Chapitre 18
C'était enfin le grand soir. Valentina avait attendu bien trop longtemps à son goût et était tout excitée à l'idée de parcourir la ville en capuche et cache nez. Francky lui avait dégotté un sweat identique à ceux des autres et elle avait apporté son propre tour de cou de couleur noire.
La veille, Valentina avait enfin fait la connaissance de Léo. C'était le tout premier membre de l'équipe, avait déclaré le prêtre. En réalité, il avait même commencé à sillonner son quartier avant que Francky ne le rencontre. Tous les deux avaient la même vision des choses et s'étaient parfaitement entendus sur ce sujet. Pour autant, Valentina ignorait à peu près tout des conditions exactes de leur rencontre. Francky avait promis de lui raconter, mais plus tard. Léo, au contraire de tous les autres membres de l'équipe, était un adulte déjà dans la vie active. Il était d'ailleurs plus vieux que le prêtre, lui-même, du haut de ses trente-six ans. Il avait même une famille et ce fut ce qui étonna le plus Valentina. Malgré un métier et une vie de famille, il trouvait encore le temps de patrouiller. Certes, il le faisait moins qu'Hervé qui était dehors presque tous les soirs, mais tout de même, pour Valentina, c'était un challenge. Elle imaginait déjà difficilement concilier ses entraînements, ses baby-sittings et sa vie de lycéenne avec ses sorties nocturnes.
Pour le moment cependant, c'était l'été et elle n'avait ni entraînement ni vie lycéenne.
— Tu es prête ? demanda Francky devant la porte de sa petite maison.
— Grave !
— Retire ça !
Francky lui expliqua que le but de la capuche et du cache nez était de rester discret et de ne pas être reconnu. S'ils sortaient ensemble vêtue de la sorte, c'était le contraire de la discrétion. Il avait son cache nez dans la poche et invita Valentina à ôter son sweatshirt pour le passer autour de sa taille. Compte tenu de la température extérieure, ce ne serait pas un problème. Par ailleurs, ce soir, ils allaient patrouiller dans le quartier du village qui était souvent le plus calme. Pour une première sortie, c'était parfait.
Franck, avec l'aide de Léo, avait découpé la ville en sept secteurs de tailles variables. À l'extrême nord, se situaient les secteurs Guirlande et Village. Ce dernier était en réalité un peu plus large que le quartier du village qui lui donnait son nom et était le plus calme de tous, en tout temps. Entre ces deux secteurs et le fleuve, Franck avait délimité trois zones. L'ancien terrain de patrouille de Léo, légèrement agrandi vers la limite nord de la ville, fut baptisé le secteur de l'église, puisqu'il comprenait la demeure de Francky. Au centre, le secteur de la vieille ville reprenait les limites externes du quartier du même nom. Enfin, à l'ouest, se trouvait le secteur Lafayette. C'était le secteur le plus actif et le seul à avoir un minimum de deux patrouilles par semaine. Au sud du fleuve, le secteur Mouffetard, à l'ouest, était le plus étendu et englobait les quartiers chics de la ville. La dernière zone avait été baptisée Botanique car elle contenait le grand parc de l'école botanique. Chaque zone était visitée au minimum une fois par semaine selon un planning établi en commun sur le tchat du jeu Justices. Les patrouilleurs faisaient une sortie commune toutes les deux semaines.
Lorsqu'ils arrivèrent à la limite du secteur du village, Francky pénétra dans un immeuble dont il donna le code à Valentina, puis ils se mirent en tenue à l'intérieur avant de ressortir par le toit.
Francky lui rabâcha les différentes consignes, qu'il s'agisse de la conduite à tenir en cas d'attaque, de braquage ou dans toutes les situations qu'il avait déjà rencontrées. Il rappela aussi que, quel que soit le niveau qu'elle pensait avoir en Parkour, elle ne devait prendre aucun risque lorsqu'elle était seule, passée vingt-deux heures.
— Si possible, précisa-t-il, ne prends jamais de risque, d'ailleurs.
— Pourquoi ? demanda-t-elle. Pourquoi après vingt-deux heures, je veux dire.
Francky sourit et lui expliqua qu'après cet horaire, la fréquentation des rues diminuait de façon drastique et que les chances pour que quelqu'un puisse lui venir en aide en cas de blessure grave étaient réduites. Valentina comprenait cet argument et réalisa qu'elle avait encore beaucoup de choses à apprendre. Elle avait d'abord pensé qu'Hervé lui avait dit tout ce qu'il y avait à savoir sur la question, mais elle réalisait qu'elle était encore loin du compte. Hervé les rejoignit d'ailleurs quelques minutes plus tard. Ainsi parcoururent-ils les rues à trois et non à deux comme initialement prévu. Cela n'en fut que plus agréable.
Ils marchaient dans la rue Terral en direction de Gambetta lorsqu'un appel à l'aide résonna dans la nuit. Le cœur de Valentina fit des bonds dans sa poitrine alors que Francky cherchait la provenance du cri. Il ne lui fallut qu'une seconde pour identifier une direction et se mettre à courir, Valentina et Hervé sur les talons.
À mesure qu'elle avançait, passant du halo d'un lampadaire aux ténèbres de la nuit, puis de nouveau à la lumière, Valentina se remémorait les consignes.
Elle ne devait intervenir physiquement qu'en cas d'absolu nécessité. Ne pas engager un combat contre plus d'un adversaire et porter son attention en priorité sur la victime.
En débouchant sur la rue Langlois, ils découvrirent un grand type qui courait à toute vitesse dans leur direction. Francky et Hervé s'arrêtèrent, mais Valentina continua sa course en direction du malfaiteur, sans savoir ce qu'il pouvait bien avoir fait de mal.
