Chapitre 26 : Renaissance

Les rues défilaient, sans qu'aucune logique ne les liât. Elles tournaient, s'emberlicotaient, montaient, descendaient. Elles n'avaient rien de cohérent et je finis très vite par perdre le fil, incapable de définir d'où nous venions et deviner où nous nous dirigions.

Soudain, Noal s'arrêta. Il leva la main, nous ordonnant de nous taire. Je m'appliquai de mon mieux, suppliant mes sens de rester à l'affût. Mais tout était si flou, j'avais déjà assez de peine à avancer, mettre un pied devant l'autre. Alors me concentrer sur autre chose, impossible.

Mon maître dut mettre fin au suspens en annonçant :
-Je les entends. Ils arrivent.

Le garçon sembla s'affoler, il marmonna :
-Et... Vous savez où vous allez, vous avez un moyen de les semer messire ?

Noal répondit du tac au tac :
-Non. Je fuis juste. Je ne connais pas cette ville !
-Mais alors... commença le villageois.
-J'avais prévu de nous téléporter, l'interrompit le sauveur.

J'échangeai un regard avec l'inconnu, ses yeux bruns, embués de larmes, me supplièrent d'agir.

-Noal... Qu'attendez-vous pour le faire alors ?
-Je n'ai plus assez d'énergie ! J'ai épuisé presque toutes mes réserves dans mon combat avec Smorbôlg et la téléportation est un des sort qui demande le plus de pouvoir ! Alors maintenant, avancez parce qu'ils sont plus rapides que nous !

Presque mécaniquement, mes pieds se remirent en mouvement. Les pas de l'étranger leur firent écho, ainsi que ceux de Noal. Nous avancions en suivant la route, je laissai le sauveur nous guider... Mais je me souvins comme dans un éclair de lucidité qu'il avançait au hasard.

-Eh, accostai-je le jeune homme qui me soutenait depuis tout ce temps. Tu ne connais pas un chemin qui nous aiderait ?

Noal, sans cesser de boîtiner, se retourna, intéressé.

-Et bien... Si, c'est juste que je ne voulais pas donner des ordres à un sauveur, ils... Enfin, vous...

Les yeux du sauveur s'étressirent, il hurla :
-Mais t'es complètement un abruti ? Ou tu fais exprès ?
-Je...
-Mais sors nous de ce merdier, pauvre imbécile ! Tu comptais me laisser nous perdre ici, leur donner une chance de nous coincer ou t'allais finir par te manifester ? s'énerva le sauveur.

Le garçon baissait les yeux, en haussant les épaules. Il murmura :
-Suivez-moi !

Et un vrai espoir se praufila à l'horizon. Une lueur de détermination animait ses yeux bruns et il accéléra la cadence. Tant et si bien, que je peinais à marcher à ses côtés et que Noal clopinait douloureusement derrière nous.

Nos bottes claquaient sans aucune cohérence contre le sol irrégulier. Des morceaux de pierres ressortaient plus que d'autres, le chemin était inégal alors qu'il s'agissait d'une route bordée de maisons.

Décidément, cette ville semblait n'avoir été pensée par aucun architecte ! Si cela pouvait permettre à nos ennemis de se perdre, cela m'allait très bien. L'inconnu avait grandi ici et ne marquait jamais d'hésitations devant un croisement. Il savait où nous allions, cela se voyait. Je n'avais pas remarqué que Noal n'avait pas d'idées précises mais la différence était marquante à présent. Cela m'offrit un regain d'énergie qui me permit de suivre le rythme jusqu'à ce que le garçon s'arrêta.

-Il va y avoir un passage dangereux puis nous serons arrivés en sécurité...

Je regardai autour de nous. Une rue nous barrait le route, d'une direction opposée à la nôtre. Si nous traversions le passage juste en face, nous pouvions déboucher sur un petit chemin de terre que l'inconnu désigna comme le passage à prendre.

-Traverser la rue sera difficile, la place centrale du village n'est pas loin, le baghros risque de nous entendre, expliqua-t-il.

