Chapitre 6: Apprenti
-Arrêtez ! hurlai-je tremblant.
Tout cessa immédiatement, le vide chassa les souvenirs et je fus à nouveau seul, seul dans ma tête, seul maître de mes pensées. Cependant, sa présence ne tarda pas à se faire à nouveau sentir
-Allez vous-en !
Ma voix tonna clairement et sembla surprendre le sauveur. Moi aussi, j'étais étonné. Je ne pensais pas que ces souvenirs pouvaient encore résonner aussi douloureusement en moi, pas après autant d'années. Cependant je me trompais, l'image d'Aëris revint me hanter, flotta devant moi, debout juste en face du sauveur, me fixant de ses yeux doux.
Je fermai les yeux pour me calmer et chasser la fillette de ma tête. Elle ne se laissa pas faire, réapparu même alors que je tentai de faire le vide dans mon esprit.
-Comment as-tu fait ça ? me demanda le sauveur.
-Quoi ça ? bredouillai-je.
-Tu m'a expulsé de ton esprit, tu as réussi à m'empêcher d'accéder à la suite de tes souvenirs, expliqua-t-il.
Je fronçai les sourcils confus. Je ne me souvenais pas avoir fait ça ! Il avait juste cessé, je ne l'y avais pas obligé !
-Je n'ai pas fait exprès messire...
-Ce n'est pas grave ! On va recommencer veux-tu ?
Mes épaules s'affaissèrent. Non, non je ne voulais pas ! Je n'en étais pas capable ! Je... Non!
Accepte ton passé, sois fort. Arrête d'être si faible, bats toi ! m'intima Aëris.
-Je ne suis pas faible ! m'écriais-je, va-t-en, laisse moi tranquille !
-Alex ? interrogea le sauveur.
-Elle est là, murmurai-je.
-Qui ça ?
-Aëris, soufflai-je.
Elle se transformait sous mes yeux, devenant un grotesque personnage, m'assassinant du regard. Tu m'as tuée ! me reprocha-t-elle.
-Ce n'est pas vrai ! C'était pas moi, je te jure.
Tu les as laissés faire, tu n'as pas été assez courageux pour les en empêcher.
-Je n'étais qu'un enfant, je ne voulais pas, je n'y arrivais pas.
Moi aussi je n'étais qu'une enfant, asséna la fillette, amère.
Je n'étais pas capable de lui répondre. Je n'en avais pas envie, car au fond elle avait raison. J'aurais dû faire quelque chose, comme elle avait fait pour la rouquine qu'elle avait sauvée. Elle avait raison, elle ne me disait que la vérité, mais je ne voulais pas l'entendre. Je n'étais pas prêt à entendre cette cruelle vérité.
-Alex, j'aimerais juste essayer une dernière fois puis je te laisserai tranquille, d'accord ?
Je hochai faiblement la tête, osai un dernier regard vers Aëris et replongeai, guidé par le sauveur, dans mes souvenirs les plus lointains.
Elle s'écroula, contre le sol en pierre. Elle ne se releva pas, suffoquant par terre, haletant, luttant pour garder la vie. Elle combattit en vain la Mort, qui s'approchait d'elle à grands pas.
Alex eut un hoquet de stupeur quand il vit que ses yeux étaient vides, blancs. Blancs comme il n'en avait encore jamais vu auparavant, blanc comme la mort. Parce que c'était ce qu'elle était : morte. Plongée dans un sommeil sans fin, entamant, comme sa maman lui avait expliqué, un voyage vers le ciel.
-Aëris, murmura le garçon. Aëris !
Elle n'eut pas la moindre réaction au son de son nom. Elle ne réagissait plus.
-Non Aëris ! s'époummona-t-il.
-Ta gueule le merdeux ! avait hurlé l'homme qui tenait encore l'épée en main.
L'épée tachée du sang de la fillette.
-Voilà ce qui arrive aux esclaves qui nous désobéissent !
Il essuya avec deux doigts le sang, le jetta vulgairement au sol, tandis que les pleurs des enfants résonnaient dans la cour.
-Vous allez tous passer au fer, on va vous graver la marque des esclaves sur le bras.
La rousse posa instinctivement sa main sur son bras à elle, le fixant encore avec horreur. Elle allait garder cette même expression effrayée toute sa vie, portant à jamais la culpabilité de la mort de la fillette qui était venue la sauver. Les larmes coulaient silencieuses chez elle, comme si elle n'avait plus la force d'émettre le moindre son.
Alex la fixait, avec un mélange de pitié et d'interrogation. Il se demandait si cela faisait aussi mal que ça en avait l'air et aurait voulu lui dire que ce n'était pas sa faute à elle si Aëris était morte, que c'était à cause des méchants messieurs. Mais il ne pouvait pas lui dire, parce qu'en réalité, il pensait que c'était la responsabilité de deux personnes:
Elle et lui.
