Chapitre 20
Comme prévu, Franck quitta l'hôpital le lendemain. Valentina vint le chercher et il trouva cela mignon. L'adolescente n'avait pas de voiture ni le permis, d'ailleurs, aussi rentrèrent-ils en bus. Il se retint de préciser qu'il aurait pu faire le chemin tout seul. D'abord parce qu'il appréciait la prévenance de Valentina. Et puis, ça n'aurait fait que l'attrister.
Lorsque le prêtre arriva à son domicile, Tina à ses côtés, Hervé et Bastien attendaient. Ils avaient tous deux accueilli les fidèles pour leur expliquer que le prêtre était exceptionnellement absent pour cause de problème de santé. Ça avait été l'idée de Tina qui avait pensé que le mot sur le portail serait un peu froid. Il y avait cependant belle et bien une petite pancarte sur la grille. La jeune femme précisa qu'elle n'avait aucune assurance quant à la présence des deux garçons à la bonne heure.
— Sympa, grogna Hervé avec un demi-sourire tout de même.
L'accueil fut chaleureux et Franck rassura tout le monde sur son état. Il avait eu quelques points de suture, mais à part le muscle abdominal, rien n'avait été touché et le risque d'infection était écarté. Il faudrait qu'il prenne soin de son pansement pendant les prochains jours, voilà tout.
— Rien d'extraordinaire, précisa-t-il.
Hervé rigola à ce qu'il pensait être une blague avant de se rapprocher de Valentina. Il passa un bras autour de ses épaules et elle s'en dégagea avec énergie, ce qui le rendit perplexe.
— Tu fais quoi là ?
— Euh... Bah, je mets ma main sur ton épaule, répondit-il penaud.
— Et tu crois que c'est la fête chez Paulette ?
— Euh...
Franck pouffa, tandis qu'Hervé se demandait comment réagir. Franck fit deux pas en arrière, comme pour leur laisser un peu d'intimité, mais sans pour autant cesser d'écouter la conversation. Il aurait peut-être dû s'éloigner davantage, mais la curiosité prit le dessus.
— Non. Pas la fête, juste que je pensais...
— Bon écoute, se calma Valentina en reprenant un ton moins agressif. Hier soir, j'étais pas dans mon état normal. T'as peut-être cru voir un signe ou je sais pas, mais je t'assure qu'à n'importe quel autre moment de ma vie, je t'aurais décalqué pour ce geste.
Hervé ouvrit de grands yeux ronds et Franck sourit. Le tact n'était sans doute pas le fort de Valentina.
— Je t'aime beaucoup, mec. Mais j'ai pas du tout, mais vraiment pas, envie de te faire des câlins. Je sais pas comment le dire sans avoir l'air méchante, donc ne le prends pas mal, s'il te plaît.
Il y eut un vague silence entre eux. Hervé passa une main dans ses cheveux coupés en brosse et finit par sourire à son amie.
— Je suis sûr qu'au fond de toi, t'as kiffé, en vrai.
Valentina éclata d'un rire nerveux.
— Non. Pas vraiment.
Franck n'écouta pas la suite. Il s'éloigna d'encore quelques pas pour se préparer un café. À distance, il gardait un œil en direction des deux adolescents. Valentina ne semblait plus en colère, ce qui allait sans doute aider Hervé à encaisser la rupture. Était-ce une rupture ? De ce qu'il en avait compris, avec les quelques explications de Tina, Hervé avait volé un baiser à cette dernière dans un moment d'égarement. Du point de vue de la jeune femme, il n'y avait pas eu d'évolution dans leurs relations. Par conséquent, à ses yeux à elle, ce n'était pas une rupture, plutôt... Est-ce que cette situation avait un nom ? Elle lui disait non. C'était donc un refus, en quelque sorte.
— Je peux te parler ?
Bastien se tenait devant lui, un petit sourire sur son visage rond. Franck lui proposa machinalement un café, mais Bastien n'aimait pas ça. Il ne buvait d'ailleurs aucune boisson chaude, se souvint Franck en reportant toute son attention sur le jeune homme.
Bastien les avait rejoints quelques mois avant Valentina et était le plus jeune de la bande. C'était son âge qui avait beaucoup fait hésiter Franck avant de l'accepter. En définitive, il se félicitait de l'avoir tout de même recruté. Une fois sous la capuche, avec un cache-nez sur le visage, il était difficile de définir son âge, d'autant qu'il était assez grand.
