Chapitre 1

Valentina hésita un instant. Elle n'avait pas peur. Virginie n'était qu'une psy de plus dans son parcours de toute façon. Plus important encore, cet entretien là n'était qu'une formalité. Le dernier d'une très longue série.

Quatorze mois.

Cela faisait quatorze mois que l'adolescente consultait cette psychologue deux fois par semaine. Quatorze mois qu'elle était enfermé à Saint-Joseph. L'institut pour jeunes en difficulté Saint-Joseph, de son nom complet.

— Ce n'est pas une prison, avait déclaré le juge, le jour de sa condamnation.

Il était même allé jusqu'à préciser que ce n'était pas une condamnation.

— Donc, j'suis pas obligée d'y aller, avait rétorqué la jeune femme avec un petit sourire en coin qui en disait long sur son état d'esprit.

Le juge avait ricané avec le même air en expliquant qu'elle n'était en effet pas obligée. Cependant, si elle refusait, l'alternative était l'installation d'un bracelet électronique, pour la même durée ; la consultation obligatoire d'un psychologue trois fois par semaine ; et, cerise sur le gâteau, un chaperon qui pourrait décider de la suivre en permanence ou de débarquer chez elle à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit afin de faire un rapport de ses activités. La peste ou le choléra, avait pensé Valentina.

Son avocat au rabais, lui avait confirmé que cette condamnation était excessive et qu'il allait faire appel. L'appel avait cependant été rejeté avec une rapidité impressionnante.

— Certaines personnes ont le bras long, s'était-il excusé.

— C'est pas votre cas, on dirait, avait-elle trouvé la force de se moquer.

Aujourd'hui, un peu plus d'un an plus tard, elle s'apprêtait à quitter l'institut. Pour toujours, si possible.

— Comment vas-tu, aujourd'hui Valentina ? demanda la psy avec un sourire sincère.

Valentina en avait vu des psychologues. Même un psychiatre. Elle n'en avait aimé aucun. Qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, elle avait toujours l'impression d'être jugée avant d'avoir ouvert la bouche.

Elle était la pauvre petite fille qui avait surpris son père dans une autre femme. Une victime qu'il fallait bichonner. Plus tard, elle était devenue l'adolescente en bonne voie pour devenir une délinquante. Et puis, après ses premières bagarres, elle recelait trop de rage en elle.

Seule Virginie l'avait écoutée. Elle lui avait posé de nombreuses questions et s'était intéressée à elle et non pas à ses actions. Elle avait été la première, la seule, à lui demander comment elle envisageait l'avenir. Cette question l'avait tant surprise qu'elle n'avait rien trouvé à répondre.

— C'est mon dernier jour, sourit Valentina. Vous imaginez bien que je suis un peu contente.

— Un peu seulement ?

Le regard bleu acier de Virginie se planta dans celui de l'adolescente bientôt libre.

— Disons que je vais retourner chez ma mère, soupira-t-elle.

— On en a déjà parlé, Valentina, répondit la psy avec ce même sourire et une voix égale. Ta mère ne te veut aucun mal. Elle est de ton côté. Tu dois te rappeler de ça, d'accord ?

Valentina acquiesça. Elles avaient eu de nombreuses discussions à ce sujet, en effet. La mère de Valentina, Mathilde Carasco, était de son côté. Elle avait fait ce qu'elle pouvait avec ce qu'elle avait pour la sortir de cette situation. Ça avait échoué, bien sûr. Et de manière tout aussi évidente, elle avait sermonné sa fille, à plusieurs reprises.

Elle avait raison, la question n'était pas là, avait réussi à admettre Valentina. Rien ne l'obligeait cependant à remettre cette histoire sur le tapis à chacune de ses visites. Leurs relations n'étaient déjà pas terribles avant Saint-Joseph, à présent, c'était pire.

— À part ça, reprit la psy, tu vas bien ?

Valentina sourit de nouveau. Virginie allait lui manquer. Ce serait bien la seule.

— Oui.

Virginie la dévisagea avec intensité.

— Je ne te juge pas, Valentina, rappela-t-elle. Pas plus aujourd'hui que les autres jours. C'est notre dernier rendez-vous et je veux vraiment savoir si tu vas bien.

— Pourquoi ça n'irait pas, en fait ?

— Parce que tu retournes dans le vrai monde après un long moment, par exemple.

Le vrai monde ?

Valentina pouffa. Ce monde était pourri. De ça, elle était sûre. C'était un juge de ce vrai monde qui avait décidé qu'une jeune femme de quinze ans qui se fait tripoter dans un bus et décide de se défendre, méritait d'aller en centre de réinsertion ou quel que soit le nom qu'on décidait de donner à l'institut pour jeunes en difficulté.

En effet, elle n'avait pas de véritable raison de se réjouir. Malgré tout, elle serait libre. Elle pourrait aller où bon lui semblerait, quand bon lui semblerait, pour faire ce qu'elle voudrait. Ou presque.

— Ça va aller, reprit la psy, comme si elle devinait ce qu'il se passait dans la tête de sa patiente.