— Arrêtez-le ! s'écria la femme, plus loin derrière.
Sans réfléchir davantage, Valentina fit un petit écart sur la gauche pour éviter la collision frontale, mais, grâce à ses années de pratique de kungfu, parvint à tendre la jambe au moment opportun pour crocheter celle du voleur. Fauché à pleine vitesse, il s'étala de tout son long en rageant à voix haute. Valentina vit alors le smartphone rebondir un peu plus loin.
Le malfaiteur se relevait déjà pour repartir dans la même direction et tomba nez à nez avec Hervé. Il tenta de le cogner, mais Hervé fut plus rapide et écrasa son poing sur la pommette du voleur. Ce dernier n'insista pas et contourna Hervé pour poursuivre au pas de course. Valentina se précipita vers Francky alors qu'il ramassait le téléphone.
— Pourquoi on le poursuit pas ?
— Où est la victime ? se contenta-t-il de répondre en lui tendant l'objet.
Valentina tourna sur elle-même et vit la femme avancer dans leur direction à bout de souffle.
— Pas encore en sécurité, déclara Valentina qui comprit qu'elle avait failli enfreindre une des règles d'or de leur fonction.
— Merci, souffla la femme.
Elle était en tailleur, avec petits talons et sac à main miniature, les cheveux en bataille, sans doute après avoir tenté de reprendre son bien au voleur.
— Ce sale type, m'a arraché mon portable alors que j'étais en pleine conversation, articula-t-elle avec difficulté entre deux respirations exaltées. Merci, vraiment...
Valentina rendit son smartphone à la femme qui retrouvait peu à peu une respiration plus régulière. En tendant le téléphone, Valentina remarqua qu'elle tremblait. L'adrénaline devait pulser à fond dans ses veines. Son cœur, lui, battait à tout rompre, c'était une certitude. Le cache nez l'empêchait de bien respirer, mais elle était aux anges. Elle venait de vivre une expérience de super-héros !
— Je suis bien contente d'avoir croisé votre route, vous savez, reprit la victime.
— Vous allez bien ? demanda Francky. Il vous a fait du mal ?
— Oui. Non, il ne m'a rien fait. Enfin si, il m'a volé mon portable. Mais il ne m'a pas touchée, précisa-t-elle. D'ailleurs, je ne sais même pas comment il a pu m'arracher mon portable sans me toucher. Même pas la main ! Vous imaginez.
La femme parlait vite et Valentina avait du mal à suivre ses propos. Elle devait être dans une sorte d'état de choc.
— Vous êtes sûre que ça va ? demanda-t-elle.
La femme s'arrêta soudain et planta son regard dans celui de Valentina.
— Vous êtes une fille ? s'étonna-t-elle. Mais vous avez quel âge ?
Valentina ne put retenir un sourire sous son cache nez.
— C'est un secret, ça, madame, répondit Francky avec un sourire. Vous devriez rappeler la personne avec qui vous étiez en ligne, pour la rassurer.
— Oh, oui, vous avez raison !
— Ensuite, vous devriez prévenir la police, ajouta Francky.
— Pour quoi faire ? Vous avez récupéré mon portable et je n'ai même pas vu la tête du type. Ça ne servira à rien.
— Est-ce que vous voulez qu'on vous raccompagne quelque part ? proposa Hervé.
— Ça va aller, répondit-elle. Je vais rejoindre Saint-Guilhem, là. J'habite à quelques pas. Vous imaginez, j'étais presque arrivée.
Valentina ne savait que dire. Le tremblement dans ses mains s'était calmé et sa respiration était normale. Elle hésita à insister pour suivre la femme jusqu'à son domicile, mais Francky et Hervé faisaient déjà demi-tour.
— Attendez ! s'écria la femme. Comment je peux vous remercier ?
— Faites juste attention à vous, madame, répondit Francky.
— Comptez sur moi !
Elle fit demi-tour et les trois patrouilleurs reprirent la direction de Gambetta. Lorsque la femme fut hors de portée de voix, Valentina s'arrêta et sauta dans les bras du prêtre. D'abord surpris, il lui caressa doucement le dos.
Lorsqu'elle recula, elle avait le sourire jusqu'aux oreilles.
— Je viens de sauver un téléphone portable ! s'exclama-t-elle.
Francky éclata de rire. Et elle se tourna vers Hervé pour lui offrir un immense sourire à son tour.
— C'est vrai ! On pourrait t'appeler Phone-Girl, qu'est-ce que t'en penses ? proposa-t-il.
— J'm'en fous, je suis une super-héroïne ! déclara-t-elle.
— En attendant, tu as bien failli faire une belle bêtise, ajouta Francky. Tu en es consciente ?
Elle se renfrogna. Oui, elle en était consciente, mais elle avait été prise dans le feu de l'action, se défendit-elle. Le prêtre ne lui en tint cependant pas rigueur. Elle avait repris le contrôle et avait agis comme il fallait en propulsant le type au sol. Il devait être en route pour chez lui en boitillant, à présent, sourit Francky.
Valentina resta sur un nuage encore un moment, portée par son exploit du jour. Jamais elle n'aurait imaginé que faire un croche pied à un voleur pourrait lui procurer autant de bien-être.
Le reste de la nuit fut, comme promis, très calme et aucun autre incident ne fut à déplorer. À trois heures du matin, les rues étant toujours calme, Franck décida de rentrer. Il expliqua à Valentina que selon plusieurs statistiques, le nombre de crimes et d'agressions était proche de zéro dans leur ville, après cet horaire.
— Le crime aussi se couche, tout compte fait, ajouta Francky en entrant dans un immeuble dans lequel ils ôtèrent cache nez et capuche.
Deux minutes plus tard, Hervé partait de son côté et les deux autres du leur.
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