Tous les deux coupables. Tous les deux minables. Tous les deux brisés. Tous les deux éplorés.
Alex, perdu, n'avait pas réagi quand son poignet avait été saisi par un des hommes et qu'il avait été entraîné vers la file. Il n'avait pas eu conscience que c'était à son tour...
Jusqu'à ce que le fer brûlant entre en contact avec sa chair. Jusqu'à ce que la douleur le rende fou. Jusqu'à ce qu'il hurle, hurle, se débattant pour trouver quelque chose à quoi se raccrocher.
N'importe quoi, un bon souvenir, ses parents, quelque chose d'autre que la douleur, insurmontable. Quelque chose d'autre que ce feu qui perçait sa peau, impitoyable. Quelque chose pour oublier, pour résister.
Son propre cri lui avait déchiré les oreilles, le sortant de sa torpeur.
-Nooooooon ! Arrêtez !
J'inspirai à plein poumon, l'air qui s'offrait à moi. Je respirais avec affolement, comme un sauvé de la noyade.
-Fabuleux, lâcha le sauveur à côté de moi.
Cela n'avait rien de fabuleux, ce n'était que douloureux ! Ce n'était que l'horreur que j'avais vécue il y a dix ans, enfouie au plus profond de moi et qu'il réveillait, qu'il m'obligeait à affronter à nouveau.
-Alex, tu es un des seuls à avoir réussi à me faire quitter son esprit de force ! C'est incroyable ! continuait-il, excité.
Il souriait, me fixant, enthousiaste.
-Il faut qu'on discute !
-D'accord.
-Il faut que tu dises à sire Jildis que maintenant tu ne lui appartiens plus, je veux repartir d'ici avec toi.
-Pardon ?
Il se trompait, il devait faire erreur !
-Je lui dirais à ta place si tu veux, s'exclama-t-il.
-Messire, je ne comprends pas.
-Après la bataille de la baie de la Fahra, on quitte ce lieu ensemble.
Je le fixai, muet de stupeur. Après la bataille ? Pourquoi donc partirais-je avec lui ? Après la bataille, il rentrera chez lui, moi chez messire Jildis, il formera son nouvel apprenti, celui qui devra arrêter les gobelins pour de bon, je servirais mon maître comme je le faisais depuis dix ans.
Je n'avais rien à faire avec lui ! Et puis, si c'était pour me revendre ailleurs qu'il souhaitait m'emmener, cela serait bête, les esclaves se vendent mieux plus jeune, il risquerait de ne pas obtenir un bon prix de quelqu'un déjà loyal à un autre, comme moi.
-Pour quoi faire messire ? demandais-je stupéfait.
-Commencer ta formation, soupira-t-il comme si c'était une évidence.
-Quelle formation ? balbutiai-je.
-Ta formation de sauveur.
Cette phrase résumait mes rêves les plus fous. Devenir un sauveur était un privilège exceptionnel. Devenir un sauveur était une chance inouïe, qui ne pouvait m'être accordée. Pas à moi.
-Je ne suis pas un sauveur.
-Tu pourrais le devenir, répliqua-t-il. Que sais tu d'eux ?
-Pas... Pas grand chose messire. À part que vous en êtes un, que vous êtes le plus grand magicien d'Okitio, que ce sont les Aigles Sages qui vous ont élu et que vous êtes le meilleur guerrier de tout les temps.
Il s'esclaffa.
-Ils ont une bien bonne estime de moi par ici, meilleure que je n'en aurais jamais ! Continue.
-C'est tout messire.
-Ce n'est pas possible, on t'a forcément déjà dit plus ! Allez, dis moi tout ! insista-t-il.
-On vous surnomme le sauveur maudit par ici, mais de là où je viens, c'est le sauveur noir.
Tout son enthousiasme s'envola, une mine sombre le remplaça et se fixa sur son visage renfermé.
-Pas besoin de me le rappeler, bougonna-t-il.
Je le fixais, surpris par un tel changement d'humeur.
-C'est que c'est tout ce que je sais sur vous, je suis désolée messire.
-Mmhhh, grogna-t-il pour seule réponse. Continue.
-Je sais que les sauveurs sont toujours étrangers, ils ne viennent pas d'Okitio.
Aussitôt la phrase sortie de ma bouche, mes espoirs s'envolèrent et mon air se fit aussi sombre que la mine actuelle du sauveur. Je venais d'Okitio. Il me racontait n'importe quoi, je n'allais pas repartir avec lui. Je n'avais pas les capacités pour être formé, je n'étais pas un étranger.
-Dans le mil, marmonna-t-il.
Je n'osais plus rien ajouter. J'attendais simplement une nouvelle réaction, mais il m'était impossible de le déchiffrer. Son visage ne trahissait pas la moindre émotion, il ruminait en silence, comme s'il m'avait oublié.