Je fus étonné. Nous venions de marcher durant ce qui avait paru durer une éternité ! Nous ne pouvions pas être revenus près de l'estrade et l'arène !

-Il faudra soit courir très vite, soit marcher assez lentement pour être silencieux...

Nous échangeâmes un regard avec Noal. Courir allait être impossible.

-J'irai en premier en marchant silencieusement, afin d'être sûr que personne ne nous a déjà remarqués, décreta le sauveur. Si quelqu'un m'attaque, fuyez ! S'il n'y a personne, Alex tu me suis quand je te ferai signe en marchant, quant à toi, jeune homme il serait préférable que tu cours pour rester exposé le moins longtemps possible.

Il marqua une pause puis reprit en fixant le villageois :
-S'ils nous tendent un piège, prends soin de ce garçon. Tout le pays t'en sera reconnaissant, crois-moi !

Il se tourna vers moi :
-Ne tente rien de stupide pour me délivrer ! Si une embuscade m'attend, débrouille toi pour retrouver ma cabane, ma chambre contient assez d'informations pour que tu poursuives ta formation seul et trouve les bons alliés...

J'ouvrais la bouche pour répliquer lorsqu'il se mit en marche. Sa jambe gauche le faisait souffrir et il l'a traînait pathétiquement contre le sol tandis que son deuxième pied se posait avec délicatesse à chaque fois, effleurant à peine la pierre. Ses sens aux aguets, il ne cessait de jeter des coups d'œil à gauche et à droite, se retourner brutalement.

Puis finalement, un pied se posa contre le chemin de terre. Et un hochement de tête m'incita à le rejoindre.

Je soufflai plusieurs fois, jetai un regard à l'inconnu et avant de m'elancer sur la route, murmurai :
-Comment t'appelles-tu?
-Will, souffla-t-il.
-Quoi qu'il advienne, merci Will !

Et je m'en allais. Mes pas se posèrent sur l'immense route pavée qui le faisait face, mes jambes flageolantes me soutinrent avec peine et je marchai seul pour la première fois depuis la torture du baghros. Ce fut une douleur atroce qui se réveilla dans tous mes muscles. Le bas de mes jambes brûlaient, mes cuisses saignaient. Mes hanches peinaient à trouver une position confortable, mon ventre, comprimé par une bulle d'angoisse et de douleur, se serrait tellement qu'il m'était difficile de respirer. Mes bras, couverts d'hématomes envoyaient des décharges de douleur dès que je les touchais ou effectuais un mouvement trop brusque.

Tout cela surgit d'un seul coup lors de la traversée, mais je ne flanchai pas. Je restai concentré, yeux fixés sur les prunelles vertes du sauveur, comme seul et unique objectif. Ils se rapprochaient. À chaque pas, à chaque grimacement, je touchais le but du doigt.

Au moment où mes chaussures allaient se poser contre le chemin de terre, rejoindre Noal, je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'œil curieux autour de moi. À ma gauche, un bâtiment immense, de forme ovale se dressait au dessus des autres maisons. L'arène qui se situait juste à côté de l'estrade était visible d'ici. Le baghros ne devait pas être loin.

Je tournai vite la tête et les mains de Noal me tirèrent à ses côtés. Il me sourit faiblement et hocha la tête en direction de Will. Je me tapis derrière lui, dissimulé par des arbres qui entouraient le sauveur et moi.

Le jeune homme commença sa traversée prudemment, petits pas à petits pas. Puis, une fois rassuré, il obéit aux ordres qui lui avaient été donnés et se mit à courir. En à peine quelques secondes, il nous rejoint.

J'expulsai tout l'air que je retenais dans mes poumons, envahi d'un soulagement sans nom. Noal avait exposé la situation d'une manière tellement dramatique que j'avais craint pour sa vie, la mienne et celle du villageois. Un faible soupir quitta mes lèvres.

