Chapitre 18 : Tom

Deux yeux gris se tournèrent vers le ciel parsemé d'étoiles. Les prunelles ternes se plantèrent dans la lumière apaisante de la lune et un soupir d'aise s'échappa de la bouche du jeune homme.

-C'est beau, souffla-t-il.
Il ne détacha pas son regard de l'astre brillant de douceur mais attendit une réponse de la part de son ami.

-Mouais, marmonna ce dernier.

Étonné, le premier se retourna vers lui.
-Tu l'as toujours admirée ! s'exclama-t-il.
-Pas ce soir, répondit le concerné d'une voix faible.

Ils gardèrent le silence un long moment, couchés dans l'herbe mouillée du jardin du château. Soudain, le plus petit se redressa en position assise et sa voix hésitante s'éleva :
-Tom ?
-Mmh?
-Tu n'as pas peur toi ?

Tom fronça les sourcils. Comment Colin pouvait-il se poser la question ? Évidemment qu'il avait peur. Il était terrifié à l'idée de ce qui les attendait.

-Bien sûr que si !
-Tu ne devrais pas pourtant ! répliqua Colin.
-Tout le monde doit avoir peur.
-Pas toi.
-Pourquoi donc ?

Colin dévisagea son ami.
-Tu n'as rien à craindre. Ton père est le maître d'arme du château, tu seras choisi sans hésitation. Tandis que moi...

Sa voix se cassa sur le fin de sa phrase. Les mots refusaient de sortir.

Le garçon baissa la tête, retenant à grand peine les sanglots qui voulaient s'enfuir de sa gorge serrée et les larmes qui rêvaient de dévaler ses joues.

Tom se leva, lui releva le menton et le regarda droit dans les yeux.
-Toi, tu réussiras aussi ! Je refuse de te laisser abandonner.
Il marqua une pause avant de continuer:
-Je t'interdis de ne pas essayer. J'interdis à mon frère de ne pas croire en lui.

Un sourire illumina le visage de Colin, son cœur se gonfla de fierté et il se jeta au cou de son ami. Tom le réconforta de son mieux, le serrant dans une étreinte rassurante.

Il ne put s'empêcher de ressentir un brin de culpabilité en songeant que Colin avait peut-être raison. Il lui mentait en assurant qu'il réussirait. Il savait à quel point la petite taille de son ami serait un désavantage. Il avait conscience de la fragilité de l'orphelin qu'il considérait comme un frère.

Et il était presque persuadé que jamais Colin et sa douceur n'arriveraient à faire ce qui serait demandé. Comment est-ce qu'un garçon aussi bon que lui pourrait en tuer un autre ?

Il en serait tout bonnement incapable, Tom s'en doutait. Il connaissait par cœur son ami. Cet ami à qui il avait toujours tout confié, cet ami drôle, souriant, innocent, timide... Et orphelin. Ses parents l'avaient abandonné dans la forêt, comme il était courant de le faire lorsque l'enfant arrivait par accident.

Tom ne pouvait s'en souvenir cependant son père lui avait conté d'innombrables fois le moment où Colin avait été repéré.

"Les cavaliers s'élançaient dans la forêt, sans ménager leur monture. Ils riaient, s'amusant à se dépasser les uns les autres. Après un signe d'un homme de grande carrure, aux yeux gris pétillants, montant un étalon sauvage noir, le groupe s'était tu.

Chacun avait calmé son cheval, avait cessé de plaisanté et tous avaient repris leur sérieux.
-On va l'encercler, la sale bête ne nous échappera pas !

La troupe avait acquiescé. La chasse au sanglier était sacrée, aucun ne ferait défaut à son rôle. Ils n'avaient toujours pas digéré le fait que leur proie leur ait filé entre les doigts lors de la dernière expédition.

-Sa tanière n'est plus très loin, affirma le meneur.
Les sabots des chevaux s'étaient enfoncés avec douceur dans la terre meuble pour faire le moins de bruit possible et enfin, la queue du sanglier était apparu sous leurs yeux.

-Chef, murmura un soldat, il y a...
-Chut! l'interompit un second.
-Mais...
-Il a raison, il y a...
-Un bébé ! s'était exclamé leur chef.

Tous les regards avaient convergé vers l'entrée de la tanière, protégée par un pelage brun. À peine un pas à côté des pattes griffues de l'animal, un petit paquet reposait sur le sol. Un visage rond, aux joues creusées, détonnait dans la masse de couvertures sombre qui le protégeait.

Il dormait paisiblement sans se douter un seul instant du danger qui le guettait. Un seul mouvement de la bête et la peau rose se teindrait de rouge. Un seul bruit qui attirerait l'attention du prédateur sur le bébé et sa vie si courte s'arrêterait.