— Je ne sais pas comment le dire, moi non plus fit-il avec un regard en biais vers le couple derrière lui, donc je vais le dire d'une traite : je voudrais quitter l'équipe.
Silence.
Franck se servit son café, il ajouta une pointe de lait, ce qu'il ne faisait que rarement, touilla un peu, puis but une gorgée avant de répondre.
— D'accord.
Bastien ouvrit des yeux ronds.
— Quoi, c'est tout ?
Franck sourit.
— Oui, c'est tout, lâcha-t-il. Tu voudrais que ça se passe comment ? Que je te supplie de rester ? Que je te réprimande ou te punisse ? On n'est pas chez les gangsters ici. Je sais que chacun a sa propre vie à mener et je n'ai jamais imaginé que tu t'engageais pour la vie. Donc, je ne vais pas te retenir, non. Bien sûr, je préfèrerais que tu restes et d'ailleurs, si un jour tu veux revenir, je t'accueillerai avec plaisir. Et si tu veux juste passer faire coucou, tu seras toujours le bienvenu aussi. Mais j'imagine que si tu me demandes de partir, c'est que tu as tes raisons, quelles qu'elles soient.
Bastien baissa les yeux comme s'il devait confesser une terrible bêtise.
— En fait, commença-t-il avant d'être interrompu.
— Ça ne me regarde pas forcément, déclara Franck. Tu n'as pas besoin de te justifier, tu es libre.
Bastien hésita une seconde.
— D'accord, répondit-il enfin. Mais j'en ai envie.
— Très bien...
— J'ai juste trop de travail avec le lycée et en plus, j'ai rencontré une fille et on sort ensemble maintenant.
Franck sourit.
— Ouais, je sais ce que tu penses, mais j'ai envie de passer du temps avec elle plutôt que dans les rues, tu vois.
— Je vois très bien et je ne te juge pas, ce n'est pas mon rôle, je vous l'ai déjà dit à tous. Tu n'es pas le premier à nous quitter et tu ne seras sans doute pas le dernier. Moi-même, un jour, il faudra que j'arrête aussi.
Bastien pouffa. Selon lui, si Franck s'arrêtait, l'équipe ne tiendrait pas deux jours.
— N'en sois pas si sûr, le contra Franck alors que les deux autres jeunes les rejoignaient enfin.
Franck observa un peu plus attentivement Hervé. Il ne semblait pas trop mal en point. Quel que soit le niveau de tact de Tina, il semblait qu'Hervé avait la capacité d'encaisser. Franck s'en félicita tandis que Bastien expliquait à ses compagnons sa décision.
Hervé tenta de faire changer le lycéen d'avis, sans le moindre succès. Il y eut quelques nouveaux échanges sur la situation de Bastien, puis il quitta l'église en assurant qu'il repasserait bientôt. Pour le moment, il devait retrouver Aïcha, sa nouvelle petite amie.
Les trois patrouilleurs le suivirent du regard jusqu'à la porte de la petite maison, puis se regardèrent une seconde en silence.
— Bastien en moins et toi immobilisé, on n'est plus que trois, de nouveau, remarqua enfin Valentina.
— Quatre avec Léo ! C'est nul ! confirma Hervé. Mais j'ai un type en vue dont je voulais te parler justement, Francky.
— Je t'écoute, répondit le prêtre en l'entraînant vers le salon.
— Il est dans la même école que moi et il s'est déjà battu deux fois pour empêcher du racket.
— Tu sais qu'on ne cherche pas des bagarreurs ? rappela Franck.
— Ouais, ouais ! soupira Hervé. C'en n'est pas un. Il a juste aidé deux personnes différentes à se sortir du pétrin, comme tu dirais. Il s'appelle Maxim, je crois. Je le connais pas vraiment, en fait. Pas encore, en tout cas. Il a l'air de maîtriser en castagne. Je ne sais pas s'il pratique un sport de combat ou quoi, mais il a tenu en respect deux types la première fois et trois la fois suivante. Pourtant, il est tout maigre. Bref... Je pense qu'il pourrait nous être utile. Encore plus maintenant.
— J'suis d'accord avec Hervé, chef !
