3. Hot Blood (2/2)
Suni ne pouvait plus ignorer qu'un univers occulte existait, juste là, tout près de lui. Il en avait été préservé jusqu'à présent, mais sa nature menaçante venait d'entrer par effraction dans sa tranquille réalité.
Il suivait vaguement les informations, comme tout le monde, mais sa grand-mère s'empressait toujours de couper la télévision, farouchement opposée à l'affreuse idée que la violence extérieure ne corrompe son innocence. De ce fait, il ne s'était jamais intéressé, de près ou de loin, à ce monde interlope et à ces créatures dangereuses, puissantes et mal-aimées depuis plus d'un siècle, dont la réputation était sans équivoque. Ces parasites n'avaient droit de cité nulle part, à l'exception de leurs quartiers miteux et malfamés, tanières abandonnées à la fange. Ainsi, rares étaient ceux à se hisser dans la société et à mener une vie décente.
Pour se protéger, il devait se documenter. L'aveuglement n'était plus tolérable. Aussi, et il ne l'avouerait jamais, cette monstruosité inhumaine dissimulée sous les traits d'une beauté trompeuse exerçait sur lui une troublante fascination...
L'envie d'explorer ce monde crépusculaire – ne serait-ce que jeter un léger coup d'œil sous le voile qui l'en séparait – n'avait jamais effleuré Suni. Aujourd'hui, c'était différent. La curiosité mordait son âme. Une porte s'était ouverte sur une contrée jusqu'alors intangible.
Un matin, il se mit en route pour son lieu de travail avec une idée en tête : en apprendre davantage sur un continent dont l'étendue lui échappait.
Une librairie particulière se dessina à l'angle d'une ruelle dérobée, nimbée de mystère. Il remplaçait le propriétaire – Giles – quelques matinées par semaine, afin de payer son école de danse. Il fut donc étonné de l'y trouver à cette heure-ci, perché sur une échelle, de toute évidence à la recherche d'un ouvrage.
— Oh, Suni, tu es là. Tu tombes bien, j'ai besoin de ton aide.
— Qu'est-ce que tu fais là, Giles ?
— Hannah se passionne pour les légendes coréennes en ce moment. J'étais persuadé qu'on avait un livre illustré et rare sur le renard à neuf queues.
Suni l'aida à chercher puis lui tendit dans un cri de victoire.
Giles était une vieille connaissance de son père. Les deux hommes s'étaient rencontrés au cours d'un voyage en Europe. L'Anglais avait ensuite rendu visite à son nouvel ami dans son pays natal et n'avait plus quitté la Thaïlande, y faisant même rapatrier sa compagne, Hannah. Dès la naissance du garçon, il s'était promis de veiller sur lui : Suni n'avait pas connu ses parents. Il n'avait jamais pu compter que sur sa grand-mère et cet étrange historien, qu'il considérait comme un oncle.
— Comment va Hannah ? interrogea Suni avec sollicitude.
Le libraire avait mauvaise mine, ses yeux creusés trahissaient son état d'épuisement.
— Elle a beaucoup de nausées... Le quatrième mois est difficile.
— Tu l'embrasseras de ma part ?
— Sans faute. Ton test s'est bien passé ?
Le danseur grimaça. Giles relia sûrement cette moue inquiète à la crainte de n'être pas retenu, mais en réalité, d'autres souvenirs affluaient dans l'esprit du jeune homme, aux implications autrement plus dramatiques qu'un simple échec de carrière...
— Je m'en suis sorti vivant, disons...
Ou presque.
— Tu dois arrêter de douter de toi, le gronda gentiment le quinquagénaire en posant une main sur son épaule. Tu es un danseur exceptionnel. Allez, je file, avant qu'Hannah ne se transforme en démon.
— Bonne chance, lui sourit Suni en effectuant un petit signe de la main.
Giles disparut en faisant tinter la clochette de l'entrée, laissant son apprenti seul dans la boutique sombre et poussiéreuse.