Les chasseurs ne savaient que faire.
-On s'en fout du gamin, chuchota alors l'un d'être eux.
-C'est vrai ! approuva un second.
-S'il a été abandonné c'est qu'il portait malheur à sa famille, enchaîna un autre.
-On s'occupe du sanglier alors, c'est que j'm'ennuie !

Le meneur ne les écoutait plus, énervé par leurs propos aberrants.

-Alors, Gautier, on fait quoi ?

Il tourna la tête vers ses hommes, les foudroya de regard et posa pied à terre.
-Je vais chercher le petit.
-T'es tombé sur la tête ?
-Qu'est ce qu'il te prend ?

Ses bottes s'enfoncèrent dans la boue, il fit la moue puis haussa les épaules.

-Vous n'avez pas de cœur, lâcha-t-il.
-Ce gosse va t'apporter des ennuis, Gaut'.
-La bestiole va te tuer vieux...

Il fit un pas vers la tanière.
-C'est lui qu'elle va tuer si je n'agis pas.

Sidérés, ses hommes essayaient de le comprendre.

-Tu le connais ? tenta l'un d'entre eux.
-Non, répliqua-t-il d'un air sévère. Mais il s'avère que ce gosse pourrait avoir l'âge de mon propre fils.

Cette dernière réplique coupa court à la discussion.

Il s'avança sans plus un regard pour ses compagnons, le regard fixé sur son objectif. Ses gestes se firent lents, craintifs et mesurés. Il marcha avec précaution, retenant son souffle, s'empêchant de respirer trop fort et de trahir sa présence d'un mouvement brusque.

Il touchait presque son but. Le poupon, aux yeux clos, les joues rebondies, commença à s'agiter. Ses sourcils se froncèrent et il se retourna trop brusquement.

Le sanglier fit volte face. Ses yeux rouges de colère fouillèrent les alentours et tombèrent aussitôt sur l'enfant. Il émit un grognement et s'avança.

Gautier se crispa mais n'eut pas le temps d'hésiter. Il fallait agir sans tarder.

Il se jeta entre la bête et le bébé. Il s'interposa et fit barrière de son corps puissant.

Il se coucha presque sur le nouveau-né, pour le protéger. Le sanglier, lui, ne s'arrêta pas devant l'obstacle. Il piétina la main de Gautier, la broyant jusqu'au sang et continua sa course jusqu'à enfoncer ses défenses dans la cage thoracique du meneur.

Il balbutia quelques mots incohérents, plaqua sa main blessée sur sa plaie béante au milieu du ventre. L'air lui manqua bien vite, la douleur fut subite. Vainquant cette vicieuse amie, il poussa un grognement de rage et ne décampa pas. Le bébé ne mourrait pas. Il le sauverait. Il devait y arriver !

Il commençait à s'affaisser sur l'enfant qui, lui, braillait, réveillé par l'attaque du sanglier. Ses sanglots déchiraient le cœur de Gauthier, qui poussé par l'adrénaline et son instinct paternel, réussit à saisir les couvertures, les soulever du sol et jeter le tout plus loin.

Loin de la bête, loin du danger.

Ses hommes ne perdirent plus une seconde de plus. Ils se décidèrent enfin à agir et deux d'entre eux attrapèrent le poupon hurlant de douleur tandis que les autres se ruaient sur leur meneur et l'animal.

Gauthier, rassuré de voir son protégé en sécurité, avait enfin baissé les armes. Sa tête s'était effondrée contre le sol boueux, ses yeux s'étaient fermés."

Tom sourit en se remémorant cette histoire. Son cœur se gonflait de fierté à chaque fois qu'il la racontait, éxagérant chaque fois un peu plus la bravoure de son père que les hommes avaient réussi à ramener au château et sauver.

-Colin, on vaincra. Tous les deux. On deviendra les meilleurs guerriers de tous les temps, tu te souviens ?

L'orphelin acquiesça, tout sourire.

-Je m'en souviens, affirma-t-il. Les meilleurs guerriers, les plus vaillants, les plus justes, les plus forts. Et nous parcourerons le monde, épée à la main, tuant les méchants et ceux qui tenteraient de nous arrêter. Nous serons heureux, ensemble, rien ne pourra nous empêcher de traverser Okitio.

Les deux amis se regardèrent, les yeux brillants d'espoir. Ils se racontaient inlassablement ces mêmes rêves innocents. Ils ne savaient dire s'ils y croyaient ou pas. Ils avaient grandis, pris conscience de toutes les choses que les enfants ne comprennent pas. Ils avaient vu une ou deux personnes mourir, d'autres agoniser. Ils avaient compris que ni l'un ni l'autre était destiné à un quelconque destin héroïque.
Et pourtant...

Et pourtant :
-Nous rencontrerons les Aigles Sages et le Sauveur Noir. Nous les aiderons à accomplir leurs missions sacrés, s'écria Colin.
-Nous irons jusqu'au pays d'origine des sauveurs, nous visiterons la Terre ! renchérit Tom.
-Nous...