Will nous dépassa, Noal et moi et, courbés à cause des petits arbres et leurs feuilles gênantes, nous reprîmes notre marche. Cahin-caha, serrant les dents, nous marchions. Le chemin terreux devenait parfois boueux, dû à une pluie de saison qui, heureusement, nous épargnait aujourd'hui. Encore une chance.

Le jeune villageois s'arrêta brusquement. Il pointa du doigt un taudis, une maison en bois qui semblait prête à s'écrouler au moindre coup de vent. Seule construction à des milles à la ronde, elle surplombait une vallée immense séparée en plusieurs enclos où vaches, moutons et un cheval paissaient tranquillement. Le pelage sali par la boue, le canasson, mal en point, releva à peine la tête vers nous. Les trois vaches nous fixèrent d'un air morne, aussi désolé que la maison en piteux état qui nous faisait face.

-Bienvenus chez moi... marmonna Will, la tête basse.

Visiblement, il avait honte... Mais autre chose pointait dans son visage. Comme une tristesse indescriptible, profondément ancrée dans les doux yeux du fermier. Je n'avais que rarement dormi dans plus comfortable et ne comprenais pas le malaise du garçon. Surtout que, au fond de cet état déplorable, j'étais persuadé de trouver un endroit douillet, chaleureux. Simple et rustique, accueillant malgré le froid qui risquait de nous envahir durant la nuit.

Mon analyse détaillée de la ferme parut comme... étrange. Oui, l'endroit me semblait familier. Cette ferme, vieille et délabrée, j'avais l'impression de l'avoir déjà vue ! Une image soudaine surgit dans ma tête : une femme, aux yeux noir de jais, sourire étincelant éclairant son visage, soulevait un enfant riant aux éclats, juste devant une ferme.

Oui, notre ferme. La ferme familiale. Elle avait les mêmes airs, la même allure même si la nôtre possédait un toit plus solide. Troublé, je demandai au garçon :
-Tu vis là depuis longtemps ?

Il me jeta un coup d'œil et répondit :
-Un peu moins d'une dizaine d'années d'après mon père, la famille qui vivait là nous l'a vendue à bon prix qu'il disait...

Sa voix se brisa et prit des accents douloureux. Je sentais qu'il était malheureux mais j'avais besoin de savoir si j'avais pu être déjà venu ici.

-Tu as rencontré cette famille ?
-Je devais avoir cinq ans... commença Will.
-On n'a pas le temps, le coupa aussitôt le sauveur.

Il se tourna vers moi :
-À quoi tu joues Alex ? On s'en fout de cette ferme ! Faut-il te rappeler qu'une horde de gobelins est à notre recherche ?

Je lui jetai un regard assassin. Il se pensait supérieur. Supérieur à moi, comme tout le monde lorsque j'étais un esclave. Mais ne m'avait-il pas répété lorsque nous vivions ensemble que j'allais atteindre un des niveaux les plus hauts de l'échelle sociale ? Ne m'avait-il pas demandé, à de maintes reprises, de m'affirmer ? D'arrêter de me laisser faire ? Alors pourquoi ne cessait-il de me rabaisser ? Je m'étais laissé faire pendant dix ans. Dix longues années de souffrance, à être traité comme un moins que rien, à subir les coups, les humiliations,... Alors non, maintenant qu'on me tendait une main, maintenant qu'on m'avait promis de faire de moi quelqu'un de respecté, je ne pouvais continuer à subir.

Subir, toute ma vie, allait être impossible. J'avais quinze ans. La nature m'avait offert un corps qui, malgré les rations basses de nourriture, avait de quoi me permettre de trouver un travail d'apprenti dans n'importe quel forge, n'importe quelle école de guerriers,... Certes, pour le moment cela ne faisait pas partie de mes plans. Devenir sauveur restait un désir profond, ancré en moi depuis toujours, comme rêve innaccessible d'enfant naïf d'abord et comme but qui n'attendait qu'à être atteint à présent. Néanmoins je savais que je ne vouais plus devenir un esclave, ni être traité de la sorte à nouveau. Jamais.

