Chapitre 11
— Les filles ont prévu une soirée révision, déclara Juliana avec un grand sourire.
Avec ses yeux en amandes, entre marron et vert, et sa grande bouche aux lèvres fines, tous les sourires de Juliana étaient grands en réalité.
— Tu nous accompagnes ou tu as un entraînement, ce soir ? demanda-t-elle dans le même souffle.
Valentina hésita un instant, faisant mine de réfléchir. Elle n'avait aucune intention de passer la soirée avec les autres filles que fréquentait Juliana.
La petite brune était son ami depuis le collège. Elles avaient même partagé le même petit copain, sans le savoir. Cette mésaventure les avait encore rapprochées à la fin de la troisième, cependant, Saint-Joseph s'était chargé de remettre de la distance entre elle. Valentina l'appréciait toujours et la considérait encore comme sa meilleure amie. Elle savait cependant que ce n'était plus tout à fait aussi réciproque.
Pour cette raison, elle aurait voulu accepter l'invitation et passer un peu de temps avec son amie. Cette soirée révision avec « les filles » n'allait pourtant pas être le moment qui leur ferait retrouver leur complicité. Ces filles n'étaient pas de celles que Valentina appréciait. Beaucoup trop portée sur les ragots, pour commencer. Par ailleurs, pour elles, révision rimait surtout avec fumette et Instagram. Rien de bien productif.
— Non, j'ai pas entraînement, répondit enfin Valentina. Mais je vais voir mon père par contre.
Juliana marqua l'arrêt. Valentina sourit, elle se serait crut dans un film. Son amie s'était arrêtée en plein milieu du trottoir en la dévisageant comme si elle venait de lui annoncer son intention de déménager sur la Lune. Elle resta quelques secondes à la fixer sans un mot.
— Tu reparles à ton père ? s'étonna-t-elle. Depuis quand ?
Valentina sentie la tête lui tourner un instant. C'était l'effet du mensonge. Parfois, elle pouvait raconter des bobards incroyables sans ciller et d'autres fois, la simple idée de mentir lui donnait le tournis. À n'y rien comprendre.
— C'est un peu compliqué en fait, décida-t-elle d'annoncer, pensant évacuer le sujet.
Juliana ne changea cependant pas d'expression et continua de l'interroger du regard. Après un court moment, elle attrapa Valentina par le bras et se rapprocha du bâtiment pour fuir le flux d'élèves. Elle la colla dos au mur avant d'insister de nouveau.
— Ça veut dire quoi c'est compliqué ? Tu le revois ou pas ? Depuis que je te connais tu n'arrêtes pas de dire à quel point c'est un connard et que jamais de la vie tu voudras lui reparler.
— C'est bien pour ça que c'est compliqué, répondit Valentina avec un sourire gêné.
— Hey ! Tina ! C'est moi : Juliana ! Tu peux me parler, tu sais.
Valentina marqua une pause et son amie grimaça.
— Quoi ? reprit-elle. Tu crois que je vais balancer tes histoires aux autres ? Tu ne me fais pas confiance ?
Nouveau silence.
— T'as changé, Tina. Avant, tu m'aurais prévenue avant même de faire un pas vers lui. Maintenant, j'apprends ça complètement par hasard. Je suis sûre que si je t'avais pas demandé tu m'aurais rien dit en plus. Pas vrai ?
C'était vrai.
— Est-ce que c'est moi qui ai changé ? interrogea à son tour Valentina. Ou bien c'est toi ?
— Comment ça ?
Cette fois, le regard de Juliana se fit un peu plus inquisiteur.
— Tu m'as laissée toute seule à Saint-Joseph, je te rappelle.
Valentina déclara cela sans colère, mais d'un ton froid. Elle en avait voulu à son amie de l'abandonner dans cette prison et n'avais jamais trouvé la force de le lui dire.
— Tu voulais quand même pas que je vienne en prison avec toi ? s'offusqua Juliana. En plus les visites étaient interdites, je te rappelle.
— Seulement les trois premiers mois, corrigea Valentina. Et pendant ce temps, j'avais droit aux lettres. Ensuite, j'ai eu droit aux visites et aux appels téléphoniques, même si je ne pouvais pas en passer, moi. Tu n'as même pas demandé de mes nouvelles à ma mère, non plus.
Juliana ne trouva rien à répondre, cette fois. Elle baissa les yeux, coupable, et n'essaya pas de se justifier.
— Même Laura m'a appelée pour savoir comment c'était, reprit Valentina. Je sais pas si t'imagines ? Laura !
