci.
— Tu veux que je te raccompagne ? proposa Valentina toujours agrippée à lui.
— Non, ça va aller, t'es gentille.
— T'es sûre ? insista-t-elle. Tu devrais peut-être pas rester tout seul à ruminer.
Il pouffa.
— Je vais bien, mentit-il sans vergognes.
— C'est évident, se moqua Valentina.
— Je suis sérieux. Enfin, je veux dire, non je vais pas bien, mais ça va passer. Je suis sous le choc, mais en vérité, je le connaissais presque pas. C'est pas comme si mon meilleur pote était mort.
— C'était un pote quand même, contra Valentina.
— Oui, c'est vrai.
Il y eut un court silence et Hervé renifla avant de reprendre.
— Je vais y aller, fit-il. J'étais juste venu te prévenir, Francky. Si tu peux dire une prière pour lui, ça serait cool.
— Compte sur moi.
Valentina hésita une seconde avant de se lever de sur les genoux de son ami. Elle prit de nouveau sa main et se blottit contre lui pour lui dire au revoir. Elle ne faisait jamais ça et craignit après coup qu'il y voit un signe autre que celui qu'elle voulait transmettre. Elle le soutenait dans cette épreuve, rien de plus.
— Si tu veux en parler, je suis là, précisa Francky en serrant lui aussi l'étudiant dans ses bras.
— Je sais, sourit Hervé.
Et sans plus de commentaire, il quitta la maison. Le silence qui suivit permit à Valentina d'entendre les pas de son ami sur les graviers fraîchement nivelés.
— Ça va, Tina ? demanda Francky, brisant la quiétude de la pièce.
— Euh... Ouais ! Je sais pas trop comment réagir, en fait.
— Il n'y a pas une bonne façon ou une mauvaise façon, tu sais.
— Je sais bien, Francky, sourit-elle. Mais j'ai quand même l'impression que je devrais être un peu plus triste pour Maxim.
— Tu ne le connaissais pas vraiment, n'est-ce pas ? Et puis tu n'es pas indifférente, je le vois bien.
— Je suis super mal pour Hervé, en fait, contra-t-elle. J'ai peur qu'il se sente responsable.
— Parce qu'il l'a incité à venir nous rejoindre ?
— Ouais.
— C'est possible, mais je crois qu'il est plus malin que ça. Et puis, s'il devait y avoir un responsable ici, ce serait plutôt moi.
— On est tous volontaires, tu sais, précisa Valentina.
— Je sais bien. C'est pour ça qu'Hervé ne devrait pas se sentir responsable de la mort de Maxim.
— Virginie disait souvent qu'il y a une différence entre ce que tu sais et ce que tu ressens.
— En effet, admit Francky. C'est à nous de faire en sorte que les deux s'alignent, du coup.
Valentina acquiesça tout en se demandant comment elle arriverait à faire ça.
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