L'Anglais, chercheur de formation, s'était toujours passionné pour les phénomènes occultes. Suni y était plutôt indifférent, mais ce travail comportait un avantage certain : aucune foule ne se pressait en ces lieux désuets et défraîchis. Certains fins connaisseurs, étudiants en mythologie / sociologie des nouvelles civilisations ou touristes égarés passaient parfois le pas de la porte, mais la plupart du temps, un calme complet régnait. Vampires et autres créatures controversées n'étaient pas dans les bonnes grâces du public.
Suni eut ainsi tout le loisir de lire sans être dérangé. Il emprunta de nombreux livres avec l'intention de dévorer l'historique de cette civilisation luciférienne. Ces ouvrages précieux renfermaient en leurs pages poussiéreuses une histoire longue de plusieurs siècles, aussi fascinante que prohibée. On n'enseignait rien d'autre dans les discours officiels que la malfaisance chère à la nature vampirique. « Pour combattre ses ennemis, nul besoin de les comprendre » était la règle d'or de ce gouvernement belliqueux.
Les premières rumeurs d'une existence vampirique remontaient au moyen âge, mais ces voix n'étaient pas considérées par les historiens, faute de preuves matérielles évidentes. Les premiers récits officiels naquirent au XVe siècle, grâce à l'essor de l'imprimerie, mais là encore la population prenait ces témoignages pour des divagations ; le vampire n'était qu'un mythe qu'on agitait pour faire peur aux enfants. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que ces créatures légendaires multiplièrent leurs apparitions, jusqu'à sortir de l'ombre. Les choses se gâtèrent alors. La peur de la différence, de tout temps, exhortait à commettre les pires exactions.
Suni feuilleta ces pages avec un vif intérêt. Acquérir autant de savoir d'un coup le remplissait d'excitation, mais aussi de ressentiment envers sa grand-mère et lui-même. Il avait bien assimilé quelques grandes lignes au fil des ans, Suni n'était pas ermite non plus. Mais comment ne pas s'être passionné plus tôt pour une chronique aussi prodigieuse qu'insensée ?
À sa grande surprise, il apprit que quelques décennies en arrière, le roi Rae IX leur avait accordé leurs premiers droits, du jour au lendemain. Personne ne comprit jamais vraiment ce qui motiva une décision si inattendue. Après plus d'un siècle de haine entre humains et vampires, les prémices d'une trêve semblaient possibles entre les deux espèces. Mais l'histoire ne cessait de bégayer : les avancées d'hier devenaient les reculs d'aujourd'hui. Les initiatives pacifistes du roi avaient péri avec lui.
Le Premier ministre actuel, ancien ministre des armées, avait enraciné une politique suprémaciste humaine et le roi Rae X, successeur de son défunt père, n'avait nul mot à dire. Chalong Kaew menait une véritable croisade contre ces créatures ostracisées.
Parmi elles, un nombre de plus en plus considérable commettait violentes infractions et attaques sanglantes. Les rangs des vampires sans foi ni loi ne cessaient de croître en réponse à la politique oppressive du pouvoir.
Dans quel camp se situait Chayan ?
Suni referma ses livres en soufflant de dépit. Si son esprit était nourri d'informations concrètes, son cœur vagabondait toujours dans la brume.
Un soir, épuisé, il s'endormit parmi ses livres éparpillés.
— Hé... Su...
Il s'éveilla, groggy. Lamaï lui secouait doucement l'épaule.
— Su, je suis désolée de te réveiller. J'ai fait un cauchemar...
— Viens, offrit-il d'une voix rauque de sommeil.
— C'est quoi, tous ces bouquins ?
La lumière pénétrante de la lune permit à Lamaï de distinguer les images éloquentes des premières de couverture, enluminures à la beauté macabre.
— Tu t'intéresses aux vampires toi, maintenant ?