C'était son boulot, après tout.

— Et puis si tu as besoin de parler, ma porte est toujours ouverte.

— Votre porte est beaucoup trop loin, doc.

Elle avait décidé de l'appeler ainsi dès leur premier rendez-vous. C'était ainsi qu'elle avait nommé les trois derniers psys qu'elle avait fréquentés. Il était hors de question qu'elle leur donne du monsieur, madame ou docteur. En ce qui concernait Virginie, elle avait insisté pour être appelée par son prénom, mais cela aussi, Valentina s'y refusait.

Virginie fit une grimace qui signifiait qu'elle était d'accord avec la dernière déclaration de sa patiente. L'institut Saint-Joseph était à plus d'une demi-heure en voiture du domicile de Valentina. Elle n'avait pas le permis et en transport en commun, compte tenu des correspondances, ce temps triplait.

— De toute façon, je suis sûre que tu t'en sortiras sans problème, une fois dehors, poursuivit Virginie. Cette histoire n'était qu'un tout petit accroc à ton parcours. Tout le monde ici a été témoin de ton comportement exemplaire. Tu es d'ailleurs la seule à ne pas avoir été freinée dans ta scolarité cette année.

Valentina, comme toutes les pensionnaires, en réalité, avait suivi des cours pendant son séjour ici. Un enseignement qui était censé être le même que celui qu'elle recevait au lycée. Pourtant, de la même manière qu'il y avait parfois des écarts impressionnant d'une école à l'autre, entre Saint-Joseph et son propre lycée, il y avait un fossé. Elle avait donc demandé à madame Vergne – leur équivalent de Dolores Ombrage – si elle pouvait récupérer les cours de sa classe, ainsi que les devoirs. Ce jour-là, Valentina avait vu Vergne sourire pour la première fois. Dès lors, toutes les semaines, on lui apportait des impressions de tous les cours de sa classe à Paul Éluard, les devoirs et les corrigés de la semaine précédente. Lorsqu'il y avait une évaluation, elle se prêtait au jeu et la passait en conditions réelles sous le regard et la surveillance de la responsable pédagogique de Saint-Joseph. C'était à ce prix qu'elle avait pu finir sa seconde dans les meilleures conditions et être acceptée en première STD2A. Une classe qu'elle n'avait encore jamais vue. Elle ignorait autant le nom de ses professeurs que celui de ses camarades, mais tout cela n'avait pas grande importance. Elle serait bientôt fixée.

— Et si vraiment tu as besoin, va voir le Père Martin.

— Hein ?

Valentina tâchait toujours de contrôler ses émotions en présence d'un psy. Même Virginie. Cette proposition, aussi étrange qu'inattendue, l'avait pourtant fait se redresser d'un coup sur son fauteuil douillet. Virginie lui sourit.

— Tu sais, le prêtre qui vient toutes les semaines pour discuter avec les jeunes qui le veulent. Il en a même reçu certains à une époque, pour faire des travaux de rénovation.

— Ah, lui ! se souvint Valentina. Je ne l'ai jamais vraiment rencontré, vous savez.

— Ce n'est pas important.

— Et j'ai entendu dire que c'était le genre boxeur, non ? Vous êtes sûre que c'est une bonne fréquentation, ce type ?

Virginie ricana.

— Certaine ! affirma-t-elle. Ce n'est pas un bagarreur. Il a juste remis en place certains éléments avec fermeté. Rien de plus.

— Mouais...

— Rappelle toi ce que je te dis toujours...

— L'important, c'est de verbaliser, scanda Valentina en même temps que la psy. Je sais, je sais.

Elle savait, mais avait toujours autant de mal à appliquer ce précepte. C'était une chose de parler avec Virginie, de lui dire ce qu'elle ressentait après que la psy l'avait mise en confiance. C'en était une tout autre de faire ça avec n'importe qui d'autre.

— Garde en tête que c'est la moitié du travail, insista Virginie. Lorsque tu es capable de dire les choses, tu peux passer à l'étape suivante. Tu peux envisager d'agir.

— Je sais, répéta Valentina.

— Tu pourrais aussi essayer avec ton père, non ?

Valentina se rembrunit. Virginie aurait sans doute dit qu'elle s'était refermée, mais aujourd'hui n'était pas un jour d'analyse, alors elle garda le silence en attendant une réponse qui tarda à venir.

— Non, claqua Valentina sans plus de cérémonie.

Elle aurait voulu répondre « Jamais de la vie ! », mais ce qu'elle voulait surtout, c'était se tirer d'ici. Parler de son père, était le meilleur moyen de se mettre en colère. Elle préférait éviter.

Virginie eut l'intelligence de ne pas insister et se contenta de renouveler son invitation à passer sa porte quand elle voudrait. Valentina la remercia et fut tentée de la prendre dans ses bras pour la saluer. Elle se ravisa cependant et se contenta d'un vague signe de la main avant de quitter le bureau.

Dans une heure, elle serait libre. D'ici là, elle allait finir de préparer sa valise. 

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