Tu ne pensais pas sincèrement que tu allais devenir son apprenti ? se moqua Aëris. Un lâche comme toi !
Je ne lui répondis pas, blessé par ses propos. Je m'étais emballé à la proposition hâtive du sauveur, mais je n'avais jamais vraiment cru qu'il était sérieux. J'avais tout de suite compris que cela était impossible !
-Sais-tu d'où ils viennent ? demanda brusquement le sauveur.
-Non messire.
-Ils viennent de la Terre.
-Qu'est-ce ? l'interrogeai-je intrigué.
-C'est un monde. Tu connais un peu la géographie d'Okitio, enfin un minimum puisque tu y vis, et bien, on peut appeler Okitio un continent. La Terre contient sept continents.
-C'est immense ! m'écriai-je. Où est-ce ? lui demandais-je curieux et avide d'en savoir plus sur cette chose nouvelle.
Il sourit faiblement.
-Je crains que cela ne soit trop dur à expliquer. Et sais-tu pourquoi ils viennent de là-bas ?
-Non messire.
-Parce que sur cette planète, il n'y a que des humains qui vivent. Aucune race magique. Les Aigles sont donc sûrs qu'ils ne pratiquent pas la magie et pourront leur accorder uniquement les pouvoirs dont ils auront besoin pour leur mission.
-C'est fabuleux, soufflai-je ébahi.
Personne n'avait encore pu autant me renseigner sur des sujets nouveaux comme celui-ci. C'était incroyable, juste incroyable. Je parlais à un sauveur ! Et il m'instruisait sur des sujets merveilleux.
-Et tu sais c'est quoi le problème en ce moment ? continua le sauveur, plus renfrogné que jamais.
-Les gobelins qui nous ont attaqués ?
Il éclata d'un rire cynique.
-Ces gobelins ne sont rien. Ils ne sont strictement rien à côté de ce qui attend vraiment ce pays. Ces gobelins sont bêtes, n'importe quel guerrier peut en tuer. Pas eux. Eux, ils vous auraient déjà massacrés depuis longtemps. Et ils le feront. Ils nous tueront tous.
Mon cœur s'affola. Il devenait fou ! Ses yeux brillaient de rage et ils me fixaient, abominables.
Ces gobelins n'étaient pas rien, me semblait-il. Ces creatures dites bêtes nous tuaient depuis quatre ans. Ces monstres décimaient les troupes rassemblées là, ils avançaient, inexorablement. Et lui, il m'annonçait qu'ils étaient insignifiants !
-Messire... De qui parlez-vous ? demandai-je timidement.
-Les vrais monstres méphistophéliques de l'histoire gamin.
Sans oser chercher à en savoir plus et comprendre la signification de ce qu'il me disait, j'acquiescai.
-Et tu sais pourquoi on va tous y passer ? continua quant à lui le sauveur.
Je secouai négativement la tête.
-Parce que les dieux nous ont abandonnés.
Il marqua une pause puis reprit :
-Ils nous ont abandonnés ! répéta-t-il désabusé.
-Mais vous êtes là vous ! Vous allez nous sauver ! m'écriai-je comme un enfant perdu, s'accrochant à des croyances qu'il avait toujours connues.
-Face à eux, je ne puis rien.
Qu'est ce qu'un sauveur sans réelles armes entre les mains ?
Il n'est qu'un pantin, un malheureux pantin dont jouent avec cruauté les Aigles.
Face à son air dément, je m'éloignai quelque peu.
-Ils m'ont laissé ici comme un de leur vulgaire jouet. Ils ne m'ont même pas donné de nouvel apprenti. Je ne suis plus rien, rien d'autre qu'un vieil homme cinoque qui porte une stupide insigne sensée lui accorder des pouvoirs et l'aider à sauver ce monde perdu.
Il se leva et arracha avec un cri de rage le sceau qui pendait à son cou.
Je regardai éberlué l'insigne tomber sur le sol et s'enfoncer dans la terre.
S'enterrer toute seule, et par cette image, bien plus s'offrait à moi. Le Sauveur ne croyait pas non plus en nos chances. Il anéantissait mes rêves par la même occasion, broyant le regain d'espoir qu'il m'avait lui-même offert ce matin.
Cependant le pire arrivait. Un hurlement bestial annonça le début du combat d'aujourd'hui et se perdit parmi les étranglements de stupeur d'autres, bientôt étouffés à leur tour par le vacarme des épées s'entrechoquant.
Je jetai un coup d'œil apeuré au cœur noir qui disparaissait sous terre et quittai cet endroit en courant.
*********
Hey!
On retrouve Alex pour quelques petites révélations sur les sauveurs.
On va bientôt réellement plonger dans l'intrigue, j'espère que ça vous a plu !
Bisous,
Dream
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