Suni hésitait à tout raconter à son amie, mais il avait trop honte de sa faiblesse. Il préférait dissimuler sa mésaventure pour le moment. Il repoussa la montagne de livres et mentit ouvertement.
— Simple curiosité...
— Sacrée curiosité... Tu ne me caches rien ?
— Bien sûr que non.
Lamaï paraissait sceptique, mais se garda d'insister.
— Je devrais me réjouir que tu t'intéresses enfin à autre chose qu'à la danse, je suppose. Tu sais que je craquais pour les vampires, il fut un temps ? révéla-t-elle en se glissant dans le lit à côté de son ami d'enfance.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Adolescente, je trouvais leur côté dangereux sexy. Vampire is the new bad boy, tu sais, gloussa la jeune femme.
— Toi alors, n'importe quoi. Les vampires n'ont rien de sexy. Ils sont plutôt monstrueux.
Il chassa de son esprit l'image persistante d'un certain vampire à la peau d'albâtre et aux yeux d'une brûlante douceur.
— Je vais justement dans un bar vampire avec des amis samedi, tu m'accompagnes ? suggéra son amie, habituée à s'encanailler par tous les moyens.
— Un bar vampire ? Ça ressemble à une fausse bonne idée signée Lamaï... désapprouva Suni, mais ses sens en sommeil s'animèrent à cette proposition audacieuse.
— Su, je n'apprécie pas vraiment le sous-entendu. Oh, allez quoi... La vie d'adulte est si fade. Vive les sensations fortes.
Lamaï ne pouvait-elle se contenter d'un saut en parachute, comme tout le monde ?
— Et toi aussi, tu as besoin de faire des expériences.
Si elle savait...
— Tu sais... Je... Les vampires ne sont pas des enfants de chœur, raisonna-t-il.
— Préjugés. À notre époque, c'est assez commun pour les humains de fréquenter ces clubs. Et puis, je te protégerai. Je suis super forte, plaisanta-t-elle en exposant ses biceps imaginaires.
Suni n'avait jamais su dire non à la moue suppliante de son amie. Elle l'entraînait chaque fois dans ses lubies, même s'il se tenait sage comparé à l'intrépide jeune fille. Une fois qu'elle avait une idée en tête, l'impulsive n'en démordait pas. Avec ou sans lui, elle foncerait à la rencontre du danger. Ce n'était pas le genre de Suni, du moins par le passé...
— Non, je ne dois pas me laisser distraire, surtout en ce moment, prétexta-t-il.
Ce non, étrangement, lui coûta. Au fond, n'était-il pas curieux de cet univers sombre, aussi profondément attirant que des abysses ? Ce monde d'éternité, pétri de violence mais aussi d'anciennes connaissances. Si Kao en incarnait toute la laideur immorale, son frère, lui, en représentait la sereine sagesse ; sa force tranquille évoquait celle d'un arbre millénaire.
Le souvenir de Chayan le protégeant contre Kao se forma brièvement dans son esprit, aussi fugace qu'un flash de lumière. Il revenait le hanter sans cesse depuis cette confrontation, le sauvant même de ses cauchemars sanglants. Son cœur se mit à battre étrangement plus fort à l'idée de le recroiser.
— Très bien, j'irai sans toi, Su.
— D'accord, d'accord, capitula-t-il, trop faible pour résister à cette curiosité qui le tourmentait depuis des semaines... mais Khun Yâa ne doit rien savoir, sinon elle nous tuera.
Suni le regretta instantanément. À la perspective de leur prochaine expédition, toutefois, un frémissement de crainte assorti d'excitation enfla dans son estomac.
***
Le samedi soir suivant, ils arpentaient le district de Sii Daeng, plus communément appelé « le quartier rouge ». Peu de personnes recommandables osaient s'aventurer en ces lieux sordides, hormis les punks, les junkies, les paumés et quelques jeunes curieux désireux de goûter aux ténèbres.
