Chapitre 13

Malgré son investissement dans la vie de Franck, Valentina refusa catégoriquement d'assister à la messe. Elle ne croyait pas en Dieu et cela suffisait, selon elle, à l'empêcher de participer à ce genre de réunions. Franck avait souri en la regardant s'éloigner après qu'ils avaient préparé la nef ensemble.

Franck avait ensuite passé sa soutane et avait commencé à accueillir les premiers fidèles. Son sermon du jour avait été orienté vers la confiance et le respect, en grande partie. Lorsque la messe fut dite, il reçut, comme à l'accoutumée, les félicitations de certains de ses visiteurs, quelques donations et une demande de service pour un mariage durant l'été. Il accepta avec joie cette dernière demande. Il remercia madame Derigue, qui proposait pour la quatrième fois de faire participer son mari aux travaux de l'église. Franck prétendit qu'il avançait à un rythme qui lui convenait avec les jeunes qui lui donnaient un coup de main. La réalité était qu'il savait à quel point monsieur Derigue croulait sous le travail déjà. Monsieur Polinus lui apporta deux cartons de jouets de son petit-fils, bien trop grand pour s'en servir à présent.

Enfin, une dame qu'il ne se souvenait pas avoir déjà vu, se présenta à lui. Elle avait les cheveux blonds, mi-longs attachés en queue de cheval et un air qui lui semblait vaguement familier. Pourtant, il ne l'avait jamais rencontrée, il en était persuadé. D'ailleurs, il ne l'avait pas non plus vue durant le service. Lorsqu'elle s'avança et lui adressa un sourire timide, il prit un air neutre et la salua d'un signe de tête, les mains cachées dans les manches de sa soutane.

— Vous êtes le père Francky, n'est-ce pas ? demanda-t-elle.

Même la voix de cette femme lui était familière et il comprit tout de suite pourquoi.

— Le père Franck, en fait, madame. Une seule personne au monde m'appelle Francky, je suppose donc que vous êtes la maman de Valentina.

La femme d'une quarantaine d'années était vêtue d'un tailleur pantalon qui lui donnait des airs de femme d'affaire. Sa chevelure blonde contrastait avec celle, à peine plus sombre, mais bien plus raide de sa fille. Elles avaient toutes les deux le même petit nez et les mêmes lèvres fines. C'était à cause de cela qu'il avait eu cette impression de la connaître sans l'avoir jamais vue. Pour le reste, et en particulier au niveau des yeux, les deux générations de Carasco n'avaient guère de points communs. Valentina devait tenir de son père, ce qui ne lui plaisait sans doute guère, compte tenu de l'estime qu'elle avait pour son géniteur.

— C'est exact, monsieur Franck, répondit madame Carasco avec un petit rire. Je voulais venir vous voir en personne, au moins une fois. Ne serait-ce que pour vous remercier. Vous n'imaginez même pas le soulagement que c'est de savoir ma fille avec vous.

Elle était gênée, mais pourtant ravie. Le mélange des deux émotions donnait un effet étrange sur son visage et Franck lui adressa un sourire compréhensif pour camoufler son amusement.

— Valentina est une fille bien, madame. Ici ou ailleurs, je pense qu'elle connaît les limites à ne pas dépasser.

— Allez dire ça au type à qui elle a cassé le bras, grommela-t-elle.

— Ce n'est qu'un accident de parcours, vous savez. Et de ce que j'en ai compris, il l'avait bien mérité. Je n'aurais pas forcément eu la clémence de votre fille, à sa place.

La remarque fit tiquer la mère de Valentina, mais elle ne formula aucun commentaire à ce sujet.

— C'est peut-être un simple accident de parcourir, je suis d'accord, reprit-elle. Mais ce n'était que le dernier d'une longue série, vous savez.

Franck ignorait encore beaucoup de choses au sujet de cette jeune fille, mais n'en dit rien à sa mère. Elle semblait avoir besoin d'être écoutée, pour le moment.

— On n'envoie pas une jeune fille de cet âge dans ce genre d'institut pour un incident de parcours.

Franck indiqua à madame Carasco le banc du premier rang. Ils étaient désormais seuls dans l'église. La mère de Valentina hésita une seconde avant de s'asseoir en se tournant vers le prêtre qui l'avait imitée.

— Elle a beaucoup de colère en elle, poursuivit madame Carasco. La plupart du temps, elle est joyeuse, pleine de vie, mais je sais qu'elle refoule toute sa colère. Et lorsqu'elle sort, c'est violent.