— Je n'aime pas recruter des gens à la va-vite, alors on va d'abord l'intégrer dans Justices, comme d'habitude. On ne brûle pas les étapes parce qu'il a l'air bien, OK ?
— Ça marche !
— Je suis fatigué, ils m'ont gavé de médocs, je vais aller m'allonger un peu. Mais avant, j'ai encore un truc à vous dire, tous les deux. Tina m'a vaguement parlé d'une histoire de bisou entre vous.
Franck s'arrêta soudain. Hervé venait de virer au rouge pour la première fois devant lui et il ne put retenir un sourire. Si Valentina avait clairement mis fin à son entreprise devant lui quelques minutes plus tôt, il voulait tout de même ajouter son grain de sel, à son tour.
— En temps normal, je vous dirais que c'est vos oignons, admit-il avec un sourire malin. Et c'est d'ailleurs un peu le cas. Mais tant que vous ferez des patrouilles, je ne veux pas voir de fricotages. Il n'y a pas pire dans notre business. Donc j'espère que vous avez profité de l'instant parce qu'il n'y en aura pas d'autre. D'accord ?
— Je crois qu'il en a bien profité, oui, sourit Valentina.
— Je peux en profiter une dernière fois ?
— Non !
— Bien, reprit le prêtre. Maintenant que c'est réglé, je vous remercie d'avoir nettoyé mon bazar. Le sang, ça part mal une fois sec. Je vous paierai un resto dans quelques jours pour vous remercier.
— D'la balle, répliqua aussitôt Hervé.
— Va te reposer, maintenant. Je vais aller faire à manger pour ce midi.
Franck la remercia et prit congé des deux adolescents. Hervé fit remarquer à son amie, de façon fort peu discrète, qu'elle aurait pu s'abstenir d'en parler à Franck et ce dernier sourit en refermant la porte de sa chambre.
Il était encore tôt, mais Franck s'allongea sur son lit sans prendre la peine de se déshabiller. Il pensa un instant à sortir de son armoire son nécessaire de tatouage, mais y renonça. Valentina avait annoncé qu'elle voulait préparer un repas pour ce midi, elle était donc toujours là. Hervé pouvait très bien avoir décidé de lui tenir compagnie, malgré leur pseudo rupture. L'un des deux risquait d'entrer dans sa chambre, alors qu'il était en train de remplir son avant-dernière case vide.
Il avait raconté à tout le monde la même histoire, celle qu'il avait servie à Valentina et qui mettait en scène un sac à mains et des voyous des rues. La vérité était que, en pleine possession de ses moyens, il y avait assez peu de voyous capables de lui tenir tête.
Il était allé rendre une petite visite de courtoisie à Romuald Fonseca, le chef du tout nouveau cartel du coin. Contrairement à Greg qu'il avait retrouvé dans son quartier général, il avait décidé de s'en prendre à Romuald chez lui. Michael l'avait facilement retrouvé et avait fourni son adresse à Franck. Romuald vivait seul, cela promettait donc d'être une mission facile et simple. Il n'avait d'ailleurs pas prévu de l'assassiner. Il avait entamé une discussion calme avec le dealer, lui expliquant qu'il ne comptait pas le laisser s'installer pour vendre ses produits. Lorsque le dealer avait sorti une arme de poing, Franck l'avait maîtrisé en un clignement d'œil et l'autre avait commencé à envisager la défaite. Cependant, ce que Franck n'avait pas anticipé était la visite impromptue de quatre autres types, tous baraqués et armés de pistolets. Il avait réussi à éviter toutes les balles, mais avait tout de même subi une blessure au couteau. Couteau dont il s'était ensuite servi pour se débarrasser des cinq malfrats. Deux avaient reçu la lame en plein cœur, un autre dans la tempe, un quatrième avait chuté par la fenêtre, au quatrième étage et Romuald avait été le dernier à trépasser en se vidant de son sang sur son canapé, pendant que Franck l'interrogeait pour obtenir l'adresse du chimiste de la bande.
D'ici quelques jours, une fois sa blessure suffisamment refermée, Franck lui rendrait visite pour s'assurer qu'il ne recommence pas à bosser pour un autre caïd. On n'en parlait assez peu dans les médias, mais les véritables sources des problèmes de drogues étaient les chimistes. Le reste n'était que de la manutention et de la comptabilité.