— Tiens, c'est celui-là. Le Bang bang bar.
Suni observait son amie, admiratif. Une mini jupe noire tombait sur ses hanches et des bas résilles ornaient ses longues jambes pâles. Elle avait chaussé ses traditionnelles Doc Martens, usées mais intemporelles. Elle était splendide. Ce n'était pas la seule à s'être apprêtée : elle avait absolument tenu à relooker Suni pour la soirée. Elle lui avait déniché un jean noir moulant, qui épousait parfaitement ses jambes fuselées de danseur, une veste et des bottines en cuir qui égratignaient son apparence sage. Elle lui avait aussi très subtilement fardé les paupières d'un bleu nuit qui mettait en valeur ses yeux d'un brun aussi chaud que le sable du désert. D'ordinaire, Suni n'avait pas le sens inné de la mode. Il se contentait d'enfiler un jean et un tee-shirt à la hâte.
Quand Lamaï avait achevé son œuvre, elle s'était exclamée de satisfaction : « Suni, tu es à croquer. » Ce jeu de mots de mauvais goût ne pouvait inspirer plus terrible perspective. En aucun cas, Suni ne tenait à en arriver là. Il voulait simplement... Que voulait-il ? Explorer, trouver des réponses à ses questions. Son instinct lui dictait un langage que sa raison ne pouvait traduire. Une force inconnue l'y poussait, tel l'indomptable et furieux courant de la rivière Mékong.
Il balaya du regard cette enfilade d'usines désaffectées semblables les unes aux autres, flanquées de devantures métalliques où brillaient des enseignes fluorescentes. Invitants portails d'un monde de transgressions.
— Il n'a pas trop mauvaise allure... concéda Suni, à moitié convaincu. Allons-y.
Le Bang Bang bar était connu pour son hospitalité envers les humains. Les deux jeunes gens s'y engouffrèrent d'un pas prudent. Leurs guides étaient en retard et mieux valait ne pas errer dehors.
Jusqu'ici, tout semblait évoquer un bar ordinaire. À ceci près qu'au sous-sol, un tout autre genre de réjouissances se célébraient... Ces repaires marginaux avaient la réputation d'accueillir les humains désireux de se faire mordre, et, en échange, boire du sang de vampire ; la substance constituait en effet une puissante drogue. Cet échange de bons procédés n'était pas légal, mais le gouvernement s'en accommodait, incapable de fournir le moindre substitut satisfaisant aux vampires. Il valait mieux que ces criminels évacuent leurs pulsions dans des espaces illicites plutôt que dans les quartiers chics... Cette tolérance participait d'une forme de régulation mais incarnait aussi un aveu d'échec. Parfois, la police faisait des descentes dans ces établissements. Le bar écopait alors d'une amende, mais rarement plus.
— Qu'est-ce que j'vous sers, les petits humains ? s'enquit gentiment le barman.
Une grosse barbe hirsute mangeait sa mâchoire carrée. Il avait l'air fantasque, mais amical.
— Hum... deux cocktails ?
— C'est parti pour deux Human Blood !
Suni et Lamaï échangèrent un regard incertain.
— Du sang d'humain bien chaud, poursuivit le barman, goguenard, sous l'air horrifié des deux humains.
— C-comment ça ? bafouilla Lamaï qui n'en menait soudain plus très large.
Son interlocuteur partit dans un grand rire.
— Si seulement vous pouviez voir vos têtes ! Je me moque de vous. C'est un cocktail à base de framboise, pas d'inquiétude. Vous êtes nouveaux, hein ?
— Oui, première fois... avoua-t-elle.
— Il y a une première à tout, rassura l'aimable vampire en leur adressant un clin d'œil malicieux. Ici, vous êtes les bienvenus. Personne ne mord, enfin, pas sans consentement...