Laura était la troisième roue du tricycle, selon l'expression d'une des surveillantes du collège. Il était rare de voir l'une sans que les deux autres soient dans les parages. La vie et le choix des parents de Laura de s'expatrier à la montagne avait transformé le trio en duo à l'entrée en seconde, pourtant, d'une manière ou d'une autre, Laura avait appris pour Valentina et avait trouvé le moyen de la contacter.
— Elle t'a appelée ? s'étouffa presque Juliana. Tu as de ses nouvelles ? Elle va bien ?
— Elle m'a appelée l'année dernière et une seule fois, tempéra Valentina. Je n'ai plus de ses nouvelles depuis, mais elle allait bien, oui.
Samia interrompit leur discussion pour demander à Juliana si elle venait toujours. Celle-ci répliqua qu'elle savait où habitait Hanane et qu'elle les rejoindrait bientôt. Samia jeta un regard étrange à Valentina avant de tourner les talons. Ce comportement conforta Valentina dans sa décision de ne pas se joindre à elles pour ces révisions.
— Je suis désolée, Tina, avança Juliana, une fois l'autre assez loin. Je savais pas trop quoi te dire, en fait. J'ai pensé une fois ou deux à t'appeler, mais j'ai jamais osé franchir le pas.
Une fois ou deux ?
Valentina avait passé quatorze mois là-bas et elle n'avait pensé à la contacter qu'une fois ou deux !
— C'était vraiment dur ? s'enquit soudain Juliana.
— C'était pas le bagne, faut pas exagérer, sourit Valentina. C'était dur surtout au début, puisque je ne connaissais personne et que je trouvais ça super injuste d'être enfermée. Mais en vérité, c'était pas si terrible. Pas pour les filles en tout cas. Les mecs, c'était une autre histoire.
— Y avait des mecs ? C'était mixte ?
Valentina pouffa.
— Non, pas vraiment. On avait quelques activités en commun, mais on était parqués dans deux espaces séparés et les dortoirs étaient loin l'un de l'autre. Donc, non, c'était pas vraiment mixte. Mais on voyait les garçons de temps en temps.
— Oh...
Juliana semblait prendre conscience qu'elle avait raté quelque chose et son visage ne montra plus aucun remords ou gêne d'aucune sorte. La curiosité prenait toute la place.
— Du coup, tu as rencontré quelqu'un ? demanda-t-elle avec un air de conspiratrice.
— Je suis restée plus d'un an, Ju ! Évidemment que j'ai rencontré des gens. Mais si tu veux me parler de sexe ou même de relation amoureuse, non. J'essaie d'éviter les délinquants, en général.
— Ouais, tu as raison. C'est mieux. Mais des fois, y a des bad boys super mignons, insista-t-elle.
— J'en ai pas vu, là-bas, répondit Valentina avec un sourire moqueur.
Juliana éclata de rire et changea de sujet. Elle allait réviser avec les filles et demanda de nouveau à Valentina si elle ne voulait pas aller voir son père plus tard. Valentina refusa et Juliana se résigna à rejoindre son nouveau groupe d'amies sans elle.
Valentina l'observa quelques secondes avant de partir dans la direction opposée. Elle réalisa qu'il avait fallu près de deux mois à Juliana pour lui poser des questions au sujet de sa détention. Était-ce normal qu'une amie se montre si indifférente à son sort ?
Après tout, même Yoko, qu'elle avait pourtant rencontrée cette année, l'avait plus cuisinée que sa soi-disant meilleure amie. Était-ce un indice concernant son statut de meilleure amie ? Devait-elle la rétrograder ?
Valentina décida que cela n'avait pas tant d'importance et accéléra le pas.
Loin d'aller voir son père, allait voir le Père Franck. Elle ne voulait pas le considérer comme son père, malgré ce qu'elle lui avait dit au sujet de la présence paternelle. Malgré tout, elle aimait bien ce type. Il était sympa et elle aimait ce sentiment de sécurité et de quiétude qui régnait chez lui. C'était étonnant, même pour elle qui n'avait jamais chercher le calme ou un abri quelconque.
La vérité était qu'elle était bien avec lui et même dans l'église. Jamais elle n'aurait cru cela possible, mais cela n'avait pas plus d'importance que de savoir si Juliana était toujours sa meilleure amie ou si elle avait perdu des places dans le classement.
Pour le moment, elle devait réviser. Seule, elle y parviendrait mieux qu'avec les filles de la classe. Et chez Francky, elle ne serait pas dérangée par qui que ce soit.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top