-Chasse moi cette tête râleuse Alex, tu es quelqu'un de censé, tu sais très bien que nous devons nous mettre en sécurité et reporter ces questions ! J'aimerais savoir ce qu'il se passe dans ta tête en ce moment... Cela risquerait d'être intéressant vu ton air assassin, mais je n'ai plus assez de réserves ! Allez, maintenant, fais-nous rentrer jeune homme.

Will hocha la tête avec empressement et quitta le petit chemin pour rejoindre la ferme. Je le suivis aussitôt, Noal à ma suite. Le garçon nous ouvrit la porte dans un grincement dérangeant puis s'engouffra à l'intérieur de sa maison. Quand je l'imitai, une douce chaleur m'enveloppa en même temps qu'une odeur familière de foin mouillé vint chatouiller mes narines. Un cocon rassurant régnait ici, un petit havre de paix malgré l'état piteux de l'endroit.

Le fermier se chargea d'allumer un feu qui crépita pour mon plus grand bonheur dans la pièce, nous emplissant de sa chaleur. Cela réchauffait le cœur, mais mon humeur restait assombrie par l'altercation avec Noal. J'avais imaginé beaucoup de retrouvailles, cependant aucun d'elle n'était aussi froide. Et toutes se finissait dans une étreinte réconfortante, un sentiment d'avoir retrouvé son mentor, d'être aimé. Et surtout, retrouver notre quotidien qui avait à peine eu le temps de s'installer, puis qu'il guérisse mes blessures comme après chaque entraînement. Qu'il me taquine, en m'appelant Elouan que...

Une déception immense m'avala et me fit monter les larmes aux yeux. C'est à cause de l'angoisse de la fuite ! tentais je de me persuader.

-Je vais vous installer des paillasses si vous voulez dormir ici, annonça Will avant de s'éclipser.

Seuls les crépitements du feu furent écho à sa déclaration. Puis le sauveur se décida à briser le silence :
-Elouan...

Un large sourire éclaira mon visage.
-Maître ? l'appelai-je, la voix brisée par un sanglot qui n'avait pas encore disparu.

Je relevai la tête vers lui. Ses yeux verts me fixaient avec bienveillance, ses cheveux châtains, attachés en une queu de cheval étaient salis de boue et de pluie et sa mâchoire carrée lui donnait un air sombre. C'était ainsi que je l'admirais. Quand il avait cet air de guerrier farouche mais que ses yeux trahissaient sa douceur.

-Tu sais ta présence commençait déjà à me manquer... Tu te rends compte, je devais aller chercher de l'eau moi-même ! Vivement que tu reviennes t'en charger !

J'éclatai de rire.
-Vous aussi vous me manquiez, je n'avais plus personne pour me réveiller d'un seau d'eau dans la figure !

Il secoua la tête, un léger sourire aux lèvres.

-Je suis fier de toi gamin, continua le sauveur d'un ton plus sérieux. Tu as survécu à une semaine s'emprisonement chez un baghros et te voilà. Ici, debout. Faible mais debout. Courbé mais debout. Blessé mais debout. C'est ça être un sauveur. C'est ne jamais montrer ses faiblesses et ne laisser personne nous mettre à terre. Et de ça, je suis fier !

À l'entente de ces phrases, ces compliments, une bouffée de joie me remonta le moral qui monta en flèche. Le cœur léger, je me sentais moins esclave que jamais.

Je me sentais renaître.

***
Hello!
Alors j'avais posté ce chapitre dimanche puis je trouvais étonnant de n'avoir aucun lecteur... Grâce à MiladyCoulter j'ai su que c'était parce qu'il n'était pas visible :/

Pour le coup, le retard est dû à wattpad ! Mais je posterais bien le chapitre 27 ce week-end, s'il n'y est pas c'est qu'il y a un problème de publication, n'hésitez pas à me le signaler !

J'espère qu'il vous aura plu,
Bisous,
Dream

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