Chapitre 2

    Sa queue tricolore frétillante, Wendy avance devant moi, de sa démarche lente, mais vive. Elle s'arrête souvent, renifle, comme si elle cherche quelque chose, tournant la tête d'un côté et de l'autre, puis se remet à marcher, comme si rient de s'est passé. Papa et Maman disent qu'elle fait ça car elle ne voit plus bien, qu'elle devient aveugle. Ils affirment aussi qu'elle se fait vieille ; mais c'est faux, elle n'est pas vieille ! Si on est vieux, cela veut dire qu'on va bientôt mourir. Mais Wendy n'a pas le droit de mourir... si ?

   Oh, tiens, elle s'est encore arrêtée, retroussant sa truffe, comme si une odeur nauséabonde lui parvient. Je continue à avancer, et, lorsque la laisse accrochée à son collier rouge se tend, elle court me rattraper, aussi vite que ses vielles pattes le lui permettent. Ses beaux yeux bleus de la couleur de l'eau pure d'un lac de montagne se fixent sur les miens ; je lis dans son regard qu'elle commence à fatiguer.

   « Faisons une pause alors Wen', je la rassure en lui caressant la tête avec douceur. »

   Ma jolie chienne se dirige vers un banc vide, comme si elle a compris ce que je viens de lui annoncer. Assis, je lui tapote tendrement le dos, distraitement. Mon regard glisse sur les quelques personnes présentes dans le petit parc se trouvant en face de chez moi.

   Tous me fixent d'un air étrange, comme si je suis un monstre qui s'apprête à les dévorer. Comme si je suis une erreur de la nature. Qu'ont-ils à toujours me regarder comme cela ? Est-ce car je ne vais pas à ce qu'ils appellent l'école ? Tous détournent vite la tête lorsque nos yeux se croisent, comme si ils ont honte de m'avoir accordé ne serait-ce un instant de leur attention. Comme si je ne mérite pas d'exister à leurs yeux.

   Ayant toujours été regardé ainsi, que ce soit ici où n'importe où, je n'y prête presque plus attention, mais comment oublier le regard des autres sur nous ? Quoi que l'on puisse dire, l'avis des autres à notre égard à un minimum d'importance, personne ne peut totalement s'en ficher. Qu'ai-je de si spécial, pour qu'ils me considèrent ainsi ? Le peu de fois où j'ai osé questionner Papa et Maman sur la question, ils m'ont répondu qu'ils sont sûrement impressionnés de voir un enfant de dix ans aussi grand et fin. Sceptique face à leur explication, j'ai toujours du mal à la croire, mais je fais tout comme, pour ne pas les inquiéter.

   Mon docteur, Mr. Suiman, que je surnomme Doc, affirme que je mesure un mètre cinquante-huit. A chaque fois que je vais à son cabinet, il me pèse et mesure, comme si cela allait changer en une petite semaine. Lui, en revanche, n'est pas très grand, et il est tout rond, comme les ballons que m'achètent parfois Maman lorsque nous allons dans des endroits « spéciaux ».

   Le surnom qu'il me donne ne me plaît pas particulièrement ; il me surnomme petite crevette à cause de ma jeunesse et de ma maigreur, comme il explique cela. Quand Doc m'appelle comme cela, j'ai la drôle d'impression qu'il souhaite me manger, même si je me doute que jamais il n'oserait le faire. Et puis c'est même pas bon les crevettes !

   Lorsque Papa et Maman discutent avec Doc, ils me consignent dans la salle de jeu, à côté de son bureau. Les jeux se trouvant dans la salle, sont pour les bébés, chose que je ne suis plus, et ne serais plus jamais ! Mais, parfois, quand je les entends parler lorsqu'ils ont oublié de fermer la porte, je parviens à intercepter certains mots de leurs longues conversations. Ce sont toujours les mêmes ; malheureusement je ne comprends pas leurs significations à tous ; tels syndrome, combien de temps encore, Marfan... Tous ses mots d'adultes me faisant peur, je me force à jouer, ne voulant plus rien entendre.

   Je reviens sur Terre, en sentant Wendy mordiller ma main, impatiente. Ses beaux yeux brillent d'une énergie nouvelle, et j'y lis qu'elle est prête à reprendre notre courte balade.

   « En avant Wen', dis-je en me levant, alors qu'elle s'éloigne déjà, retenue par la laisse »

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