Les deux curieux soupirèrent de soulagement. Cette expédition promettait d'être pleine de surprises. Le reste de la soirée se déroula sans heurts. Un groupe de punk hardcore se produisait sur scène, l'alcool coulait à flot et des populations contrastées se mêlaient allègrement. Parfois, un humain remontait du sous-sol, deux ostensibles marques de crocs estampées sur la gorge – macabres décorations –, l'air bienheureux.
Les amis de Lamaï les avaient rejoints au cours de la soirée. Habitués à écumer ces clubs singuliers en quête de sensations fortes, ils étaient aguerris. Éméché, le duo se laissa donc entraîner dans un autre nid à vampires.
Ils firent leur entrée au Hot Blood peu de temps avant minuit.
Hot Blood... Hot Blood... Ce nom ne lui était pas étranger. Chayan ne l'avait-il pas mentionné, lors de sa confrontation avec son frère au manoir ? Il était à la fois réticent et attiré.
— Lamaï, je ne sais pas si on devrait...
— Su, on n'a jamais arrosé dignement ta réussite à l'examen. C'est ce soir ou jamais. Si tu ne vomis pas, ce n'est pas une fête réussie.
La joie de la jeune fille, déjà bien enivrée, était contagieuse. L'atmosphère plus sombre et la décoration rustique conféraient à cette deuxième escale une forme de brutalité cathartique. Le Hot Blood inspirait un tout autre sentiment, moins folklorique. Plus rustre. Plus dangereux, aussi. Le genre d'endroit que fréquentaient sans doute les deux frères Ahunai...
À leur arrivée, un essaim de vampires se tourna vers eux d'un mouvement synchrone, l'air méfiant. Étaient-ils vraiment les bienvenus ?
— Ne vous inquiétez pas, les rassura Sara (une camarade de Lamaï), ici c'est plus nature, disons. Mais ils appliquent les mêmes règles qu'ailleurs, ils ont pas intérêt à ce que le business déraille.
Sur la réserve, ils suivirent la joyeuse compagnie qui évoluait à travers la foule avec aisance, aussi excitée qu'une armée de bambins lâchés en plein cœur d'un parc d'attraction. Ces derniers – à l'exception de Sara, leur chaperon – s'élancèrent déjà derrière les lourds rideaux bordeaux à la conquête de leur liqueur écarlate...
Bien moins assurés qu'au Bang Bang, les deux néophytes commandèrent leur consommation, non sans une certaine appréhension. Le barman les servit, professionnel, affectant une politesse minimale. Quand il leur remit leur cocktail, il se fendit enfin d'un sourire.
— Eh bien, il y a du beau monde, ce soir. Vous êtes à croquer, si vous voyez ce que je veux dire, complimenta-t-il d'un ton suggestif.
— Oh, c'est gentil... mais on n'a pas prévu d'aller au sous-sol, le détrompa la jeune fille avec prudence.
Sara lança un regard d'avertissement à Lamaï. Le barman se refroidit aussitôt.
— Des humains qui ne veulent pas se laisser mordre dans un bar vampire ? Inutile, maugréa-t-il.
Mal à l'aise, les jeunes humains se retirèrent dans un coin tranquille. Suni n'avait pas très envie de s'attarder en ces lieux...
— Évitez ce genre de réflexion, recommanda Sara, c'est plutôt maladroit. Vous n'aurez pas de problèmes, mais ne criez pas sur tous les toits que vous êtes novices, ici c'est plutôt pour les habitués, okay ?
Contre toute attente, l'alcool aidant, et grâce à la pédagogie de Sara, l'ambiance se détendit et ils baissèrent leur garde peu à peu. La musique, un rock énergique, invitait à battre la mesure. Ils se laissèrent même aller à danser. Leurs comparses avaient mis fin à leur séance de décadence sanguine pour se mêler à eux sur la piste.