Se tournant sur le côté opposé à sa coupure, Franck ferma les yeux pour s'endormir. Il ne lui restait plus qu'une case à remplir avant d'être enfin libre de son serment. Un serment qu'il s'était fait à lui-même, certes, mais qui n'en méritait pas moins d'être honoré. Tachinoda sama serait sans doute fier de lui, d'une certaine façon. Lui qui était tant à cheval sur l'honneur.
Ce fut sur cette pensée que Franck sombra dans le sommeil.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, un œil à son réveil lui indiqua qu'il avait dormi une heure et quelques minutes.
— Salut !
C'était la voix amusée de Valentina. Elle avait ouvert la porte de la chambre, mais était restée sur le canapé, probablement à attendre qu'il rouvre les yeux.
Elle porta le repas sur un plateau dans la chambre du blessé qui se redressa dans son lit, un sourire sur le visage.
— Je t'ai préparé ma spécialité ! déclara l'adolescente en lui posant le plateau sur les cuisses.
Elle lui avait préparé des coquillettes avec du jambon et un peu de fromage râpé. Il y avait deux assiettes servies et deux verres vides avec une petite bouteille d'eau fermée.
— Tu as une spécialité, toi ? s'étonna Franck.
— Oui : ça ! C'est le seul plat que je ne rate jamais. Enfin, le moins souvent.
Le prêtre sourit et commença à manger. Il garda pour lui son commentaire sur la cuisson des pâtes. Valentina grimpa sur le lit pour lui faire face, assise en tailleur, avant de se joindre à lui. Il se passa deux minutes avant qu'il prenne la parole.
— Je ne devrais peut-être pas te dire ça, mais ça me fait plaisir que tu sois là.
— Tu veux dire, ce soir ? Ou en général ?
Il hésita à peine.
— Dans ma vie, en réalité.
Valentina resta immobile une seconde.
— Tu peux me répéter ça, s'il te plaît ?
Franck prit une grande inspiration avant de reprendre.
— Ma vie a toujours été compliquée, fit-il. Bien plus compliquée qu'un divorce ou même une panne d'internet, je veux dire. J'ai fait beaucoup, beaucoup de choses, rencontré beaucoup de gens. Je pense pouvoir affirmer que j'ai deux véritables amis, si l'on excepte Dieu, bien sûr.
— Tu veux que je pleure ou quoi ? interrompit la jeune femme, sourire aux lèvres.
— Non. Je veux que tu saches que quoi qu'il arrive, tu peux compter sur moi. N'hésite jamais à me demander quoi que ce soit. Jamais !
— Euh... D'accord.
Valentina fit le choix de sourire. Franck nota tout de même le regard bien trop humide de l'adolescente. Il ne fit aucun commentaire. Il ignorait pourquoi il s'était lancé dans cette étrange déclaration. Il savait que Valentina avait besoin de ça. Besoin qu'on lui dise qu'on l'aime. Hervé ne s'y était pas bien pris et il ignorait s'il faisait mieux, en réalité. Elle voulait entendre les mots. Ce qu'il venait de lui dire était pourtant le maximum qu'il pouvait s'autoriser. Il n'avait aucun sentiment ambigu pour elle. Il ne la désirait pas. L'amour qu'il lui portait était tout à fait chaste comme un père pourrait aimer sa fille. Pour autant, il ne se sentait pas légitime à prononcer certains mots. Et puis, elle avait été clair sur ses sentiments envers les pères.
Avec un calme étrange, Valentina posa son assiette sur le plateau, ôta des mains de Franck la sienne, poussa le plateau loin sur le matelas et se blottit contre lui.
— Moi aussi je t'aime, Francky ! chuchota-t-elle soudain.
Elle le serra encore un instant avant de reculer et de le foudroyer du regard.
— J'ai eu la peur de ma vie quand j'ai vu tout le sang dans la salle de bain. La prochaine fois, prends deux secondes pour me passer un coup de fil, au lieu de me faire paniquer. OK ?
Elle avait changé d'expression si vite que Franck cru avoir rêvé l'émotion qu'il avait captée dans son regard. Il lui sourit cependant.
— Promis, Tina.
Elle se blottit de nouveau contre lui et Franck profita de l'étreinte de la jeune femme. Ainsi réalisa-t-il qu'il avait sans doute autant besoin d'elle que l'inverse. Il sourit de plus belle.
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