Franck ne répondit rien.

— Oh ! Bien sûr, ce n'est pas bagarre sur bagarre. D'ailleurs, la plupart du temps, c'est une violence verbale. En particulier avec moi ou ses profs. Mais elle a aussi un certain nombre d'altercations à son actif. Voilà pourquoi le juge a estimé qu'elle devait faire un séjour à Saint-Joseph. Et malheureusement, je n'ai pas vraiment l'impression que ça lui a fait du bien.

Madame Carasco marqua une brève pause. Son regard s'humidifia soudain.

— C'est depuis qu'elle vous fréquente, que je sens une légère amélioration. Ses profs ne se plaignent plus d'elle. Elle se chamaille même moins avec son petit frère.

Nouvelle pause. La mère de Valentina sortit un mouchoir de son petit sac à main et s'essuya les yeux en prenant soin de ne pas se barbouiller de mascara.

— Avec moi, par contre, je crois que ça empire et j'avoue que je suis perdue. J'ai parfois l'impression de perdre ma fille, vous savez.

— Vous n'allez pas la perdre, madame, intervint Franck.

— Qu'est-ce que vous en savez mon prêtre ? demanda-t-elle déclenchant un nouveau sourire sur le visage de Franck. J'imagine que vous n'avez pas d'enfants ?

— En effet, je n'ai pas cette chance, avoua-t-il. En revanche, j'ai travaillé avec nombre d'adolescents, dont la plupart issue de Saint-Joseph. Pour ce que je sais et avec le nombre d'enfants que j'ai croisés, je peux vous dire que c'est une période somme toute assez normale. Les ados ont ce besoin de découvrir qui ils sont avant de passer à l'étape suivante de leur vie. Valentina trimbale toujours le traumatisme de son père, ce qui affecte forcément sa personnalité. Mais petit à petit, elle apprend à gérer. Les choses vont s'arranger entre vous, je n'en doute pas.

Madame Carasco lui adressa un sourire qui voulait dire qu'elle doutait.

— Vous êtes une bonne mère, madame, reprit Franck. Je le sais parce que Valentina, malgré ses défauts, est une fille bien. Vous avez peut-être commis des erreurs dans votre parcours, mais c'est le cas de la totalité des parents. Il est évident que vous aimez Tina, sinon nous n'aurions pas cette discussion, et malgré ce que vous pouvez penser, elle vous aime aussi. Le temps se chargera de vous remettre sur des routes parallèles. Pour le moment, vous n'êtes pas tout à fait sur les mêmes longueurs d'ondes, mais ça ne va pas durer, croyez-moi.

La mère de Valentina le scruta longuement en silence, comme cherchant une faille dans son raisonnement. Après avoir essuyé ses yeux une nouvelle fois, elle lui sourit.

— Vous êtes un peu psychologue, en fait, non ?

Franck affecta un air gêné.

— Disons que je connais bien la nature humaine. Je ne prétends pas exercer une spécialité qui n'est pas la mienne.

— Et modeste, en plus.

Elle se leva sans préambule et tendit une main à Franck.

— Désolée de vous avoir embêtée avec mes histoires, Père Franck.

— Ça ne m'a pas embêté, bien au contraire, répondit-il en serrant la main dans la sienne.

De nouveau, elle tiqua sans faire de remarque, puis salua le prêtre poliment avant de faire volte-face. Franck la suivit du regard un instant et constata qu'il restait un point commun entre la mère et la fille : cette démarche décidée et énergique.

Il sourit et fit le tour de la nef en quête de propriétés oubliées. Cela n'arrivait pas souvent, mais il ne pouvait s'empêcher de faire cette vérification. Par la même occasion, il en profitait pour remettre les bancs et chaises en ordres.

Dans l'après-midi, s'il n'était pas dérangé, il passerait le balai dans la nef. Ce soir, il devait retrouver Hervé pour une petite virée. À condition que Valentina ne décide pas de venir passer une nouvelle nuit à l'église.

Il se rappela lui avoir promis un lit et un tiroir dans sa commode et entreprit de commencer par lui faire un peu de place pour y poser ses affaires. En ce qui concernait le lit d'appoint, il lui semblait en avoir un dans le débarras. Après un bon nettoyage et avec un nouveau matelas, cela ferait parfaitement l'affaire. 

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