Quelques vampires se joignirent à cette foule exaltée. Suni sentait leurs yeux insistants posés sur leurs courbes, avec la chaleur diffuse d'un brasier. Cet endroit n'était pas si différent de tous les bars qu'il avait fréquentés par le passé, jugea-t-il, à un détail près : la drogue se consommait à même les corps, organique et obscène. Plus d'humains qu'il ne le pensait trouvaient dans la morsure un plaisir certain... Ce concept échappait à sa compréhension.
Sa tête lui tournait. L'alcool l'étourdissait, lui qui buvait si rarement. Il promena son regard sur la salle enfumée ; Lamaï n'était plus dans le périmètre depuis trop longtemps et le reste du groupe ignorait où elle était passée. Un jet de crainte lui fut injecté en intraveineuse. Il s'éloigna du tumulte et se dirigea vers les toilettes au sous-sol, cherchant son amie. Tout à ses pensées, il heurta involontairement quelqu'un.
— Hé, fais attention, pesta l'individu.
— Désolé... Je cherche une amie.
Le vampire s'arrêta net et le scruta de haut en bas. Une étincelle vicieuse incendia ses yeux mordorés.
— Tu es le gamin qui dansait tout à l'heure. Ton odeur nous a tous excités, tu sais. J'ai bien une idée de comment tu pourrais te faire pardonner...
Suni recula, soudain dégrisé. Mais ses réflexes étaient entachés par tous ces siam sunrays. Le prédateur s'approcha avec une lenteur mesurée, inquiétante. D'un coup d'épaule brutal, il le contraignit à entrer dans les toilettes et le coinça contre un mur.
— C'est quoi ton parfum ? « Mordez-moi » ? s'amusa-t-il, sinistre.
— Lâchez-moi !
Le vampire se mit à rire.
— Très effrayant, joli cœur. J'en tremble.
— Reculez ! protesta Suni d'une voix acide, c'est interdit de toucher les humains ici.
— C'est l'ennuyeuse politique de la maison, en effet. Il y a les backroom pour se livrer à ce type de plaisirs blablabla. Mais toi... Il y a quelque chose... Bon sang, je ne suis pas sûr de pouvoir résister.
Le vampire retroussa ses lèvres pour révéler deux crocs effilés. Un noir profond avait envahi ses pupilles. Il attrapa Suni par le bras et le propulsa dans une cabine.
Ces quelques heures avaient fait fleurir un ridicule espoir : les vampires pouvaient-ils être autre chose que les monstres dépeints par les autorités ? N'y avait-il que des Kao parmi eux ? Il avait sa réponse.
Suni n'était plus lui-même, prudent jeune homme dévoué tout entier à l'art de la danse. En cet instant funeste, il semblait plus proche de tutoyer les ténèbres que les étoiles. Et il l'avait cherché. D'où venait cette envie soudaine de flirter avec le danger ? Tel le chant envoûtant des sirènes, il n'avait pu résister à son appel.
Alors que le vampire respirait sa gorge en le serrant contre lui, Suni se débattit et hurla à pleins poumons. Il pourrait tenter de lui mettre un coup de pied dans cette zone si sensible – même chez les vampires – de l'anatomie. Cette technique avait déjà fait ses preuves. Il s'apprêtait à reproduire l'exploit, quand la porte s'ouvrit violemment.
Suni fut plus que surpris de découvrir Chayan, le vampire qui l'avait déjà sauvé une première fois des griffes – ou plutôt des crocs – de Kao. Une honte cuisante, mêlée de soulagement, déferla en lui.
Les yeux de Chayan jetaient des éclairs, sa mâchoire était tendue. Il attrapa l'agresseur par la gorge et le jeta hors de la cabine. Celui-ci voltigea sur plusieurs mètres.
— Dégage tes sales pattes de lui, gronda-t-il d'une voix vibrante de colère.
Puis, sa grande main se saisit du col de Suni pour le ramener contre lui, fermement mais sans le blesser.
— Toi... commença-t-il d'un air sévère. Pourquoi je te retrouve encore dans la même situation ?
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