Colin fut arraché des bras de son ami qui n'avait toujours pas désseré son étreinte. Tom agrippa la tunique de l'orphelin par réflexe, mais elle se déchira. Il ne lui restait qu'un morceau de tissu brun entre les mains.

Ils hurlèrent en chœur, surpris par cette attaque soudaine et impossible à identifier. Colin était attiré au loin sans aucune raison, gesticulant dans le vide, le visage rouge, les mains serrées autour de sa gorge tentant de se défaire d'un ennemi invisible.

-Colin ! Que se passe-t-il ? Où vas-tu ! hurla Tom.

Une peur sourde l'aveuglait. Ses pensées ne conservaient aucune cohérence, ses membres refusaient de bouger, se décoller du sol pour aider son ami. Paralysé par la terreur, il ne pensait qu'à son cœur qui tambourinait si vite dans sa poitrine, son sang qui battait à ses tempes et lui donnait la migraine.

Il se recroquevilla sur lui-même, plaqua ses mains sur ses oreilles.

-Colin, Colin, Colin, Colin, marmonnait-il comme une litanie.

Ses balbutiements devinrent de moins en moins clairs, sa bouche se fit pâteuse.

-Col... Co...

La voix rauque, il finit par se taire. Son accès de folie, lui, prit de l' ampleur. Tassé sur lui-même le garçon s'arrachait des mèches entières de cheveux blonds, les jetait au sol puis continuait. Il tremblait, pris de spasmes incontrôlables. La nuit, légèrement fraîche, n'aurait normalement pas suffi à faire claquer ses dents. Ni à faire rosir son nez délicat. Ni à faire bleuir ses lèvres.
Et pourtant, frigorifié, il n'arrivait pas à se réchauffer.

Alors, il répétait ce même mouvement de balancier sans cesse. Il se penchait en avant, articulait des mots silencieux, s'arrachait les cheveux, revenait en arrière et recommençait.

Son esprit divagait, son corps agissait.

Il se perdait, dans un océan empli de ténèbres. Il se noyait, dans les eaux sombres. Il coulait. Personne ne le relevait. Il paniquait. Personne ne le rassurait.

Et puis... Il y avait ces voix. Elles sussuraient tantôt des horreurs, tantôt des paroles mielleuses à son oreille.
"Viens, rejoins nous" "On va te faire souffrir" "Viens, viens faire du mal avec nous" "Nous ne te laisserons pas partir vivant d'ici."

Elles se taisaient. Seul son souffle faisait écho au milieu de la bulle de folie dans laquelle il nageait. Puis...
"Allez viens!"

Le silence. Son cœur qui tambourinait.
"Rejoins nous.".

Plus rien. Son souffle qui s'accélerait.
"Vite ! Viens !"

Le calme. La peur qui l'envahissait.
"Avant qu'il ne soit trop tard."

-Trop tard pour quoi ? s'époumonnait le jeune homme.

Et les milles voix éclataient d'un rire strident.

Alors Tom se débattait. Il frappait contre la paroi l'emprisonant dans cette noirceur, cette prison mentale. Cependant, rien n'y faisait. Rien ne bougeait, rien ne cassait.

-Colin... Colin... Co... Lin! bégayait-il.

Et :
"Viens... Viens... Viens," répétaient-elles.

Puis le vide. À nouveau. Encore. Jusqu'à ce que la bulle explose. Elle se fissurait, invitait Tom à s'enfuir. Et il voulait le faire, s'engouffrer par le trou, retrouver des repères... Mais son esprit, collé contre les parois de la folie, ne parvenait pas à lui obéir.

Alors, son corps, incontrôlable, continuait à agir.

Le sang dégoulinait de son crâne, sans que cela n'empêche ses doigts de continuer à arracher. Tirer, arracher, jeter. Hurler, se débattre, souffrir. Recommencer.

Les spasmes se firent de plus en plus violents, le garçon fut projeté au sol, incapable de tenir debout plus longtemps. Il atterrit dans l'herbe légèrement mouillée par la rosée, sa tête heurta une pierre tandis que le reste de son corps tremblait contre le parterre et secouait les plantes. Une odeur âcre vint flotter devant ses narines : celle de son sang. De ce précieux liquide qui s'échappait de la nouvelle plaie créée par le choc.

Une douleur de plus.

Mais la plus fulgurante resta celle mentale. La bulle se refermait à nouveau et rétrécissait. Elle devenait si petite. Si étouffante. Les hurlements se faisaient plus pressants, plus stridents. Une migraine vrillait dans sa tête, trop violente, trop soudaine.

Et dans un dernier cri, son esprit implosa.

***
Hello!
Voici le dernier des quatre garçons à présenter. Comme Jack, c'est une version changée totalement par rapport à la première...

J'espère que cette attaque mystèrieuse vous plaira :)
Bisous,
Dream

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